Actuel / À la découverte des champignons hallucinogènes du Mexique
Fresque représentant la guérisseuse María Sabina accompagnée de ses champignons. © DR
Mexican magic mushrooms ! Aujourd’hui, tout le monde peut commander sur des sites spécialisés des spores de champignons hallucinogènes mexicains à cultiver à domicile. Les kits comprennent bac, terreau, spores et notice d’utilisation. Ces dernières recommandent toutefois de ne pas combiner leur ingestion avec de l’alcool ou d’autres drogues, de les consommer dans un environnement calme et, avant toute chose, d’être en bonne santé physique et mentale.
Arnaud Exbalin, Maître de conférence, histoire, Labex Tepsis – Mondes Américains (EHESS)
Les champignons mexicains ne sont en rien des drogues récréatives : leurs effets sont si puissants qu’ils peuvent faire perdre la raison à certaines personnes mal préparées.
Avant d’être qualifiés de « magiques » et placés au rang de produits mondialisés, ces champignons étaient considérés comme des entités sacrées par les peuples méso-américains : teonanacatl en nahuatl, littéralement « chair de dieu ».
À partir du XVIe siècle, avec la conquête du Mexique et sa colonisation par les Espagnols, les moines évangélisateurs en firent des agents démoniaques. Pendant près de 400 ans, les usages sacrés des champignons hallucinogènes furent ainsi combattus au point de disparaître du Mexique.
C’est en tout cas ce que l’on croyait avant qu’ils ne soient redécouverts dans les années 1950.
À la saison des pluies
Aujourd’hui, la consommation des champignons hallucinogènes subsiste encore dans certains villages des hauts plateaux centraux du Mexique. Dans la région montagneuse de la Sierra Mazatèque (située au nord de l’État d’Oaxaca), il existe trois espèces d’hallucinogènes qui croissent à la saison des pluies, entre juin et septembre.
Le psilocybe mexicana Heim est un agaric à la robe foncée, de petite taille, qui pousse dans les champs de maïs et les pâturages. Il est appelé angelito (« petit ange ») en castillan et ’nti ni se (« oiseau ») dans la langue mazatèque. Le stropharia cubensis Earle croît à proximité des déjections des bovins. Il n’existait donc pas à l’époque préhispanique. Moins estimé, il est appelé « petit champignon de Saint Isidore le laboureur ». Le psilocybe caerulescens Murrill est quant à lui le plus puissant et le plus convoité. Il pousse dans les éboulis ou dans la bagasse des moulins à sucre. Il est appelé « éboulement » (derrumbe en castillan ou Ki so en mazatèque) autant pour le lieu où on le cueille que pour la puissance des visions qu’il procure.
Toutes ces espèces sont qualifiées de medicina par les habitants de la Sierra Mazatèque en raison de leurs vertus curatives (contre la goutte ou les fièvres).
Pour se soigner, le malade peut procéder de deux façons. Soit il décide de consulter un guérisseur qui, en voyageant grâce aux propriétés des champignons, sera capable d’identifier les causes du mal et prédire la guérison ou bien augurer la mort. Soit le patient les consomme lui-même. Il doit alors suivre les règles d’usage : tout d’abord, un régime alimentaire strict qui prohibe la consommation de viande, de haricots et toute relation sexuelle trois jours avant et après la prise. Puis, des marches dans la montagne environnante sont nécessaires pour que le voyageur s’acclimate au pays et se déprenne de ses préoccupations quotidiennes.
Expérience indicible
Le jour du rituel, il est indispensable de se laver à l’eau claire, de s’apprêter soigneusement et d’attendre la nuit avant de consommer les champignons à jeun. Le guérisseur ou la guérisseuse procède alors à une purification (limpia) à base d’herbes aromatiques et de fumée de copal.
Il demande à la personne quel est son mal (physique ou psychologique) et vérifie que les règles prescrites ont bien été respectées. Il passe alors un œuf de poule ou de dindon sur les membres du corps, tête, bras, jambes, tout en psalmodiant des prières où le castillan et le mazatèque s’entremêlent. Une fois l’œuf cassé, il peut en lire le contenu pour évaluer l’état psychique de son patient. Il est donc possible qu’il refuse l’accès au voyage si la personne n’est pas disposée à le faire.
Les champignons vont toujours par paires ; on dit qu’ils sont « mariés » (casados). Ils sont ainsi soigneusement placés deux par deux dans une feuille d’épi de maïs qui constitue un « voyage ». Selon son état, la personne peut consommer jusqu’à trois voyages, ce qui correspond à une vingtaine de champignons.
La prise a toujours lieu à la tombée de la nuit, en général dans une pièce qui fait office de chapelle privative avec autel et images saintes. Les psilocybes sont consommés crus, de préférence frais. Ils doivent être longuement mastiqués et ingérés un à un, d’abord le chapeau puis le stipe. Leur goût âcre peut provoquer des vomissements. Au bout de quelques minutes, l’effet de la psilocybine, le principe actif du champignon, ne tarde pas à se manifester…
Il est difficile de décrire l’expérience extatique du champignon. Elle varie selon la personnalité, les portions consommées, l’humeur. Au cours du voyage même, les effets oscillent sans cesse : ils arrivent par vagues, plus ou moins espacées, qui s’étalent sur une plage de cinq à six heures. Les colorations (voile vert, formes géométriques fluorescentes), les objets qui se déforment et s’animent, la distorsion du temps et l’amplification des sons font passer de crises d’hilarité à des phases de profonde tristesse, voire d’angoisse, surtout lorsque surgit la première vague.
Des images d’une splendeur éblouissante cohabitent avec des visions terrifiantes. Enfance, mort, êtres aimés se télescopent. L’esprit est comme détaché de sa lourde enveloppe charnelle. Il pérégrine. Mais tout au long du voyage, la personne demeure consciente et assiste, comme médusée, à ses propres hallucinations. Au petit matin, les effets finissent par s’estomper, même si certaines visions reviennent dans les semaines qui suivent, l’espace d’un instant, comme un flash.
De la science au psychédélisme
Au milieu des années 1950, trois savants explorent en voiture et à cheval la Sierra Mazatèque en quête des champignons disparus.
Le premier, Robert Gordon Wasson, est un banquier nord-américain, passionné de mycologie. Il est l’un des premiers à redécouvrir, en 1953, les usages rituels des psilocybes chez les Mazatèques. Dans la bourgade de Huautla de Jímenez (État d’Oaxana), située à une dizaine d’heures de Mexico, il rencontre la chamane María Sabina qui l’initie au « voyage ». Le second, Robert Heim, vient directement de Paris. Mycologue de renom, alors professeur au Museum national d’histoire naturelle, il est la caution scientifique de la mission. Le troisième, Guy Stresser-Péan, fin connaisseur des langues et des cultures indigènes, est leur guide. Ensemble, ils lancent une vaste enquête pluridisciplinaire croisant les approches botaniques, linguistiques, ethnographiques.
À l’autre bout du monde, dans les laboratoires de l’Université de Bâle en Suisse, le chimiste Albert Hoffmann – père du LSD en 1943 – reçoit des échantillons d’agaric et parvient à en synthétiser la molécule, la psilocine. À Paris, l’éminent psychiatre Jean Delay, directeur de l’Institut de psychologie de l’Université de Paris, teste des médicaments à base de psilocine sur ses patients atteints de troubles mentaux. Cette enquête débouche sur un film documentaire réalisé par Pierre Thévenard en 1963 (jamais diffusé en salle) ainsi que sur plusieurs publications dont Les Champignons hallucinogènes du Mexique, œuvre monumentale éditée en 1958 par le Muséum national d’histoire naturelle.
Les conclusions de ces études échappent rapidement au cadre académique auquel elles étaient destinées. Des routards avides de nouvelles expériences s’en emparent. Fuyant le matérialisme consumériste des villes, ils se lancent sur les chemins de la Sierra Madre à la recherche des agarics magiques et de María Sabina. Le tour du Mexique devient un voyage initiatique pour les adeptes de la vogue psychédélique. John Lennon, Jim Harrison, Aldous Huxley, Walt Disney, Bob Dylan, Mick Jagger suivent le mouvement.
Dans le miel
Si le chaman a la capacité de guérir et de prédire, l’historien a, quant à lui, le pouvoir de voyager dans le temps. Faisons un saut de plusieurs siècles en arrière pour nous situer aux lendemains des Grandes découvertes.
On y découvre que les Européens se sont intéressés de manière précoce aux pharmacopées indigènes, s’appropriant les plantes américaines, comme l’a récemment montré Samir Boumedienne dans un passionnant ouvrage publié en 2016, La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde. Mais contrairement au tabac, au gaïac ou au cacao, les champignons hallucinogènes ne font l’objet d’aucune convoitise de la part des Espagnols, bien au contraire.
Mexico, quelques années après la conquête par les Espagnols (1521), dans le monastère de Santa Cruz Tlatelolco. Le religieux Bernardino de Sahagún, l’un des premiers franciscains à s’installer dans l’ancienne capitale aztèque, s’entoure d’une équipe de traducteurs, de peintres et de médecins indigènes. Pendant de longues années, il s’évertue à collecter l’ensemble des savoirs et des mœurs des Mexica qu’il fait coucher sur les pages d’un épais manuscrit, L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne. Dans les livres X et XI, il consacre plusieurs passages aux champignons malos, associés au malin, car « ils enivrent comme le vin et provoquent la luxure ». Il y décrit certains rites toujours vivaces qu’il compare à des orgies alors pratiquées de jour comme de nuit, en extérieur et ouvertes à l’homme ordinaire.
Un autre franciscain, Toribio de Benavente, dit Motolinía, grand défenseur des Indiens, nous livre d’autres informations dans son Histoire des Indiens de la Nouvelle-Espagne, publié en castillan en 1558. Il explique d’abord que certains champignons étaient consommés dans du miel : était-ce un moyen de les conserver ? Peut-on en déduire que les champignons étaient transportés et commercialisés ?
Il évoque ensuite les visions infernales des Indiens qui les ingéraient : couleuvres menaçantes, vers grouillants s’échappant des cuisses, tendances suicidaires. Les guérisseurs indigènes ne parvenaient-ils alors vraiment pas à canaliser leur extase ? On peut se permettre d’en douter. Les agarics si vénérés des indigènes, Motolinía en fait une claire manifestation du démon.
Interdits, pourchassés par les hommes d’Église au même titre que nombre de coutumes indigènes, les rites liés aux champignons sacrés, sans pour autant complètement disparaître, finissent par être occultés pour ne subsister que dans l’obscurité des nuits, au plus profond des villages isolés de l’altiplano.
Sans doute, leur nom, « chair de dieu », leurs potentialités divinatoires, leur mode de consommation étaient-ils trop proches de l’eucharistie. La christianisation des masses indigènes n’empêcha nullement la survivance du culte des champignons sacrés et encore aujourd’hui, les psilosybes mexicains sont appelés localement les santos niños.
Le maintien de leur consommation dénote une acculturation incomplète, de surface, voire une acculturation à rebours, les éléments du monde indigène digérant les repères occidentaux : au cours du long temps colonial (début XVIe-XIXe siècle), combien de métis, de sang-mêlés et d’Espagnols ont-ils été tentés par le voyage psychotrope ?
Ce que nous apprend l’archéologie
Les seules traces de l’importance fondamentale jouée par les champignons hallucinogènes dans les rituels, la pharmacopée et plus globalement dans les visions du monde des peuples méso-américains, nous sont connues grâce à l’archéologie.
À proximité des prodigieuses pyramides de Teotihuacan, dans les somptueuses demeures de cette mégapole, les archéologues ont mis au jour des fresques datant de la période classique (300-600 après J.-C.).
La fresque de Tepantitla, reproduite dans la salle Teotihuacan du Musée national d’anthropologie de Mexico, est une représentation du paradis de Tlaloc, dieu de la pluie, celui qui pourvoit la terre en eaux et fait germer la végétation. Cet Eden, appelé le Tlalocan, est peuplé de nombreux petits personnages et habité d’une nature luxuriante.
Sur la fresque, de gauche à droite, on voit un homme avec une toge blanche sur le dos en train de cueillir des fleurs (à usage ornemental ?) sur une plante de grande taille non identifiée. Puis, un plan de maïs, céréale civilisationnelle par excellence des peuples méso-américains. Un peu plus loin, au centre de l’image, un magnifique plan de Datura stramonium aux effets hautement hallucinogènes qui semblent s’exercer sur l’homme assis à son pied ; c’est l’herbe du diable si chère à Carlos Castaneda. Juste à côté, un cacaoyer.
Enfin, en bas à droite de l’image, au bord du lac qui se déverse dans la rivière de Tlaloc, on distingue trois agarics, associés à des bivalves (coquillages). Au-dessus, un homme pleure. Des flots sortent de ses poumons. Il vient de périr noyé. Il est entouré de papillons qui représentent les âmes des défunts. Quatre volutes s’échappent de sa bouche. Il déclame une longue mélopée.
À l’origine du sentiment religieux ?
D’autres traces font remonter l’usage des champignons à des époques plus anciennes. C’est le cas des « champignons de pierre ». Plus de deux cents exemplaires ont été retrouvés au Chiapas et au Guatemala en pays Quiché et Mam.
Certains datent de la période pré-classique ancienne, soit il y a plus de trois mille ans. Ces sculptures d’une trentaine de centimètres de hauteur avaient d’abord donné lieu à des interprétations phalliques avant d’être identifiées à des champignons. Nous ignorons leur usage, peut-être servaient-ils de pilon de mortier (molcajete). Pour broyer du maïs, des champignons ? Pour sacraliser la nourriture ? Toujours est-il qu’ils sont le plus souvent associés à des animaux : jaguars, crapauds, ici un lapin et un coati (photo). S’agit-il de figures individuelles qui renverraient au nahualli (soit des doubles animaux des humains) ?
Ces différents éléments ont poussé les ethnobotanistes, à commencer par Robert Gordon Wasson, à proposer des lectures audacieuses des pratiques chamaniques dans les sociétés anciennes.
En rapprochant les cultes méso-américains du teonanacatl de la consommation d’amanites tue-mouches par les chamans sibériens, on pouvait raisonner à une échelle asiatico-américaine, faire remonter la connaissance des champignons psychotropes aux premiers peuplements du continent américain et émettre l’hypothèse que le sentiment religieux aurait pu prendre sa source dans les effets réellement hallucinatoires des psilocybes.
Retrouvez la version originale de cet article sur The Conversation.
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Le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Psilocybe_caerulescens"><em>psilocybe caerulescens Murrill</em></a> est quant à lui le plus puissant et le plus convoité. Il pousse dans les éboulis ou dans la bagasse des moulins à sucre. Il est appelé « éboulement » (<em>derrumbe</em> en castillan ou <em>Ki so</em> en mazatèque) autant pour le lieu où on le cueille que pour la puissance des visions qu’il procure.</p> <p>Toutes ces espèces sont qualifiées de <em>medicina</em> par les habitants de la Sierra Mazatèque en raison de leurs vertus curatives (contre la goutte ou les fièvres).</p> <p>Pour se soigner, le malade peut procéder de deux façons. Soit il décide de consulter un guérisseur qui, en voyageant grâce aux propriétés des champignons, sera capable d’identifier les causes du mal et prédire la guérison ou bien augurer la mort. Soit le patient les consomme lui-même. Il doit alors suivre les règles d’usage : tout d’abord, un régime alimentaire strict qui prohibe la consommation de viande, de haricots et toute relation sexuelle trois jours avant et après la prise. Puis, des marches dans la montagne environnante sont nécessaires pour que le voyageur s’acclimate au pays et se déprenne de ses préoccupations quotidiennes.</p><br> <figure class="align-center zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/219370/original/file-20180517-155623-1s5nb7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219370/original/file-20180517-155623-1s5nb7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption"><br></span></figcaption><h4><figcaption><span class="caption">Planche d’illustration tirée de Roger Heim, <em>Nouvelles investigations sur les champignons hallucinogènes</em>, avec la collaboration de R.Cailleux, R.Gordon Wasson, P.Thévenard, édition du Muséum d’histoire naturelle (1966).</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span><span class="license"></span></span> </figcaption></h4> </figure> <h2>Expérience indicible</h2> <p>Le jour du rituel, il est indispensable de se laver à l’eau claire, de s’apprêter soigneusement et d’attendre la nuit avant de consommer les champignons à jeun. Le guérisseur ou la guérisseuse procède alors à une purification (<em>limpia</em>) à base d’herbes aromatiques et de fumée de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Copal">copal</a>.</p> <p>Il demande à la personne quel est son mal (physique ou psychologique) et vérifie que les règles prescrites ont bien été respectées. Il passe alors un œuf de poule ou de dindon sur les membres du corps, tête, bras, jambes, tout en psalmodiant des prières où le castillan et le mazatèque s’entremêlent. Une fois l’œuf cassé, il peut en lire le contenu pour évaluer l’état psychique de son patient. Il est donc possible qu’il refuse l’accès au voyage si la personne n’est pas disposée à le faire.</p> <p>Les champignons vont toujours par paires ; on dit qu’ils sont « mariés » (<em>casados</em>). Ils sont ainsi soigneusement placés deux par deux dans une feuille d’épi de maïs qui constitue un « voyage ». 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Au bout de quelques minutes, l’effet de la psilocybine, le principe actif du champignon, ne tarde pas à se manifester…</p> <p>Il est difficile de décrire l’expérience extatique du champignon. Elle varie selon la personnalité, les portions consommées, l’humeur. Au cours du voyage même, les effets oscillent sans cesse : ils arrivent par vagues, plus ou moins espacées, qui s’étalent sur une plage de cinq à six heures. Les colorations (voile vert, formes géométriques fluorescentes), les objets qui se déforment et s’animent, la distorsion du temps et l’amplification des sons font passer de crises d’hilarité à des phases de profonde tristesse, voire d’angoisse, surtout lorsque surgit la première vague.</p> <p>Des images d’une splendeur éblouissante cohabitent avec des visions terrifiantes. Enfance, mort, êtres aimés se télescopent. L’esprit est comme détaché de sa lourde enveloppe charnelle. Il pérégrine. 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Le tour du Mexique devient un voyage initiatique pour les adeptes de la vogue psychédélique. <a href="https://www.mexico.mx/en/articles/maria-sabina-disney-lennon-morrison-oaxaca-en">John Lennon, Jim Harrison, Aldous Huxley, Walt Disney, Bob Dylan, Mick Jagger</a> suivent le mouvement.</p> <h2>Dans le miel</h2> <p>Si le chaman a la capacité de guérir et de prédire, l’historien a, quant à lui, le pouvoir de voyager dans le temps. Faisons un saut de plusieurs siècles en arrière pour nous situer aux lendemains des Grandes découvertes.</p> <p>On y découvre que les Européens se sont intéressés de manière précoce aux pharmacopées indigènes, s’appropriant les plantes américaines, comme l’a récemment <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/6067">montré Samir Boumedienne</a> dans un passionnant ouvrage publié en 2016, <a href="http://leseditionsdesmondesafaire.net/la-colonisation-du-savoir/"><em>La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde</em></a>. Mais contrairement au tabac, au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ga%C3%AF">gaïac</a> ou au cacao, les champignons hallucinogènes ne font l’objet d’aucune convoitise de la part des Espagnols, bien au contraire.</p><br> <figure class="align-right "> <h4><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219391/original/file-20180517-155584-ku5fii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"> <figcaption> <span class="caption">Bernardino de Sahagún. ©</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bd/Bernardino_de_Sahagun.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"></span> </figcaption> </figure> <p>Mexico, quelques années après la conquête par les Espagnols (1521), dans le monastère de Santa Cruz Tlatelolco. Le religieux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernardino_de_Sahag%C3%BAn">Bernardino de Sahagún</a>, l’un des premiers franciscains à s’installer dans l’ancienne capitale aztèque, s’entoure d’une équipe de traducteurs, de peintres et de médecins indigènes. Pendant de longues années, il s’évertue à collecter l’ensemble des savoirs et des mœurs des Mexica qu’il fait coucher sur les pages d’un épais manuscrit, <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56006542"><em>L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne</em></a>. Dans les livres X et XI, il consacre plusieurs passages aux champignons <em>malos</em>, associés au malin, car « ils enivrent comme le vin et provoquent la luxure ». Il y décrit certains rites toujours vivaces qu’il compare à des orgies alors pratiquées de jour comme de nuit, en extérieur et ouvertes à l’homme ordinaire.</p> <p>Un autre franciscain, <a href="http://data.bnf.fr/12060560/toribio_de_benavente/">Toribio de Benavente</a>, dit Motolinía, grand défenseur des Indiens, nous livre d’autres informations dans son <em>Histoire des Indiens de la Nouvelle-Espagne</em>, publié en castillan en 1558. Il explique d’abord que certains champignons étaient consommés dans du miel : était-ce un moyen de les conserver ? Peut-on en déduire que les champignons étaient transportés et commercialisés ?</p> <p>Il évoque ensuite les visions infernales des Indiens qui les ingéraient : couleuvres menaçantes, vers grouillants s’échappant des cuisses, tendances suicidaires. Les guérisseurs indigènes ne parvenaient-ils alors vraiment pas à canaliser leur extase ? On peut se permettre d’en douter. Les agarics si vénérés des indigènes, Motolinía en fait une claire manifestation du démon.</p> <p>Interdits, pourchassés par les hommes d’Église au même titre que nombre de coutumes indigènes, les rites liés aux champignons sacrés, sans pour autant complètement disparaître, finissent par être occultés pour ne subsister que dans l’obscurité des nuits, au plus profond des villages isolés de l’altiplano.</p> <p>Sans doute, leur nom, « chair de dieu », leurs potentialités divinatoires, leur mode de consommation étaient-ils trop proches de l’eucharistie. La christianisation des masses indigènes n’empêcha nullement la survivance du culte des champignons sacrés et encore aujourd’hui, les psilosybes mexicains sont appelés localement les <em>santos niños</em>.</p> <p>Le maintien de leur consommation dénote une <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-121.htm">acculturation</a> incomplète, de surface, voire une acculturation à rebours, les éléments du monde indigène digérant les repères occidentaux : au cours du long temps colonial (début XVIe-XIX<sup>e</sup> siècle), combien de métis, de sang-mêlés et d’Espagnols ont-ils été tentés par le voyage psychotrope ?</p> <h2>Ce que nous apprend l’archéologie</h2> <p>Les seules traces de l’importance fondamentale jouée par les champignons hallucinogènes dans les rituels, la pharmacopée et plus globalement dans les visions du monde des peuples méso-américains, nous sont connues grâce à l’archéologie.</p> <p>À proximité des prodigieuses <a href="http://passerelles.bnf.fr/dossier/teotihuacan_01.php">pyramides de Teotihuacan</a>, dans les somptueuses demeures de cette mégapole, les archéologues ont mis au jour des fresques datant de la période classique (300-600 après J.-C.).</p> <p>La fresque de Tepantitla, reproduite dans la salle <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/414">Teotihuacan</a> du <a href="http://www.mna.inah.gob.mx/">Musée national d’anthropologie de Mexico</a>, est une représentation du paradis de Tlaloc, dieu de la pluie, celui qui pourvoit la terre en eaux et fait germer la végétation. Cet Eden, appelé le Tlalocan, est peuplé de nombreux petits personnages et habité d’une nature luxuriante.</p> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/219373/original/file-20180517-155569-1o096ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219373/original/file-20180517-155569-1o096ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">La fresque de Tepantitla.</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"><span class="license"></span></span> </figcaption> </figure> <p>Sur la fresque, de gauche à droite, on voit un homme avec une toge blanche sur le dos en train de cueillir des fleurs (à usage ornemental ?) sur une plante de grande taille non identifiée. Puis, un plan de maïs, céréale civilisationnelle par excellence des peuples méso-américains. Un peu plus loin, au centre de l’image, un magnifique plan de <em>Datura stramonium</em> aux effets hautement hallucinogènes qui semblent s’exercer sur l’homme assis à son pied ; c’est l’herbe du diable si chère à <a href="http://next.liberation.fr/culture/1998/06/20/carlos-castaneda-parti-en-fumeedeces-a-72-ans-de-l-ecrivain-gourou-de-la-generation-post-68_239235">Carlos Castaneda</a>. Juste à côté, un cacaoyer.</p> <p>Enfin, en bas à droite de l’image, au bord du lac qui se déverse dans la rivière de Tlaloc, on distingue trois agarics, associés à des bivalves (coquillages). Au-dessus, un homme pleure. Des flots sortent de ses poumons. Il vient de périr noyé. Il est entouré de papillons qui représentent les âmes des défunts. Quatre volutes s’échappent de sa bouche. Il déclame une longue mélopée.</p> <h2>À l’origine du sentiment religieux ?</h2> <p>D’autres traces font remonter l’usage des champignons à des époques plus anciennes. C’est le cas des <a href="https://www.researchgate.net/publication/286452773_Los_hongos_piedra_de_Mesoamerica">« champignons de pierre »</a>. Plus de deux cents exemplaires ont été retrouvés au Chiapas et au Guatemala en pays Quiché et Mam.</p> <p>Certains datent de la période pré-classique ancienne, soit il y a plus de trois mille ans. Ces sculptures d’une trentaine de centimètres de hauteur avaient d’abord donné lieu à des interprétations phalliques avant d’être identifiées à des champignons. Nous ignorons leur usage, peut-être servaient-ils de pilon de mortier (<em>molcajete</em>). Pour broyer du maïs, des champignons ? Pour sacraliser la nourriture ? Toujours est-il qu’ils sont le plus souvent associés à des animaux : jaguars, crapauds, ici un lapin et un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coati">coati</a> (photo). S’agit-il de figures individuelles qui renverraient au <em>nahualli</em> (soit des doubles animaux des humains) ?</p><br> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/219376/original/file-20180517-155616-1p1g5ky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219376/original/file-20180517-155616-1p1g5ky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Champignons de pierre.</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span> <span class="license"></span></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"><span class="license"></span></span> </figcaption> </figure> <p>Ces différents éléments ont poussé les ethnobotanistes, à commencer par Robert Gordon Wasson, à proposer des lectures audacieuses des pratiques chamaniques dans les sociétés anciennes.</p> <p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96744/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" style="border: none !important; box-shadow: none !important; margin: 0 !important; max-height: 1px !important; max-width: 1px !important; min-height: 1px !important; min-width: 1px !important; opacity: 0 !important; outline: none !important; padding: 0 !important; text-shadow: none !important" width="1" height="1">En rapprochant les cultes méso-américains du <em>teonanacatl</em> de la consommation d’amanites tue-mouches par les chamans sibériens, on pouvait raisonner à une échelle asiatico-américaine, faire remonter la connaissance des champignons psychotropes aux premiers peuplements du continent américain et émettre l’hypothèse que le sentiment religieux aurait pu prendre sa source dans les effets réellement hallucinatoires des psilocybes.</p> <span><em></em></span><p></p><hr><p></p><span><em></em></span> <h4>Retrouvez la <a href="https://theconversation.com/a-la-decouverte-des-champignons-hallucinogenes-du-mexique-96744?utm_medium=email&utm_campaign=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20-%20gastronomie%20-%20108629672&utm_content=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20-%20gastronomie%20-%20108629672+CID_6e004d75f841873e8df2873ffb898ef5&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=la%20dcouverte%20des%20champignons%20hallucinognes%20du%20Mexique">version originale</a> de cet article sur <a href="http://theconversation.com">The Conversation</a>. </h4> ', 'content_edition' => null, 'slug' => 'a-la-decouverte-des-champignons-hallucinogenes-du-mexique', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 892, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1175, 'homepage_order' => (int) 1400, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'author' => 'Bon pour la tête', 'description' => 'Mexican magic mushrooms ! 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Pendant près de 400 ans, les usages sacrés des champignons hallucinogènes furent ainsi combattus <a href="http://arqueologiamexicana.mx/mexico-antiguo/las-plantas-magicas-y-la-conciencia-visionaria">au point de disparaître du Mexique</a>.</p> <p>C’est en tout cas ce que l’on croyait avant qu’ils ne soient redécouverts dans les années 1950.</p> <h2>À la saison des pluies</h2> <figure class="align-right zoomable"> <h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1000/1534250642_file2018051715555811l45g4.png"> <figcaption><span class="caption">Carte des États du Mexique ©</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8d/Political_divisions_of_Mexico-fr.svg/1000px-Political_divisions_of_Mexico-fr.svg.png">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"></span> </figcaption> </figure> <p>Aujourd’hui, la consommation des champignons hallucinogènes subsiste encore dans certains villages des hauts plateaux centraux du Mexique. Dans la région montagneuse de la Sierra Mazatèque (située au nord de l’État d’Oaxaca), il existe trois espèces d’hallucinogènes qui croissent à la saison des pluies, entre juin et septembre.</p> <p>Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Psilocybe_mexicana"><em>psilocybe mexicana Heim</em></a> est un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Agaric">agaric</a> à la robe foncée, de petite taille, qui pousse dans les champs de maïs et les pâturages. Il est appelé <em>angelito</em> (« petit ange ») en castillan et <em>’nti ni se</em> (« oiseau ») dans la langue mazatèque. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Psilocybe_cubensis"><em>stropharia cubensis Earle</em></a> croît à proximité des déjections des bovins. Il n’existait donc pas à l’époque préhispanique. Moins estimé, il est appelé « petit champignon de Saint Isidore le laboureur ». Le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Psilocybe_caerulescens"><em>psilocybe caerulescens Murrill</em></a> est quant à lui le plus puissant et le plus convoité. Il pousse dans les éboulis ou dans la bagasse des moulins à sucre. Il est appelé « éboulement » (<em>derrumbe</em> en castillan ou <em>Ki so</em> en mazatèque) autant pour le lieu où on le cueille que pour la puissance des visions qu’il procure.</p> <p>Toutes ces espèces sont qualifiées de <em>medicina</em> par les habitants de la Sierra Mazatèque en raison de leurs vertus curatives (contre la goutte ou les fièvres).</p> <p>Pour se soigner, le malade peut procéder de deux façons. Soit il décide de consulter un guérisseur qui, en voyageant grâce aux propriétés des champignons, sera capable d’identifier les causes du mal et prédire la guérison ou bien augurer la mort. Soit le patient les consomme lui-même. Il doit alors suivre les règles d’usage : tout d’abord, un régime alimentaire strict qui prohibe la consommation de viande, de haricots et toute relation sexuelle trois jours avant et après la prise. Puis, des marches dans la montagne environnante sont nécessaires pour que le voyageur s’acclimate au pays et se déprenne de ses préoccupations quotidiennes.</p><br> <figure class="align-center zoomable"> <a href="https://images.theconversation.com/files/219370/original/file-20180517-155623-1s5nb7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219370/original/file-20180517-155623-1s5nb7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption"><br></span></figcaption><h4><figcaption><span class="caption">Planche d’illustration tirée de Roger Heim, <em>Nouvelles investigations sur les champignons hallucinogènes</em>, avec la collaboration de R.Cailleux, R.Gordon Wasson, P.Thévenard, édition du Muséum d’histoire naturelle (1966).</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span><span class="license"></span></span> </figcaption></h4> </figure> <h2>Expérience indicible</h2> <p>Le jour du rituel, il est indispensable de se laver à l’eau claire, de s’apprêter soigneusement et d’attendre la nuit avant de consommer les champignons à jeun. Le guérisseur ou la guérisseuse procède alors à une purification (<em>limpia</em>) à base d’herbes aromatiques et de fumée de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Copal">copal</a>.</p> <p>Il demande à la personne quel est son mal (physique ou psychologique) et vérifie que les règles prescrites ont bien été respectées. Il passe alors un œuf de poule ou de dindon sur les membres du corps, tête, bras, jambes, tout en psalmodiant des prières où le castillan et le mazatèque s’entremêlent. Une fois l’œuf cassé, il peut en lire le contenu pour évaluer l’état psychique de son patient. Il est donc possible qu’il refuse l’accès au voyage si la personne n’est pas disposée à le faire.</p> <p>Les champignons vont toujours par paires ; on dit qu’ils sont « mariés » (<em>casados</em>). Ils sont ainsi soigneusement placés deux par deux dans une feuille d’épi de maïs qui constitue un « voyage ». Selon son état, la personne peut consommer jusqu’à trois voyages, ce qui correspond à une vingtaine de champignons.</p><br> <figure> <h4><iframe src="https://www.youtube.com/embed/-yGNWBEwvlU?wmode=transparent&start=0" allowfullscreen="" width="440" height="260" frameborder="0"></iframe> <figcaption><span class="caption">Documentaire de 1979 sur la guérisseuse mexicaine María Sabina (North Wind/YouTube).</span></figcaption></h4><figcaption><span class="caption"></span></figcaption> </figure> <p>La prise a toujours lieu à la tombée de la nuit, en général dans une pièce qui fait office de chapelle privative avec autel et images saintes. Les psilocybes sont consommés crus, de préférence frais. Ils doivent être longuement mastiqués et ingérés un à un, d’abord le chapeau puis le stipe. Leur goût âcre peut provoquer des vomissements. Au bout de quelques minutes, l’effet de la psilocybine, le principe actif du champignon, ne tarde pas à se manifester…</p> <p>Il est difficile de décrire l’expérience extatique du champignon. Elle varie selon la personnalité, les portions consommées, l’humeur. Au cours du voyage même, les effets oscillent sans cesse : ils arrivent par vagues, plus ou moins espacées, qui s’étalent sur une plage de cinq à six heures. Les colorations (voile vert, formes géométriques fluorescentes), les objets qui se déforment et s’animent, la distorsion du temps et l’amplification des sons font passer de crises d’hilarité à des phases de profonde tristesse, voire d’angoisse, surtout lorsque surgit la première vague.</p> <p>Des images d’une splendeur éblouissante cohabitent avec des visions terrifiantes. Enfance, mort, êtres aimés se télescopent. L’esprit est comme détaché de sa lourde enveloppe charnelle. Il pérégrine. Mais tout au long du voyage, la personne demeure consciente et assiste, comme médusée, à ses propres hallucinations. Au petit matin, les effets finissent par s’estomper, même si certaines visions reviennent dans les semaines qui suivent, l’espace d’un instant, comme un flash.</p> <h2>De la science au psychédélisme</h2> <p>Au milieu des années 1950, trois savants explorent en voiture et à cheval la Sierra Mazatèque en quête des champignons disparus.</p> <p>Le premier, <a href="http://liberterre.fr/entheogenes/psychonautes/wasson/wassonchampignon1.html">Robert Gordon Wasson</a>, est un banquier nord-américain, passionné de mycologie. Il est l’un des premiers à redécouvrir, en 1953, les usages rituels des psilocybes chez les Mazatèques. Dans la bourgade de <a href="https://www.atlasobscura.com/places/huautla-de-jimenes">Huautla de Jímenez</a> (État d’Oaxana), située à une dizaine d’heures de Mexico, il rencontre la chamane María Sabina qui l’initie au « voyage ». Le second, <a href="http://liberterre.fr/entheogenes/psychonautes/heimroger/hommage-heim1.html">Robert Heim</a>, vient directement de Paris. Mycologue de renom, alors professeur au Museum national d’histoire naturelle, il est la caution scientifique de la mission. Le troisième, <a href="https://journals.openedition.org/jsa/11591">Guy Stresser-Péan</a>, fin connaisseur des langues et des cultures indigènes, est leur guide. Ensemble, ils lancent une vaste enquête pluridisciplinaire croisant les approches botaniques, linguistiques, ethnographiques.</p><br> <figure class="align-center "> <h4><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219372/original/file-20180517-155558-5gozpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"> <figcaption> <span class="caption">De gauche à droite : Robert Heim, Guy Stresser-Péan et Robert Gordon Wasson avec la guérisseuse mazatèque María Sabina.</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span><span class="license"></span></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"><span class="license"></span></span> </figcaption> </figure> <p>À l’autre bout du monde, dans les laboratoires de l’Université de Bâle en Suisse, le chimiste <a href="https://www.theguardian.com/science/2008/apr/30/drugs.chemistry">Albert Hoffmann</a> – père du LSD en 1943 – reçoit des échantillons d’agaric et parvient à en synthétiser la molécule, la psilocine. À Paris, l’éminent psychiatre <a href="http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jean-delay">Jean Delay</a>, directeur de l’Institut de psychologie de l’Université de Paris, teste des médicaments à base de psilocine sur ses patients atteints de troubles mentaux. Cette enquête débouche sur un film documentaire réalisé par <a href="http://www.ina.fr/video/CPF86609218">Pierre Thévenard</a> en 1963 (jamais diffusé en salle) ainsi que sur plusieurs publications dont <em>Les Champignons hallucinogènes du Mexique</em>, œuvre monumentale éditée en 1958 par le Muséum national d’histoire naturelle.</p> <p>Les conclusions de ces études échappent rapidement au cadre académique auquel elles étaient destinées. Des routards avides de nouvelles expériences s’en emparent. Fuyant le matérialisme consumériste des villes, ils se lancent sur les chemins de la Sierra Madre à la recherche des agarics magiques et de María Sabina. Le tour du Mexique devient un voyage initiatique pour les adeptes de la vogue psychédélique. <a href="https://www.mexico.mx/en/articles/maria-sabina-disney-lennon-morrison-oaxaca-en">John Lennon, Jim Harrison, Aldous Huxley, Walt Disney, Bob Dylan, Mick Jagger</a> suivent le mouvement.</p> <h2>Dans le miel</h2> <p>Si le chaman a la capacité de guérir et de prédire, l’historien a, quant à lui, le pouvoir de voyager dans le temps. Faisons un saut de plusieurs siècles en arrière pour nous situer aux lendemains des Grandes découvertes.</p> <p>On y découvre que les Européens se sont intéressés de manière précoce aux pharmacopées indigènes, s’appropriant les plantes américaines, comme l’a récemment <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/6067">montré Samir Boumedienne</a> dans un passionnant ouvrage publié en 2016, <a href="http://leseditionsdesmondesafaire.net/la-colonisation-du-savoir/"><em>La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du Nouveau Monde</em></a>. Mais contrairement au tabac, au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ga%C3%AF">gaïac</a> ou au cacao, les champignons hallucinogènes ne font l’objet d’aucune convoitise de la part des Espagnols, bien au contraire.</p><br> <figure class="align-right "> <h4><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219391/original/file-20180517-155584-ku5fii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip"> <figcaption> <span class="caption">Bernardino de Sahagún. ©</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bd/Bernardino_de_Sahagun.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"></span> </figcaption> </figure> <p>Mexico, quelques années après la conquête par les Espagnols (1521), dans le monastère de Santa Cruz Tlatelolco. Le religieux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernardino_de_Sahag%C3%BAn">Bernardino de Sahagún</a>, l’un des premiers franciscains à s’installer dans l’ancienne capitale aztèque, s’entoure d’une équipe de traducteurs, de peintres et de médecins indigènes. Pendant de longues années, il s’évertue à collecter l’ensemble des savoirs et des mœurs des Mexica qu’il fait coucher sur les pages d’un épais manuscrit, <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56006542"><em>L’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne</em></a>. Dans les livres X et XI, il consacre plusieurs passages aux champignons <em>malos</em>, associés au malin, car « ils enivrent comme le vin et provoquent la luxure ». Il y décrit certains rites toujours vivaces qu’il compare à des orgies alors pratiquées de jour comme de nuit, en extérieur et ouvertes à l’homme ordinaire.</p> <p>Un autre franciscain, <a href="http://data.bnf.fr/12060560/toribio_de_benavente/">Toribio de Benavente</a>, dit Motolinía, grand défenseur des Indiens, nous livre d’autres informations dans son <em>Histoire des Indiens de la Nouvelle-Espagne</em>, publié en castillan en 1558. Il explique d’abord que certains champignons étaient consommés dans du miel : était-ce un moyen de les conserver ? Peut-on en déduire que les champignons étaient transportés et commercialisés ?</p> <p>Il évoque ensuite les visions infernales des Indiens qui les ingéraient : couleuvres menaçantes, vers grouillants s’échappant des cuisses, tendances suicidaires. Les guérisseurs indigènes ne parvenaient-ils alors vraiment pas à canaliser leur extase ? On peut se permettre d’en douter. Les agarics si vénérés des indigènes, Motolinía en fait une claire manifestation du démon.</p> <p>Interdits, pourchassés par les hommes d’Église au même titre que nombre de coutumes indigènes, les rites liés aux champignons sacrés, sans pour autant complètement disparaître, finissent par être occultés pour ne subsister que dans l’obscurité des nuits, au plus profond des villages isolés de l’altiplano.</p> <p>Sans doute, leur nom, « chair de dieu », leurs potentialités divinatoires, leur mode de consommation étaient-ils trop proches de l’eucharistie. La christianisation des masses indigènes n’empêcha nullement la survivance du culte des champignons sacrés et encore aujourd’hui, les psilosybes mexicains sont appelés localement les <em>santos niños</em>.</p> <p>Le maintien de leur consommation dénote une <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2000-1-page-121.htm">acculturation</a> incomplète, de surface, voire une acculturation à rebours, les éléments du monde indigène digérant les repères occidentaux : au cours du long temps colonial (début XVIe-XIX<sup>e</sup> siècle), combien de métis, de sang-mêlés et d’Espagnols ont-ils été tentés par le voyage psychotrope ?</p> <h2>Ce que nous apprend l’archéologie</h2> <p>Les seules traces de l’importance fondamentale jouée par les champignons hallucinogènes dans les rituels, la pharmacopée et plus globalement dans les visions du monde des peuples méso-américains, nous sont connues grâce à l’archéologie.</p> <p>À proximité des prodigieuses <a href="http://passerelles.bnf.fr/dossier/teotihuacan_01.php">pyramides de Teotihuacan</a>, dans les somptueuses demeures de cette mégapole, les archéologues ont mis au jour des fresques datant de la période classique (300-600 après J.-C.).</p> <p>La fresque de Tepantitla, reproduite dans la salle <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/414">Teotihuacan</a> du <a href="http://www.mna.inah.gob.mx/">Musée national d’anthropologie de Mexico</a>, est une représentation du paradis de Tlaloc, dieu de la pluie, celui qui pourvoit la terre en eaux et fait germer la végétation. Cet Eden, appelé le Tlalocan, est peuplé de nombreux petits personnages et habité d’une nature luxuriante.</p> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/219373/original/file-20180517-155569-1o096ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219373/original/file-20180517-155569-1o096ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">La fresque de Tepantitla.</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"><span class="license"></span></span> </figcaption> </figure> <p>Sur la fresque, de gauche à droite, on voit un homme avec une toge blanche sur le dos en train de cueillir des fleurs (à usage ornemental ?) sur une plante de grande taille non identifiée. Puis, un plan de maïs, céréale civilisationnelle par excellence des peuples méso-américains. Un peu plus loin, au centre de l’image, un magnifique plan de <em>Datura stramonium</em> aux effets hautement hallucinogènes qui semblent s’exercer sur l’homme assis à son pied ; c’est l’herbe du diable si chère à <a href="http://next.liberation.fr/culture/1998/06/20/carlos-castaneda-parti-en-fumeedeces-a-72-ans-de-l-ecrivain-gourou-de-la-generation-post-68_239235">Carlos Castaneda</a>. Juste à côté, un cacaoyer.</p> <p>Enfin, en bas à droite de l’image, au bord du lac qui se déverse dans la rivière de Tlaloc, on distingue trois agarics, associés à des bivalves (coquillages). Au-dessus, un homme pleure. Des flots sortent de ses poumons. Il vient de périr noyé. Il est entouré de papillons qui représentent les âmes des défunts. Quatre volutes s’échappent de sa bouche. Il déclame une longue mélopée.</p> <h2>À l’origine du sentiment religieux ?</h2> <p>D’autres traces font remonter l’usage des champignons à des époques plus anciennes. C’est le cas des <a href="https://www.researchgate.net/publication/286452773_Los_hongos_piedra_de_Mesoamerica">« champignons de pierre »</a>. Plus de deux cents exemplaires ont été retrouvés au Chiapas et au Guatemala en pays Quiché et Mam.</p> <p>Certains datent de la période pré-classique ancienne, soit il y a plus de trois mille ans. Ces sculptures d’une trentaine de centimètres de hauteur avaient d’abord donné lieu à des interprétations phalliques avant d’être identifiées à des champignons. Nous ignorons leur usage, peut-être servaient-ils de pilon de mortier (<em>molcajete</em>). Pour broyer du maïs, des champignons ? Pour sacraliser la nourriture ? Toujours est-il qu’ils sont le plus souvent associés à des animaux : jaguars, crapauds, ici un lapin et un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coati">coati</a> (photo). S’agit-il de figures individuelles qui renverraient au <em>nahualli</em> (soit des doubles animaux des humains) ?</p><br> <figure class="align-center zoomable"> <h4><a href="https://images.theconversation.com/files/219376/original/file-20180517-155616-1p1g5ky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219376/original/file-20180517-155616-1p1g5ky.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip"></a> <figcaption> <span class="caption">Champignons de pierre.</span> <span class="attribution"><span class="source">© DR</span> <span class="license"></span></span></figcaption></h4><figcaption><span class="attribution"><span class="license"></span></span> </figcaption> </figure> <p>Ces différents éléments ont poussé les ethnobotanistes, à commencer par Robert Gordon Wasson, à proposer des lectures audacieuses des pratiques chamaniques dans les sociétés anciennes.</p> <p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96744/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" style="border: none !important; box-shadow: none !important; margin: 0 !important; max-height: 1px !important; max-width: 1px !important; min-height: 1px !important; min-width: 1px !important; opacity: 0 !important; outline: none !important; padding: 0 !important; text-shadow: none !important" width="1" height="1">En rapprochant les cultes méso-américains du <em>teonanacatl</em> de la consommation d’amanites tue-mouches par les chamans sibériens, on pouvait raisonner à une échelle asiatico-américaine, faire remonter la connaissance des champignons psychotropes aux premiers peuplements du continent américain et émettre l’hypothèse que le sentiment religieux aurait pu prendre sa source dans les effets réellement hallucinatoires des psilocybes.</p> <span><em></em></span><p></p><hr><p></p><span><em></em></span> <h4>Retrouvez la <a href="https://theconversation.com/a-la-decouverte-des-champignons-hallucinogenes-du-mexique-96744?utm_medium=email&utm_campaign=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20-%20gastronomie%20-%20108629672&utm_content=La%20lettre%20de%20The%20Conversation%20France%20-%20gastronomie%20-%20108629672+CID_6e004d75f841873e8df2873ffb898ef5&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=la%20dcouverte%20des%20champignons%20hallucinognes%20du%20Mexique">version originale</a> de cet article sur <a href="http://theconversation.com">The Conversation</a>. </h4> ', 'content_edition' => null, 'slug' => 'a-la-decouverte-des-champignons-hallucinogenes-du-mexique', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 892, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1175, 'homepage_order' => (int) 1400, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4881, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) aurait-elle engagé une guerre contre le monde des réalités?', 'subtitle' => 'Avec le jugement favorable à la plainte de l’association KlimaSeniorinnen Schweiz, la CEDH ouvre la voie à la sanction des Etats en se fondant sur des arguments façonnés dans un monde imaginaire. 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Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p> <p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p> <p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p> <p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p> <p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p> <p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p> <p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p> <p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p> <p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p> <p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. D’après la Banque Mondiale, les émissions de CO<sub>2</sub> par dollar de parité de pouvoir d’achat de PIB (ce qui ramène tous les pays du monde à une échelle comparable) placent la Suisse au 4ème<sup>.</sup>rang sur 181 pays, démontrant son efficience énergétique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Suède 6ème, la France 28ème, l’Allemagne 74ème (illustrant l’échec de l’<i>Energiewende</i>), les USA 126ème et la Chine 170ème.</p> <p>Dans le monde réel, si la Suisse devait poursuivre ses émissions de CO<sub>2</sub> au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu’à une élévation de la température mondiale de quelques millièmes de degrés Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.</p> <p>Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde réel. Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4> <h4><sup>2</sup>Zhao et al. (2021) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 5, e415-425</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-cedh-aurait-elle-engage-une-guerre-contre-le-monde-des-realites', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 40, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 8, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4878, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Cuba entre famine et abondance', 'subtitle' => 'La situation économique à Cuba est catastrophique. 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On assiste ici à une dangereuse érosion de l'esprit démocratique.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie ne vit pas seulement d'une constitution fondée sur le principe de la majorité, les droits fondamentaux et les droits de l'homme et des règles de procédure équitables ; la démocratie vit aussi du fait que l'esprit de la constitution est déterminant et guide les acteurs politiques. Les principes démocratiques doivent primer sur l'idéologie et le programme des partis. Si cette attitude fondamentale fait défaut, la démocratie risque de devenir lettre morte.</span></p> <h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Mauvais perdants</span></strong></h3> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que cette attitude fondamentale ne soit pas au mieux en Suisse se manifeste de plus en plus souvent, par exemple récemment après le "oui" à la 13e rente AVS. 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Le Conseil fédéral lui-même a mis en garde contre cette intention et l'a qualifiée d'anticonstitutionnelle, car elle bafoue la souveraineté cantonale et le principe de légalité.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars de cette année, la majorité bourgeoise a fait échouer la mise en œuvre de l'initiative populaire contre la publicité pour le tabac, approuvée en 2022, en voulant imposer des règles spéciales qui étaient en retrait par rapport à l'ancienne loi. Même les médias bourgeois ont parlé d'une violation de la volonté populaire.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars également, les bourgeois ont troué la loi sur les résidences secondaires avec des exceptions si larges que le Conseil fédéral a dû constater que la Constitution était ici violée. 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Au lieu de cela, il place de plus en plus souvent ses propres objectifs et intérêts au-dessus des principes démocratiques et adapte les règles du jeu dans le processus de décision parlementaire à ce qui sert ses propres intérêts, grâce à de larges majorités.</span></p> <h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Un opportunisme dangereux</span></strong></h3> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>L'attitude de plus en plus opportuniste de la majorité bourgeoise vis-à-vis des principes de la politique étatique est dangereuse. Elle conduit à des décisions à la légitimité douteuse, déforme la législation, dévalorise nos fondements constitutionnels et endommage la confiance de la population dans le processus politique et dans le fonctionnement des institutions démocratiques.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Cette situation est d'autant plus grave que la Suisse ne connaît pas de juridiction constitutionnelle. Le Tribunal fédéral n'est pas habilité à contrôler les lois fédérales. Le gardien suprême de la Constitution est le Parlement lui-même. Il est à la fois législateur et juge et peut, de fait, édicter des lois fédérales non conformes à la Constitution sans avoir à craindre de sanctions. Les membres du Conseil des États et du Conseil national portent donc une grande responsabilité et devraient d'autant plus être un exemple en matière de respect de la Constitution et d'esprit démocratique. Mais beaucoup ne le sont pas !</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que de nombreux représentants bourgeois du peuple se soient détournés de cette attitude fondamentale est probablement dû surtout à l'évolution politique des dernières décennies. Celle-ci est marquée par deux courants profonds : premièrement, une politique économique, fiscale, financière et sociale néolibérale prononcée et, deuxièmement, une radicalisation dans l'éventail des partis de droite avec un effet d'aspiration sur les partis bourgeois. Ces deux phénomènes ont affaibli la conscience de la nécessité du respect de la Constitution et de l'esprit démocratique.</span></p> <h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Néolibéraux et droits de l'Homme</span></strong></h3> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Tout d'abord, le néolibéralisme : il a conduit à un déchaînement du pouvoir économique, avec pour conséquence que l'État démocratique est devenu le serviteur de groupes et de branches et que le lobbying s'est propagé jusque dans les ramifications les plus fines de la politique et de l'administration. 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Car ici aussi, seul compte le fait de s'imposer - avec ou contre la démocratie et la constitution.</span></p> <p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie au cas par cas, en fonction de l'idéologie, des intérêts particuliers et des calculs de pouvoir ? Et ce à une époque où il serait plus que jamais nécessaire de défendre les valeurs et les principes démocratiques ? 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Richard Golay 16.08.2018 | 18h43
«Passionant article ! Merci »
@Bogner Shiva 212 22.08.2018 | 09h55
«Mexique... ? Hahahaha les hauts de Lausanne, Chalet à Gobet, puis le Jura, pas mal non plus . On mange les 2 ou 3 premiers sur place et ...au bout d' une demie heure les autres sont très facile à trouver....ils brillent d'un bleu magnifique . Mais en effet quelques précautions à prendre avant. Notamment faire attention à certains aliments, pas conseillés du tout, alcool interdit et tout autres mélanges. Manger des bananes pendant 3 jours avant est très bénéfique, probablement un constituant de ce fruit. Voyage assuré, une chaude nuit d'été, étoilée, un lieu calme comme une forêt, une prairie et voyage initiatique, chamanique dirais-je assuré :-) L'herbe bleue et la Petite Fumée de Carlos Castaneda, ouvrage de référence à lire avant pour les explorateurs de notre psyché globale et notre relation avec un monde magique, unitaire.»