A vif

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		'content' => '<p>Les WC unisexes sont en marche. C&rsquo;est ainsi. Aussi fatalement que les filles ont adopt&eacute; les pantalons pour ne plus l&rsquo;abandonner, les symboles masculins et f&eacute;minins vont gentiment mais s&ucirc;rement dispara&icirc;tre des portes des lieux d&rsquo;aisance et laisser la place aux pictogrammes inclusifs &ndash; pantalon &agrave; gauche, robe &agrave; droite. Dans de nombreuses r&eacute;gions du monde, les&nbsp;toilettes sexu&eacute;es sont d&eacute;j&agrave; hors-la-loi. Le parlement vaudois vient ainsi d&rsquo;accepter par une large majorit&eacute; un postulat propos&eacute; par les Verts visant &agrave; encourager l&rsquo;installation de toilettes unisexes, estim&eacute;es plus inclusives pour les personnes intersexes et transgenres, tout autant que pour les accompagnants de handicap&eacute;s, dans les lieux publics tels que les caf&eacute;s et restaurants.</p>
<p>Au moment donc de dire adieu aux WC genr&eacute;s, je suis prise d&rsquo;une irr&eacute;sistible nostalgie pr&eacute;ventive pour les toilettes des filles. Et je supplie les d&eacute;cideurs &egrave;s toilettes de ne pas oublier les aspects non utilitaires de ces endroits ou souvent, la petite ou la grosse commission sont la derni&egrave;re des pr&eacute;occupations. Dans ma vie, aux toilettes: je me suis chang&eacute;e, je me suis maquill&eacute;e, j&rsquo;ai bross&eacute; mes dents, j&rsquo;ai pleur&eacute; de chagrin, j&rsquo;ai vomi, j&rsquo;ai r&eacute;vis&eacute;, j&rsquo;ai sorti ma feuille de triche, j&rsquo;ai tenu des conseils de guerre avec des amies, j&rsquo;ai d&eacute;brief&eacute; au t&eacute;l&eacute;phone des rancarts en cours, j&rsquo;ai consol&eacute; d&rsquo;autres amies, j&rsquo;ai fum&eacute; en cachette, j&rsquo;ai qu&eacute;mand&eacute; des tampons hygi&eacute;niques, j&rsquo;ai embrass&eacute; des gar&ccedil;ons qui ne devaient pas &ecirc;tre l&agrave;, j&rsquo;ai attendu que le temps passe, je me suis cach&eacute;e.</p>
<h3>&laquo;Laissez-nous ces lieux d&eacute;nu&eacute;s de testost&eacute;rone, de pipis sur la lunette, de drague h&eacute;t&eacute;ro lourde&raquo;</h3>
<p>Des toilettes de filles, pour une fille, c&rsquo;est un lieu o&ugrave;, imperceptiblement, inconsciemment, on se rel&acirc;che, on baisse la garde, un pseudo-gyn&eacute;c&eacute;e interm&eacute;diaire entre l&rsquo;intimit&eacute; et le monde ext&eacute;rieur. Bienvenue &agrave; touxtes celles et ceux qui se sentent femmes, se pensent femmes, se consid&egrave;rent femmes, mais de gr&acirc;ce, laissez-nous ces lieux d&eacute;nu&eacute;s de testost&eacute;rone, de pipis sur la lunette, de drague h&eacute;t&eacute;ro lourde, de regards en coin. Laissez-nous des endroits entre-deux o&ugrave; &ecirc;tre entre nous pour parler des Autres, laissez-nous ce salon o&ugrave; l&rsquo;on cause, o&ugrave; l&rsquo;on &laquo;papote&raquo; &minus; terme que jamais les m&acirc;les h&eacute;t&eacute;ros cisgenres n&rsquo;utilisent les concernant.</p>
<p>Certes, les toilettes unisexes ouvrent des perspectives ludiques et sympathiques de gais batifolages entre h&eacute;t&eacute;ros cisgenres, ce qu&rsquo;on ne pouvait pas faire du temps o&ugrave; un gar&ccedil;on p&eacute;n&eacute;trant dans les toilettes des filles se faisait virer manu militari. Mais les toilettes unisexes vont forc&eacute;ment aussi donner quelques id&eacute;es aux m&acirc;les tripoteurs ravis de cette promiscuit&eacute; facilement gagn&eacute;e. C&rsquo;est ainsi. Je ne sais pas si les hommes h&eacute;t&eacute;ros se r&eacute;jouissent ou non des toilettes unisexes. Je m&rsquo;en fiche. Je pr&ecirc;che pour ma paroisse. Moi aussi, je veux mon temps de parole, d&rsquo;&eacute;coute, d&rsquo;attention. Je suis f&eacute;ministe, inclusive, &eacute;galitaire, progressiste, mais je veux &minus; aussi &minus; mes toilettes pour filles.</p>',
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		'content' => '<p>Il faudrait dire merci &agrave; Serge Gumy. Au lieu de cela, on l&rsquo;insulte, on tague les voitures de son journal et on le force &agrave; s&rsquo;excuser &agrave; genoux. Il faudrait lui dire merci parce que gr&acirc;ce &agrave; lui et &agrave; son journal, <em>La Libert&eacute;</em>, on peut savoir ce que pense Paul Cl&eacute;ment de Fribourg et tous les autres Paul Cl&eacute;ment du monde.</p>
<p>Je suis abonn&eacute;e &agrave; plusieurs lettres d&rsquo;information qui ne refl&egrave;tent pas ma vision du monde. Je lis des publications &eacute;manant de milieux dont je ne partage pas les opinions. Je lis des livres qui ne me plaisent pas mais dont je sais qu&rsquo;ils plaisent &agrave; d&rsquo;autres, &agrave; beaucoup d&rsquo;autres. Je lis les lettres de lecteurs et lectrices des journaux d&rsquo;ici et d&rsquo;ailleurs parce qu&rsquo;elles me donnent l&rsquo;occasion de savoir ce que pensent non seulement les journalistes mais &eacute;galement leur lectorat, mes semblables, mes fr&egrave;res.</p>
<h3>Savoir comment pense son voisin</h3>
<p>Je consid&egrave;re que conna&icirc;tre l&rsquo;Autre est la base de toute vie en soci&eacute;t&eacute;. Je veux savoir comment pense mon voisin, mon concitoyen, ne serait-ce que pour mieux le combattre lorsque &minus; parce qu&rsquo;il ne pense pas comme moi, parce qu&rsquo;il m&rsquo;agresse, parce qu&rsquo;il me fait du tort &minus; il devient mon ennemi.</p>
<p>Merci &agrave; Serge Gumy, donc, de nous montrer que parmi nous, des Paul Cl&eacute;ment voient &laquo;les jeunes filles en fleur&raquo; comme de &laquo;belles plantes que l&rsquo;on rencontre au gr&eacute; de nos promenades&raquo;, des &laquo;nymphettes&raquo; aux &laquo;genoux faisant des clins d&rsquo;&oelig;il &agrave; travers (leurs) jeans perc&eacute;s et rythm&eacute;s par (leur) d&eacute;marche chaloup&eacute;e&raquo;, confondant all&eacute;grement libert&eacute; de se v&ecirc;tir et provocation.</p>
<p>Heureusement qu&rsquo;il y a des Paul Cl&eacute;ment pour penser tout haut, et en plus vouloir vaniteusement rendre sa pens&eacute;e et sa prose publique!&nbsp;Sans le vouloir, tout fi&eacute;rot de sa prose printani&egrave;re guillerette et coquine, les sens en &eacute;moi apr&egrave;s quelques rayons de soleil, h&eacute;ritier d&rsquo;une culture de lubricit&eacute; machiste la plupart du temps inoffensive mais tr&egrave;s aga&ccedil;ante, Paul Cl&eacute;ment s&rsquo;est retrouv&eacute; expos&eacute; d&rsquo;une mani&egrave;re qu&rsquo;il n&rsquo;imaginait pas. Que sa lettre de lecteur m&eacute;rite ou pas le torrent de haine qu&rsquo;elle suscite depuis sa publication lundi dans <em>La Libert&eacute;</em>, elle nous donne l&rsquo;occasion d&rsquo;exprimer &agrave; notre tour ce que nous pensons des gambettes des &laquo;nymphettes&raquo;. Savoir ce que pense Paul Cl&eacute;ment est utile. Cela nous apprend &agrave; r&eacute;agir, &agrave; dire &agrave; nos filles de se m&eacute;fier, et surtout nous permet de r&eacute;affirmer ce &agrave; quoi nous croyons. Encourageons la libert&eacute; de toutes les expressions, m&ecirc;me celles qui nous d&eacute;plaisent, pour mieux affuter les n&ocirc;tres! Et, peut-&ecirc;tre, si possible, convaincre.</p>
<p>Car que voulons-nous? Voulons-nous couper le caquet &agrave; tous les Paul Cl&eacute;ment du monde? Ne pas les entendre? Ou leur faire changer d&rsquo;avis?&nbsp;Pr&eacute;f&eacute;rons-nous ne pas savoir que nous ne voyons pas tous et toutes le monde de la m&ecirc;me mani&egrave;re&nbsp;ou changer le monde, le faire &eacute;voluer dans le sens que nous souhaitons?</p>
<h3>D&eacute;battre plut&ocirc;t qu'interdire&nbsp;</h3>
<p>Je suis de la culture du d&eacute;bat. La&nbsp;p&eacute;dagogie&nbsp;ne passe&nbsp;jamais&nbsp;par l&rsquo;interdiction, ni par l&rsquo;intimidation, bien au contraire. Interdisez &agrave; un homme ou &agrave; une femme d&rsquo;exprimer une opinion, ou m&ecirc;me de la penser en son for int&eacute;rieur: il ou elle n&rsquo;en sortira que renforc&eacute;e dans cette opinion. Quelle erreur que de se priver de savoir ce que pense les gens, tous les gens, m&ecirc;me ceux qui pensent mal selon nous! La libert&eacute; d&rsquo;expression permet justement la confrontation des opinions. Si nous ne voulons pas entendre l&rsquo;Autre, c&rsquo;est que nous ne supportons pas la diff&eacute;rence, f&ucirc;t-elle insupportable. Si nous voulons changer le monde, le rendre meilleur &agrave; nos yeux, il faut commencer par l&rsquo;entendre, le comprendre pour ensuite le critiquer et l&rsquo;amener, si possible, l&agrave; o&ugrave; nous voulons. C&rsquo;est long, cela demande patience, abn&eacute;gation, humilit&eacute; et tol&eacute;rance, m&ecirc;me pour l&rsquo;intol&eacute;rable. Vivre ensemble, ce n&rsquo;est pas vivre l&rsquo;un contre l&rsquo;autre. Il ne s&rsquo;agit pas de vaincre mais de convaincre. Paul Cl&eacute;ment est symboliquement mort. Il a &eacute;t&eacute; ridiculis&eacute;, insult&eacute;, reni&eacute; m&ecirc;me par son cher journal <em>La Libert&eacute;</em> qui a exprim&eacute; ses &laquo;profonds regrets&raquo; pour avoir publi&eacute; sa lettre &minus; mais est-il convaincu? A-t-il compris pourquoi certaines de ces femmes qu&rsquo;il semble tant appr&eacute;cier se sont senties injuri&eacute;es? Quelqu&rsquo;un, quelqu&rsquo;une lui a-t-il, lui a-t-elle parl&eacute;? A nous de jouer.</p>',
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		'content' => '<p>C&rsquo;est chaque soir le m&ecirc;me sc&eacute;nario: le t&eacute;l&eacute;journal commence et vous et moi regardons, forc&eacute;ment, la pr&eacute;sentatrice ou le pr&eacute;sentateur du jour. Sa coupe de cheveux, la couleur de sa veste et&hellip; son sourire. C&rsquo;est quelque chose, le sourire de la pr&eacute;sentatrice, ou du pr&eacute;sentateur, du t&eacute;l&eacute;journal. C&rsquo;est un outil de communication fantastique. Il est l&agrave; pour instaurer un climat, poser le d&eacute;cor, d&eacute;rouler le tapis rouge &agrave; l&rsquo;information. Vous dire quelque chose, aussi, en langage non-verbal.</p>
<p>Les sourires des pr&eacute;sentatrices et pr&eacute;sentateurs de t&eacute;l&eacute;journaux ont leur propre vocabulaire, leurs propres codes. Certains, plus malins ou moins courageux, pr&eacute;f&egrave;rent ne pas se risquer sur ce terrain et r&eacute;servent leur sourire pour les photos de famille. D&rsquo;autres - des femmes, pour la plupart, allez-savoir pourquoi - le manient avec un plaisir non feint. Mais sans pour autant d&eacute;gainer n&rsquo;importe quel sourire, &agrave; n&rsquo;importe quel moment du t&eacute;l&eacute;journal.</p>
<h3>Le sourire de bienvenue et celui de transition</h3>
<p>Le premier sourire accompagne le fameux &laquo;Mesdames, Messieurs, bonsoir&raquo;, ou &eacute;quivalent, de bienvenue. Il doit vous aller droit au c&oelig;ur et s&rsquo;assurer que vous restiez croch&eacute; aux l&egrave;vres de votre interlocutrice le plus longtemps possible.</p>
<p>Il disparait bien vite pour faire place &agrave; la mine grave, de circonstance, qui convient pour parler Covid, politique internationale, politique bernoise, finance et autres sujets dits s&eacute;rieux.</p>
<p>Le second sourire est le sourire dit de transition: entre deux sujets s&eacute;rieux, ce petit sourire fugace s&rsquo;accroche bri&egrave;vement aux l&egrave;vres de la pr&eacute;sentatrice, ou du pr&eacute;sentateur, avant de retomber: son but est de ne pas vous faire fuir, autant que de ne pas vous faire perdre espoir. Apr&egrave;s les catastrophes, apr&egrave;s les mauvaises nouvelles, apr&egrave;s les sujets ennuyeux, un autre monde vous attend, o&ugrave; l&rsquo;on pourra &agrave; nouveau sourire, pour de vrai, de toutes ses dents. Patience.</p>
<h3>Le sourire de la d&eacute;tente</h3>
<p>Le troisi&egrave;me sourire est le plus int&eacute;ressant. Il arrive &agrave; la toute fin du t&eacute;l&eacute;journal, lorsqu&rsquo;il ne reste, au mieux, que cinq minutes. C&rsquo;est &agrave; ce moment qu&rsquo;arrive enfin ce mot magique de &laquo;culture&raquo;. Il est g&eacute;n&eacute;ralement plac&eacute; dans l&rsquo;expression: &laquo;Une page de culture maintenant&nbsp;!&raquo; et annonce que l&rsquo;on va vous parler, indiff&eacute;remment, d&rsquo;une exposition de peinture, d&rsquo;un documentaire sur les animaux, d&rsquo;une pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre, d&rsquo;un livre de philosophie ou de New Romance, d&rsquo;un op&eacute;ra, de marionnettes pour enfants, d&rsquo;un jeu vid&eacute;o, de musique jazz ou de toute autre sujet que l&rsquo;on peut placer sous cette &eacute;tiquette passe-partout et bien pratique. Il est alors prononc&eacute; avec un immense sourire. Epanoui, sinc&egrave;re, contagieux. Il vous signifie qu&rsquo;enfin, vous pouvez vous d&eacute;tendre. Fini le pensum des infos s&eacute;rieuses, fini l&rsquo;actualit&eacute; du monde qui ne tourne jamais rond, passons enfin &agrave; quelque chose l&eacute;ger, qui pr&ecirc;te &agrave;&hellip; sourire.</p>
<p>Ce sourire est incroyablement aga&ccedil;ant.</p>
<p>Il est d&rsquo;une condescendance infinie, laissant entendre qu&rsquo;apr&egrave;s les trucs de grandes personnes, le plat de r&eacute;sistance, les sujets dits culturels comptent moins que les autres, occupant surtout une fonction de divertissement en fin de t&eacute;l&eacute;journal.</p>
<p>Il laisse entendre que la culture, c&rsquo;est dr&ocirc;le. Une activit&eacute; l&eacute;g&egrave;re, marrante et futile. La cerise sur le g&acirc;teau, la g&acirc;terie d&rsquo;avant le dodo. Parfois, pas de chance, l&rsquo;exposition ou la pi&egrave;ce de th&eacute;&acirc;tre en question parlent cancer, esclavage, migrants, inceste&nbsp;: ce sourire tombe alors compl&egrave;tement &agrave; plat et s&rsquo;agit de vite le refermer en lan&ccedil;ant le sujet.</p>
<h3>Pourquoi ne pas bouleverser la hi&eacute;rarchie de l'information?&nbsp;</h3>
<p>Les quotidiens <em>24 heures</em> et <em>Tribune de Gen&egrave;ve</em> ont fait leur r&eacute;volution culturelle il y a peu en remontant leurs pages dites &laquo;locales&raquo; en ouverture de journal, conscients que la valeur ajout&eacute;e de leurs journalistes se trouvait dans le traitement de ces sujets, autant que de l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t prioritaire de leur lectorat pour ces sujets de proximit&eacute; par rapport aux pages internationales, voire m&ecirc;me nationales. Pourquoi les journaux t&eacute;l&eacute;vis&eacute;s placent-ils immanquablement la culture &agrave; la fin? Qu&rsquo;attendent-ils pour faire exploser la sacro-sainte et traditionnelle &laquo;hi&eacute;rarchisation de l&rsquo;information&raquo;? Pourquoi cette hi&eacute;rarchie ne tiendrait-elle pas compte de la diversit&eacute; des t&eacute;l&eacute;spectateurs &ndash; pour certains, les tensions diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis peuvent attendre les cinq derni&egrave;res minutes, tandis que l&rsquo;annonce de la sortie d&rsquo;un in&eacute;dit de Leonard Cohen changera le cours de leur semaine. Pourquoi ne pas alterner les ouvertures de journaux? On parle inclusivit&eacute; et langage &eacute;pic&egrave;ne: donnons &agrave; tous les publics des JT l&rsquo;occasion de se sentir &laquo;inclus&raquo; dans cette <em>grande messe</em> de l&rsquo;information quotidienne, si l&rsquo;on veut qu&rsquo;elle le reste!</p>
<p>Lorsqu&rsquo;on sait &agrave; quel point les artistes en particulier, et les acteurs culturels en g&eacute;n&eacute;ral, se font l&rsquo;&eacute;cho de tous les courants qui traversent nos soci&eacute;t&eacute;s, heureux ou malheureux, actuels ou intemporels, intimes ou collectifs, r&eacute;volutionnaires ou conservateurs, c&rsquo;est la place du roi que l&rsquo;on devrait donner &agrave; leurs actualit&eacute;s et productions. Avec le sourire, ou sans, cela n&rsquo;aurait alors plus d&rsquo;importance.</p>',
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		'content' => '<p>D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, des chanteuses, actrices ou influenceuses du monde entier, comme la chanteuse Lizzo, l&rsquo;actrice Melissa McCarthy, la Youtubeuse fran&ccedil;aise Juliette Katz, la blogueuse&nbsp;mode Ga&euml;lle Prudencio ou Gabrielle Deydier, auteure du livre <i>On ne na&icirc;t pas grosse</i>, proclament fi&egrave;rement &laquo;Big is beautiful&raquo;. Porte-voix d&rsquo;un mouvement &laquo;body positive&raquo; qui entraine tout sur son passage, elles pointent du doigt la dictature d&eacute;l&eacute;t&egrave;re de la &laquo;diet culture&raquo; qui fait rimer <i>bonheur</i> avec <i>minceur</i> et &eacute;pinglent sans rel&acirc;che tout signe de grossophobie dans les m&eacute;dias, sur les r&eacute;seaux sociaux, &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision ou dans les discours politiques. M&ecirc;me la simple expression &laquo;&ecirc;tre en surpoids&raquo; les irrite au plus haut point, puisqu&rsquo;elle implique qu&rsquo;il y aurait un poids &laquo;normal&raquo; et un poids &laquo;anormal&raquo;, donc stigmatisant. Derni&egrave;re victime en date: l&rsquo;animatrice Karine Lemarchand qui, croyant rendre service aux grosses en leur offrant une op&eacute;ration bariatrique de r&eacute;duction de l&rsquo;estomac gratuite dans une &eacute;mission de t&eacute;l&eacute;r&eacute;alit&eacute; intitul&eacute;e &laquo;Op&eacute;ration Renaissance&raquo;, s&rsquo;est retrouv&eacute;e vou&eacute;e aux g&eacute;monies par la communaut&eacute; m&ecirc;me qu&rsquo;elle pensait soutenir.</p>
<p>De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, d&rsquo;autres femmes, tout aussi grosses, mais qui n&rsquo;y voient rien de positif, passent leur temps &agrave; vouloir maigrir. Des ob&egrave;ses en grande d&eacute;tresse d&eacute;plorent qu&rsquo;en Suisse, leur maladie ne soit toujours pas prise en charge par les assurances maladie. Des rapports de l&rsquo;OFSP chiffrent en milliards de francs le prix pay&eacute; au surpoids et &agrave; l&rsquo;ob&eacute;sit&eacute; rien que dans notre pays. L&rsquo;Organisation Mondiale de la Sant&eacute; alerte sur une &eacute;pid&eacute;mie mondiale d&rsquo;ob&eacute;sit&eacute;, qu&rsquo;elle consid&egrave;re officiellement depuis 1997 comme une &laquo;maladie chronique&raquo; r&eacute;sultant de multiples facteurs et pouvant entrainer des &laquo;complications&raquo;: diab&egrave;te, maladies cardiovasculaires, maladies h&eacute;patiques ou r&eacute;nales, probl&egrave;mes articulaires, cancers. Les m&eacute;decins d&eacute;noncent une sous-m&eacute;dicalisation de l'ob&eacute;sit&eacute;, de nombreuses personnes en surpoids ou&nbsp;ob&egrave;ses&nbsp;n'osant pas&nbsp;parler&nbsp;de leurs probl&egrave;mes dans une soci&eacute;t&eacute; qui valorise la minceur jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;obsession.</p>
<p>Alors, doit-on se r&eacute;jouir que les grosses soient grosses? Doit-on d&eacute;plorer que les grosses soient grosses? Doit-on c&eacute;l&eacute;brer ou s&rsquo;inqui&eacute;ter? Etre grosse, au final, est-ce bien &mdash; version <em>body positive</em> &mdash; ou mal &mdash; version m&eacute;dicale et OMS?&nbsp;</p>
<p>Nous qui souhaitons bien faire, ne savons pas comment ni parler des grosses, ni leur parler.</p>
<p>Nous nous trouvons pris au c&oelig;ur de ce que les psys appellent deux injonctions paradoxales, soit deux affirmations, ou demandes, qui se contredisent. Exemples faciles: &laquo;Soyez spontan&eacute;!&raquo; ou &laquo;Ne lisez pas cette phrase!&raquo;.</p>
<p>C&rsquo;est un vrai sujet. En 2019, le mot <i>grossophobie</i>, qui d&eacute;signe les &laquo;comportements stigmatisants et discriminants envers celles et ceux qui sont ob&egrave;ses ou en surpoids&raquo;, a fait son entr&eacute;e dans le dictionnaire. Tout comme les <i>gender studies </i>ont fait leur entr&eacute;e dans la recherche et l&rsquo;enseignement universitaire depuis les ann&eacute;es 1980, les <i>fat studies</i>, qui &eacute;tudient de mani&egrave;re interdisciplinaire la discrimination bas&eacute;e sur le poids dans les soci&eacute;t&eacute;s occidentales, sont d&eacute;sormais au programme des universit&eacute;s anglo-saxonnes. Depuis 2020, l&rsquo;ob&eacute;sit&eacute; a sa <i>Journ&eacute;e mondiale</i><i>&nbsp;unifi&eacute;e contre l'</i><i>ob&eacute;sit&eacute;</i>, le 4 mars. But: faire &eacute;voluer la vision du public en luttant contre les id&eacute;es re&ccedil;ues. Mais quelles id&eacute;es re&ccedil;ues? Qu&rsquo;&ecirc;tre grosse, c&rsquo;est bien et &ccedil;a rend heureuse? Ou qu&rsquo;&ecirc;tre grosse, c&rsquo;est mal et &ccedil;a rend malheureuse? Lorsqu&rsquo;au travail, ou chez des amis, ou dans un groupe de parole, nous nous trouvons en compagnie d&rsquo;une personne ob&egrave;se, doit-on la f&eacute;liciter pour sa bonne mine&nbsp;ou l&rsquo;encourager dans son combat contre la maladie? Comment se comporter &laquo;normalement&raquo; puisque justement, le &laquo;normal&raquo; change de d&eacute;finition suivant le camp, que l&rsquo;on soit &laquo;body positive&raquo; ou m&eacute;decin &agrave; l&rsquo;OMS? Si chacune est libre de d&eacute;finir la &laquo;norme&raquo; qui convient &agrave; son &eacute;panouissement personnel, pourquoi notre soci&eacute;t&eacute; ne parle-t-elle que de cela &mdash; l&rsquo;apparence, le poids &mdash; et pourquoi les troubles des conduites alimentaires explosent-ils dans le monde entier?</p>
<p>Nous qui ne sommes ni maigres, ni ob&egrave;ses, mais banalement banales, regardons passer les balles. Nous aimions nous penser les h&eacute;ritiers du slogan cart&eacute;sien &laquo;Je pense, donc je suis&raquo;. D&eacute;sormais, nous vivons sous la devise &laquo;Je mange, donc je suis.&raquo;</p>
<hr />
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Lorsque Michel Voïta, gilet et cravate noirs sur chemise blanche comme l’habit du dimanche de chez nous et de partout, prononce, sobre mais impérieux, les fameuses phrases d’ouverture – «Entre Denges et Denezy, Un soldat qui rentre chez lui, Quinze jours de congé qu’il a, Marche depuis longtemps déjà» –, on sait que le metteur en scène Benjamin Knobil a gagné son pari: faire revivre l’esprit de l'Histoire du soldat, opéra de poche créée par le duo d’amis Stravinsky - Ramuz en 1917, deux ans après la rencontre de l’écrivain vaudois et du musicien russe fuyant la Révolution, au cœur des murs millénaires, austères mais inspirants de Chillon. Tout y est. A commencer par cet esprit populaire, léger, joyeux, lémanique et profond souhaité par les auteurs qui voulait leur «Histoire du soldat» comme un théâtre ambulant qui pourrait tourner d’un village à l’autre, en plein air ou dans des salles de café, divertissant et émouvant les publics les plus hétéroclites.

Au service de cet esprit, un dispositif scénique léger, malin et poétique, qui se contente d’un escalier de bois pour le Lecteur, d’un tréteau pour le Soldat et d’une fenêtre néo-gothique de la façade pour la Danseuse, le tout tirant le meilleur profit de la basse-cour du château, éclairée par Nicolas Wintsch dont les projections jouent involontairement avec le ballet des chauve-souris. Thierry Jorand est un Diable truculent, burlesque, chafouin et margoulin, Quentin Leutenegger un soldat naïf, piou-piou dégingandé, souple et physique à souhait, Michel Voïta chair et verbe à la fois. L’orchestre mené par Didier Zumbrunnen se joue avec grâce des rythmes dansants, sophistiqués, jazzant, inventifs du compositeur russe. 

Du pur plaisir

Un siècle après sa création, l’intemporalité et l’universalité de cette parabole simple et tragique, avec vente de son âme du Diable et Princesse endormie à réveiller d’un baiser, qui voit un pauvre gars du coin qui nous ressemble forcément tout perdre à force de trop vouloir, surprend par sa modernité. Stravinsky encourageait d’ailleurs chaque metteur en scène à modifier les noms des villages («Denges et Denezy») selon le lieu de la représentation, et à faire porter au soldat un uniforme «démodé aux yeux du public mais susceptible de lui être sympathique».

Il y a des héritages plus faciles à porter que d’autres. Parfois, c’est même du pur plaisir. Courrez-y.

«Histoire du soldat». Spectacle musical, dit, joué, dansé et projeté sur un mur millénaire. Produit par l’Association Maecenas. Château de Chillon. Jeudi 27, vendredi 28, samedi 29 et dimanche 30 juillet à 21h30. Billets: 021 966 89 10.