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Culture


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Avant-première à Lausanne. «Monsieur Aznavour» a su réunir jeunes et vieux. La salle est pleine. L’émotion grandit dans l’attente de la projection. Et puis le film commence. A la fin, échange avec l’équipe du film, fort sympathique au demeurant. Biopic à la hauteur? Certainement pas. Et pourtant, pourtant… Critique et rétrospective.



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Cinq chapitres, titrés de cinq chansons décisives dans la carrière de l’artiste, pour raconter l’histoire de Charles Aznavour, de son enfance aux débuts de sa consécration. Un enfant tout mignon, bonne bouille à l’appui, interprète le petit Charles de la famille Aznavourian. Dans la tourmente de l’entre-deux guerres, connaissant la pauvreté et le racisme, mais aussi les fêtes de la diaspora arménienne dans le café de son père, les danses, les chants, et les premiers pas sur les planches. «Les deux guitares», chant tzigane, nous ramène à cette époque.

Place ensuite au jeune homme, qui rêve de gloire, et qui collectionne les petits boulots. Fatigué d’imiter Trenet et de chanter les bruits de fond des cabarets, il se bat «à corps perdu, assoiffé, obstiné» pour chanter lui aussi l’amour, pour écrire les grands textes qui feront pleurer la France et le monde. Il construit sa vie, avec un mariage, une enfant, une tournée au Québec, et puis déconstruit tout. Il se sépare même de celle dont il est l’homme à tout faire, j’ai nommé «la Môme». Il se ruine, il est boudé, ridicule, mais sait prendre sa revanche sur la critique, en s’élevant là où il se voyait déjà, «en haut de l’affiche». Rolls, fourrures, Vegas, mais aussi travail et encore travail, sans oublier les drames et un malheur qui le poursuit. Et le film s’achève, à l’aube des années 70.

Critique

Si j'avais été grincheux, j’aurais dit que le film était un raté grotesque, dirigé par une équipe d’amateurs, interprété selon une performance proche de celle des kermesses, rythmé de façon banale, sans originalité aucune, ne sachant pas rendre à l’écran une once de qui fut ce «Monsieur Aznavour», pompeusement nommé, ni de son œuvre infiniment plus riche que celle qui passe comme une musique de fond sous le jeu d’un acteur qui singe Aznavour. Mais je ne suis pas grincheux. Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. Et pourtant, pourtant… ce film a du cœur.

Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. Et pourtant, pourtant… il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.

Et pourtant, pourtant… disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.

La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. Comme un défilé de clowns, on voit tantôt apparaître un Johnny Hallyday, tantôt un Sinatra, tantôt tel compositeur, tel imprésario, telle femme à séduire, telle autre qui viennent remplir la scénario d’une lourdeur insupportable.

Et pourtant, pourtant…, le film a certes du cœur, et c’est l’essentiel, mais il compte aussi de réelles qualités. Si aucun acteur adulte ne crève l’écran, les enfants eux, notamment les interprètes de Charles et de sa sœur, sont fascinants tant ils inspirent de la sympathie, mais surtout tant ils rendent le sentiment et la vie de l’époque où les Aznavourian étaient des réfugiés en terre de France.

Autre grande qualité du film par son scénario, c’est la complexité avec laquelle est dépeinte l’artiste: loin d’être idéalisé, il est montré dans sa gloire, certes, mais aussi dans ses échecs, ses erreurs et avec une tristesse qui le suit jusqu’au sommet. Coup de maître en matière d’originalité, d’avoir introduit dans le film un sample d’Aznavour par Eminem et Dr. Dre avec «What’s the Difference», qui vient bouleverser le rythme du film le rendant plus pimpant et plus vrai. Bel hommage, enfin, aux origines du chanteur en ayant placé dignement des images d’archives du génocide arménien.

Rétrospective

Et pourtant, pourtant… la plus grande réussite du film reste son effet de rétrospective. Ceux qui auront été mitigés par Monsieur Aznavour auront au moins été séduits et emportés par l’occasion de réécouter et de célébrer Monsieur Aznavour. L’occasion aussi d’en apprendre davantage sur la vie de l’artiste. Quand on admire une personnalité, on aime partager, ou en l’occurrence repartager, ses joies dans ses conquêtes professionnelles ou amoureuses, et pleurer avec elle sur ses misères, comme le décès de son fils Patrick, qui a donné lieu d’ailleurs à «L’aiguille», l’une des chansons les plus émouvantes de son répertoire.

Revenir sur la vie et l’œuvre d’Aznavour c’est accompagner chacune des étapes de sa propre vie par l’une de ses chansons. Et son répertoire est l’un des rares à offrir ce champ de textes propres à chaque occasion. Où est-ce qu’Aznavour me rejoint par son œuvre?

J’abordais cette question dans une série d’articles rédigés en 2018, à l’occasion de son décès. Aznavour me rejoint dans ma vie spirituelle, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la phantasme – et surtout dans ma vie de loser. Aznavour chante les losers. Aznavour est un loser. J’en suis un aussi. Et pourtant, pourtant… le loser n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. Le loser est celui qui accomplit de grandes choses en ayant conscience de sa petitesse, en prenant conscience de celle-ci pour en faire une force.

Et je chante alors avec Aznavour tous mes échecs, «Il faut savoir» pour pleurer mes amours perdus. «Le cabotin» pour lever mon poing face à mon succès tant rêvé qui n’est jamais arrivé. «Sa jeunesse» pour ne plus me retourner vers le passé d’une vingtaine à laquelle je ne m’attendais pas. Et tous mes échecs, toutes mes maladresses, tous se transforment en musique, et deviennent sublimes. J’aurai beau dire que j’ai tout raté, et pourtant, pourtant… il n’en est rien.

«Regarde d’où on est venu et regarde où nous sommes.»


 «Monsieur Aznavour», de Mehdi Idir et Grand Corps Malade (France, 2024), avec Tahar Rahim, Bastien Bouillon, Marie-Julie Baup, 2h13. 

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