Actuel / La victime collatérale de la guerre en Ukraine
Image d'illustration.
La déclaration d'ouverture de la chasse aux richesses cachées de Vladimir Poutine et de ses proches risque fort de forcer l'ouverture des coffres des paradis fiscaux occidentaux. Par conséquent, l'enthousiasme des premières déclarations peine à déboucher sur des résultats concrets.
On allait voir ce qu'on allait voir. Le premier samedi soir de la guerre d'agression russe en Ukraine, le 26 février, la Maison-Blanche communiquait sa volonté, et celle de ses alliés britanniques, allemands, français, italiens, canadiens et de l'Union européenne, de «créer un groupe de travail transatlantique chargé de s'assurer de la bonne application des sanctions financières en identifiant et en gelant les actifs des individus et des entreprises basés dans nos juridictions».
Et quelques lignes en-dessous, le communiqué précisait: «nous allons engager d'autres gouvernements». Lisez: ceux des pays qui ont massivement accueilli des fortunes de milliardaires russes, dont, évidemment, la Suisse, Chypre, les Emirats arabes unis et quelques autres paradis fiscaux.
Faire parler la carpe
Chacun a bien compris la portée de la charge lancée à toute vapeur dans la stupeur et la colère des premiers jours du conflit. La dynamique créée par la rupture de l'ordre international est de celle qui a le potentiel de se transformer en «game changer», c'est-à-dire de modifier durablement les règles du jeu. Comme celle des attentats du 11-Septembre, qui ont abouti à la criminalisation internationale de l'argent du terrorisme, ou celle de la crise financière de 2008, qui a débouché, comme les banquiers suisses le savent, sur la disparition du secret bancaire pour les questions fiscales.
En clair: pour traquer les secrets financiers de Vladimir Poutine et des près de 900 autres personnes ciblées par les sanctions occidentales, il faut commettre ce qui n'avait jamais été sérieusement tenté jusqu'ici: s'enfoncer dans la jungle des sociétés offshore, trusts, fondations, sociétés de domicile, «limited partnerships» et autres. Démêler les cachotteries des avocats, des notaires, des fiduciaires et des hommes et femmes de paille. Amener les banquiers à parler. Et donc, convaincre des professions entières de passer à table alors qu'elles avaient jusqu'ci fermement tout mis en œuvre pour surtout ne pas le faire, en employant une arme redoutable: convaincre leurs gouvernements qu'ils avaient plus à perdre qu'à gagner en les obligeant à la transparence. Autant amener une carpe à parler.
Des yachts saisis, mais...
Pourtant, la dynamique de «perçage de coffres» a été confirmée le 11 mars lorsque le G7 (les mêmes pays que ceux ci-dessus, plus le Japon) et l'Australie annonçaient avoir «rendu opérationnel» le groupe de travail annoncé le 26 février. Baptisé REPO, pour Russian Elites, Proxies, and Oligarchs multilateral task force, il a explicitement pour but de «recueillir et partager les informations permettant de déclencher des actions concrètes, dont des sanctions, des gels d'avoirs et des saisies civiles et pénales d'actifs ainsi que des poursuites judiciaires», selon un communiqué du Trésor américain du 17 mars.
Depuis lors, le travail avance. A quel rythme? C'est là que les choses se compliquent. Des yachts d'oligarques ont été saisis, certes. Des villas somptueuses ont été confisquées, certes. Des comptes en banques et autres actifs financiers ont été gelés pour un total de quelques milliards de francs, certes. Mais nombre d'autres yachts ont pu fuir et se réfugier qui en Turquie, qui aux Emirats, aux Seychelles ou aux Maldives (voire dans l'enclave russe de Kaliningrad pour l'un des navires personnels de Vladimir Poutine). Et des fortunes considérablement plus élevées continuent d'échapper aux enquêteurs. De quelle ampleur? Mystère. Les seuls avoirs de Vladimir Poutine ont fait l'objet d'estimations de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars. Pour donner une idée: la Suisse a annoncé le blocage de 5,7 milliards de francs. Or, la fortune détenue par des personnes russes dans les banques suisses est estimée entre 150 et 200 milliards.
Des peines de prison
La première difficulté est de recueillir l'information. Or, celle-ci est dispersée à l'extrême entre des administrations qui ne sont pas forcément outillées pour appliquer des sanctions – comme les registres fonciers – et qui sont parfois en concurrence les unes avec les autres. Pour recueillir l'information, il faut aussi amener les gens à parler. Ainsi, la Suisse – qui a annoncé sa collaboration à cette quête internationale – prévoit, dans ses lois, qu'il est du devoir des banques et autres gardiens d'actifs de signaler aux autorités ceux qui sont susceptibles de tomber sous le coup des sanctions.
Mais comment vérifier que toute la vérité est dite? La Loi sur les embargos prévoit des amendes, voire des peines de prison pour les «cas graves», ce qui peut amener plus d'un banquier ou agent fiduciaire à s'exécuter. Mais les avocats font de la résistance. Certains d'entre eux contestent toute contrainte à parler et s'abritent derrière leur secret professionnel, une disposition instaurée pour protéger les droits de la défense lors de procès. En recourant à cette excuse, ils admettent implicitement que leurs clients sont susceptibles d'être des criminels!
Révélations en chaîne
Le second obstacle vient des gouvernements eux-mêmes. Plus les fortunes qu'ils devront geler ou saisir seront élevées, plus leur responsabilité implicite dans l'accueil des milliards de Vladimir Poutine et de ses amis sera éclatante. Pas bon pour l'image. Mais il y a pire: l'entreprise de perçage de secrets russes risque fort d'aboutir à des révélations fort désagréables pour les maîtres de l'opacité financière. Les oligarques russes n'ont pas fait des affaires seuls dans leur coin: ils avaient nécessairement d'innombrables partenaires d'autres pays, à commencer par les Occidentaux.
Aussi, en révélant les secrets de tel milliardaire russe, ce sont ceux de beaucoup d'autres milliardaires des pays du G7 et de leurs partenaires dans cette traque (dont la Suisse), de leurs banques, de leurs avocats, de leurs fiduciaires, de leurs hommes de paille qui vont être mis au jour. Ce sont des mécanismes entiers de dissimulation qui seront révélés, jetant une lumière crue sur des décennies de construction minutieuse du secret.
Trusts américains, partnerships britanniques
A ce jeu, la Suisse n'est même pas le pays qui a le plus à perdre: c'est déjà fait, avec l'éventement du secret bancaire. Le Royaume-Uni – Londongrad commence à en prendre pour son grade – est beaucoup plus exposé, en incluant ses dépendances que sont ces perles de l'industrie offshore comme les Iles Vierges britanniques (BVI), les Iles Caïman, les Iles Anglo-normandes, l'île de Man, la City, et toutes leurs juridictions faiseuses de secrets comme l'«international business company» des BVI ou encore le «scottish limited partnership». Sans même parler des trusts de certains Etats américains, comme celui, fameux, du Dakota du Sud, ou la société à responsabilité limitée du Delaware. La «chasse aux milliards» risque aussi de jeter un peu trop de clarté, au goût de certains, sur les liens de dépendance financière qui peuvent unir des pays comme les îles Marshall, ancienne colonie américaine dans le Pacifique, les Seychelles ou encore les Emirats arabes unis avec les grandes places de Londres et de New York.
Les promoteurs occidentaux de la traque des actifs financiers des amis de Vladimir Poutine risquent donc de se prendre à leur propre piège de la transparence. Par conséquent, si cette quête prend du temps, ce ne sera pas uniquement à cause de l'épaisse couche de secret à percer. Mais aussi, vraisemblablement, en raison du coût élevé que cela aura pour les promoteurs de cette transparence nouvelle, les Etats. A moins, évidemment, que la guerre ne prenne fin avant que toute la lumière puisse être faite sur les zones d'ombre de la finance offshore des milliardaires russes et de leurs innombrables partenaires et amis occidentaux. Ce qui arrangerait pas mal de monde.
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Ainsi, la Suisse – qui a annoncé sa collaboration à cette quête internationale – prévoit, dans ses lois, qu'il est du devoir des banques et autres gardiens d'actifs de signaler aux autorités ceux qui sont susceptibles de tomber sous le coup des sanctions.</p> <p>Mais comment vérifier que toute la vérité est dite? La Loi sur les embargos prévoit des amendes, voire des peines de prison pour les «cas graves», ce qui peut amener plus d'un banquier ou agent fiduciaire à s'exécuter. Mais les avocats font de la résistance. Certains d'entre eux contestent toute contrainte à parler et s'abritent derrière leur secret professionnel, une disposition instaurée pour protéger les droits de la défense lors de procès. En recourant à cette excuse, ils admettent implicitement que leurs clients sont susceptibles d'être des criminels!</p> <h3>Révélations en chaîne</h3> <p>Le second obstacle vient des gouvernements eux-mêmes. 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La logique commande d’en tirer les conséquences: les biens gelés doivent servir à financer la reconstruction.</p> <h3>Précédents dans le Golfe</h3> <p>La question de l’utilisation des avoirs gelés est aussi ancienne que les sanctions elles-mêmes. Dès les premiers jours de la guerre, il a semblé clair pour de nombreux experts et décideurs occidentaux que les centaines de milliards de dollars appartenant à la Russie ne seraient jamais retournés au gouvernement responsable de la guerre, et pour cause: en septembre dernier, une estimation conjointe de la Banque mondiale, de la Commission européenne et du gouvernement ukrainien évaluait les coûts de reconstruction des infrastructures à 349 milliards de dollars. Lors de la Conférence de Lugano de l’été dernier, Kiev avait même présenté une facture de 750 milliards, incluant les pertes économiques imputables à la guerre. 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Seule petite nouveauté: le conseil présidé par Christine Lagarde amorce un mouvement de fermeture, prévu pour le printemps prochain.</p> <p>Ces décisions n'arrangent pas la Suisse: tant que les robinets monétaires de la BCE restent ouverts, l'euro reste structurellement faible (l'afflux d'argent en fait baisser la valeur face aux autres), poussant les autres monnaies vers le haut. C'est particulièrement le cas du franc suisse, monnaie-refuge s'il en est, porté par la balance des paiements structurellement bénéficiaire de la Suisse (les grandes entreprises rapatrient des profits pour plusieurs dizaines de milliards de francs chaque année, et si elles ne les réinvestissent pas à l'étranger, elles les convertissent en francs, gage de maintien de leur valeur). Pour éviter un envol du franc qui freinerait les exportations et augmenterait le chômage, la BNS garde son taux d'intérêt directeur négatif et vend des milliards de francs sur les marchés des changes contre d'autres devises. 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Qui dit qu'elle ne va pas s'accélérer ces prochains mois? Si oui, cela n'arrangerait pas que les affaires de la Suisse, mais donnerait des arguments supplémentaires à tous ceux qui réclament le retour à l'orthodoxie et la fin des fantaisies. Ces voix, particulièrement en Allemagne, redoutent plus que tout un renchérissement qui éroderait leur épargne et forcerait les entreprises à adapter les salaires. On devine de quel côté de l'échiquier politique elles viennent: surtout des partis de droite, mais pas que.</p> <h3>Le banquier allemand perdant</h3> <p>Elles sont les héritières du grand débat qui agite les économistes depuis près d'un siècle entre les tenants de l'économie de la demande (exprimée le plus complètement par le Britannique John Maynard Keynes) et celle de l'offre, soutenue par les tenants de l'école dite de Vienne (avant tout par l'Austro-britannique Friedrich August Hayek). 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Ces derniers ont encore dû avaler une autre couleuvre, l'annonce surprise en octobre dernier du départ de leur porte-parole au sein du conseil des gouverneurs de la BCE, l'Allemand Jens Weidmann. Le social-démocrate Olaf Scholz ne le remplacera certainement pas par un plus dur que le démissionnaire, même si le nouveau chancelier a pris le parti de ne pas trop se démarquer de la prudence de son prédécesseur Angela Merkel sur les questions économiques (du moins, pour le moment).</p> <p>Donc, s'en prendre aux prévisions d'inflation de la BCE, c'est s'en prendre au choix qui est fait de soutenir l'activité économique en Europe face à la crise du covid en dépit des canons de l'orthodoxie monétariste. C'est s'attaquer aux héritiers de Keynes, qui prennent toujours plus le dessus dans la détermination des grandes options macroéconomiques. C'est tenter d'inverser le cours de l'Histoire. 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