Culture / «Les démons» vous emmènent au septième ciel
Les Démons, le dernier roman de Simon Liberati, emprunte son titre à Dostroïevski. Avec une dose de légèreté pop qui change tout. © DR
Un roman fou. Excitant, dans tous les sens du terme. Pour deux raisons: son ambiance libertine et légère, son érotisme à foison. Dans un style pimpant, voire léché. Mais aussi saillant, explosif. Avec «Les démons» de Simon Liberati, c’est parti pour une aventure littéraire hors du commun! Dès les premières pages ce livre choque, transgresse et ravit.
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Il se ruine, il est boudé, ridicule, mais sait prendre sa revanche sur la critique, en s’élevant là où il se voyait déjà, «en haut de l’affiche». Rolls, fourrures, Vegas, mais aussi travail et encore travail, sans oublier les drames et un malheur qui le poursuit. Et le film s’achève, à l’aube des années 70.</p> <h3>Critique</h3> <p>Si j'avais été grincheux, j’aurais dit que le film était un raté grotesque, dirigé par une équipe d’amateurs, interprété selon une performance proche de celle des kermesses, rythmé de façon banale, sans originalité aucune, ne sachant pas rendre à l’écran une once de qui fut ce «Monsieur Aznavour», pompeusement nommé, ni de son œuvre infiniment plus riche que celle qui passe comme une musique de fond sous le jeu d’un acteur qui singe Aznavour. Mais je ne suis pas grincheux. 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Quand on admire une personnalité, on aime partager, ou en l’occurrence repartager, ses joies dans ses conquêtes professionnelles ou amoureuses, et pleurer avec elle sur ses misères, comme le décès de son fils Patrick, qui a donné lieu d’ailleurs à «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ll-C2ExMBXs" target="_blank" rel="noopener">L’aiguille</a>», l’une des chansons les plus émouvantes de son répertoire.</p> <p>Revenir sur la vie et l’œuvre d’Aznavour c’est accompagner chacune des étapes de sa propre vie par l’une de ses chansons. Et son répertoire est l’un des rares à offrir ce champ de textes propres à chaque occasion. Où est-ce qu’Aznavour me rejoint par son œuvre?</p> <p>J’abordais cette question dans une série d’articles rédigés en 2018, à l’occasion de son décès. Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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Cadre gothique et pop à la fois. La fratrie des jeunes Tcherepakine vit dans un château. La mère est morte, le père absent et indifférent. La grand-mère est là, mais tout le monde s’en fout. Deux frères, une sœur: Serge, Taïné, Alexis. Jeunesse qui s’ennuie… et qui s’adonne à des plaisirs interdits. L’aîné Serge couche avec sa sœur, cependant qu’Alexis le cadet, quinze ans à peine, passe de lit en lit avec des garçons plus âgés.
Mais rapidement la famille vit le drame. Serge et Taïné roulent de nuit dans Paris et bam, l’accident: lui trouve la mort, elle est défigurée. Malgré l’horreur, Taïné et Alexis reviennent à la vie, à la vie de folie. Voyages, sexe, drogue et mélancolie pour ces deux jeunes des sixties, en fréquentant du beau monde. S’adonnant à tous les excès, au bling-bling, au tragique, jusqu’à l’écœurement.
L'ambiance libertine
Entre fiction et réalité, l’ambiance convoque la jet-set de l’époque: Louis Aragon, Elsa Triolet, Truman Capote, Andy Warhol, Brigitte Bardot, James Brown, Johnny Hallyday, Emmanuelle Arsan entre autres people. Ce sont autant d’intimes, ou presque, de Taïné et Alexis. Avec eux, toutes les folies sont permises. Tous les écarts du récit. Liberati nous emmène tant à Cannes qu’au Flore au à Bangkok. Il flirte sans cesse avec le burlesque. Entre différentes destinations, différentes aventures, les personnages tournoient comme dans un bal. La tête commence à tourner, on finit par se perdre. Mais dans ce roman, on aime se perdre.
On se perd dans la nostalgie du temps insouciant de la jeunesse où vivre, c’est risquer sa vie à chaque instant. Pour le meilleur et pour le pire, comme en amour. Et pourtant, pas de quoi s’en faire, on trouve toujours de quoi s’arranger. On trouve toujours de quoi passer le temps: on lit, on essaie d’écrire, on regarde des films, on va à des concerts, on organise des fêtes, on boit des coups, on se drogue, on baise, on baise beaucoup. Cette ambiance est enivrante: repoussante à la raison du lecteur, mais terriblement attirante à ses sentiments, à ses tripes.
L'érotisme à foison
Tout comme le sexe. Ses scènes, où Liberati se lâche plus que jamais, donnent autant envie de vomir que de jouir. L’inceste ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus recommandé en matière de sexualité, considéré comme un crime dans notre culture. D’ailleurs, au début des jeux interdits, Serge lui-même pense au suicide tant il a honte. Pourtant l’érotisme tellement subtil, charnel et palpitant dans lequel il est raconté donne au lecteur d’oublier un instant que les protagonistes sont frère et sœur. Pour plonger pleinement dans ce pur moment de sensualité. Et d’autres scènes de passion charnelle… sans trop vous en dire, attendez-vous à ce qui se pratique couramment dans la pornographie, avec son lot de voyeurisme et de brutalité. Mais un voyeurisme auquel l’auteur nous convie avec élégance, et une brutalité dans la délicatesse des mots. Liberati écrit en maître du sexe.
La littérature permet de voyager tout en restant dans son fauteuil. Là elle permet aussi de faire l’amour, livre à la main. On s’y croit, on le vit. Le plaisir, sans les conséquences qu’essuient les protagonistes. Parce que du littérateur érotique, Liberati passe volontiers au philosophe, au moraliste. Il dépeint à travers la psychologie des personnages la lassitude et l’amertume que c’est aussi que de jouir sans entraves. On rejoint là les grands romans, qui savent cerner en trois-cent pages la complexité humaine.
Au septième ciel
L’expérience des Démons est nostalgique, exotique et sexuelle. Et bien sûr littéraire. L’ennui des Démons, c’est l’ennui de Madame Bovary de Flaubert. Les personnages des Démons, ce sont les personnages de la «Comédie humaine» de Balzac. Le titre des Démons, c’est du Dostoïevski, avec sa critique du nihilisme. Taïné, Alexis et toute leur bande de copains mènent la vie de nihilistes avec lesquels on rit jaune, on déguste, on s’émeut, on angoisse, mais on s’égare, on se détend, on s’amuse. Bonne littérature, érotisme, spectacle de passions humaines et une bonne dose de légèreté, ça fait du bien. Ça vous emmène au septième ciel, avec des démons.
Simon Liberati, Les démons -Stock, 333 pages, 2020.
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Dans la tourmente de l’entre-deux guerres, connaissant la pauvreté et le racisme, mais aussi les fêtes de la diaspora arménienne dans le café de son père, les danses, les chants, et les premiers pas sur les planches. «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jSqkbJxF-Mo" target="_blank" rel="noopener">Les deux guitares</a>», chant tzigane, nous ramène à cette époque.</p> <p>Place ensuite au jeune homme, qui rêve de gloire, et qui collectionne les petits boulots. Fatigué d’imiter Trenet et de chanter les bruits de fond des cabarets, il se bat «à corps perdu, assoiffé, obstiné» pour chanter lui aussi l’amour, pour écrire les grands textes qui feront pleurer la France et le monde. Il construit sa vie, avec un mariage, une enfant, une tournée au Québec, et puis déconstruit tout. Il se sépare même de celle dont il est l’homme à tout faire, j’ai nommé «la Môme». 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Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.</p> <p>La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. Comme un défilé de clowns, on voit tantôt apparaître un Johnny Hallyday, tantôt un Sinatra, tantôt tel compositeur, tel imprésario, telle femme à séduire, telle autre qui viennent remplir la scénario d’une lourdeur insupportable.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i>, le film a certes du cœur, et c’est l’essentiel, mais il compte aussi de réelles qualités. Si aucun acteur adulte ne crève l’écran, les enfants eux, notamment les interprètes de Charles et de sa sœur, sont fascinants tant ils inspirent de la sympathie, mais surtout tant ils rendent le sentiment et la vie de l’époque où les Aznavourian étaient des réfugiés en terre de France.</p> <p>Autre grande qualité du film par son scénario, c’est la complexité avec laquelle est dépeinte l’artiste: loin d’être idéalisé, il est montré dans sa gloire, certes, mais aussi dans ses échecs, ses erreurs et avec une tristesse qui le suit jusqu’au sommet. Coup de maître en matière d’originalité, d’avoir introduit dans le film un <i>sample</i> d’Aznavour par Eminem et Dr. Dre avec «What’s the Difference», qui vient bouleverser le rythme du film le rendant plus pimpant et plus vrai. Bel hommage, enfin, aux origines du chanteur en ayant placé dignement des images d’archives du génocide arménien.</p> <h3>Rétrospective</h3> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> la plus grande réussite du film reste son effet de rétrospective. Ceux qui auront été mitigés par <i>Monsieur Aznavour</i> auront au moins été séduits et emportés par l’occasion de réécouter et de célébrer Monsieur Aznavour. L’occasion aussi d’en apprendre davantage sur la vie de l’artiste. Quand on admire une personnalité, on aime partager, ou en l’occurrence repartager, ses joies dans ses conquêtes professionnelles ou amoureuses, et pleurer avec elle sur ses misères, comme le décès de son fils Patrick, qui a donné lieu d’ailleurs à «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ll-C2ExMBXs" target="_blank" rel="noopener">L’aiguille</a>», l’une des chansons les plus émouvantes de son répertoire.</p> <p>Revenir sur la vie et l’œuvre d’Aznavour c’est accompagner chacune des étapes de sa propre vie par l’une de ses chansons. Et son répertoire est l’un des rares à offrir ce champ de textes propres à chaque occasion. Où est-ce qu’Aznavour me rejoint par son œuvre?</p> <p>J’abordais cette question dans une série d’articles rédigés en 2018, à l’occasion de son décès. Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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