Média indocile – nouvelle formule
Marie Maurisse
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Le raisonnement est en tout cas logique pour la majorité des affaires traitées par ordonnances: excès de vitesse, conduite sans permis, dépassement interdit, etc… En trente ans, le nombre de voitures a fortement augmenté en Suisse, ce qui explique pourquoi les infractions routières ont aussi progressé, et donc les ordonnances pénales de ce type.</p><h3>Le «quasi-monopole des procureurs»</h3><p>Mais pour le pénaliste Nicolas Quéloz, qui préside le Département de droit pénal de l’Université de Fribourg, cette hypothèse est erronée, pour une raison simple: le nombre d’ordonnances a augmenté de manière exponentielle, sans que cela ne soit proportionnel aux condamnations dans leur totalité. Les tribunaux pénaux de première instance prononçaient plus de 8 condamnations sur 10 en 2000, alors qu’ils n’en ont rendu que 1 sur 10 en 2015. Et le juriste, criminologue, de dénoncer un «quasi-monopole des procureurs en Suisse». </p><p>«Le procureur cumule les mandats, puisqu’il instruit l’affaire, en même temps qu’il la juge», ajoute ce spécialiste. Cela viole un principe fondamental de la Constitution, qui est celui de l’indépendance et de l’impartialité du juge». Certes, les condamnés ont toujours la possibilité de s’opposer à l’ordonnance dans les dix jours afin d’aller jusqu’au procès. Mais dans les faits, seulement 5 à 10% d’entre eux le font, selon les données de Nicolas Quéloz. «Parfois même, les ordonnances pénales sont préfabriquées dans les ordinateurs des procureurs, qui remplissent des cases, regrette-t-il. Il s’agit d’une justice à la chaîne, industrielle.» </p><p>La Constitution indique également que la justice doit se faire à armes égales entre le parquet, et le suspect. Là aussi, les ordonnances posent un problème, car dans la majorité des cas, la personne jugée ne dispose pas d’un avocat. En théorie, elle y a droit. Soit elle est en mesure de payer pour sa défense, soit elle peut bénéficier d’un avocat commis d’office. Mais là encore, c’est le Ministère public qui décide d’octroyer cette mesure. Et comme les cas jugés par ordonnance sont mineurs, en général, les demandes sont rejetées. Cela inquiète Alessandro Brenci, avocat au sein de l’étude Avopep, à Lausanne, qui craint que les «justiciables ne soient stigmatisés». Pour lui, «c’est une dérive du système, sous prétexte de décharger les juridictions ».</p><h3>Principe fondamental violé<br></h3><p>Ce débat a lieu depuis plusieurs années déjà au sein de la profession. L’association des juristes démocrates, dont Alessandro Brenci fait partie, dénonce cette évolution. En soulignant que les ordonnances violent le principe fondamental de la publicité du procès. Les criminels doivent être ainsi jugés en public, afin que le peuple puisse assister aux débats et à l’exercice de la justice, l’une des bases de la démocratie. Quant aux juges, ces représentants du peuple, ils doivent être observés et surveillés afin de ne pas dévier de leur rôle et conserver la neutralité. Or, dans le cas d’une ordonnance pénale, il n’y a ni juge, ni audience publique. Et le fait que, modeste concession, les journalistes peuvent consulter ces ordonnances pénales pendant trente jours ne suffit souvent pas à remplacer l’œil populaire…</p><p>Certes, un excès de vitesse, la détention de deux grammes de cannabis ou le séjour illégal d’un sans-papier ne nécessitent pas forcément deux jours d’audience au Palais de justice. Qu’en est-il des autres affaires? </p><p>Le 7 avril dernier, Ulysse* a été reconnu coupable de pornographie par le Ministère public genevois. Il a été condamné à 180 jours-amendes pour avoir téléchargé sur Internet des fichiers pédopornographiques. Tous les mois, des ordonnances pénales similaires sont prononcées dans les cantons romands. Autre exemple : celui de Karim*, condamné fin janvier, à Genève encore, pour avoir frappé sur le dos son fils de 6 ans. Karim est éducateur de métier. «Bien sûr, estime Alessandro Brenci, le huis clos du bureau du procureur est rassurant pour certaines affaires de mœurs. Néanmoins, le caractère public de la justice a aussi un but éducatif!» <br></p><h3>«Justice pénale soustraite au contrôle du public»</h3><p>Alain Macaluso, avocat à Genève et professeur de procédure pénale à l’Université de Lausanne, veut relativiser l’augmentation des ordonnances pénales, qu’il estime limitée. Selon lui, «la plupart d’entre elles sont des outils parfaitement adaptés pour traiter des cas bagatelle comme les infractions à la loi sur la circulation routière». La Suisse n’est d’ailleurs pas le seul pays qui cherche à limiter le nombre de procès : «aux Etats-Unis, moins de 6% des cas se terminent devant un tribunal, tout le reste se règle sans véritable procès, notamment par des accords entre le procureur et le prévenu», explique-t-il. </p><p>«Cela dit, il arrive que les ordonnances pénales soient utilisées pour des affaires d’intérêt public», ajoute-t-il. Alain Macaluso pense notamment aux affaires économiques, de corruption ou de blanchiment d’argent. Le 1<sup>er</sup> mai dernier, le Ministère public de la Confédération, à Berne, publiait ainsi une ordonnance qui déclarait le groupe belge DEME coupable de corruption et le condamnait à verser 37 millions de francs à la Confédération. Des faits d’une telle gravité, ainsi que les montants en jeu justifiaient l’intervention d’un juge et un procès public. </p><p>En 2014, le juge fédéral Niklaus Oberholzer s’alarmait dans <em>Le Matin Dimanche</em> de cette «grave régression de la justice». Or, depuis, les ordonnances pénales sont toujours plus nombreuses. Grégoire Mangeat, bâtonnier de l'Ordre des avocats de Genève et spécialiste de droit pénal économique, estime que leur augmentation «rend compte d'un développement inquiétant de la justice pénale de cabinet, rendue à l'abri des regards, soustraite au contrôle du public.»</p><p>Au sein de la Conférence suisse des autorités de poursuite pénale, un groupe de travail propose d’étendre le pouvoir de sanction des procureurs jusqu’à une peine privative de liberté d’une année, contre six mois actuellement. A Fribourg, Nicolas Quéloz prépare déjà le combat contre cette mesure.</p><h4>• Nom d’emprunt </h4><br>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'desormais-les-procureurs-jugent-seuls-dans-leur-bureau', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 868, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 68, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 62, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' }count - [internal], line ?? 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Actuel / Quand le procureur décide seul de la peine. Sans juges
En Suisse, 90% des affaires pénales sont désormais traitées par voie d’ordonnance: le procureur décide seul de la peine, sans qu’aucun procès n’ait
Marie Maurisse
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