Histoire / Quand Staline affamait l'Ukraine
Cliché réalisé à Kharkiv en 1933 par Alexander Wienerberger, auteur de la seule série de photographies des conséquences de l'Holodomor. © DR
Un documentaire revient sur le Holodomor, la famine ayant ravagé l’Ukraine en 1932-1933, au cours de laquelle 4 millions de personnes sont mortes. Sobre et pédagogique, le film montre l’affrontement inégal entre velléités d’indépendance ukrainiennes et violence politique de la part des Soviétiques. Il se construit autour de l’opposition entre discours de propagande et réalité journalistique, une dichotomie qui interroge toujours, une année après le début de la guerre.
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«Pourquoi Staline laisserait-il mourir de faim des citoyens soviétiques?»
En mars 1933, le journaliste gallois Gareth Jones, ancien conseiller aux affaires étrangères auprès de Lloyd George, arrive à Moscou, cette question à l’esprit. L’URSS semble en plein élan économique. La propagande bolchévique vante les effets et les ambitions de la révolution: «la machine prendra la place de Dieu»; «le nouveau triomphe sur l’ancien»; le communisme «construit un Etat puissant et prospère où chacun pourra être heureux et manger à sa faim».
Jones découvre pourtant Moscou «dans un état déplorable». «Partout je vois des foules de gens très pâles et malades». Les images qui illustrent les écrits de Gareth Jones, tirés de ses articles et de sa correspondance personnelle, sont issues d’archives et le plus souvent de films de fiction, un choix qui pallie le manque d'images d'époque. On y voit des hommes vêtus de gros manteaux en peau de mouton, le visage barbu et dévoré par la faim. Certains sont amputés d’une ou des deux jambes, d’autres vont pieds nus. Ils sont Ukrainiens, disent-ils à Jones, et d’où ils viennent, «хлеба - нет», pas de pain.
En dépit des risques, le journaliste prend un train «en bois, sombre et puant» pour Kharkov, alors capitale de la RSS d’Ukraine. Il quitte Moscou, ville Potemkine où sont confinés les journalistes étrangers, bercés de mensonges d’Etat dans le luxe des palais et des fêtes à l’hôtel Metropol. Dans le train, dans les villages, les habitants racontent tous la faim, la mort silencieuse, la peur des espions de la police politique. Ces images de la plaine ukrainienne mortellement déserte ont été reconstituées par Agnieszka Holland, dans le film A l’ombre de Staline inspiré du reportage de Gareth Jones. Le documentaire de Guillaume Ribot, lui, prend le parti d’expliquer aussi le point de vue soviétique. Se succèdent à l’écran la retranscription de notes gouvernementales, d’ordres donnés, de communications entre les autorités locales, Staline, Kaganovitch et Molotov, ces deux derniers chargés précisément d’accélérer la collectivisation des terres en Ukraine.
La collectivisation, comme l’intégration de l’Ukraine à l’URSS, fut un processus violent. En janvier 1918, la Rada (le Parlement ukrainien) proclame l’indépendance du pays. Les autorités appellent à la défense de la liberté et du peuple ukrainien contre les bolchéviques, «au péril de notre propre vie». L’Ukraine est alors occupée et tombe aux mains soviétiques. Jones note: «Lénine avait promis aux citoyens le pain et la paix, ils ont obtenu la faim et la guerre». La collectivisation des terres est entreprise à marche forcée. La propagande du régime vante le plan quinquennal: «nous allons créer une version communiste des Etats-Unis». Pour financer cet effort industriel, les bolchéviques comptent sur la production et l’exportation de grandes quantités de blé cultivé en Ukraine, «le grenier de la Russie».
Mais la planification déstabilise l’organisation agricole. De premières difficultés alimentaires apparaissent. A quoi s’ajoute la réticence des paysans. «Pourquoi travailler si l’on n’a plus sa propre terre? Pourquoi donner mon cheval à d’autres?» Les réfractaires sont qualifiés de koulaks, les paysans enrichis, les ennemis à abattre qui refusent de rejoindre les kolkhozes. Aux «phénomènes négatifs» telles que sont désignées les tentatives de révolte paysanne, les autorités répondent par la force: abattage massif du bétail, saisie des terres, assassinats, tortures, déportations en Sibérie. Les silos à grains sont pleins et les ventres vides. Le Parti mène une véritable «guerre sainte» contre les ennemis du peuple. Cueillir quelques épis de blé dans le champ du kolkhoze constitue le plus grand crime qui soit en Union soviétique: l’appropriation des biens socialistes.
Or la brutalité de la répression et les collectes perçues comme de plus en plus abusives exacerbent la réaction nationaliste des Ukrainiens. Très attachés à leurs terres, qui font partie de l’identité du pays, ils se voient placés sous le joug d’un nouveau servage, à peine libérés de celui des tsars. En août 1932, Staline, alarmé par le climat de contestation de la planification qui gagne même certains comités du Parti écrit à Kaganovitch: «nous pourrons perdre l’Ukraine» s’il n’est pas procédé immédiatement au «redressement de la situation».
Que la famine de 1933 ait été délibérément organisée par les instances de Moscou est aujourd’hui encore l’objet de guerres mémorielles. Néanmoins, le consensus scientifique soutient que le drame n’avait pas de causes naturelles.
De fait, les mesures répressives ordonnées par Staline commandent la cessation de l’import de marchandises vers l’Ukraine, le retrait de toutes les denrées des magasins, l’interdiction totale du commerce, la confiscation des semences... «Les gens gonflent et crèvent». Ceux qui s’aventurent à chasser des rongeurs pour se nourrir sont abattus, les actes de cannibalisme deviennent «habituels». Les frontières du pays sont fermées. Pour Jones, comme pour les Ukrainiens rencontrés sur place, le projet est limpide: il s’agit de punir l’Ukraine par la famine.
Dans un discours publié par la Pravda en 1933, Staline affirme que les Ukrainiens ont bâti une ville souterraine regorgeant de céréales dérobées à la collecte, et donc au peuple soviétique, qu’ils sabotent délibérément la course de l’URSS à la prospérité et préparent en secret un coup d’Etat nationaliste pour faire sécession. Comment ne pas penser aux motifs avancés par Vladimir Poutine pour envahir l’Ukraine il y a une année?
Enfin, dernière étape de la répression menée par Moscou en Ukraine, la russification du pays. Au printemps 1933, des fonctionnaires moscovites sont installés aux postes d’administration à Kharkov, le russe devient obligatoire dans les écoles. Des officiels étrangers s’inquiètent de ce «plan de colonisation» et craignent que «dans un avenir peut-être très proche, l’Ukraine (devienne) de fait une région russe».
Le premier article de Gareth Jones est publié le 31 mars 1933. Mais son message est aussitôt noyé par la contre-attaque de la propagande. Sa meilleure voix est le correspondant à Moscou du New York Times et prix Pulitzer Walter Duranty. Selon ce dernier il n’y a pas de famine mais «une mortalité généralisée due aux maladies liées à la malnutrition». On admirera. Et de toute façon «on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs».
Gareth Jones doit se rendre à l’évidence, ses articles et ses révélations n’ont eu aucun impact, n’ont suscité aucune réaction en Occident. «La terreur s’installe en URSS» mais les gouvernements européens regardent ailleurs: préoccupés par l’ascension d’Hitler en Allemagne et soucieux, surtout, de continuer à importer massivement du blé d’Union soviétique.
Le documentaire se garde bien de tracer des parallèles entre l’histoire du Holodomor et la guerre actuelle. Les images, les archives, les récits parlent d'eux-mêmes. Le passé nous instruit sur le présent, cela est certain. Et le tragique passé commun de l’Ukraine et de la Russie continue de ricocher sur notre présent. A l’image de la lutte mémorielle qui se poursuit aujourd’hui encore autour de la mémoire de la grande famine. Si l’histoire retient surtout la situation ukrainienne, la famine causée en grande partie par la collectivisation et ses conséquences, entre 1931 et 1933, a entraîné la mort de 7 millions de Soviétiques, dont 4 millions d’Ukrainiens, 1,5 millions de Kazakhs et 1,5 millions de Russes.
28 pays reconnaissent à ce jour le Holodomor comme un génocide, parmi lesquels les Etats-Unis, le Mexique, plusieurs pays d’Amérique du Sud, le Vatican et les membres de l’Union européenne par la voie d’une résolution du Parlement du 15 décembre 2022.
«Moissons sanglantes: 1933, la famine en Ukraine», Guillaume Ribot, disponible sur france.tv jusqu’au 27 juin 2023, 70min.
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Les enterrements de vie de garçon ont quelque peu cessé d’empoisonner le quotidien et les nuits des riverains des bars et boîtes de nuit.</p> <p>Une autre stratégie consiste à augmenter drastiquement les prix pour se débarrasser des foules. Mais la gentrification qui s’en suit est encore un fléau pour les locaux. Ainsi à Majorque, tout est désormais «hors de prix» afin de dissuader les «touristes alcoolisés» d’envahir l'île et ses plages. Seulement cette inflation ne bénéficie pas aux habitants.</p> <p>Quelles que soient les méthodes employées, une intervention politique semble indispensable aux habitants de ces zones exposées à la surfréquentation. D’Amsterdam à Venise en passant par Palma de Majorque, tous sont décidés à poursuivre leur combat, «jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli». Un équilibre d’avant EasyJet et AirBnB.</p> <hr /> <h4><a href="https://edition.cnn.com/2024/07/27/travel/why-europe-has-become-an-epicenter-for-anti-tourism-protests-this-summer/index.html" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'surtourisme-un-point-de-non-retour-pour-l-europe', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 152, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 4, 'person_id' => (int) 4670, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5065, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les amères retombées des Jeux de Tokyo 2020', 'subtitle' => '«Les Echos» s’est interrogé dans une récente série d’été sur les retombées de l’organisation des Jeux olympiques sur les villes hôtes. 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En pleine pandémie, les organisateurs avaient pris des précautions maximales: masques obligatoires, bulles sanitaires pour protéger les athlètes, public contraint de regarder la majeure partie des festivités à la télévision... Sur certains tronçons du parcours de la flamme, rappelle l’article des <em>Echos</em>, il était même défendu au public de pousser des cris d’enthousiasme, afin d’éviter les contaminations. </p> <p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@yvesmagat 24.02.2023 | 10h50
«Les paysans victimes de la collectivisation stalinienne ne se trouvaient pas qu'en Ukraine, même si les Ukrainiens ont probablement payé le prix le plus lourd de cet "ethnocide de classe" en raison des caractéristiques agricoles de leur pays et leur volonté nationale de résister au centralisme russe. La région de la Volga, le Kazakhstan et toute l'URSS ont vu se dérouler le même stratagème : l'élimination physique d'une classe jugée inapte à l'idéal collectif soviétique. Parmi les victimes, des milliers de Mennonites de lointaine origine germanique, en Ukraine et ailleurs. Le roman de Nikolaï Ostrovski, "Et l'acier fut trempé", publié en 1934 et largement diffusé en URSS et parmi les communistes d'Europe de l'Ouest, est révélateur. On y voit des Ukrainiens ayant honte d'être des agriculteurs. Victimes de leurs stigmates de "koulaks" pourtant misérables, ils ne rêvent qu'à rejoindre la glorieuse fraternité des ouvriers et de tourner le dos à la campagne jugée "arriérée". Ou alors de transformer l'agriculture soviétique en usine à grains, les kolkhozes, dont on sait l'échec auquel ils ont abouti.»
@markefrem 25.02.2023 | 09h08
«et après de telles révélations (rappels ?) on voudrait réhabiliter la Russie, croire sa "vérité", suivre Monsieur Mettan dans son amour et son admiration...»
@Clear 02.03.2023 | 16h25
«Bonjour, C’est dommage de mettre un lien qui n’est valide que si l’on est domicilié en France…essayé pas pu voir Moissons sanglantes, regarderais à la Bibliothéque cantonale uni….on habite en Suisse»
@Clear 02.03.2023 | 16h33
«Bonjour j’ai trouvé un autre lien qui mène à ce film, merci du partage, il y a eu aussi plus tard 80000 lettons qui ont disparus lors des purges staliniennes, et suite aux déportations dans les camps en Sibérie .»
@stef 26.03.2023 | 14h36
«Cet épisode affreux est avant tout le résultat d'un idéal dogmatique, mené au pas de charge.
Le but était à mon avis légitime, mais il a été mené d'une manière complètement inadéquat en mettant complètement de côté les besoins individuels dont on doit quand même tenir compte, même dans un idéal communiste.»