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Culture / Une histoire des sexualités


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L'histoire du sexe n'est pas un long fleuve tranquille. Les Presses Universitaires de France publient un ouvrage qui va de la Grèce antique au monde moderne, traitant des évolutions et des régressions des normes sexuelles en Occident. On y voit que les sexualités sont variées et multiples, n'en déplaise aux moralisateurs. Des moralisateurs qui, c'est une constante historique, ont toujours voulu corseter le sexe, le contrôler.



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Le sexe est un domaine pour lequel il y a beaucoup de «ça va de soi». Le plus important, le plus aliénant, est celui qui voudrait qu’il n’y ait qu’une seule manière de le concevoir et de le pratiquer, et que tout ce qui sort de cette norme soit antinaturel, déviant, pervers. C’est là l’origine de beaucoup de déconvenues, de malentendus, de violences, de mal-être, de névroses, de vies gâchées, d’atrocités.

Voilà pourquoi, s’il est toujours intéressant de remettre en question ce que l’on veut nous faire croire à tout prix, ça l’est encore plus en matière de sexualité.

Les Presses Universitaires de France (PUF) éditent Une histoire des sexualités. Six auteurs se sont attelés à la tâche, sous la direction de Sylvie Steinberg, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Le titre est déjà une promesse: il n’y pas UNE sexualité, mais DES sexualités. Voilà qui ouvre des horizons intéressants!

Dans l'introduction générale de l'ouvrage, Sylvie Steinberg explique que celui-ci est «une brève synthèse (plus de 500 pages, tout de même, ndlr.) des connaissances historiques accumulées depuis des décennies» et qu’il est «essentiellement centré sur l’Europe occidentale, avec une série de gros plans sur la France. (…) En cela, il ne se prétend pas exhaustif». Elle relève également que les sources disponibles pour cette recherche ont été essentiellement produites par des hommes, ce qui, c’est certain, n’est pas sans les influencer.

Dans son exploration des sexualités occidentales, le livre commence par la Grèce antique et se termine par l’époque contemporaine. Petit tour d’horizon, tout à fait subjectif.

Grèce antique: la force d’Eros

«Dans l’Antiquité, l’individu ne se définissait pas intimement en fonction de son sexe». Il y avait ainsi une grande différence entre les esclaves, les étrangers et les citoyens grecs. «Un citoyen n’était pas défini psychologiquement en fonction de ses partenaires, ou du type de sexualité qu’il appréciait. Par conséquent, l’homosexualité n’entraînait pas de particularité propre aux individus qui la pratiquait».

Les Grecs considéraient que c’était la force d’Eros qui poussait une personne à s’unir sexuellement avec une autre personne, quelque fût son sexe. Quant à la prostitution, si elle était parfois déconsidérée, c’est parce que «le simple fait de travailler avec son corps, de façon générale, était déprécié en Grèce ancienne». Pour les Grecs, l'attirance sexuelle est le fait d'Eros. © DR

Rome antique: ni trop ni trop peu

A l’instar des Grecs, les Romains se définissaient avant tout en fonction du rang social, pas par la sexualité. Mais chez eux, qui n’appréciaient pas les extrêmes en la matière, l’hypersexualité était mal vue, méprisée, «considérée comme un signe de non-maîtrise de soi, l’aveu d’une faiblesse physique et mentale». L’absence de sexualité était quant à elle «assimilée au refus d’une sociabilité citoyenne».

Détail amusant: «la fellation et le cunnilingus sont présentés comme les actes les plus dégradants qui souillent l’organe politique qu’est la bouche, donc la voix d’un citoyen». Les Romain sont partisans d'une sexualité raisonnable. © DR

L’Occident médiéval : moralisation chrétienne

Le Moyen-âge est plutôt pudibond, marqué par la morale chrétienne qui ne badine pas avec les choses du sexe. Une religion qui a pour symbole un type crucifié n’est en effet pas encline à encourager ses ouailles à la gaudriole.

La prostitution est institutionnalisée, «pour permettre aux garçons qui se marient plus tardivement que les filles de patienter (…) ou pour remédier les tendances homosexuelles des jeunes hommes». Les femmes doivent toujours être couvertes lorsqu’elles sortent de la maison et «dénuder la tête d’une femme est un crime sexuel». Le Moyen Age est soumis à la pudibonderie chrétienne. © DR

De la Renaissance aux Lumières: haro sur la masturbation

Les médecins de l’époque pensent que l’absence de sexualité peut provoquer des maladies, mais ils recommandent néanmoins la modération, afin de ne pas souffrir des maux qui atteignent ceux qui ont «la manie érotique». Le médecin Nicolas Venette (1633-1698) recommande la position du missionnaire pour les rapports conjugaux: «caresser debout comme les hérissons éblouit les yeux, fatigue la tête, fait souffrir l’épine dorsale, trembler les genoux. Etre assis ne permet pas de faire un bel enfant. Permettre à une femme d’être dessus la rend stérile et rend les enfants nains, boiteux, bossus, louches, imprudents et stupides».

Permettre à une femme d’être dessus la rend stérile et rend les enfants nains, boiteux, bossus, louches, imprudents et stupides.
Nicolas Venette (1633-1698)

L’homosexualité féminine est réprimée par les juges du XVIe siècle, mais les femmes qui s’y adonnent ne sont pas punies lorsqu’elles «n’usurpent pas le privilège masculin de la pénétration». L’homosexualité masculine, elle, est fortement réprimée et punie.

Cela n’empêche pas que dans les campagnes subsistent des pratiques moins pudibondes, comme par exemple, au Pays Basque, un concubinage prémarital, ou, dans les Alpes, «la fréquentation prénuptiale qui s’accompagne d’une sexualité qui ne va pas, en principe, jusqu’au coït».

Avec la fin du XVIIIe siècle arrive un fort accroissement de la hantise de la masturbation. Le docteur Samuel Auguste Tissot (1728-1797) en décrit les méfaits… imaginaires. Un docteur que le livre fait par erreur Genevois alors qu’il est Vaudois – une avenue porte son nom à Lausanne.

Toujours concernant cette période, L’histoire des sexualités aborde succinctement le libertinage, surtout comme un plaisir masculin, et en dit très peu sur le marquis de Sade (1740-1814). 

Le docteur vaudois Samuel Auguste Tissot, pourfendeur de la masturbation.  © DR

Le XIXe siècle: une sexualité hétérosexuelle, conjugale et reproductrice

C’est à cette époque qu’apparaissent les termes de «sexualité», donc d’«hétérosexualité» et d’«homosexualité».  Relevons que ce sont des scientifiques masculins qui en construisent les définitions, la première femme médecin française – Madeleine Brès ─ n’entrant en fonction qu’en 1875.  

Une norme est élaborée: «une sexualité hétérosexuelle (l’OMS n’a retiré l’homosexualité de sa liste des troubles psychique qu’en 1990, ndlr.), conjugale et reproductrice. Il faut attendre Freud à la fin du siècle pour que la satisfaction soit énoncée comme principal but de l’impulsion sexuelle. Dans les pratiques, la recherche du plaisir se déplace du mariage vers l’adultère». Dans les campagnes, toujours, la sexualité est vécue différemment, un peu plus librement.

«La rapidité de l’acte sexuel semble de mise dans la plupart des couples conjugaux. Nous disposons d’une étude assez précise du sexologue suisse Auguste Forel (qui, avant de devenir socialiste en 1916, défend l’eugénisme et prescrit l’euthanasie dans certains cas de maladies psychiques, ndlr.): à partir de l’enquête qu’il a pu mener auprès de ses patients hommes, il évalue à trois minutes la durée du coït dans sa clientèle bourgeoise».

L’adultère, «indicateur alarmant des insatisfactions sentimentales et sexuelles du mariage est au centre de nombre de discours à partir du Second Empire». Ce sont bien sûr les femmes s’y livrant qui sont dénoncées, pas les hommes. «Le 5 juillet 1845, Victor Hugo est surpris en flagrant délit dans un hôtel parisien avec Léonie Briard, femme de lettres et épouse du peintre Auguste Briard. (…) Pour échapper au scandale, Victor Hugo brandit l’inviolabilité de son statut de "pair de France" tandis que sa partenaire est arrêtée». Elle sera conduite en prison, puis enfermée dans un couvent pendant quelques mois, jusqu’à ce que son mari accepte sa libération. Les époux vont se séparer et le tribunal privera Léonie Briard de la garde de ses enfants.

Sinon, ni la prostitution ni l’homosexualité ne sont considérées comme des délits par les codes napoléoniens. Et l’invention de la photographie donne un développement nouveau à la pornographie. Le sommeil, un tableau d'Auguste Courbet, 1866.  © DR

XXe et début du XXIe siècle: la «révolution» sexuelle

Une «révolution» sexuelle déferle sur les Etats-Unis et sur l’Europe à partir des années soixante, en France notamment avec Mai 68. Voilà l’occasion de parler du docteur Wilhelm Reich (1897-1957) qui en est un des principaux précurseurs. «En 1968, La révolution sexuelle paraît en français. Dans ce texte publié en allemand en 1936, sous un autre titre (Le sexualité dans le combat culturel), Reich analyse les relations entre la répression de la sexualité et l’autorité (qu’il s’agisse de la structure familiale ou politique) et dessine un idéal de libération humaine à travers la libre expression de la libido et de l’énergie orgasmique».

Mai 68 est aussi l’occasion pour les homosexuels militants de faire entendre leur voix, ainsi que pour les féministes. L’histoire des sexualités développe beaucoup cette période, sans doute parce qu’elle nous est proche et qu’elle est très bien documentée.

Aujourd’hui, si l’on parle beaucoup de sexe dans le domaine public, si les genres sont remis en question, si les LGBTQIA+ (lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe, asexuel, + tous les autres) donnent de la voix, le sexe reste un champ peu exploré, théoriquement et pratiquement, par la majorité des individus.

Depuis le milieu des années 70, la production de films pornographiques a pris beaucoup d’ampleur en France. A partir de 1980, le porno est entré dans les foyers par le magnétoscope et Canal+ et «dans les années 2000, un homme sur deux et une femme sur cinq, entre 25 et 49 ans, voient régulièrement des films pornographiques».

Si le marché de la prostitution se porte bien, certains – certaines – veulent l’interdire, ou pénaliser les clients, ou la cantonner à des zones périphériques, loin des regards. Mais des mouvements de travailleuses et travailleurs du sexe tentent de faire entendre une autre voix que celle des abolitionnistes.

Un des changements de l’époque est que la sexualité des personnes âgées et celle des handicapés est de plus en plus revendiquée, bien que le sujet reste encore tabou.

Et ces dernières années, c’est sur le plan du harcèlement et des abus que les fronts bougent. La pédophilie, notamment lorsqu’elle est le fait du clergé catholique, est de moins en moins tolérée, même si l’église peine à changer d’attitude à l’égard de prêtres pendant longtemps protégés par leur hiérarchie. Quant à l’attitude de certains hommes vis-à-vis des femmes, elle est désormais dénoncée par des mouvements comme #metoo ou #balancetonporc, pour le plus grand déplaisir de ceux qui imaginent que les femmes sont, au mieux, des êtres aimant être bousculés et harcelés, au pire des proies sexuelles. 

Woodstock, 1969.  © DR

Et nous?

Voilà pour cette partiale et incomplète histoire des sexualités. La plus intéressante – de sexualité – est la nôtre, mais pour en écrire l'histoire il faudrait l’aborder, l’explorer, l’affronter, ce que rien dans notre culture ne nous a préparé à faire. Pourtant, la sexualité est une des voies majeures menant à la connaissance, celle des autres comme celle de nous-même.


Une histoire des sexualités, sous la direction de Sylvie Steinberg, PUF


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