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Culture / «Pour écrire sur soi, il faut écrire contre soi»


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Ecrivain et collaborateur de «Bon pour la tête», Yves Tenret a été victime d’un AVC en 2016. Il en a fait un livre où, comme souvent, il parle de lui, de sa vie et notamment des années qu’il a passées à Lausanne. «Celui qui dit "je" dans mes livres est un personnage qui s’est auto-construit et qui à chaque fois m’échappe un peu plus», explique-t-il dans cette interview où il se confie sans précaution.



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Cela fait plus de 40 ans que je connais Yves Tenret et j’ai déjà écrit plusieurs articles sur ses livres. Le dernier en date s’appelle Mon AVC et il y parle de l’accident vasculaire cérébral qui l’a envoyé à l’hôpital en 2016. Il parle de lui, comme souvent, et c’est à mon avis ce qu’il fait avec le plus de talent. C’est un bon livre.

Il me l’a fait envoyer par son éditeur et, depuis, il me demande avec insistance quand je vais en parler. Et si pour une fois je lui laissais faire le boulot?

Que raconte Mon AVC?  

Suite à un incident cardiaque, en novembre 2016, un homme passe quatre jours et quatre nuits au service de réanimation de la Pitié-Salpêtrière. Sa vie défile devant lui: sept décennies, la première à Bruxelles, la plus dure, sa mère l’abandonne, il passe d’internat en internat. Il y a ensuite celle où, à Lausanne, entre 20 et 30 ans, méritant comme jamais on ne le fut, il se reconstruisit entièrement, un bac libre, cinq ans d’université. La décennie suivante, c’est dix ans de bohème à Paris, jusqu’à la crise des 40 ans et la découverte du salariat dans une lointaine et frontalière école des beaux-arts. Une dernière aventure, une copine, deux enfants, 17 et 19 ans, quinze livres publiés, un journal intime de mille pages dont personne ne veut…

Cinquante styles se côtoient, issus des différentes sortes d’écritures que j’ai pratiquées tout au long de ma vie, depuis l’expérimental le plus imbitable, en passant par la critique de cinéma ou la critique d’art, jusqu’au plus foutraque des polars de kiosques de gare.

En quoi ce livre peut-il intéresser les gens qui ne vous connaissent pas?

Ce livre est intéressant pour les autres parce qu’il est très vivant, qu’il fout la pêche, la niaque, qu’il se lit facilement, qu’il est poétique, ironique, sexy et pas du tout morbide.  Après l’avoir lu, beaucoup de gens m’ont écrit pour me donner leur avis. Pratiquement tous parlent du style, du rythme, de la construction du livre. Le verbe «claquer» revient souvent. «C’est une langue qui claque, ça claque bien au vent, ça sonne juste», disent-ils. C’est donc tout d’abord une question de forme. Mais un minimum de dramatisation est nécessaire et quoi de mieux pour cela que de raconter qu’on a failli mourir, ou tout au moins devenir un invalide.

Ce livre a été une cérémonie, une transe.

Il y a ce mec qui a eu un AVC, qui pourrait être n’importe qui et qui a peur de mourir, et qui pense à sa vie lucidement, sans se cacher, qui a sincèrement peur. J’ai mis tellement de subjectivité dans Mon AVC que je n’en ai plus du tout en réserve. Ce livre n’est pas moi. Il est à l’extérieur de moi. C’était une cérémonie, une transe. Elle a eu lieu, elle est finie.

Vous avez toujours été nombriliste?

Je suis plus Stendhal que Flaubert, plus dans l’égotisme et un certain lyrisme que dans une description froide et objective du monde. J’ai toujours été fasciné par les autoportraits de Rembrandt. Cinquante tableaux, trente-et-une eaux-fortes et six dessins qui ne m’ont jamais semblé narcissiques.

Celui que dit «je» dans mes livres est un personnage qui s’est auto-construit.

Pour écrire sur soi, il faut écrire contre soi. Cela permet de maintenir une tension qui pousse à aller toujours plus loin dans l’analyse et la description du «petit homme», comme l’aurait dit Wilhelm Reich. Il ne me semble pas que les portraits que j’ai faits de moi dans mes différents ouvrages soient particulièrement flatteurs. Mais je peux me tromper bien sûr.

Je ne me sens pas du tout nombriliste et il n’y a personne de moins narcissique que moi. Celui que dit «je» dans mes livres est un personnage qui s’est auto-construit et qui à chaque fois m’échappe un peu plus. C’est un héros picaresque qui a appartenu à une frange ultra-minoritaire messiano-millénariste de l’ultragauche situationniste (Comment j’ai tué la troisième internationale situationniste, 2004, Ed. de la Différence) dont la mère était une prostituée (Maman, 2007, Ed. de la Différence) et qui a un vieux pote qui flingue tous ses autres amis pour des raisons qu’il n’arrive pas à comprendre (Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, 2015, Ed. de la Différence).

Il y a des photos de vous jeune dans le livre et vous en publiez régulièrement sur les réseaux sociaux. C’est pour oublier que vous vieillissez?  

Ces photos, dans mes livres ou sur les réseaux sociaux, ce n’est pas moi! Je suis très photogénique mais cette photogénie est un mensonge, un leurre. Elle ne dit rien de moi. Je suis un type angoissé, caractériel, agressif, chiant, alors que le mec qu’on voit sur les photos est un minet, une espèce de playboy à la con, un hippie à deux balles. Je ne m’occupe jamais de mon apparence. Je n’achète jamais de vêtements, je porte ceux qu’on me donne. Je ne mets aucune crème sur ma peau, je vais une fois par an chez le coiffeur, je ne me parfume pas, je suis totalement indifférent à mon apparence. Les photos de moi montrent un personnage, je m’en sens très loin. Et puis, il y a le syndrome Facebook, pute-à-clic, et je reconnais que j’arpente tous les jours les trottoirs virtuels en cherchant à placer mes productions littéraires aux quidams qui surfent devant leurs écrans: je leur vends de l’image et de petites phrases incisives ou poétiques.

Vous faites la liste de nombreuses femmes avec lesquelles vous avez vécu ou couché. Vous n’avez pas l’impression que ça fait un peu tableau de chasse?  

La métaphore sur la chasse nous engage dans une fausse voie. Il n’y a là rien de prédateur. Je ne suis pas un propriétaire, je ne possède nul endroit où entasser des trophées. Il s’agit plutôt de rapports plein de douceur entre des paumés, d’une errance partagée. Ceci n’exclut pas la passion mais les jeunes filles et les femmes ont été pour moi des havres de paix, le seul lieu-espace où je pouvais me laisser un peu aller, abandonner pour un instant mon masque de cynisme, être moi-même, aimer et me laisser aimer. Et, en fait, à y revenir, ce qui me frappe dans le portrait peint dans Mon AVC, c’est plutôt qu’il s’agit de l’inverse du héros en Tartarin de Tarascon. C’est la façon si héroïque que j’ai d’assumer ce que je suis aujourd’hui, toute l’honnêteté que je mets en définitive dans ce portrait d’un mec quelconque, un type marié, avec deux enfants, qui bénéficie d’une retraite minable et qui a ses moments d’amertume et des petits problèmes de santé, Mr Tout-le-Monde, vous et moi.

J’ai parfois l’impression que le seul sujet qui vous intéresse, c’est vous, votre vie…  

Oui, sans doute que je suis égotiste et que j’héroïse ma vie de glandeur. Comme l’ont fait Henry Miller ou Charles Bukowski, toutes proportions gardées… En m’occupant de moi-même, j’ai l’impression d’être généreux avec les autres. Je me rends bien compte que cela à l’air d’une boutade mais ce n’en est pas une. Je laisse beaucoup de liberté à mes proches, d’autonomie. Je trouve que ceux qui s’occupent des autres sont oppressifs, envahissants et souvent, que cela soit apparent ou non, autoritaires.

Vous avez de l’empathie pour les autres?

Plutôt qu’empathique, je me dirais bon camarade de jeu. Je m’intéresse aux gens, aux vieux, aux enfants, aux femmes. Ils m’arrivent même d’être angoissé pour eux. Je marche dans la rue et ça me prend d’un coup, me tétanise. J’ai peur qu’il leur arrive quelque chose, très peur même parfois. Et la marque la plus flagrante de mon empathie est que je souffre lorsque je fréquente quelqu’un dont je sens qu’il désire désespérément réaliser l’une ou l’autre de ses potentialités et qu’il n’y arrive pas. Dans ces cas-là, je lui offre toujours mon aide. L’empathie est un concept un peu paternaliste, une qualité plutôt bourgeoise. Moi, je me sens plus fils que père – sans doute parce que je n’ai pas eu de père – et je n’ai pas tant de surplus que ça, passé mes activités quotidiennes, à offrir au tout-venant. Oui, je fuis les responsabilités, les frais fixes, les corvées.

J’ajoute que j’ai été prof pendant 25 ans et que je crois avoir été un prof compétent, généreux et toujours des plus disponibles.

Qu’est-ce que vous aimeriez que je dise de votre livre? 

J’aimerais que vous disiez, puisque votre article sera publié dans Bon Pour La Tête, que j’y parle de Lausanne, que c’est grâce à Michel Thévoz (historien de l’art, ndlr) que mon premier livre a été publié car il m’avait fait une lettre de recommandation pour l’éditeur, que si je m’en suis sorti dans le vie, c’est parce que j’ai rencontré, à 21 ans, une femme qui m’a emmené chez elle et qu’avec l’accord de ses parents j’ai pu préparer un bac comme candidat libre et ensuite passer cinq ans, dont je ne garde que d’excellents souvenirs, à l’université de Lausanne.

Et qu’à 40 ans, rebelote, j’ai eu une crise, comme celles qui sont décrites dans les magazines féminins, et que je n’arrivais plus à me prendre en charge et qu’à ce moment-là Nicolas Raboud (historien de l’art, ndlr) m’a accueilli chez lui à Bex et m’a quasi sauvé la vie.

Dites aux gens de chez vous que je leur suis très reconnaissant de tout ce qu’ils ont fait pour moi.


Mon AVC, Yves Tenret, Médiapop Editions, 104 page.


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