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Culture / «Platzspitzbaby»: les enfants de la drogue qui s’en seront sortis


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Dans son film, Pierre Monnard relate, avec quelques libertés d’adaptation, l’histoire autobiographique de Michelle Halbheer, fille d’une mère toxicomane qui fréquentait le Platzspitz de Zurich. Entre ses quelques défauts et ses nombreuses qualités, «Platzspitzbaby» − «Les enfants du Platzspitz» − est une œuvre poignante. Le portrait d’une enfance meurtrie que la vie rattrape malgré tout.



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«Dédié à tous les enfants oubliés.»

Jeune fille de dos, elle avance. Puis on la voit de face. Et le plan s’élargit. Cadre louche, cadre hostile. Mia, onze ans, est au beau milieu du parc Platzspitz. Elle appelle: «Mami!» A la recherche de maman, dans cet endroit tristement célèbre au centre de Zurich. Elle retrouve sa mère; le père arrive aussi. On sort la petite du parc. Elle attend dans une voiture, pendant que ses parents se disputent à coups d’insultes, à coups de poing. L’enfant se désole du spectacle auquel elle assiste. Elle ferme les yeux, elle s’isole, casque de walkman à cassette sur les oreilles, et la dure réalité s’apaise le temps d’une chanson: Sloop John B des Beach Boys. 

La plus grande scène ouverte de la drogue en Europe

Pierre Monnard met à l’écran, avec quelques libertés d’adaptation, l’histoire de Michelle Halbheer, qu’elle-même avait déjà racontée dans son autobiographie Platzspitzbaby, parue en 2013. Fille d’une mère toxicomane, qui fréquentait justement le parc Platzspitz. Pour la petite histoire – qui a donné naissance toutefois à de grands drames –, ce parc a été, du milieu des années quatre-vingt jusqu’au 5 février 1992, la plus grande scène ouverte de la drogue en Europe. 

La trame du film se situe au moment de l’évacuation abrupte du parc. Les toxicomanes se retrouvent livrés à eux-mêmes, avec des aides aussi minimales que maladroites. C’est exactement ce qui est arrivé à Michelle. Et ce qui arrive à Mia, son alter ego au cinéma, qui est placée dans un logement social avec sa mère Sandrine, forcée d’abstinence d’un jour à l’autre. Malgré la bonne volonté que l’on croit apercevoir de la part de la mère, le sevrage est impossible au bout de quelques semaines. La dépendance est trop forte. Le corps tremble. Et vu que les contrôles se font de plus en plus sévères pour la mère qui se voir menacée de perdre son enfant si elle ne se prend pas en charge, elle finit par utiliser sa propre fille pour se fournir en drogue. Dans des zones bien lugubres. 

Drogue qui coûte, qui coûte trop cher; drogue qui finit par manquer. Sandrine est au bout, elle devient violente avec sa propre fille, qui lui pardonne néanmoins toujours tout. Mais Mia commence elle aussi du haut de ses onze ans à prendre conscience de la spirale infernale dans laquelle elle est engagée, de la responsabilité trop lourde qui pèse sur ses épaules. Un enfant n’a pas à s’occuper de sa mère, à la réveiller, à lui servir son petit déjeuner, à supporter ses cris, ses caprices, ses emportements. 

Une vraie réussite

A travers le personnage de Mia, magnifiquement interprété par une jeune Luna Mwezi dont on entendra encore parler, le réalisateur souhaite rendre hommage à tous les enfants de toxicomanes, particulièrement ceux dont les parents fréquentaient le parc Platzspitz. L’intention est bonne, le résultat au niveau artistique aurait pu ne pas l’être. Un sujet sorti tout droit de la réalité, qui plus est touchant, n’assure pas une œuvre de qualité. Surtout pas dans la complaisance ou la prétention. Là, en l’occurrence, le film est une vraie réussite. 

Non pas que le long-métrage de Pierre Monnard soit exempt de défauts. Non pas que ce film soit «bien pour un film suisse»: stop! cessons le chauvinisme artistique qui regarde toujours les œuvres suisses avec une tendresse mièvre mâtinée d’autosuffisance qui n’est autre que de la pitié pour les œuvres médiocres. Qu’il fût français ou américain, Platzspitzbaby a quoi qu’il en soit de la gueule. Vraiment. Et il est sacrément touchant. Le sujet émeut, oui, mais c’est la mise en scène précise et travaillée qui porte cette émotion. Jeu convaincant entre l’obscurité et la clarté. Clarté des plans où Mia s’évade de chez elle, pour découvrir l’insouciance qui est due à l’enfance, pour découvrir l’amitié, et même les amourettes. Obscurité en revanche des scènes à domicile où la tristesse règne, dans une ambiance carrément macabre avec une mère qui se drogue et qui hurle. En plus de ce contraste, la caméra opère mise en image subtile des passages souterrains, symboles de la vie des villes, de la vie underground, dans le désespoir et la misère. 

Qui dit les qualités se doit également de dire les défauts, c’est le propre d’une attitude critique et respectueuse de l’œuvre. La maladresse est à mon sens énorme de la part du réalisateur d’avoir fait jouer à un acteur l’ami imaginaire de Mia qui chante, notamment Sloop John B des Beach Boys. La simple suggestion, par la présence des chansons, sans personne pour la chanter, aurait amplement suffi. Là, avec cet ami imaginaire vêtu de façon improbable, il n’y a qu’un seul effet: la lourdeur.

Autre maladresse: la représentation dégradante des acteurs sociaux et des personnes extérieures qui cherchent à aider Mia. Son assistante sociale passe pour une pimbêche de première, son enseignant bien que sympathique n’a pas l’air d’avoir grand-chose dans la crâne, et sa voisine âgée a tout de la bünzli désagréable, lâche et dépassée. 

L'enfance meurtrie qui s'en est sortie

Entre ses quelques défauts et ses nombreuses qualités, Platzspitzbaby est une œuvre poignante. Le portrait d’une enfance meurtrie que la vie rattrape malgré tout. Michelle Halbheer s’en est sortie, comme elle le raconte dans son livre. La scène finale du film indique que Mia a devant elle tout un horizon d’espoir, malgré la disgrâce d’avoir eu une mère qui s’est égarée et qui père qui paraît avoir lâché l’affaire malgré la volonté de protéger sa fille. 

Mia c’est tous les enfants victimes des erreurs de leurs parents, de l’indifférence des politiques; Mia c’est tous les adolescents abandonnés à l’errance, à la beuverie, à la fumette; Mia ce sera toutes ces femmes et tous ces hommes qui auront dépassé le tragique de leur existence. Tous ceux qui ont été les baby de la Platzspitz, les fils de la toxicomanie, et qui ont réussi à se construire loin des démons qui ont détruit leurs parents.


Platzspitzbaby, film suisse de Pierre Monnard avec Sarah Spale, Luna Mwezi, Michael Schertenleib... 2020. 

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