Culture / «Les démons» vous emmènent au septième ciel
Les Démons, le dernier roman de Simon Liberati, emprunte son titre à Dostroïevski. Avec une dose de légèreté pop qui change tout. © DR
Un roman fou. Excitant, dans tous les sens du terme. Pour deux raisons: son ambiance libertine et légère, son érotisme à foison. Dans un style pimpant, voire léché. Mais aussi saillant, explosif. Avec «Les démons» de Simon Liberati, c’est parti pour une aventure littéraire hors du commun! Dès les premières pages ce livre choque, transgresse et ravit.
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Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'subtitle_edition' => 'Souffle de poésie, d’horreur et de vérité romanesque ayant donné vie à un ouvrage qui aura mis plus de dix ans à la recevoir, cette vie: «Anima» (2012). Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'content' => '<p>Le récit s’ouvre sur la scène d’un roman policier. Un homme rentre chez lui et trouve sa femme morte. S’ensuivrait une enquête policière aux mille-et-un rebondissements qui feraient vivre le suspense, mais il n’en est rien. Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)</p> <p>A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre <i>Anima </i>est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. Le Christ donne sa vie pour que tous aient la vie éternelle, Wahhch donne son âme pour que chacun retrouve la sienne. </p> <h3>La voix animale</h3> <p>La caractéristique la plus notable du roman, qui constitue sa poésie et son originalité, c’est sa narration animale. Trois des quatre parties du livre sont prises en charge par des animaux, des animaux non-humains. En réalité, on pourrait considérer que toute l’œuvre est portée par la voix animale, dans la mesure où l’homme est bien considéré en tant qu’animal parmi les animaux dans la quatrième partie. Le titre de celle-ci, «Homo sapiens sapiens», vient à la suite d’autres termes scientifiques qui indiquent le nom de l’animal qui pose un regard décalé du nôtre et qui narre la réalité qu’il observe.</p> <p>Une telle entreprise aurait pu assez facilement virer à la catastrophe. Elle marque néanmoins le coup de génie du roman. Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.</p> <p>Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures. </p> <h3>Le passage de l'âme</h3> <p>Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. 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C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’<i>Anima</i>. 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Cadre gothique et pop à la fois. La fratrie des jeunes Tcherepakine vit dans un château. La mère est morte, le père absent et indifférent. La grand-mère est là, mais tout le monde s’en fout. Deux frères, une sœur: Serge, Taïné, Alexis. Jeunesse qui s’ennuie… et qui s’adonne à des plaisirs interdits. L’aîné Serge couche avec sa sœur, cependant qu’Alexis le cadet, quinze ans à peine, passe de lit en lit avec des garçons plus âgés.
Mais rapidement la famille vit le drame. Serge et Taïné roulent de nuit dans Paris et bam, l’accident: lui trouve la mort, elle est défigurée. Malgré l’horreur, Taïné et Alexis reviennent à la vie, à la vie de folie. Voyages, sexe, drogue et mélancolie pour ces deux jeunes des sixties, en fréquentant du beau monde. S’adonnant à tous les excès, au bling-bling, au tragique, jusqu’à l’écœurement.
L'ambiance libertine
Entre fiction et réalité, l’ambiance convoque la jet-set de l’époque: Louis Aragon, Elsa Triolet, Truman Capote, Andy Warhol, Brigitte Bardot, James Brown, Johnny Hallyday, Emmanuelle Arsan entre autres people. Ce sont autant d’intimes, ou presque, de Taïné et Alexis. Avec eux, toutes les folies sont permises. Tous les écarts du récit. Liberati nous emmène tant à Cannes qu’au Flore au à Bangkok. Il flirte sans cesse avec le burlesque. Entre différentes destinations, différentes aventures, les personnages tournoient comme dans un bal. La tête commence à tourner, on finit par se perdre. Mais dans ce roman, on aime se perdre.
On se perd dans la nostalgie du temps insouciant de la jeunesse où vivre, c’est risquer sa vie à chaque instant. Pour le meilleur et pour le pire, comme en amour. Et pourtant, pas de quoi s’en faire, on trouve toujours de quoi s’arranger. On trouve toujours de quoi passer le temps: on lit, on essaie d’écrire, on regarde des films, on va à des concerts, on organise des fêtes, on boit des coups, on se drogue, on baise, on baise beaucoup. Cette ambiance est enivrante: repoussante à la raison du lecteur, mais terriblement attirante à ses sentiments, à ses tripes.
L'érotisme à foison
Tout comme le sexe. Ses scènes, où Liberati se lâche plus que jamais, donnent autant envie de vomir que de jouir. L’inceste ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus recommandé en matière de sexualité, considéré comme un crime dans notre culture. D’ailleurs, au début des jeux interdits, Serge lui-même pense au suicide tant il a honte. Pourtant l’érotisme tellement subtil, charnel et palpitant dans lequel il est raconté donne au lecteur d’oublier un instant que les protagonistes sont frère et sœur. Pour plonger pleinement dans ce pur moment de sensualité. Et d’autres scènes de passion charnelle… sans trop vous en dire, attendez-vous à ce qui se pratique couramment dans la pornographie, avec son lot de voyeurisme et de brutalité. Mais un voyeurisme auquel l’auteur nous convie avec élégance, et une brutalité dans la délicatesse des mots. Liberati écrit en maître du sexe.
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Au septième ciel
L’expérience des Démons est nostalgique, exotique et sexuelle. Et bien sûr littéraire. L’ennui des Démons, c’est l’ennui de Madame Bovary de Flaubert. Les personnages des Démons, ce sont les personnages de la «Comédie humaine» de Balzac. Le titre des Démons, c’est du Dostoïevski, avec sa critique du nihilisme. Taïné, Alexis et toute leur bande de copains mènent la vie de nihilistes avec lesquels on rit jaune, on déguste, on s’émeut, on angoisse, mais on s’égare, on se détend, on s’amuse. Bonne littérature, érotisme, spectacle de passions humaines et une bonne dose de légèreté, ça fait du bien. Ça vous emmène au septième ciel, avec des démons.
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Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.</p> <p>Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures. </p> <h3>Le passage de l'âme</h3> <p>Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. Perdant la vie, il retrouve son <i>humanité canine</i>.</p> <p>Le chien cite Wahhch, qui est en train de retrouver ses mots et d’accueillir le chien véritablement comme son compagnon, son frère qui le suivra jusqu’au bout: «Je te donnerai ma voix, je te donnerai ma langue, tu me donneras tes silences, tu me donneras ton présent.» (p.360) Le transfert de la parole est clair. Par le transfert de l’âme, il y a aussi celui de l’intelligence et du discernement. Le chien est un guide. Lorsque son maître et protégé l’oblige à monter dans une voiture qu’il ne <i>sent</i> pas, le chien se retrouve kidnappé, et Wahhch regrette aussitôt de n’avoir pas écouté <i>son</i> discernement, à savoir celui de son chien. Une conversion se vit néanmoins chez l’homme lorsqu’il estime juste de se séparer du chien pour poursuivre son voyage mais qu’il cède finalement au désir éclairé du chien. «C’est ton chien! C’est l’âme retrouvée de Rooney que tu as à tes pieds. 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C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’<i>Anima</i>. 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