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Au même moment, l’écrivain et journaliste français Jean-Richard Bloch (1884-1947), figure de la vie intellectuelle et de l’antifascisme, se trouve en Suisse. ',
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<p><em>Ce Soir</em>, tiré à environ 200’000 exemplaires avant-guerre, est le journal du Front Populaire et un grand soutien de la République espagnole. Dès sa création, les collaborateurs, parmi lesquels Paul Nizan, André Lhote, Andrée Viollis et les photographes Henri Cartier-Bresson, Gerda Taro, Robert Capa et David Seymour, documentent la montée du fascisme en Europe. C’est une vigie particulièrement attentive aux visées expansionnistes de l’Allemagne hitlérienne. D’où sa large couverture, en textes et images, de l’entrée des nazis dans Vienne. </p>
<p>Le 18 mars, cinq jours après l’Anschluss, Jean-Richard Bloch télégraphie à la rédaction de <em>Ce Soir</em>, depuis Zurich, les premières impressions recueillies sur place: «La Suisse trahit en ce moment son inquiétude»; «Le Suisse est calme, pondéré, immunisé contre les sursauts nerveux, jusqu’à l’instant où la colère le prend. Alors il devient terrible.» Suit une grande enquête en dix épisodes, publiée du 5 au 17 avril 1938 sous le titre «La Suisse en danger». </p>
<p>Pourquoi la Suisse, alors qu’au même moment l’Espagne est à feu et à sang, que la Tchécoslovaquie vit les prémices de la crise des Sudètes, que la Pologne comme les pays Baltes craignent pour leur indépendance et que le Royaume-Uni et la France ne veulent se résoudre à préparer la guerre? </p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617700487_kulturkarte_des_deutschen_westens_1940_..._btv1b102095453.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="535" height="764" /></p>
<h4><em>Une <i>Deutsche Kulturkarte</i>, celle-ci datée de 1940. © Numistral</em></h4>
<h3>«Aux frontières de la croix gammée et du faisceau»</h3>
<p>D’abord parce que la Confédération, comme l’écrivait encore Bloch le 18 mars, «figure sur la carte ‘officielle’ du Reich futur de Hitler» la <i>Deutsche Kulturkarte</i>, largement diffusée par la propagande. Sur les 4,3 millions de citoyens suisses recensés à l’époque, l’OFS indique que près des trois quarts sont germanophones (contre 20% de francophones, 5% d’italophones). Le risque de tentative d’annexion de la Suisse, parce que sa population serait majoritairement de culture et de langue germanique, est, dans l’esprit de Jean-Richard Bloch et de nombre d’antifascistes français comme suisses, réel. </p>
<p>Ensuite, sur le plan géographique: «La Suisse n’a plus que trois voisins», dont un seul, la France, n’est pas (encore) tombé aux mains des fascistes, appuie Bloch. Une partie de l’enquête est donc consacrée à l’examen, d’abord de la frontière suisso-allemande, ensuite des verrous défensifs qui, s’ils étaient pris, ouvriraient la voie vers la France. </p>
<p>Au nord, la «frontière biscornue» ne suit pas le cours du Rhin. Elle est faite, en vestige des guerres de territoires médiévales, d’enclaves, d’îlots allemands en territoire suisse, et vice-versa. Cela crée des complications aux voyageurs du chemin de fer: pour aller de Schaffhouse à Zurich, la ligne directe traverse un district allemand, et même si le train ne s’arrête pas, les voyageurs sont tenus de posséder un visa du Reich. A l’inverse, si vous voyagez en Suisse et que votre train suisse entre en gare allemande de Constance, à condition de ne pas quitter le wagon, vous serez toujours en territoire suisse. </p>
<p>Les autorités suisses, raconte Jean-Richard Bloch, se plient semble-t-il avec stoïcisme à ces exigences. A tort. En Argovie, le long de la frontière, se trouvent deux villes, Zurzach et Koblenz (Suisse, à ne pas confondre avec Koblenz, Allemagne), qui constituent «une tête de pont d’importance européenne». En plus de la forteresse sise sur les hauteurs de la ville, un autre fort fait face à Schaffhouse et trois autres sont disposés sur la rive du Rhin en direction d’Eglisau. Prendre Koblenz, ville du confluent de l’Aar et du Rhin, donne accès à la Sarine, puis au canton de Vaud, ou encore à Zoug, Neuchâtel, Genève, et au-delà, la France... </p>
<p>La situation est d’autant plus préoccupante que des avions allemands survolent régulièrement et «insolemment» le système défensif, la «ligne Maginot» helvétique, comme Bloch la qualifie alors. Dans les villes et villages frontaliers, des exercices d’alerte ont lieu, au cri de ralliement de «A bas le Schwab!». </p>
<p>D’autres verrous historiques, que sont les passages du Saint-Gothard, du Simplon et du Grand-Saint-Bernard ont également repris, à cause du voisinage de l’Italie fasciste, leur «importance millénaire». </p>
<p>Est aussi longuement souligné l’intérêt de la «serrure» de Saint-Maurice. Voie historique pour une invasion militaire, le «petit Gibraltar helvétique» est défendu depuis le début des années 1930 mais aussi convoité par les services secrets italiens. </p>
<p>Pour donner du poids à son raisonnement, le journaliste présente comme une édification à ses lecteurs français un plan (imaginaire, mais facile à imaginer) d’invasion de la Suisse par l’Allemagne au Nord et l’Italie au Sud. Cela n’a rien de «rêveries du café du Commerce», écrit-il. Et d’avancer: le renseignement militaire italien s’intéresse, avec des complicités helvétiques, au système de défense de la vallée du Rhône.</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617700901_capturedcran2021032312.37.54.png" class="img-responsive img-fluid normal " width="403" height="722" /></p>
<h4><em>A la Une de </em>Ce Soir<em>, le 17 avril 1938. © Gallica/BNF</em></h4>
<p>«Un journal renseigne, n’affole pas», telle était la devise publiée dans les premiers numéros de <em>Ce Soir</em> en mars 1937. D’un strict point de vue géographique, donc, la Suisse se trouve bel et bien «en danger». Jean-Richard Bloch en appelle à la mobilisation, avant tout des consciences, et à la «sécurité collective». «Aux frontières de la croix gammée et du faisceau», «la Suisse en danger, ce n’est pas seulement une menace injuste contre un peuple ami, honnête, simple, laborieux, foncièrement pacifique et républicain. C’est aussi la France en danger.»</p>
<h3>La cinquième colonne</h3>
<p>La force de l’enquête, outre sa démonstration géostratégique, réside aussi dans l’exposition des dangers qui menacent directement et de l’intérieur la Confédération à l’aube de la Seconde guerre mondiale. </p>
<p>La population, note le visiteur en écoutant les conversations autour des kiosques à journaux, dans les cafés et les commerces, fulmine contre «la cinquième colonne», une expression née de la guerre d’Espagne et qui désigne l’infiltration de partisans nationalistes dans le camp républicain. Et une affaire en particulier est sur toutes les lèvres, dans la région et la ville frontalière de Zurzach (aujourd’hui Bad Zurzach, Argovie): l’affaire Mallaun, «l’affaire la plus troublante pour l’intégrité nationale de la Confédération, (...) le point de départ de révélations graves pour la conscience du peuple helvétique et la sécurité de l’Occident».</p>
<p>Au cours d’un voyage à Berlin, en 1935, l’entrepreneur en construction Mallaun avait été arrêté, sous le prétexte fallacieux courant à l’époque, trafic de devises. Après un séjour dans une prison allemande et une évasion rocambolesque, une année plus tard, Mallaun fait irruption dans une réunion des électeurs de Zurzach et révèle les véritables circonstances de son arrestation. Il dit avoir été livré à la Gestapo par un des agents suisses de la police politique nazie, le propre président de commune de Zurzach, le colonel Keusch, avec lequel il avait un démêlé personnel. Scandale. S’en suit un procès en diffamation, au cours duquel Mallaun apporte des preuves de la collusion du président avec la police allemande. L’enquête et les perquisitions confirment: à Zurzach comme ailleurs en Argovie, la Gestapo intervient directement et ouvertement dans des litiges entre des citoyens suisses. Confondu comme agent du IIIème Reich, Keusch est très brièvement emprisonné, ainsi qu’un juge fédéral de ses complices. </p>
<p>Un scandale qui fait date, certes, mais qui ne surprend pas les citoyens suisses engagés depuis de nombreuses années dans la lutte contre la montée des fascismes, ni même ceux qui, loin de toute préoccupation partisane, tiennent simplement à l’indépendance et à la neutralité de la Suisse. Les petites comme les grandes affaires de collusion d’officiels avec le parti nazi, d’infiltration d’agents allemand agitateurs, de complaisance, même, des autorités fédérales tant avec l’Allemagne qu’avec l’Italie, Jean-Richard Bloch en dresse un inventaire partiel. </p>
<p>C’est une minorité agissante mais souvent bien placée dans la hiérarchie politique et militaire (on l’a vu avec l’exemple du colonel Keusch), et au fort pouvoir de nuisance. Ce sont des petits groupes qui ont fait allégeance à l’Allemagne, qui se saluent à la manière nazie, le bras tendu en criant «Heil Hitler» et jurent, par exemple, de «liquider la franc-maçonnerie» en Suisse. </p>
<p>Ces groupes sont parfois constitués en partis politiques, voire financés directement par le ministère de la propagande de Joseph Goebbels. La Force nationale suisse, association fondée en 1926 par le colonel vaudois Fonjallaz, est tournée vers l’imitation du fascisme romain. L’Union Nationale, du Genevois Georges Oltramare, est sans doute la plus connue, par les activités ultérieures de son fondateur en France occupée. Elu au Conseil national en 1935, Oltramare est ouvertement antisémite, cherche à faire interdire la Franc-maçonnerie en Suisse et se fait appeler «le petit Duce». Le frontisme, mouvement politique d’extrême-droite, agrégeant plusieurs partis antisémites et proches du nazisme, tente une «marche sur Berne» en 1937, avant que ne soit prouvée leur affiliation à la Gestapo. </p>
<p>Les chiffres ne sont pas énormes: le Front National, parti fascisant le plus puissant de Suisse alémanique, compta jusqu’à 9’000 adhérents en 1935. «Il y a 140 000 Allemands en Suisse, avance Jean-Richard Bloch, dont 10% sont des nazis militants. Il existe une section nazi (sic) officielle dans chaque ville et 18 organisations diverses (pour la jeunesse, les femmes, les anciens combattants, les jeunes filles, les gymnastes, les étudiants et même pour les dames tricoteuses !), toutes affiliées au centre de Berne, qui travaille sous la direction de son chef, Koderle (Richard Koderle, directeur du bureau étranger du NSDAP pour la Suisse, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, <em>ndlr</em>), résidant à Berlin».</p>
<p>La majorité silencieuse y est plutôt hermétique. Mais on craint, du côté du gouvernement, des représailles politiques si la tension venait à monter entre militants fascistes et citoyens suisses. «Tous les peuples ne sont pas immunisés», avertit Bloch. </p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617900072_800pxjenny_de_vasson_j_r_bloch.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="575" height="792" /></p>
<h4><em>Jean-Richard Bloch en 1915 par Jenny de Vasson. </em></h4>
<p>Avant mars 1938 et le tournant de l’Anschluss, les diverses compromissions des politiques suisses, l’indulgence relative envers les agitateurs et l’absence d’un dispositif légal contre l’espionnage ont permis aux idées fascistes de progresser. A Schaffhouse, Jean-Richard Bloch rencontre Schmied Amann, fondateur du Parti des paysans schaffhousiens, engagé contre les mouvements fascistes. Lui et d’autres militants de gauche ne se bercent pas d’illusions: contre le fascisme, la réponse de la Suisse n’est de loin pas assez forte. </p>
<p>Cela se manifeste par exemple par une surveillance sourde de la presse. L’Allemagne cherche alors à établir avec la Confédération une «convention de presse» qui rendrait impossible la critique, dans les journaux suisses, du régime hitlérien... Cette idée a le soutien de certaines figures politiques, préférant jouer profil bas plutôt que de risquer «une réaction vive de Hitler». De fait, la moindre allusion insultante ou seulement critique aux dirigeants du IIIème Reich déclenche les excuses officielles de M. Motta, Président de la Confédération en 1937, et le journal reçoit un sévère avertissement. C’est arrivé à la <em>Volkszeitung</em> de St-Gall, après un article pointant «les symptômes de déséquilibre» de Hitler. </p>
<p>Sans réaction non plus des autorités fédérales, du moins d’après les renseignements recueillis par Bloch, la tête du directeur de l’<em>Arbeiterzeitung</em>, un journal argovien antinazi, a été mise à prix par les Allemands, ainsi que celle du président de la commune de Schaffhouse. La tension est à son comble et tout est bon pour éviter l’incident diplomatique. </p>
<h3>«La Suisse se ressaisit»</h3>
<p>Pour autant, la majorité silencieuse, par principe opposée à toute atteinte à l’indépendance de la Suisse, n’est aucunement abattue. Elle trouve même, et la presse antifasciste française, par la voix de Jean-Richard Bloch, avec elle, des raisons d’avoir confiance. </p>
<p>A Bâle, surnommée «<em>Rotes Basel</em>», Bâle la Rouge, où les socialistes et les sociaux-démocrates détiennent la majorité au Grand Conseil, une sorte de Front Populaire s’est constitué contre la propagande nazie. Mais les partis en lutte ouverte contre le fascisme ne se trouvent pas uniquement à gauche. La droite bourgeoise se montre également très hostile, surtout en Suisse alémanique, à la propagande active de ces mouvements.</p>
<p>Dans les Grisons, relève avec soulagement le reporter, on ne trouve nulle trace dans l’opinion d’irrédentisme italien ou allemand. </p>
<p>Enfin, c’est au Tessin, qui «a su se purger de l’infection», que la résistance au fascisme est la plus éclatante. Dès 1933, un parti fasciste satellite de Rome est créé. Aussitôt, la société et le monde politique local s’organisent spontanément pour contrer l’offensive et, l’année suivante, la tentative de «marche sur Bellinzone» est un échec retentissant. </p>
<p>«Quelle serait l’attitude du peuple suisse en cas d’une tentative des armées allemandes pour forcer le passage?» demande Jean-Richard Bloch aux citoyens rencontrés sur son chemin. Un chômeur installé près de la frontière orientale répond: «Il se lèverait tout entier ! (...) Nous sommes des démocrates, des hommes libres!» </p>
<p>Et cela se traduit depuis quelques mois dans les urnes. Soumise à la votation le 28 novembre 1937, menée par Arthur Fonjallaz et Georges Oltramare, l’initiative populaire «Interdiction des sociétés franc-maçonniques» est rejetée à près de 70% par le peuple et par tous les cantons à l’exception de Fribourg. </p>
<p>Le 21 mars 1938, une semaine après l’Anschluss, le Parlement suisse proclame une déclaration solennelle d’indépendance et de volonté d’indépendance. Il s’agit, en pratique, d’un Plan proposé par les élus socialistes sur une réforme financière, démocratique et militaire, avec en vue la défense nationale. Des commissions techniques sont créées, intégrant un représentant de chaque parti élu, des meetings communs réunissent membres de l’état-major et parlementaires socialistes. Le même jour, on enregistre un échec des partis pro-fascistes dans deux grandes villes, Zurich et Winterthur, et le Conseil de guerre de Zurich décide l’acquittement de presque tous les accusés, communistes compris, dans l’affaire des volontaires pour l’Espagne. </p>
<p>L’heure est à l’armement intellectuel contre la propagande nazie, encourage Jean-Richard Bloch à la fin de son enquête, à la «résistance psychique», contre le travail de sape de l’unité nationale par la propagande nazie. Mais le combat ne fait que commencer. Le journaliste laisse à ses lecteurs le soin de conclure ce qu’il en va du danger pour la Suisse, et pour la France, après cet état des lieux. </p>
<p>«La loi du fascisme est de ne pas laisser souffler l’imagination ou la sensibilité des humains». Il ne faut pas se laisser aller à combattre le fascisme avec ses propres armes, «s’abandonner aux sentiments élémentaires et primitifs». En perdant tout espoir, ajoute-t-il en cette veille d’une longue nuit pour l’Europe et l’humanité, nous devenons des proies. </p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617701917_initiative_maconnerie_1938_2_fr.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="475" height="671" /></p>
<h4><em>Affiche contre l'initiative d'interdiction de la franc-maçonnerie en 1937. © Gebrüder Fretz, Zürich</em></h4>
<hr />
<h4>Les faits sont portés depuis plusieurs décennies à la connaissance du grand public: la Suisse a eu une manière particulière de conserver la neutralité et l’intégrité de son territoire entre 1939 et 1945. Sur le sujet, récemment, nous signalons un documentaire, <em><a href="https://www.arte.tv/fr/videos/090598-000-A/les-coulisses-de-l-histoire/" target="_blank" rel="noopener">La neutralité suisse, l’art de la prospérité</a></em>, de Philippe Saada (2020), ainsi que la colossale étude de Ruth Fivaz-Silbermann, <em>La Fuite en Suisse, Les Juifs à la frontière franco-suisse durant les années de «la Solution finale» Itinéraires, stratégies, accueil et refoulement</em>, parue en 2020 aux éditions Calmann-Lévy. Sur les sympathisants nazis suisses et leurs actions au cours de la Seconde guerre mondiale, on lira également avec profit <em>Le Crime nazi de Payerne</em> de Jacques Pilet (réédition Livreo Alphil, 2017). </h4>
<p> </p>',
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<p><em>Ce Soir</em>, tiré à environ 200’000 exemplaires avant-guerre, est le journal du Front Populaire et un grand soutien de la République espagnole. Dès sa création, les collaborateurs, parmi lesquels Paul Nizan, André Lhote, Andrée Viollis et les photographes Henri Cartier-Bresson, Gerda Taro, Robert Capa et David Seymour, documentent la montée du fascisme en Europe. C’est une vigie particulièrement attentive aux visées expansionnistes de l’Allemagne hitlérienne. D’où sa large couverture, en textes et images, de l’entrée des nazis dans Vienne. </p>
<p>Le 18 mars, cinq jours après l’Anschluss, Jean-Richard Bloch télégraphie à la rédaction de <em>Ce Soir</em>, depuis Zurich, les premières impressions recueillies sur place: «La Suisse trahit en ce moment son inquiétude»; «Le Suisse est calme, pondéré, immunisé contre les sursauts nerveux, jusqu’à l’instant où la colère le prend. Alors il devient terrible.» Suit une grande enquête en dix épisodes, publiée du 5 au 17 avril 1938 sous le titre «La Suisse en danger». </p>
<p>Pourquoi la Suisse, alors qu’au même moment l’Espagne est à feu et à sang, que la Tchécoslovaquie vit les prémices de la crise des Sudètes, que la Pologne comme les pays Baltes craignent pour leur indépendance et que le Royaume-Uni et la France ne veulent se résoudre à préparer la guerre? </p>
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<h4><em>Une <i>Deutsche Kulturkarte</i>, celle-ci datée de 1940. © Numistral</em></h4>
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<p>D’abord parce que la Confédération, comme l’écrivait encore Bloch le 18 mars, «figure sur la carte ‘officielle’ du Reich futur de Hitler» la <i>Deutsche Kulturkarte</i>, largement diffusée par la propagande. Sur les 4,3 millions de citoyens suisses recensés à l’époque, l’OFS indique que près des trois quarts sont germanophones (contre 20% de francophones, 5% d’italophones). Le risque de tentative d’annexion de la Suisse, parce que sa population serait majoritairement de culture et de langue germanique, est, dans l’esprit de Jean-Richard Bloch et de nombre d’antifascistes français comme suisses, réel. </p>
<p>Ensuite, sur le plan géographique: «La Suisse n’a plus que trois voisins», dont un seul, la France, n’est pas (encore) tombé aux mains des fascistes, appuie Bloch. Une partie de l’enquête est donc consacrée à l’examen, d’abord de la frontière suisso-allemande, ensuite des verrous défensifs qui, s’ils étaient pris, ouvriraient la voie vers la France. </p>
<p>Au nord, la «frontière biscornue» ne suit pas le cours du Rhin. Elle est faite, en vestige des guerres de territoires médiévales, d’enclaves, d’îlots allemands en territoire suisse, et vice-versa. Cela crée des complications aux voyageurs du chemin de fer: pour aller de Schaffhouse à Zurich, la ligne directe traverse un district allemand, et même si le train ne s’arrête pas, les voyageurs sont tenus de posséder un visa du Reich. A l’inverse, si vous voyagez en Suisse et que votre train suisse entre en gare allemande de Constance, à condition de ne pas quitter le wagon, vous serez toujours en territoire suisse. </p>
<p>Les autorités suisses, raconte Jean-Richard Bloch, se plient semble-t-il avec stoïcisme à ces exigences. A tort. En Argovie, le long de la frontière, se trouvent deux villes, Zurzach et Koblenz (Suisse, à ne pas confondre avec Koblenz, Allemagne), qui constituent «une tête de pont d’importance européenne». En plus de la forteresse sise sur les hauteurs de la ville, un autre fort fait face à Schaffhouse et trois autres sont disposés sur la rive du Rhin en direction d’Eglisau. Prendre Koblenz, ville du confluent de l’Aar et du Rhin, donne accès à la Sarine, puis au canton de Vaud, ou encore à Zoug, Neuchâtel, Genève, et au-delà, la France... </p>
<p>La situation est d’autant plus préoccupante que des avions allemands survolent régulièrement et «insolemment» le système défensif, la «ligne Maginot» helvétique, comme Bloch la qualifie alors. Dans les villes et villages frontaliers, des exercices d’alerte ont lieu, au cri de ralliement de «A bas le Schwab!». </p>
<p>D’autres verrous historiques, que sont les passages du Saint-Gothard, du Simplon et du Grand-Saint-Bernard ont également repris, à cause du voisinage de l’Italie fasciste, leur «importance millénaire». </p>
<p>Est aussi longuement souligné l’intérêt de la «serrure» de Saint-Maurice. Voie historique pour une invasion militaire, le «petit Gibraltar helvétique» est défendu depuis le début des années 1930 mais aussi convoité par les services secrets italiens. </p>
<p>Pour donner du poids à son raisonnement, le journaliste présente comme une édification à ses lecteurs français un plan (imaginaire, mais facile à imaginer) d’invasion de la Suisse par l’Allemagne au Nord et l’Italie au Sud. Cela n’a rien de «rêveries du café du Commerce», écrit-il. Et d’avancer: le renseignement militaire italien s’intéresse, avec des complicités helvétiques, au système de défense de la vallée du Rhône.</p>
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<h4><em>A la Une de </em>Ce Soir<em>, le 17 avril 1938. © Gallica/BNF</em></h4>
<p>«Un journal renseigne, n’affole pas», telle était la devise publiée dans les premiers numéros de <em>Ce Soir</em> en mars 1937. D’un strict point de vue géographique, donc, la Suisse se trouve bel et bien «en danger». Jean-Richard Bloch en appelle à la mobilisation, avant tout des consciences, et à la «sécurité collective». «Aux frontières de la croix gammée et du faisceau», «la Suisse en danger, ce n’est pas seulement une menace injuste contre un peuple ami, honnête, simple, laborieux, foncièrement pacifique et républicain. C’est aussi la France en danger.»</p>
<h3>La cinquième colonne</h3>
<p>La force de l’enquête, outre sa démonstration géostratégique, réside aussi dans l’exposition des dangers qui menacent directement et de l’intérieur la Confédération à l’aube de la Seconde guerre mondiale. </p>
<p>La population, note le visiteur en écoutant les conversations autour des kiosques à journaux, dans les cafés et les commerces, fulmine contre «la cinquième colonne», une expression née de la guerre d’Espagne et qui désigne l’infiltration de partisans nationalistes dans le camp républicain. Et une affaire en particulier est sur toutes les lèvres, dans la région et la ville frontalière de Zurzach (aujourd’hui Bad Zurzach, Argovie): l’affaire Mallaun, «l’affaire la plus troublante pour l’intégrité nationale de la Confédération, (...) le point de départ de révélations graves pour la conscience du peuple helvétique et la sécurité de l’Occident».</p>
<p>Au cours d’un voyage à Berlin, en 1935, l’entrepreneur en construction Mallaun avait été arrêté, sous le prétexte fallacieux courant à l’époque, trafic de devises. Après un séjour dans une prison allemande et une évasion rocambolesque, une année plus tard, Mallaun fait irruption dans une réunion des électeurs de Zurzach et révèle les véritables circonstances de son arrestation. Il dit avoir été livré à la Gestapo par un des agents suisses de la police politique nazie, le propre président de commune de Zurzach, le colonel Keusch, avec lequel il avait un démêlé personnel. Scandale. S’en suit un procès en diffamation, au cours duquel Mallaun apporte des preuves de la collusion du président avec la police allemande. L’enquête et les perquisitions confirment: à Zurzach comme ailleurs en Argovie, la Gestapo intervient directement et ouvertement dans des litiges entre des citoyens suisses. Confondu comme agent du IIIème Reich, Keusch est très brièvement emprisonné, ainsi qu’un juge fédéral de ses complices. </p>
<p>Un scandale qui fait date, certes, mais qui ne surprend pas les citoyens suisses engagés depuis de nombreuses années dans la lutte contre la montée des fascismes, ni même ceux qui, loin de toute préoccupation partisane, tiennent simplement à l’indépendance et à la neutralité de la Suisse. Les petites comme les grandes affaires de collusion d’officiels avec le parti nazi, d’infiltration d’agents allemand agitateurs, de complaisance, même, des autorités fédérales tant avec l’Allemagne qu’avec l’Italie, Jean-Richard Bloch en dresse un inventaire partiel. </p>
<p>C’est une minorité agissante mais souvent bien placée dans la hiérarchie politique et militaire (on l’a vu avec l’exemple du colonel Keusch), et au fort pouvoir de nuisance. Ce sont des petits groupes qui ont fait allégeance à l’Allemagne, qui se saluent à la manière nazie, le bras tendu en criant «Heil Hitler» et jurent, par exemple, de «liquider la franc-maçonnerie» en Suisse. </p>
<p>Ces groupes sont parfois constitués en partis politiques, voire financés directement par le ministère de la propagande de Joseph Goebbels. La Force nationale suisse, association fondée en 1926 par le colonel vaudois Fonjallaz, est tournée vers l’imitation du fascisme romain. L’Union Nationale, du Genevois Georges Oltramare, est sans doute la plus connue, par les activités ultérieures de son fondateur en France occupée. Elu au Conseil national en 1935, Oltramare est ouvertement antisémite, cherche à faire interdire la Franc-maçonnerie en Suisse et se fait appeler «le petit Duce». Le frontisme, mouvement politique d’extrême-droite, agrégeant plusieurs partis antisémites et proches du nazisme, tente une «marche sur Berne» en 1937, avant que ne soit prouvée leur affiliation à la Gestapo. </p>
<p>Les chiffres ne sont pas énormes: le Front National, parti fascisant le plus puissant de Suisse alémanique, compta jusqu’à 9’000 adhérents en 1935. «Il y a 140 000 Allemands en Suisse, avance Jean-Richard Bloch, dont 10% sont des nazis militants. Il existe une section nazi (sic) officielle dans chaque ville et 18 organisations diverses (pour la jeunesse, les femmes, les anciens combattants, les jeunes filles, les gymnastes, les étudiants et même pour les dames tricoteuses !), toutes affiliées au centre de Berne, qui travaille sous la direction de son chef, Koderle (Richard Koderle, directeur du bureau étranger du NSDAP pour la Suisse, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, <em>ndlr</em>), résidant à Berlin».</p>
<p>La majorité silencieuse y est plutôt hermétique. Mais on craint, du côté du gouvernement, des représailles politiques si la tension venait à monter entre militants fascistes et citoyens suisses. «Tous les peuples ne sont pas immunisés», avertit Bloch. </p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1617900072_800pxjenny_de_vasson_j_r_bloch.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="575" height="792" /></p>
<h4><em>Jean-Richard Bloch en 1915 par Jenny de Vasson. </em></h4>
<p>Avant mars 1938 et le tournant de l’Anschluss, les diverses compromissions des politiques suisses, l’indulgence relative envers les agitateurs et l’absence d’un dispositif légal contre l’espionnage ont permis aux idées fascistes de progresser. A Schaffhouse, Jean-Richard Bloch rencontre Schmied Amann, fondateur du Parti des paysans schaffhousiens, engagé contre les mouvements fascistes. Lui et d’autres militants de gauche ne se bercent pas d’illusions: contre le fascisme, la réponse de la Suisse n’est de loin pas assez forte. </p>
<p>Cela se manifeste par exemple par une surveillance sourde de la presse. L’Allemagne cherche alors à établir avec la Confédération une «convention de presse» qui rendrait impossible la critique, dans les journaux suisses, du régime hitlérien... Cette idée a le soutien de certaines figures politiques, préférant jouer profil bas plutôt que de risquer «une réaction vive de Hitler». De fait, la moindre allusion insultante ou seulement critique aux dirigeants du IIIème Reich déclenche les excuses officielles de M. Motta, Président de la Confédération en 1937, et le journal reçoit un sévère avertissement. C’est arrivé à la <em>Volkszeitung</em> de St-Gall, après un article pointant «les symptômes de déséquilibre» de Hitler. </p>
<p>Sans réaction non plus des autorités fédérales, du moins d’après les renseignements recueillis par Bloch, la tête du directeur de l’<em>Arbeiterzeitung</em>, un journal argovien antinazi, a été mise à prix par les Allemands, ainsi que celle du président de la commune de Schaffhouse. La tension est à son comble et tout est bon pour éviter l’incident diplomatique. </p>
<h3>«La Suisse se ressaisit»</h3>
<p>Pour autant, la majorité silencieuse, par principe opposée à toute atteinte à l’indépendance de la Suisse, n’est aucunement abattue. Elle trouve même, et la presse antifasciste française, par la voix de Jean-Richard Bloch, avec elle, des raisons d’avoir confiance. </p>
<p>A Bâle, surnommée «<em>Rotes Basel</em>», Bâle la Rouge, où les socialistes et les sociaux-démocrates détiennent la majorité au Grand Conseil, une sorte de Front Populaire s’est constitué contre la propagande nazie. Mais les partis en lutte ouverte contre le fascisme ne se trouvent pas uniquement à gauche. La droite bourgeoise se montre également très hostile, surtout en Suisse alémanique, à la propagande active de ces mouvements.</p>
<p>Dans les Grisons, relève avec soulagement le reporter, on ne trouve nulle trace dans l’opinion d’irrédentisme italien ou allemand. </p>
<p>Enfin, c’est au Tessin, qui «a su se purger de l’infection», que la résistance au fascisme est la plus éclatante. Dès 1933, un parti fasciste satellite de Rome est créé. Aussitôt, la société et le monde politique local s’organisent spontanément pour contrer l’offensive et, l’année suivante, la tentative de «marche sur Bellinzone» est un échec retentissant. </p>
<p>«Quelle serait l’attitude du peuple suisse en cas d’une tentative des armées allemandes pour forcer le passage?» demande Jean-Richard Bloch aux citoyens rencontrés sur son chemin. Un chômeur installé près de la frontière orientale répond: «Il se lèverait tout entier ! (...) Nous sommes des démocrates, des hommes libres!» </p>
<p>Et cela se traduit depuis quelques mois dans les urnes. Soumise à la votation le 28 novembre 1937, menée par Arthur Fonjallaz et Georges Oltramare, l’initiative populaire «Interdiction des sociétés franc-maçonniques» est rejetée à près de 70% par le peuple et par tous les cantons à l’exception de Fribourg. </p>
<p>Le 21 mars 1938, une semaine après l’Anschluss, le Parlement suisse proclame une déclaration solennelle d’indépendance et de volonté d’indépendance. Il s’agit, en pratique, d’un Plan proposé par les élus socialistes sur une réforme financière, démocratique et militaire, avec en vue la défense nationale. Des commissions techniques sont créées, intégrant un représentant de chaque parti élu, des meetings communs réunissent membres de l’état-major et parlementaires socialistes. Le même jour, on enregistre un échec des partis pro-fascistes dans deux grandes villes, Zurich et Winterthur, et le Conseil de guerre de Zurich décide l’acquittement de presque tous les accusés, communistes compris, dans l’affaire des volontaires pour l’Espagne. </p>
<p>L’heure est à l’armement intellectuel contre la propagande nazie, encourage Jean-Richard Bloch à la fin de son enquête, à la «résistance psychique», contre le travail de sape de l’unité nationale par la propagande nazie. Mais le combat ne fait que commencer. Le journaliste laisse à ses lecteurs le soin de conclure ce qu’il en va du danger pour la Suisse, et pour la France, après cet état des lieux. </p>
<p>«La loi du fascisme est de ne pas laisser souffler l’imagination ou la sensibilité des humains». Il ne faut pas se laisser aller à combattre le fascisme avec ses propres armes, «s’abandonner aux sentiments élémentaires et primitifs». En perdant tout espoir, ajoute-t-il en cette veille d’une longue nuit pour l’Europe et l’humanité, nous devenons des proies. </p>
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<h4><em>Affiche contre l'initiative d'interdiction de la franc-maçonnerie en 1937. © Gebrüder Fretz, Zürich</em></h4>
<hr />
<h4>Les faits sont portés depuis plusieurs décennies à la connaissance du grand public: la Suisse a eu une manière particulière de conserver la neutralité et l’intégrité de son territoire entre 1939 et 1945. Sur le sujet, récemment, nous signalons un documentaire, <em><a href="https://www.arte.tv/fr/videos/090598-000-A/les-coulisses-de-l-histoire/" target="_blank" rel="noopener">La neutralité suisse, l’art de la prospérité</a></em>, de Philippe Saada (2020), ainsi que la colossale étude de Ruth Fivaz-Silbermann, <em>La Fuite en Suisse, Les Juifs à la frontière franco-suisse durant les années de «la Solution finale» Itinéraires, stratégies, accueil et refoulement</em>, parue en 2020 aux éditions Calmann-Lévy. Sur les sympathisants nazis suisses et leurs actions au cours de la Seconde guerre mondiale, on lira également avec profit <em>Le Crime nazi de Payerne</em> de Jacques Pilet (réédition Livreo Alphil, 2017). </h4>
<p> </p>',
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'content' => '<p>Entre 1912 et 1948, nous apprend ce livre, les Jeux olympiques modernes tels que ressuscités par Pierre de Coubertin intégraient des épreuves artistiques. Des médailles d’or, d’argent et de bronze distribuées dans les catégories peinture, sculpture, architecture, littérature... Suivant un idéal antique: <em>mens sana in corpore sano, </em>Coubertin croyait nécessaire de pratiquer à la fois sports et arts. Centré sur les Jeux de Paris de 1924, le récit offre un panorama vivant et riche du monde du sport durant les Années folles. On ne peut bien sûr s’empêcher de comparer les deux olympiades, à un siècle d’écart. Alors, la figure de l’écrivain-sportif avait les faveurs de la critique. Le jury des épreuves artistiques comptait Jean Giraudoux, Paul Claudel, ou encore Edith Warthon dans ses rangs; Henry de Montherlant, favori pour la médaille en littérature, ne l’obtint finalement pas... Au profit d’un certain Géo-Charles, inconnu jusque là et oublié depuis. Louis Chevaillier nous rappelle que les Jeux olympiques, comme le sport en général, étaient il y a un siècle une affaire de <em>gentlemen</em> et donc de riches amateurs. Jusqu’au mitan du XXème siècle, être athlète «professionnel» constituait une infamie. Et plus infamant encore aux yeux de Coubertin lui-même: le sport féminin... Le baron dit n’avoir jamais rien vu de plus laid qu’une femme sur une luge. On cantonne les sportives à quelques disciplines «inoffensives», puis le régime de Vichy interdira complètement la pratique du sport de haut niveau aux femmes. Leur corps n’appartient-il pas à leur époux et à la patrie? Bien des choses ont été balayées, réformées, dépoussiérées depuis la fin du XIXème siècle. A commencer par les épreuves artistiques et littéraires, qui ont fait long feu. D'autres se sont ancrées durablement dans la tradition et l'esprit olympiques. Ce livre est aussi l’occasion de s’interroger sur la nature même de l'art. Peut-on associer poésie et littérature au spectacle et au spectaculaire? A la quête de la performance? Le dépassement de soi en art se fait bien plutôt en silence à l’ombre de l'atelier. Imagine-t-on les lauréats du Goncourt juchés sur un podium? Peut-être qu’un «esprit sain dans un corps sain» n’est plus un horizon à atteindre, au temps de la XXXIIIème olympiade de l’ère moderne.</p>',
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'content' => '<p>Carlos Ramirez, 26 ans, est enseignant et réside à Barcelone. Sur les images prises par les reporters de la télévision américaine, il arbore un t-shirt orange vif sur lequel il est écrit en grosses lettres: «<em>tourists, go home</em>», «les touristes, rentrez chez vous». Il dénonce la hausse spectaculaire des prix de l’immobilier dans la capitale catalane. Même avec un salaire décent comme celui de Carlos, il est devenu quasi-impossible de louer un appartement en centre-ville, à moins de décrocher une place dans une colocation de 3 ou 4 personnes. Les loyers ont augmenté de 68% en dix ans et l’accession à la propriété est devenue une chimère inatteignable pour les jeunes actifs.</p>
<p>Comme ailleurs dans le sud de l’Europe, la population double durant les vacances d’été, une situation invivable pour les résidents. «Il y a de plus en plus de monde» déplore Carlos. En plus de porter des t-shirts qu’on ne risque pas de manquer en déambulant sur les <em>R</em><i>amblas</i>, les habitants des régions concernées redoublent d’imagination pour faire entendre leur voix. Aux îles Canaries, c’est une grève de la faim qui a été décidée dès le mois d’avril. A Barcelone toujours, des locaux excédés s’amusent à viser les touristes au pistolet à eau. Les températures avoisinent les 40 degrés, rien de bien méchant. Ils étaient également près de 3’000 Barcelonais à se réunir devant la mairie début juillet pour tâcher d’attirer l’attention médiatique sur la question.</p>
<p>La mairie, <span>quant à elle, e</span><span>nvisage d’augmenter le montant de la taxe de séjour pour les visiteurs qui débarquent des bateaux de croisière. Cette taxe rapporte actuellement une centaine de millions d’euros, soit la troisième ressource économique de la ville. Le maire, Jaume Colboni, vise particulièrement les touristes ne passant pas plus de 12 heures sur place et se pressant tous autour de la Sagrada Familia et du quartier conçu par le célèbre architecte Gaudí. </span></p>
<p>Il est aussi question de révoquer l’autorisation de location de courte durée à environ un millier d’appartements, autant de locations qui seront remises sur le marché local à destination des Barcelonais.</p>
<p>A Venise, les autorités ont instauré un droit de péage de 5 euros pour les touristes qui ne passent qu’une journée sur le pont des Soupirs. L’opération a déjà rapporté plus de 2 millions d’euros, bien plus qu’anticipé. Si certains Vénitiens ont perçu une légère baisse de la fréquentation sur les canaux, la mesure leur semble insuffisante. Voire contre-productive pour les associations de résidents qui craignent que leur ville ne se transforme en «Venise-land», le droit de péage constituant le ticket d'entrée pour ce parc d'attraction. «Nous avons atteint un point de non-retour» déplorent les Vénitiens. «Notre ville se meurt pour le profit de quelques uns». Des services de santé ont en effet dû fermer leurs portes, les boutiques de souvenirs kitsch remplacent les enseignes locales: la vie quotidienne devient impossible.</p>
<p>De fait, le pari de Carlos Ramirez et de ses voisins a réussi: plusieurs agences de voyages et compagnies aériennes avertissent désormais leurs clients. Il règne en Catalogne un «climat hostile» à leur venue. «Barcelone a à présent mauvaise réputation. De plus en plus de visiteurs ont peur de s’y rendre», explique Antje Martins, spécialiste du tourisme à l’université du Queensland. D’autres professionnels craignent même que la ville ne se retrouve «isolée» et que l’attitude des résidents n’entache la réputation de toute l’Espagne.</p>
<p>Car cette révolte s'inscrit dans un paradoxe économique. Barcelone vit largement du tourisme, comme de nombreuses autres régions européennes. Comment concilier prospérité et tranquillité? L’exaspération des habitants ne se dirige d’ailleurs pas vers les touristes eux-mêmes, mais plutôt vers les autorités qui n’ont pas engagé de réflexion profonde – et politique – sur un modèle touristique durable à adopter pour atteindre une forme de consensus entre visiteurs et habitants, un équilibre vivable à long terme. Il s’agit d’un problème structurel. </p>
<p>En sus des logements confisqués et de la dévitalisation des centres-villes, la question du respect de l’environnement et des habitants par les visiteurs commence à être abordée et regardée en face. La manne financière du tourisme ne justifie plus tous les excès et toutes les indulgences. A Florence, une touriste mimant une scène sexuelle avec une statue représentant Bacchus a fait scandale. La dégradation d’une fontaine du XVIème siècle par un autre visiteur l’été dernier a soulevé l'indignation des Florentins.</p>
<p>Carlos a lui aussi constaté que les touristes se «lâchaient» une fois sur leur lieu de villégiature, s’autorisaient «ici ce qu’ils ne se permettent pas chez eux». «Nous nous sentons véritablement insultés». </p>
<p>Amsterdam, la ville du «quartier rouge» et des coffee-shops, a décidé de répliquer: une campagne de «non promotion» lancée en 2023 visait spécialement les jeunes hommes, principaux responsables des nuisances selon les habitants. Les enterrements de vie de garçon ont quelque peu cessé d’empoisonner le quotidien et les nuits des riverains des bars et boîtes de nuit.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à augmenter drastiquement les prix pour se débarrasser des foules. Mais la gentrification qui s’en suit est encore un fléau pour les locaux. Ainsi à Majorque, tout est désormais «hors de prix» afin de dissuader les «touristes alcoolisés» d’envahir l'île et ses plages. Seulement cette inflation ne bénéficie pas aux habitants.</p>
<p>Quelles que soient les méthodes employées, une intervention politique semble indispensable aux habitants de ces zones exposées à la surfréquentation. D’Amsterdam à Venise en passant par Palma de Majorque, tous sont décidés à poursuivre leur combat, «jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli». Un équilibre d’avant EasyJet et AirBnB.</p>
<hr />
<h4><a href="https://edition.cnn.com/2024/07/27/travel/why-europe-has-become-an-epicenter-for-anti-tourism-protests-this-summer/index.html" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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'content' => '<p>Peut-être l’avons-nous déjà oublié, mais le coup d’envoi officiel des Jeux olympiques d’été 2020 à Tokyo a été donné le 23 juillet 2021. En pleine pandémie, les organisateurs avaient pris des précautions maximales: masques obligatoires, bulles sanitaires pour protéger les athlètes, public contraint de regarder la majeure partie des festivités à la télévision... Sur certains tronçons du parcours de la flamme, rappelle l’article des <em>Echos</em>, il était même défendu au public de pousser des cris d’enthousiasme, afin d’éviter les contaminations. </p>
<p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. Les infrastructures construites pour l’occasion, en particulier le Stade national de Tokyo, dont les gradins sont demeurés vides pendant les Jeux, coûtent aujourd’hui des sommes considérables.</p>
<p>Des entreprises privées se proposent d’exploiter le stade d’ici quelques mois, afin d’éponger quelque peu les coûts faramineux: presque jamais utilisé, le stade conçu par l’architecte Kengo Kuma, une harmonieuse structure hybride de bois, d’acier et de béton, coûte près de 50’000 euros par jour aux contribuables.</p>
<p>Avec prudence, on évoque la possibilité d’employer cette arène à l’organisation d’une prochaine coupe du monde de football. Mais d’une manière générale, les autorités japonaises comptent patienter avant d’envisager d’accueillir d’autres grands événements internationaux. La candidature de Sapporo pour les Jeux d’hiver 2030 a par exemple été retirée. Selon les dernières études d’opinion, 60% de la population de l’île d’Hokkaido, qui aurait dû accueillir les épreuves, s’opposait à ce projet. Ce sont les Alpes françaises qui auront <em>a priori</em> la charge et le plaisir de les organiser.</p>
<p>La population réclame désormais des comptes. Les procès, très médiatisés, se multiplient: «après avoir déjà prononcé plus d’une dizaine de condamnations, les tribunaux de Tokyo continuent de juger de multiples malversations allant de l’attribution même des Jeux à la distribution des contrats de sponsoring. Des entreprises, des cadres, des hauts fonctionnaires sont punis...»</p>
<p>«Du pain et des jeux» afin de distraire le peuple des rouages peu reluisants du pouvoir: cette méthode vieille comme l’Antiquité s’est enrayée à Tokyo. Par la faute d’un invisible virus, c’est toute la structure du pouvoir politique et économique qui s’est retrouvée nue aux yeux des citoyens. Comme le concède Keiko Momii, membre du comité olympique japonais: «Il va falloir plus de temps pour expliquer ces projets et essayer de regagner le soutien du public».</p>
<hr />
<h4><a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/jo-de-tokyo-la-grande-frustration-des-jeux-fantomes-2109005" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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'content' => '<p>A Aigues-Mortes, dans le sud de la France, l’économie tourne depuis des siècles autour des salines. A l’été 1893, comme chaque année, les compagnies ont recruté des saisonniers piémontais pour lever le sel, une tâche harassante. Les locaux ne veulent plus s’y épuiser ni s’exposer aux brûlures du sel et du soleil sur la peau, les mains, les pieds. Pour espérer effectuer ce «travail de bagnard», des trimards, vagabonds et saisonniers ardéchois sont aussi descendus en Camargue. Seulement, le pays traverse l’une des premières crises du capitalisme moderne: le chômage explose, les Français s’aperçoivent tout à coup que ces étrangers, les «macaronis», leur «volent» leur travail... Un fossé se creuse entre «eux» et «nous», la vieille, très vieille histoire de ce que l’on appelle avec nos mots d’aujourd’hui la xénophobie. En 1893, cela se traduit par une explosion de violence contre les Piémontais. Des bagarres éclatent. Durant deux jours, une folie meurtrière s’empare de la ville. Très peu d’habitants se tiennent éloignés des lynchages, qui causeront des centaines de blessés et la mort de 10 Italiens. L’armée intervient un peu tard, les autorités décident de révoquer les permis de travail des étrangers, tout rentre dans l’ordre: chacun chez soi... Le massacre des Italiens, ses victimes, ses coupables, le scandale diplomatique qui a suivi, tout cela a vite sombré dans l’oubli. «C’est une vieille histoire», oui, une éternelle histoire.</p>',
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Suzette Sandoz',
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Yves 09.04.2021 | 10h44
«Excellente recension d'une série de reportages largement oubliés aujourd'hui mais qui traduit fort bien les tensions de l'époque. Difficile, aussi, de ne pas faire un parallèle avec la réalité d'aujourd'hui. La menace totalitaire n'est plus nazie mais vient de la Chine de Xi Jinping, laquelle réagit avec la même énergie face aux affirmations des valeurs démocratiques et des défiances face à l'autoritarisme du gouvernement de Pékin exprimées par le Conseil fédéral dans sa "Stratégie Chine" parue courant mars. Il est vrai que l'opinion, même à plus haut niveau, se laisse parfois aller à de fort gênantes indulgences envers les dictatures, du moment qu'on peut préserver les intérêts économiques. Ce qui était vrai dans les années 1930 l'est toujours aujourd'hui.»
@miwy 09.04.2021 | 12h19
«Excellent rappel, merci !»
@simone 10.04.2021 | 11h42
«Merci de ce rappel historique attristant. Le parallèle avec la Chine, actuellement, est évident. Y a-t-il vraiment aujourd'hui des fonctionnaires chinois qui "enquêtent" librement sur notre territoire pour "dénoncer" des présences illégales sur notre territoire et "faire la police" à notre place?
Suzette Sandoz»