Culture / L’anno che verrà
A chaque fin d’année, cette chanson retentit en moi avec un regain de force et d’émotion. «L’anno che verrà» (l’année qui viendra) est la chanson la plus puissante, la plus belle et la plus vraie d’un artiste immense. Lucio Dalla, l’un des plus grands noms de chanson italienne, mais pas seulement. Sa renommée est internationale. Il nous a quitté d’ailleurs à Montreux, juste après un concert à l’Auditorium Stravinski. Il s’est endormi, et au matin du 1er mars 2012, il ne s’est pas réveillé. Une vie consacrée à la musique, qui s’achève quasiment au bas des marches de la scène, dans la ville du jazz, genre qu’il affectionnait par-dessus tous les autres. Dans un style épistolaire, «L’anno che verrà» est la lettre d’un ami à un ami, écrite en 1978. Elle n’en demeure pas moins intemporelle. Dans cette lettre simple et poétique, l’ami raconte une année qui passe et une autre qui commence. Pas grand-chose à dire, si ce n’est que les gens ont du mal à se parler et qu’on ne sort presque pas. Mais il paraît que l’année prochaine sera vraiment spéciale cette fois! Ce sera la grande fête, à tel point que ce sera trois fois Noël. Un grand festin, une grande lumière attend l’humanité. Voilà ce qu’il faut s’inventer pour continuer à espérer, pour croire encore en un bonheur simple. La naïveté de cette chanson est plus que lucide: lucide sur la valeur de chaque instant, car le temps passe, lucide sur la valeur de l’amitié, car si cette année passait en un instant, alors ce serait important que cet instant, nous le passions ensemble. A votre écoute, à vos larmes, car la chanson que je vous invite à découvrir ou à réécouter pour l’année nouvelle, restera gravée en vos cœurs. Et si nous nous préparions nous aussi à chérir la vie et les amis pour l’anno che verrà?
Le texte original et la traduction française :
Caro amico ti scrivo così mi distraggo un po'
Cher ami, je t'écris ainsi je me distrais un peu
E siccome sei molto lontano più forte ti scriverò.
Et puisque tu es très loin plus fort je t'écrirai.
Da quando sei partito c'è una grossa novità,
Depuis que tu es parti, il y a une grande nouvelle
L'anno vecchio è finito ormai
L'année dernière est terminée désormais
Ma qualcosa ancora qui non va.
Mais quelque chose ici ne va toujours pas.
Si esce poco la sera compreso quando è festa
On sort peu le soir, même quand c'est la fête
E c'è chi ha messo dei sacchi di sabbia vicino alla finestra,
Et quelqu'un a mis des sacs de sable près de la fenêtre
E si sta senza parlare per intere settimane,
Et on reste sans parler des semaines entières
E a quelli che hanno niente da dire
Et à ceux qui n'ont rien à dire,
Del tempo ne rimane.
Il en reste du temps.
Ma la televisione ha detto che il nuovo anno
Mais la télévision a dit que la nouvelle année
Porterà una trasformazione
Sera porteuse de changement
E tutti quanti stiamo già aspettando
Et tous autant que nous sommes nous attendons déjà,
Sarà tre volte Natale e festa tutto il giorno,
Ce sera Noël trois fois et la fête toute la journée
Ogni Cristo scenderà dalla croce
Chaque Christ descendra de sa croix
Anche gli uccelli faranno ritorno.
Et même les oiseaux seront de retour.
Ci sarà da mangiare e luce tutto l'anno,
Il y aura à manger et de la lumière toute l'année
Anche i muti potranno parlare
Et même les muets pourront parler
Mentre i sordi già lo fanno.
Alors même que les sourds le font déjà.
E si farà l'amore ognuno come gli va,
Et on fera l'amour, chacun comme il en a envie
Anche i preti potranno sposarsi
Même les prêtres pourront se marier
Ma soltanto a una certa età,
Mais seulement à un certain âge
E senza grandi disturbi qualcuno sparirà,
Et sans grands dérangements beaucoup disparaîtront :
Saranno forse i troppo furbi
Ce sera peut-être les trop malins
E i cretini di ogni età.
Et les crétins de tous les âges.
Vedi caro amico cosa ti scrivo e ti dico
Tu vois, cher ami, ce que je t'écris et ce que je te dis
E come sono contento
Et comme je suis content
Di essere qui in questo momento,
D'être ici en ce moment
Vedi, vedi, vedi, vedi,
Tu vois, tu vois, tu vois, tu vois
Vedi caro amico cosa si deve inventare
Tu vois cher ami ce qu'on doit inventer
Per poterci ridere sopra,
Pour avoir de quoi rire
Per continuare a sperare.
Pour continuer à espérer.
E se quest'anno poi passasse in un istante,
Et puis si cette année passait en un instant
Vedi amico mio
Tu vois, cher ami,
Come diventa importante
Comme il serait important
Che in questo istante ci sia anch'io.
Qu'à cet instant je sois là aussi.
L'anno che sta arrivando tra un anno passerà
L'année qui est sur le point d'arriver dans une année passera.
Io mi sto preparando è questa la novità.
Moi je suis en train de m'y préparer, voilà la nouvelle.
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La naïveté de cette chanson est plus que lucide: lucide sur la valeur de chaque instant, car le temps passe, lucide sur la valeur de l’amitié, car si cette année passait en un instant, alors ce serait important que cet instant, nous le passions ensemble. A votre écoute, à vos larmes, car la chanson que je vous invite à découvrir ou à réécouter pour l’année nouvelle, restera gravée en vos cœurs. 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Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)</p> <p>A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre <i>Anima </i>est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. Le Christ donne sa vie pour que tous aient la vie éternelle, Wahhch donne son âme pour que chacun retrouve la sienne. </p> <h3>La voix animale</h3> <p>La caractéristique la plus notable du roman, qui constitue sa poésie et son originalité, c’est sa narration animale. Trois des quatre parties du livre sont prises en charge par des animaux, des animaux non-humains. En réalité, on pourrait considérer que toute l’œuvre est portée par la voix animale, dans la mesure où l’homme est bien considéré en tant qu’animal parmi les animaux dans la quatrième partie. Le titre de celle-ci, «Homo sapiens sapiens», vient à la suite d’autres termes scientifiques qui indiquent le nom de l’animal qui pose un regard décalé du nôtre et qui narre la réalité qu’il observe.</p> <p>Une telle entreprise aurait pu assez facilement virer à la catastrophe. Elle marque néanmoins le coup de génie du roman. Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.</p> <p>Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures. </p> <h3>Le passage de l'âme</h3> <p>Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. 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Ce qui importe réellement pour Wahhch et pour les hommes de façon générale, c’est de laisser mourir la part qui est cassée en soi, pour passer des ténèbres à la lumière. «Passe par les ténèbres et tu trouveras la lumière.» (p.348) Comment notre protagoniste vit-il cette pâque, passant de l’esclavage à la terre promise? Par la douleur. C’est dans les douleurs de l’enfantement que la femme donne la vie. C’est dans les douleurs du retour aux origines mais avant cela de l’abus sexuel qu’il subit, que Wahhch sait qui il est, qu’il casse la malédiction des meurtres et des viols, pour retrouver la raison, son nom et son âme.</p> <p>En quoi est-ce une invitation pour le lecteur à retrouver son âme et par là retrouver l’unité en soi? C’est une invitation, dans la mesure où nous assistons, par le roman, au témoignage de Wahhch mais aussi indirectement à celui de Wajdi Mouawad et en somme à celui de tous ceux qui ont vécu des drames. C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’<i>Anima</i>. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
5 Commentaires
@Qovadis 02.01.2023 | 01h26
«Un immense merci à vous M. Musumeci. Je découvre cette chanson aujourd’hui et c’est vrai qu’elle est intemporelle. Chanter le temps qui passe est toujours émouvant. Qu’est-ce que le temps ? Y a-t-il de nouvelles réponses depuis Saint Augustin ?
Bonne année à vous.»
@Colibri 02.01.2023 | 11h19
«Un immense artiste. Prenez le temps ďécouter aussi "Cosa sarà" en duo avec Francesco de Gregori.»
@LorisSalvatoreMusumeci 05.01.2023 | 10h14
«Chers Colibri et Qovadis, merci pour vos commentaires qui font toujours plaisir à lire ! Qovadis, voilà que vous suggérez un excellent sujet d'article. Colibri, oui, Cosa sarà est une merveille. Belle journée ! Loris »
@Cesar 11.01.2023 | 13h36
«Che emozione et merci beaucoup pour ce poème musical qui enchante cette grisouille morale qui nous étreint … la ringrazio Loris!
»
@LorisSalvatoreMusumeci 12.01.2023 | 21h40
«Grazie a lei del commento, caro Cesar! »