"Le conformiste" de Bernardo Bertolucci, 1970. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
"Le train" de Pierre Granier-Deferre, 1973. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
"Vivement dimanche" de François Truffaut, 1983. © Collection cinémathèque suisse. DR.
"Repérages", Michel Soutter, 1977. © Collection cinémathèque suisse. DR.
La Cinémathèque suisse diffuse jusqu’au 2 juillet une sélection de trente films du grand acteur et comédien français disparu il y a une année. L’occasion de se pencher sur l’empreinte que sa présence a laissée sur les écrans. Et de redécouvrir les commentaires éclairants qu’il a formulés au sujet de son métier et de sa vie.
Sa carrière compte près de cent trente films. Il a joué également dans près d’une soixantaine d’œuvres de théâtre. Il a été coureur automobile et il s’est essayé à la réalisation. Par sa liberté de ton, sa franchise, son sens de la provocation mais aussi sa frappante délicatesse, Jean-Louis Trintignant apparaît comme un être attachant, mystérieux, aux multiples facettes. Il évoquait régulièrement ses sentiments. Sa personnalité véhiculait avec charme ses paradoxes et ses contradictions.
Une voix inimitable
Le magnifique timbre de sa voix – tellement reconnaissable – a notamment servi pour le disque du Petit Prince de Saint-Exupéry en 1972, la version française d’Ernesto Che Guevara: Journal de Bolivie du cinéaste suisse Richard Dindo en 1994 ou pour le récit du Ruban Blanc du réalisateur allemand Michael Haneke (Palme d’Or à Cannes en 2009). Au début des années 1980, Stanley Kubrick avait insisté pour utiliser sa voix pour doubler Jack Nicholson dans la version française de Shining.
Sa filmographie est riche et pléthorique au plein sens des termes. Jean-Louis Trintignant a joué dans des films de cinéastes majeurs de la Nouvelle Vague française (Chabrol, Rohmer, Truffaut), qui s’identifiaient à elle (Vadim) ou furent de près ou de loin inspirés par ce courant majeur du cinéma d’auteur (Deville, Robbe-Grillet, Techiné, etc). On peut le voir également dans des films importants non seulement de grands cinéastes italiens (Bertolucci, Comencini, Risi, Scola, Zurlini), mais aussi d’autres cinéastes français et européens connus ou reconnus internationalement (Audiard, Bilal, Chéreau, Clément, Gavras, Haneke, Lelouch, Kieslowski, Soutter, Tanner, etc). Les différents rôles qu’il a incarnés dessinent les contours du septième art de l’après-guerre en Europe, ceux du cinéma commercial comme du cinéma d’auteur. Ils reflètent ses motifs récurrents, son imaginaire et ses esthétiques.
Jean-Louis Trintignant observait avec lucidité le cours de sa carrière et de sa vie. Il a livré dans ses entretiens radiophoniques et télévisuels des clés subtiles de compréhension des diverses facettes des métiers de l’art dramatique. Les nombreuses épreuves ayant jalonné son existence – la mort de son frère et de ses deux filles dans des circonstances particulièrement tragiques – enrichirent positivement son répertoire et ses performances d’acteur. «Les êtres humains sont faits de leur bonheur et de leur drame, d’où leur profonde humanité», soulignait-il en commentant sa double vie, entrelacée, d’homme et de comédien.
Enfance et jeunesse
Jean-Louis Trintignant est né à Piolenc en 1930 dans une famille de notables du Vaucluse. Son père, un industriel, est maire de Pont-Esprit et Conseiller général du Gard entre 1944 et 1949. Engagé dans la Résistance, il rejoint un maquis de l’Ardèche avant d’être fait prisonnier par les Allemands. Il échappe de peu à la fusillade. Sa mère est tondue après la guerre pour avoir eu une liaison avec un Allemand. Dans un entretien pour l’émission «Presque rien sur presque tout» de la RTS donné en 2012, Jean-Louis évoque l’humiliation publique de sa mère baladée aux yeux de tous sur une carriole à travers le village. Cet épisode empoisonne la vie du couple de ses parents pour le restant de leurs jours: «Il n’y avait plus que de la haine entre eux jusqu’à la fin». Le père de Jean-Louis reprocha à son fils, pourtant très jeune au moment des faits, de ne pas avoir pu prévenir le comportement de sa mère pendant la guerre.
Le fracas de la grande Histoire, les déchirements et drames familiaux le prédestinaient-il à une vie artistique? «Une enfance conventionnelle et facile ne m’aurait en tous cas pas permis de devenir acteur», estimait-il.
Jean-Louis Trintignant étudia le droit à Aix-en-Provence avant de se frotter au jeu et à la mise en scène à Paris. A treize ans, il s’initie à la poésie par la lecture de Prévert. Il entend sa mère réciter des vers tragiques de Corneille et surtout Racine. Il en gardera un goût prononcé pour la poésie. Apollinaire, Baudelaire, Cendras, Cocteau, Desnos, Rimbaud, etc. La poésie lui permit de combiner deux inclinations en apparence contradictoires, l’introspection solitaire et recluse d’un côté, le dévoilement intime face au public de l’autre.
Découverte du théâtre
Jeune étudiant en droit à Aix-en-Provence, Trintignant est fasciné par l’interprétation d’Harpagon de L’Avare de Molière par le comédien et chef de troupe Charles Dullin. Il assiste également à une représentation de Jules César par Raymond Hermantier. Il en tire une fascination pour Shakespeare. Il décide de laisser tomber ses études, de suivre les cours des disciples de Charles Dullin qui vient de mourir et de Tania Balachova à Paris. «J’ai aussi eu le privilège d’assister à toutes les représentations du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Quand on n’était pas en scène, on était dans les coulisses et on pouvait observer. J’ai ainsi énormément appris.»
«Beaucoup d’acteurs sont des gens timides. Le théâtre m’a arraché à ma mélancolie et à ma timidité». Et de faire ce constat paradoxal: «Le théâtre permet de sortir de sa timidité, d’enlever ses masques et de se trouver soi-même. Se montrer sur un plateau est une très bonne façon de se cacher pour toujours. Le fait d’avoir du culot et des certitudes n’est pas un atout pour un comédien. Cela donne un registre trop limité. En ce qui me concerne, j’ai tôt été conscient de posséder deux qualités indispensables pour ce métier: l’imagination et la sensibilité». Parallèlement à l’apprentissage du théâtre, Jean-Louis Trintignant suit des cours de cinéma à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) dans l’espoir d’apprendre la réalisation. Au théâtre, ses professeurs sont sévères avec lui, mais leur attitude l’encourage justement à continuer. Très emprunté à ses débuts, tenu de se débarrasser de son accent méridional, il doit son succès à sa patience et à sa ténacité.
"L'Escapade", de Michel Soutter, 1974. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
Débuts au cinéma
«Si je n’avais pas été joli, je n’aurais pas fait de ciné», estime-t-il en esquissant un sourire. Son physique agréable de jeune premier est un atout important pour Et Dieu créa la femme, le film qui lui donna une visibilité à l’échelle internationale. Dans cet opus à scandale mythique de Roger Vadim sorti en 1956, Trintignant incarne le jeune mari éperdument amoureux de Juliette, une jeune femme à la beauté envoûtante qui ne pense qu’à aimer les hommes dans un village balnéaire de la communauté de Saint-Tropez attaché aux bonnes mœurs. «Roger Vadim voulait faire un film en couleurs. Et en engageant la star allemande Kurt Jurgens, il a pu effectivement se payer cette nouveauté. Le film véhiculait une image inédite de la femme: une femme qui allait se faire respecter. Mais ce n’était pas un grand film, ses vertus artistiques étaient mineures». Trintignant assiste cependant à la naissance du phénomène Bardot avec qui les médias lui prêtent une liaison. Il pose déjà alors un regard critique sur le phénomène de la starification. «Brigitte Bardot était littéralement harcelée par les journalistes. Cette notoriété était délétère et désagréable, surtout pour une personne secrète comme moi n’aimant pas faire de déclarations tapageuses.»
Films politiques
Ces débuts au cinéma sont interrompus par le service militaire. Trintignant parvient en se rendant malade à éviter d’être envoyé dans les Aurès en Algérie. Cependant, il est assigné à Trèves en Allemagne, puis à la caserne Dupleix à Paris. «J’ai voulu oublier cette période. A 26 ans, j’étais plus âgé et plus lucide que les autres. La torture était totalement banalisée. On me disait "Ah tu sais, le Français est cruel!" Ce fut pour moi une très mauvaise période. J’étais démoli. Je pensais ne pas avoir la force de redevenir comédien». L’expérience militaire le marqua profondément. Sympathisant de la gauche, elle l’incitera à accepter des rôles dans des films situés historiquement de manière explicite ou engagés politiquement: Le combat dans l’île d’Alain Cavalier (1962), Z de Costa-Gavras (1969), Le conformiste de Bernardo Bertolucci (1970), L’attentat d’Yves Boisset (1972), Paris brûle-t-il? de René Clément (1966), Le Train de Pierre Granier-Deferre (1973), L’argent des autres de Christian de Chalonge (1978), Under Fire de Roger Spottiswoode (1985) et Fiesta de Pierre Boutron (1995).
Trintignant revient toutefois au théâtre grâce à Maurice Jacquemont. Il travaille longuement avec le metteur en scène sur Hamlet de Shakespeare. La première version de la pièce est «raccourcie» d’une durée de 5h15 à une version de 3h30! Elle reçoit un très bon accueil au Grand Théâtre des Champs-Elysées de Paris. «On peut passer toute une vie avec Hamlet! C’est le plus beau rôle dont un acteur puisse rêver! On peut le relire indéfiniment. On en a jamais fini avec ses personnages!» L’occasion de réapparaître à l’écran lui est fournie par Roger Vadim et son adaptation sulfureuse des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Il y joue aux côtés des grands acteurs Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Annette Vadim et Boris Vian. Ce film réalisera les plus importantes recettes du cinéma français pendant de longues années.
Cinéma italien
Trintignant connait rapidement le succès avec Le Fanfaron de Dino Risi, film culte de la comédie italienne des années 1960 avec Vittorio Gassman. Il inaugure avec cet opus une longue présence sur grand écran en Italie. Il y apparaît dans une vingtaine de films. «Je n’acceptais pas d’être un acteur sans voix et d’être doublé en dépit du fait que je ne parlais pas l’italien parfaitement. J’ai toujours joué des rôles d’Italiens, refusé de jouer seulement un étranger avec un accent.» Trintignant s'éprend du cinéma de la péninsule: «Il y avait quelque chose de très joyeux, de très gai, de très insouciant dans le cinéma italien de cette époque, qui était magnifique». Selon lui, les cinéastes italiens possédaient aussi presque instinctivement un très bon goût. «Ils étaient très portés vers les arts plastiques et la photographie. Ils étaient très intéressés par l’habillage et le maquillage, ce qui me plaisait».
Le jeune et séduisant Trintignant s’était fait repérer en 1959 des spectateurs d’Eté violent de Valerio Zurlini. Dans Le conformiste (1969) de Bertolucci, adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, il jouera l’un des plus grands rôles de sa très longue carrière. Il incarne le personnage complexe et ambigu de Clerici. Ce dernier est tourmenté par un sentiment de culpabilité et d'anormalité liés à des abus subis dans l’enfance. Il ressent la nécessité d'être conforme à ce que la société attend d'un homme de son époque et le besoin de se fondre dans la masse en adhérant au fascisme. Parallèlement, dans la vraie vie, Jean-Louis Trintignant devient ami du cinéaste Ettore Scola. Les deux sont contemporains. Il joue des petits rôles dans ses films. «J’ai joué notamment dans La Terrasse avec les quatre grands du cinéma italien, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Serge Regianni et Vittorio Gassman». Dans ce film, quatre amis de longue date, proches des milieux de la gauche culturelle, se retrouvent à Rome pour une soirée-buffet sur la grande terrasse de l'un d'entre eux. L'enthousiasme de la jeunesse fait place pour eux à l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux. «Les personnages principaux de ce film incarnent une certaine décadence. Ce fut le film testament de la comédie italienne. C’était déplaisant d’être aussi lucide. Ettore Scola est un homme drôle, mais très lucide», souligne Trintignant.
Amis réalisateurs
Comment décidait-il d’accepter ou de refuser une proposition de tournage? «J’ai très souvent choisi en fonction du réalisateur. Le rôle m’importait peu.» Le courant de la Nouvelle Vague française y est peut-être pour quelque chose. Ses films se distinguent par les conditions inhabituelles dans lesquels ils sont tournés. Ses principaux réalisateurs ont fondé leur propre société pour s’émanciper des structures rigides de production qui avaient cours jusqu’alors dans l’Hexagone. Dans Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer, la morale du héros est éprouvée. Incarné par Trintignant, ce dernier examine si les promesses qu'elle contient sont valables, utiles ou hypocrites, dans la réalité. «J’ai adoré le scénario de Ma nuit chez Maud. Au début, j’ai décliné la proposition, mais comme le réalisateur Eric Rohmer et le producteur Barbet Schroeder insistaient, j’ai décidé de participer et de financer le film.»
Trintignant s’était déjà illustré dans Compartiments tueurs (1965), le premier film réunissant une pléiade d’amis du réalisateur franco-grec Costa-Gavras. Tout comme Yves Montand, Irène Papas et Jacques Perrin et également par affinité élective, il accepte d’incarner bénévolement le rôle du juge d’instruction dans Z de Costa-Gavras (1968). «Egalement producteur, Jacques Perrin a obtenu que le film soit tourné en Algérie. Nous n’étions pas payés». Jean-Louis Trintignant aime travailler avec certains cinéastes non-conventionnels. Il affectionne la sensibilité qui émane du nouveau cinéma suisse, le vent discret de contestation qui souffle dans ses films. On peut le voir ainsi à l’écran dans trois films des réalisateurs genevois Michel Soutter (L’escapade (1974) et Repérages (1977)) et Alain Tanner (La vallée fantôme (1987)). Il partage avec ces cinéastes un même humour, fait vœu avec eux d’une même liberté et inventivité. Il communique son enthousiasme dans le cadre de l’émission Spécial Cinéma de la Radio-télévision suisse à Genève en 1977: «Les cinéastes suisses sont privilégiés. A Genève, vous avez la chance d’avoir un groupe de producteurs qui vous soutiennent pour faire ce que vous voulez. J’aime travailler avec vous!»
"La Vallée fantôme", Alain Tanner, 1987. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
Des rôles très variés
Z de Costa-Gavras dénonçait la dictature des colonels instaurée en Grèce à la fin des années 1960. Avec ce rôle, Trintignant obtient le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1969. A l’instar de celui de Z, le personnage qu’il incarne dans Ma Nuit chez Maud est habité par le doute. Cependant, Jean-Louis Trintignant brille également lorsqu’il se glisse dans la peau de personnages plus décidés et volontaires, mus par le goût de l’action, le désir sexuel ou par le sentiment amoureux. En témoignent Un homme et une femme de Claude Lelouch (Palme d’Or à Cannes en 1966 avec Anouk Aimée), Mon amour, mon amour de Nadine Trintignant (1967), L’homme qui ment d’Alain Robbe-Grillet (Ours d’argent au Festival du film de Berlin en 1968), Le train de Pierre Granier-Deferre (sorti en 1973 avec Romy Schneider), Je vous aime de Claude Berri (1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Alain Souchon, Serge Gainsbourg), Le mouton enragé (diffusé en 1984 avec Romy Schneider et Jane Birkin) et Rendez-vous d'André Techiné (1985 avec Juliette Binoche).
Intransigeance artistique
Sa compagne à la ville, Nadine Marquand-Trintignant, est une femme à poigne. Elle-même réalisatrice, elle souhaite que son compagnon fasse du cinéma. Elle l’encourage beaucoup. Une tragédie frappe le couple. Leur première fille Pauline qui vient à peine de naître meurt subitement en 1970 à l’âge de dix mois. «J’ai eu ma part de malheur. Ce fut une période douloureuse de ma vie. Pauline est morte d’une asphyxie du nourrisson pendant le tournage du film alors qu’elle était avec nous à Rome. Je l’ai trouvée morte dans mon lit d’hôtel. J’ai décidé de continuer à tourner Le Conformiste quand bien même j’étais dévasté intérieurement. Si on accepte d’être acteur, de jouer la comédie, il faut aller jusqu’au bout. Tous les grands metteurs en scène sont très durs. Bernardo Bertolucci, c’est évident, en a profité. Mon personnage a dans Le Conformiste une sensibilité écorchée. Cette interprétation est peut-être ce que j’ai fait de mieux, de plus fort, de toute ma carrière.» Un an après le drame, Nadine décide d’écrire et de réaliser le film Ça n’arrive qu’aux autres. Pour ce récit directement inspiré du drame que le couple vient de vivre, elle sollicite Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni.
Il se plaît à explorer les interstices de la fiction et de la réalité. Dans Flic Story de Jacques Deray (1975), Jean-Louis Trintignant incarne un tueur en série. Il commente ainsi les exigences du rôle: «On ne peut pas être un personnage auquel tout nous oppose naturellement. Il faut faire un effort. Pendant le film, je suis devenu antipathique. Je me suis enfermé dans un hôtel pour épargner cela à mes proches. Cela m’est arrivé pour d’autres rôles. Je donne d’ailleurs souvent ce conseil aux comédiens: s’isoler pour entrer dans la peau de leur personnage». A la fin des années 1980 et durant les années 1990, Trintignant incarne des rôles plus énigmatiques. Il joue des personnages souvent misanthropes, cyniques ou enfermés dans leur solitude: Rendez-vous d’André Techiné (1985), La vallée fantôme d’Alain Tanner (1987), Trois couleurs: Rouge de Krzystof Kieslowski (1994), Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard (1994), Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau (1997).
Eclectisme, autonomie et goût du risque
Jean-Louis Trintignant s’essaie à la réalisation une première fois avec la comédie d’humour noir Une journée bien remplie, puis une deuxième fois avec Le Maître-Nageur, un récit empreint de la même tonalité sardonique que le précédent. Il décide de ne pas poursuivre dans cette voie. S’il le regrette, il observe manquer de certitudes et des compétences de leadership nécessaires pour exercer le métier de réalisateur. Malgré quelques apparitions dans des films tournés outre-Atlantique (Un homme est mort de Jacques Deray (1972) et Under Fire de Roger Spottiswoode (1985)), le cinéma américain ne le fait pas rêver. Il décline les invitations à incarner les personnages de Lacombe dans Rencontres du troisième type de Steven Spielberg et d'un journaliste dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Ces rôles sont respectivement repris par François Truffaut et Dennis Hopper. Cependant, il parvient à exaucer un souhait qu’il nourrit de longue date, celui de collaborer avec le père de la Nouvelle Vague en apparaissant aux côtés de Fanny Ardant dans Vivement Dimanche le dernier film de François Truffaut (1983).
Jean-Louis Trintignant aime l’inattendu. Il a le goût du risque. Il s'intéresse à la compétition automobile et devient pour un temps pilote automobile professionnel. Il participe à plusieurs rallyes, notamment à celui de Monte-Carlo à six reprises et les 24 heures du Mans en 1980. Il termine deuxième aux 24 heures de Spa en 1982 avec ses coéquipiers Jean-Pierre Jarier et Thierry Tassin.
En 1996, à l’instar de son oncle Maurice Trintignant (1917-2015) retiré de la course automobile dans son domaine viticole de Vergèze dans le Gard, il se lance dans une nouvelle aventure en achetant cinq hectares de vignes dans les côtes du Rhône avec un couple d’amis.
Surmonter l’horreur, vivre et jouer malgré le deuil
Marie Trintignant a débuté sa carrière d'actrice en 1966, à l'âge de quatre ans, dans Mon amour, mon amour de sa mère Nadine, aux côtés de son père Jean-Louis. Puis, elle enchaîne d'autres films avec sa mère, ensuite sous l’égide de son père adoptif le cinéaste Alain Corneau et d’autres réalisateurs. Active au théâtre, elle est nominée cinq fois aux César. Pendant quatre ans, de 1999 à 2003, Jean-Louis et Marie Trintignant jouent sur scène Lettre d’amour du poète Guillaume Apollinaire à sa bien aimée Lou mise en scène par Samuel Benchétrit. Trois ans plus tard, en 2002, Marie Trintignant est assassinée par son compagnon le chanteur Bertrand Cantat à Vilnius où elle tourne le téléfilm Colette, une femme libre, suite à une dispute au sujet d'un message envoyé par son mari Samuel Benchétrit dont elle est séparée.
La mort de Marie plonge son père dans une stupeur et un désarroi total. «Cela m’a complètement détruit. Je n’arrive pas à m’en remettre. Marie est la personne que j’aime le plus au monde. Elle était très maternelle avec moi. Elle a établi cette relation avec moi sachant que cela me plaisait. J’ai pensé au suicide. J’ai appris à vivre sans consolation».
En 2005, en hommage à sa fille tuée, Jean-Louis Trintignant lit la pièce d’Apollinaire, crée avec elle, au Festival d’Avignon. «Les mots ne m’ont pas guéri, mais ils m’ont nourri. J’ai réalisé que je pouvais vivre encore, partager des choses en redevenant comédien». Au cours de la même année, il joue avec Roger Dumas dans la pièce Moins 2, écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit au Théâtre Hébertot. Au côté de Daniel Mille à l’accordéon et de Grégoire Korniluk au violoncelle et après l’avoir présenté en province en 2011, il joue au théâtre de l’Odéon de Paris son spectacle «Trois poètes libertaires: Boris Vian, Jacques Prévert et Robert Desnos». Ce spectacle tourne dans d’autres villes en 2012 et 2013.
Après quatorze années loin des caméras, Jean-Louis Trintignant accepte de revenir au cinéma dans Amour de Michael Haneke. Son interprétation magistrale d’un mari aimant au chevet de son épouse qui perd la mémoire est saluée unanimement par la critique. Ce drame familial et universel au sujet de la maladie, la vieillesse et de la mort est récompensé par la Palme d’or au 65ème Festival de Cannes, le César du meilleur film et l’Oscar du meilleur film étranger.
En dépit de ses succès, Jean-Louis Trintignant est conscient de devoir affronter une double épreuve, la mort atroce de sa fille et celle sa propre vieillesse. «On nous avait pas prévenus que la vieillesse n’est pas une continuité! C’est une situation qui est très déplaisante. Il faut essayer de vivre le naufrage de la vieillesse le mieux possible». L’acteur pose sur sa vie un regard rétrospectif: «J’ai eu une adolescence très difficile. J’ai vécu l’âge adulte comme une renaissance. Le théâtre m’a arraché à la mélancolie. Et les femmes – l’amour – aussi.» Son art a été enrichi par ses expériences de vie, y compris celles les plus terriblement douloureuses et dramatiques. Cependant, il confesse le plaisir intense qu’il éprouve à remonter sur les planches. «Porter un masque tout en étant au plus proche de qui on est: c’est ce à quoi l’on peut aspirer une fois l’âge venu». «Ce que je préfère au théâtre, c’est le temps pour l’improbable et la place pour l’improvisation. J’aime l’expérimentation de jeu possible au théâtre. J’aime l’action sur le moment présent. J’aime l’instantanéité, le hasard, le jeu, le risque. La noblesse de l’art du théâtre, c’est qu’on ne peut pas s’installer dans une routine. J’aime la liberté que la poésie nous procure. La poésie nous dépasse, elle réussit à enthousiasmer. J’ai cherché et je cherche un théâtre pur, un jeu sincère qui puisse susciter l’émotion.»
Jean-Louis Trintignant est mort le 17 juin 2022, à Collias dans le Gard, «entouré de ses proches», selon son épouse Marianne Hoepfner Trintignant, à l’âge de 91 ans. Il a consacré sa vie à faire rayonner les arts du théâtre et du cinéma, à partager avec beaucoup de justesse, de sincérité et de générosité ses émotions et les réflexions que nourrissaient sa personnalité hors du commun.
Jean-Louis Trintignant, un an déjà. Rétrospective à la Cinémathèque suisse.
Pour aller plus loin:
Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Jean-Louis Trintignant, Radio-télévsion suisse, 1977.
Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Trintignant & Soutter, Ma RTS, Les Archives de la Radio-télévision suisse, 1977.
Jean-Louis Trintignant – A Voix nue, France Culture, 2004.
Jean-Louis Trintignant - Vie privée, Vie publique, Mireille Dumas, 2005.
Portrait de Jean-Louis Trintignant, pour la collection "empreintes", produit par Pierre Bouteiller et écrit et réalisé par François Chayé, Youtube, 2015.
Jean-Louis Trintignant: c’est quoi? Blow-up – Arte, 2017.
Jean-Louis Trintignant mort à 91 ans. Hommage C à vous, 2022.
Jean-Louis Trintignant: le monstre sacré, Code source, le podcast quotidien d'actualité du Parisien, 2022.
Jean-Louis Trintignant, le discret, Marie-Claude Martin, Radio-télévision suisse, 2022.
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On peut le voir également dans des films importants non seulement de grands cinéastes italiens (Bertolucci, Comencini, Risi, Scola, Zurlini), mais aussi d’autres cinéastes français et européens connus ou reconnus internationalement (Audiard, Bilal, Chéreau, Clément, Gavras, Haneke, Lelouch, Kieslowski, Soutter, Tanner, etc). Les différents rôles qu’il a incarnés dessinent les contours du septième art de l’après-guerre en Europe, ceux du cinéma commercial comme du cinéma d’auteur. Ils reflètent ses motifs récurrents, son imaginaire et ses esthétiques.</p> <p>Jean-Louis Trintignant observait avec lucidité le cours de sa carrière et de sa vie. Il a livré dans ses entretiens radiophoniques et télévisuels des clés subtiles de compréhension des diverses facettes des métiers de l’art dramatique. Les nombreuses épreuves ayant jalonné son existence – la mort de son frère et de ses deux filles dans des circonstances particulièrement tragiques – enrichirent positivement son répertoire et ses performances d’acteur. «Les êtres humains sont faits de leur bonheur et de leur drame, d’où leur profonde humanité», soulignait-il en commentant sa double vie, entrelacée, d’homme et de comédien.</p> <h3>Enfance et jeunesse</h3> <p>Jean-Louis Trintignant est né à Piolenc en 1930 dans une famille de notables du Vaucluse. Son père, un industriel, est maire de Pont-Esprit et Conseiller général du Gard entre 1944 et 1949. Engagé dans la Résistance, il rejoint un maquis de l’Ardèche avant d’être fait prisonnier par les Allemands. Il échappe de peu à la fusillade. Sa mère est tondue après la guerre pour avoir eu une liaison avec un Allemand. Dans un entretien pour l’émission «Presque rien sur presque tout» de la RTS donné en 2012, Jean-Louis évoque l’humiliation publique de sa mère baladée aux yeux de tous sur une carriole à travers le village. Cet épisode empoisonne la vie du couple de ses parents pour le restant de leurs jours: «Il n’y avait plus que de la haine entre eux jusqu’à la fin». Le père de Jean-Louis reprocha à son fils, pourtant très jeune au moment des faits, de ne pas avoir pu prévenir le comportement de sa mère pendant la guerre.</p> <p>Le fracas de la grande Histoire, les déchirements et drames familiaux le prédestinaient-il à une vie artistique? «Une enfance conventionnelle et facile ne m’aurait en tous cas pas permis de devenir acteur», estimait-il.</p> <p>Jean-Louis Trintignant étudia le droit à Aix-en-Provence avant de se frotter au jeu et à la mise en scène à Paris. A treize ans, il s’initie à la poésie par la lecture de Prévert. Il entend sa mère réciter des vers tragiques de Corneille et surtout Racine. Il en gardera un goût prononcé pour la poésie. Apollinaire, Baudelaire, Cendras, Cocteau, Desnos, Rimbaud, etc. La poésie lui permit de combiner deux inclinations en apparence contradictoires, l’introspection solitaire et recluse d’un côté, le dévoilement intime face au public de l’autre.</p> <h3>Découverte du théâtre</h3> <p>Jeune étudiant en droit à Aix-en-Provence, Trintignant est fasciné par l’interprétation d’Harpagon de <i>L’Avare</i> de Molière par le comédien et chef de troupe Charles Dullin. Il assiste également à une représentation de <i>Jules César</i> par Raymond Hermantier. Il en tire une fascination pour Shakespeare. Il décide de laisser tomber ses études, de suivre les cours des disciples de Charles Dullin qui vient de mourir et de Tania Balachova à Paris. «J’ai aussi eu le privilège d’assister à toutes les représentations du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Quand on n’était pas en scène, on était dans les coulisses et on pouvait observer. J’ai ainsi énormément appris.» </p> <p>«Beaucoup d’acteurs sont des gens timides. Le théâtre m’a arraché à ma mélancolie et à ma timidité». Et de faire ce constat paradoxal: «Le théâtre permet de sortir de sa timidité, d’enlever ses masques et de se trouver soi-même. Se montrer sur un plateau est une très bonne façon de se cacher pour toujours. Le fait d’avoir du culot et des certitudes n’est pas un atout pour un comédien. Cela donne un registre trop limité. En ce qui me concerne, j’ai tôt été conscient de posséder deux qualités indispensables pour ce métier: l’imagination et la sensibilité». Parallèlement à l’apprentissage du théâtre, Jean-Louis Trintignant suit des cours de cinéma à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) dans l’espoir d’apprendre la réalisation. Au théâtre, ses professeurs sont sévères avec lui, mais leur attitude l’encourage justement à continuer. Très emprunté à ses débuts, tenu de se débarrasser de son accent méridional, il doit son succès à sa patience et à sa ténacité.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1686223808_capturedcran2023060813.29.16.png" class="img-responsive img-fluid center " width="516" height="753" /></p> <h4><em>"L'Escapade", de Michel Soutter, 1974. © Collection Cinémathèque suisse. DR.</em></h4> <h3>Débuts au cinéma</h3> <p>«Si je n’avais pas été joli, je n’aurais pas fait de ciné», estime-t-il en esquissant un sourire. Son physique agréable de jeune premier est un atout important pour <i>Et Dieu créa la femme</i>, le film qui lui donna une visibilité à l’échelle internationale. Dans cet opus à scandale mythique de Roger Vadim sorti en 1956, Trintignant incarne le jeune mari éperdument amoureux de Juliette, une jeune femme à la beauté envoûtante qui ne pense qu’à aimer les hommes dans un village balnéaire de la communauté de Saint-Tropez attaché aux bonnes mœurs. «Roger Vadim voulait faire un film en couleurs. Et en engageant la star allemande Kurt Jurgens, il a pu effectivement se payer cette nouveauté. Le film véhiculait une image inédite de la femme: une femme qui allait se faire respecter. Mais ce n’était pas un grand film, ses vertus artistiques étaient mineures». Trintignant assiste cependant à la naissance du phénomène Bardot avec qui les médias lui prêtent une liaison. Il pose déjà alors un regard critique sur le phénomène de la starification. «Brigitte Bardot était littéralement harcelée par les journalistes. Cette notoriété était délétère et désagréable, surtout pour une personne secrète comme moi n’aimant pas faire de déclarations tapageuses.»</p> <h3>Films politiques</h3> <p>Ces débuts au cinéma sont interrompus par le service militaire. Trintignant parvient en se rendant malade à éviter d’être envoyé dans les Aurès en Algérie. Cependant, il est assigné à Trèves en Allemagne, puis à la caserne Dupleix à Paris. «J’ai voulu oublier cette période. A 26 ans, j’étais plus âgé et plus lucide que les autres. La torture était totalement banalisée. On me disait "Ah tu sais, le Français est cruel!" Ce fut pour moi une très mauvaise période. J’étais démoli. Je pensais ne pas avoir la force de redevenir comédien». L’expérience militaire le marqua profondément. Sympathisant de la gauche, elle l’incitera à accepter des rôles dans des films situés historiquement de manière explicite ou engagés politiquement: <i>Le combat dans l’île</i> d’Alain Cavalier (1962), <i>Z </i>de Costa-Gavras (1969), <i>Le conformiste</i> de Bernardo Bertolucci (1970), <i>L’attentat </i>d’Yves Boisset (1972), <i>Paris brûle-t-il</i>? de René Clément (1966), <i>Le Train</i> de Pierre Granier-Deferre (1973), <i>L’argent des autres </i>de Christian de Chalonge (1978), <em>Under Fire</em> de Roger Spottiswoode (1985) et <em>Fiesta</em> de Pierre Boutron (1995). </p> <p>Trintignant revient toutefois au théâtre grâce à Maurice Jacquemont. Il travaille longuement avec le metteur en scène sur <em>Hamlet</em> de Shakespeare. La première version de la pièce est «raccourcie» d’une durée de 5h15 à une version de 3h30! Elle reçoit un très bon accueil au Grand Théâtre des Champs-Elysées de Paris. «On peut passer toute une vie avec Hamlet! C’est le plus beau rôle dont un acteur puisse rêver! On peut le relire indéfiniment. On en a jamais fini avec ses personnages!» L’occasion de réapparaître à l’écran lui est fournie par Roger Vadim et son adaptation sulfureuse des <i>Liaisons dangereuses</i> de Choderlos de Laclos. Il y joue aux côtés des grands acteurs Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Annette Vadim et Boris Vian. Ce film réalisera les plus importantes recettes du cinéma français pendant de longues années.</p> <h3>Cinéma italien</h3> <p>Trintignant connait rapidement le succès avec <i>Le Fanfaron</i> de Dino Risi, film culte de la comédie italienne des années 1960 avec Vittorio Gassman. Il inaugure avec cet opus une longue présence sur grand écran en Italie. Il y apparaît dans une vingtaine de films. «Je n’acceptais pas d’être un acteur sans voix et d’être doublé en dépit du fait que je ne parlais pas l’italien parfaitement. J’ai toujours joué des rôles d’Italiens, refusé de jouer seulement un étranger avec un accent.» Trintignant s'éprend du cinéma de la péninsule: «Il y avait quelque chose de très joyeux, de très gai, de très insouciant dans le cinéma italien de cette époque, qui était magnifique». Selon lui, les cinéastes italiens possédaient aussi presque instinctivement un très bon goût. «Ils étaient très portés vers les arts plastiques et la photographie. Ils étaient très intéressés par l’habillage et le maquillage, ce qui me plaisait».</p> <p>Le jeune et séduisant Trintignant s’était fait repérer en 1959 des spectateurs d’<i>Eté violent</i> de Valerio Zurlini. Dans <i>Le conformiste </i>(1969) de Bertolucci, adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, il jouera l’un des plus grands rôles de sa très longue carrière. Il incarne le personnage complexe et ambigu de Clerici. Ce dernier est tourmenté par un sentiment de culpabilité et d'anormalité liés à des abus subis dans l’enfance. Il ressent la nécessité d'être conforme à ce que la société attend d'un homme de son époque et le besoin de se fondre dans la masse en adhérant au fascisme. Parallèlement, dans la vraie vie, Jean-Louis Trintignant devient ami du cinéaste Ettore Scola. Les deux sont contemporains. Il joue des petits rôles dans ses films. «J’ai joué notamment dans <i>La Terrasse </i>avec <i></i>les quatre grands du cinéma italien, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Serge Regianni et Vittorio Gassman». Dans ce film, quatre amis de longue date, proches des milieux de la gauche culturelle, se retrouvent à Rome pour une soirée-buffet sur la grande terrasse de l'un d'entre eux. L'enthousiasme de la jeunesse fait place pour eux à l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux. «Les personnages principaux de ce film incarnent une certaine décadence. Ce fut le film testament de la comédie italienne. C’était déplaisant d’être aussi lucide. Ettore Scola est un homme drôle, mais très lucide», souligne Trintignant. </p> <h3>Amis réalisateurs</h3> <p>Comment décidait-il d’accepter ou de refuser une proposition de tournage? «J’ai très souvent choisi en fonction du réalisateur. Le rôle m’importait peu.» Le courant de la Nouvelle Vague française y est peut-être pour quelque chose. Ses films se distinguent par les conditions inhabituelles dans lesquels ils sont tournés. Ses principaux réalisateurs ont fondé leur propre société pour s’émanciper des structures rigides de production qui avaient cours jusqu’alors dans l’Hexagone. Dans <i>Ma nuit chez Maud </i>d’Eric Rohmer, la morale du héros est éprouvée. Incarné par Trintignant, ce dernier examine si les promesses qu'elle contient sont valables, utiles ou hypocrites, dans la réalité. «J’ai adoré le scénario de <i>Ma nuit chez Maud</i>. Au début, j’ai décliné la proposition, mais comme le réalisateur Eric Rohmer et le producteur Barbet Schroeder insistaient, j’ai décidé de participer et de financer le film.»</p> <p>Trintignant s’était déjà illustré dans <i>Compartiments tueurs</i> (1965), le premier film réunissant une pléiade d’amis du réalisateur franco-grec Costa-Gavras. Tout comme Yves Montand, Irène Papas et Jacques Perrin et également par affinité élective, il accepte d’incarner bénévolement le rôle du juge d’instruction dans <i>Z</i> de Costa-Gavras (1968). «Egalement producteur, Jacques Perrin a obtenu que le film soit tourné en Algérie. Nous n’étions pas payés». Jean-Louis Trintignant aime travailler avec certains cinéastes non-conventionnels. Il affectionne la sensibilité qui émane du nouveau cinéma suisse, le vent discret de contestation qui souffle dans ses films. On peut le voir ainsi à l’écran dans trois films des réalisateurs genevois Michel Soutter (<i>L’escapade </i>(1974) et <i>Repérages </i>(1977)) et Alain Tanner (<i>La vallée fantôme</i> (1987)). Il partage avec ces cinéastes un même humour, fait vœu avec eux d’une même liberté et inventivité. Il communique son enthousiasme dans le cadre de l’émission Spécial Cinéma de la Radio-télévision suisse à Genève en 1977: «Les cinéastes suisses sont privilégiés. A Genève, vous avez la chance d’avoir un groupe de producteurs qui vous soutiennent pour faire ce que vous voulez. J’aime travailler avec vous!»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1686224055_capturedcran2023060813.33.31.png" class="img-responsive img-fluid center " width="699" height="555" /></p> <h4><em>"La Vallée fantôme", Alain Tanner, 1987. © Collection Cinémathèque suisse. DR.</em></h4> <h3>Des rôles très variés</h3> <p><i>Z</i> de Costa-Gavras dénonçait la dictature des colonels instaurée en Grèce à la fin des années 1960. Avec ce rôle, Trintignant obtient le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1969. A l’instar de celui de <i>Z</i>, le personnage qu’il incarne dans <i>Ma Nuit chez Maud</i> est habité par le doute. Cependant, Jean-Louis Trintignant brille également lorsqu’il se glisse dans la peau de personnages plus décidés et volontaires, mus par le goût de l’action, le désir sexuel ou par le sentiment amoureux. En témoignent <i>Un homme et une femme</i> de Claude Lelouch (Palme d’Or à Cannes en 1966 avec Anouk Aimée), <em>Mon amour, mon amour</em> de Nadine Trintignant (1967), <i>L’homme qui ment</i> d’Alain Robbe-Grillet (Ours d’argent au Festival du film de Berlin en 1968), <i>Le train</i> de Pierre Granier-Deferre (sorti en 1973 avec Romy Schneider), <em>Je vous aime</em> de Claude Berri (1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Alain Souchon, Serge Gainsbourg), <i>Le mouton enragé</i> (diffusé en 1984 avec Romy Schneider et Jane Birkin) et <em>Rendez-vous</em> d'André Techiné (1985 avec Juliette Binoche).</p> <h3>Intransigeance artistique</h3> <p>Sa compagne à la ville, Nadine Marquand-Trintignant, est une femme à poigne. Elle-même réalisatrice, elle souhaite que son compagnon fasse du cinéma. Elle l’encourage beaucoup. Une tragédie frappe le couple. Leur première fille Pauline qui vient à peine de naître meurt subitement en 1970 à l’âge de dix mois. «J’ai eu ma part de malheur. Ce fut une période douloureuse de ma vie. Pauline est morte d’une asphyxie du nourrisson pendant le tournage du film alors qu’elle était avec nous à Rome. Je l’ai trouvée morte dans mon lit d’hôtel. J’ai décidé de continuer à tourner <i>Le Conformiste</i> quand bien même j’étais dévasté intérieurement. Si on accepte d’être acteur, de jouer la comédie, il faut aller jusqu’au bout. Tous les grands metteurs en scène sont très durs. Bernardo Bertolucci, c’est évident, en a profité. Mon personnage a dans <i>Le Conformiste </i>une sensibilité écorchée. Cette interprétation est peut-être ce que j’ai fait de mieux, de plus fort, de toute ma carrière.» Un an après le drame, Nadine décide d’écrire et de réaliser le film <i>Ça n’arrive qu’aux autres</i>. Pour ce récit directement inspiré du drame que le couple vient de vivre, elle sollicite Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni. </p> <p>Il se plaît à explorer les interstices de la fiction et de la réalité. Dans <i>Flic Story </i><b></b>de Jacques Deray (1975), Jean-Louis Trintignant incarne un tueur en série. Il commente ainsi les exigences du rôle: «On ne peut pas être un personnage auquel tout nous oppose naturellement. Il faut faire un effort. Pendant le film, je suis devenu antipathique. Je me suis enfermé dans un hôtel pour épargner cela à mes proches. Cela m’est arrivé pour d’autres rôles. Je donne d’ailleurs souvent ce conseil aux comédiens: s’isoler pour entrer dans la peau de leur personnage». A la fin des années 1980 et durant les années 1990, Trintignant incarne des rôles plus énigmatiques. Il joue des personnages souvent misanthropes, cyniques ou enfermés dans leur solitude: <em>Rendez-vous</em> d’André Techiné (1985), <i>La vallée fantôme</i> d’Alain Tanner (1987), <i>Trois couleurs: Rouge</i> de Krzystof Kieslowski (1994), <i>Regarde les hommes tomber</i> de Jacques Audiard (1994)<i>, Ceux qui m’aiment prendront le train</i> de Patrice Chéreau (1997).</p> <h3>Eclectisme, autonomie et goût du risque</h3> <p>Jean-Louis Trintignant s’essaie à la réalisation une première fois avec la comédie d’humour noir <i>Une journée bien remplie</i>, puis une deuxième fois avec <i>Le Maître-Nageur</i>, un récit empreint de la même tonalité sardonique que le précédent. Il décide de ne pas poursuivre dans cette voie. S’il le regrette, il observe manquer de certitudes et des compétences de leadership nécessaires pour exercer le métier de réalisateur. Malgré quelques apparitions dans des films tournés outre-Atlantique (<i>Un homme est mort</i> de Jacques Deray (1972) et <em>Under Fire</em> de Roger Spottiswoode (1985)), le cinéma américain ne le fait pas rêver. Il décline les invitations à incarner les personnages de Lacombe dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rencontres_du_troisi%25C3%25A8me_type"><i>Rencontres du troisième type</i></a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Steven_Spielberg">Steven Spielberg</a> et d'un journaliste dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Apocalypse_Now"><i>Apocalypse Now</i></a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Ford_Coppola">Francis Ford Coppola</a>. Ces rôles sont respectivement repris par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%25C3%25A7ois_Truffaut">François Truffaut</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dennis_Hopper">Dennis Hopper</a>. Cependant, il parvient à exaucer un souhait qu’il nourrit de longue date, celui de collaborer avec le père de la Nouvelle Vague en apparaissant aux côtés de Fanny Ardant dans <i>Vivement Dimanche</i> le dernier film de François Truffaut (1983).</p> <p>Jean-Louis Trintignant aime l’inattendu. Il a le goût du risque. Il s'intéresse à la compétition automobile et devient pour un temps pilote automobile professionnel. Il participe à plusieurs <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rallye_automobile">rallyes</a>, notamment à celui de Monte-Carlo à six reprises et les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/24_Heures_du_Mans">24 heures du Mans</a> en 1980. Il termine deuxième aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/24_Heures_de_Spa">24 heures de Spa</a> en 1982 avec ses coéquipiers <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Jarier">Jean-Pierre Jarier</a> et Thierry Tassin.</p> <p>En 1996, à l’instar de son oncle Maurice Trintignant (1917-2015) retiré de la course automobile dans son domaine viticole de Vergèze dans le Gard, il se lance dans une nouvelle aventure en achetant cinq hectares de vignes dans les côtes du Rhône avec un couple d’amis.</p> <h3>Surmonter l’horreur, vivre et jouer malgré le deuil</h3> <p>Marie Trintignant a débuté sa carrière d'actrice en 1966, à l'âge de quatre ans, dans <i>Mon amour, mon amour</i> de sa mère Nadine, aux côtés de son père Jean-Louis. Puis, elle enchaîne d'autres films avec sa mère, ensuite sous l’égide de son père adoptif le cinéaste Alain Corneau et d’autres réalisateurs. Active au théâtre, elle est nominée cinq fois aux César. Pendant quatre ans, de 1999 à 2003, Jean-Louis et Marie Trintignant jouent sur scène <i>Lettre d’amour du poète Guillaume Apollinaire à sa bien aimée Lou</i> mise en scène par Samuel Benchétrit. Trois ans plus tard, en 2002, Marie Trintignant est assassinée par son compagnon le chanteur Bertrand Cantat à Vilnius où elle tourne le téléfilm <i>Colette, une femme libre</i>, suite à une dispute au sujet d'un message envoyé par son mari Samuel Benchétrit dont elle est séparée.</p> <p>La mort de Marie plonge son père dans une stupeur et un désarroi total. «Cela m’a complètement détruit. Je n’arrive pas à m’en remettre. Marie est la personne que j’aime le plus au monde. Elle était très maternelle avec moi. Elle a établi cette relation avec moi sachant que cela me plaisait. J’ai pensé au suicide. J’ai appris à vivre sans consolation».</p> <p>En 2005, en hommage à sa fille tuée, Jean-Louis Trintignant lit la pièce d’Apollinaire, crée avec elle, au Festival d’Avignon. «Les mots ne m’ont pas guéri, mais ils m’ont nourri. J’ai réalisé que je pouvais vivre encore, partager des choses en redevenant comédien». Au cours de la même année, il joue avec Roger Dumas dans la pièce <i>Moins 2</i>, écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit au Théâtre Hébertot. Au côté de Daniel Mille à l’accordéon et de Grégoire Korniluk au violoncelle et après l’avoir présenté en province en 2011, il joue au théâtre de l’Odéon de Paris son spectacle «Trois poètes libertaires: Boris Vian, Jacques Prévert et Robert Desnos». Ce spectacle tourne dans d’autres villes en 2012 et 2013.</p> <p>Après quatorze années loin des caméras, Jean-Louis Trintignant accepte de revenir au cinéma dans <i>Amour</i> de Michael Haneke. Son interprétation magistrale d’un mari aimant au chevet de son épouse qui perd la mémoire est saluée unanimement par la critique. Ce drame familial et universel au sujet de la maladie, la vieillesse et de la mort est récompensé par la Palme d’or au 65ème Festival de Cannes, le César du meilleur film et l’Oscar du meilleur film étranger.</p> <p>En dépit de ses succès, Jean-Louis Trintignant est conscient de devoir affronter une double épreuve, la mort atroce de sa fille et celle sa propre vieillesse. «On nous avait pas prévenus que la vieillesse n’est pas une continuité! C’est une situation qui est très déplaisante. Il faut essayer de vivre le naufrage de la vieillesse le mieux possible». L’acteur pose sur sa vie un regard rétrospectif: «J’ai eu une adolescence très difficile. J’ai vécu l’âge adulte comme une renaissance. Le théâtre m’a arraché à la mélancolie. Et les femmes – l’amour – aussi.» Son art a été enrichi par ses expériences de vie, y compris celles les plus terriblement douloureuses et dramatiques. Cependant, il confesse le plaisir intense qu’il éprouve à remonter sur les planches. «Porter un masque tout en étant au plus proche de qui on est: c’est ce à quoi l’on peut aspirer une fois l’âge venu». «Ce que je préfère au théâtre, c’est le temps pour l’improbable et la place pour l’improvisation. J’aime l’expérimentation de jeu possible au théâtre. J’aime l’action sur le moment présent. J’aime l’instantanéité, le hasard, le jeu, le risque. La noblesse de l’art du théâtre, c’est qu’on ne peut pas s’installer dans une routine. J’aime la liberté que la poésie nous procure. La poésie nous dépasse, elle réussit à enthousiasmer. J’ai cherché et je cherche un théâtre pur, un jeu sincère qui puisse susciter l’émotion.»</p> <p>Jean-Louis Trintignant est mort le 17 juin 2022, à Collias dans le Gard, «entouré de ses proches», selon son épouse Marianne Hoepfner Trintignant, à l’âge de 91 ans. Il a consacré sa vie à faire rayonner les arts du théâtre et du cinéma, à partager avec beaucoup de justesse, de sincérité et de générosité ses émotions et les réflexions que nourrissaient sa personnalité hors du commun.</p> <hr /> <h4><a href="https://live.cinematheque.ch/cycle/2006-jean-louis-trintignant-un-an-dj" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant, un an déjà. Rétrospective à la Cinémathèque suisse</a>.</h4> <hr /> <h4>Pour aller plus loin:</h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/3470191-jl-trintignant.html">Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Jean-Louis Trintignant, Radio-télévsion suisse, 1977</a>.</h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/7917214-trintignant-et-soutter.html">Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Trintignant & Soutter, Ma RTS, Les Archives de la Radio-télévision suisse, 1977.</a></h4> <h4><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-jean-louis-trintignant-l-integrale-en-cinq-entretiens-2004">Jean-Louis Trintignant – A Voix nue, France Culture, 2004</a>.</h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=XD5t1VyyRT8&feature=youtu.be" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant - Vie privée, Vie publique, Mireille Dumas, 2005.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=9QhrA2JJdI4">Portrait de Jean-Louis Trintignant, pour la collection "empreintes", produit par Pierre Bouteiller et écrit et réalisé par François Chayé, Youtube, 2015.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=KWZCCjPu2Ko">Jean-Louis Trintignant: c’est quoi? Blow-up – Arte, 2017.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=FQPbDMn67dY&feature=youtu.be" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant mort à 91 ans. Hommage C à vous, 2022.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=SkLs_PioFNo">Jean-Louis Trintignant: le monstre sacré, Code source, le podcast quotidien d'actualité du Parisien, 2022.</a></h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/info/culture/cinema/9737168-jeanlouis-trintignant-le-discret.html#chap03">Jean-Louis Trintignant, le discret, Marie-Claude Martin, Radio-télévision suisse, 2022.</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'jean-louis-trintignant-talent-et-profondeur', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 279, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1259, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'attachments' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, 'relatives' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) {}, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) {} ], 'embeds' => [], 'images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 3 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'audios' => [], 'comments' => [], 'author' => 'Emmanuel Deonna', 'description' => 'La Cinémathèque suisse diffuse jusqu’au 2 juillet une sélection de trente films du grand acteur et comédien français disparu il y a une année. 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Sa personnalité véhiculait avec charme ses paradoxes et ses contradictions.</p> <h3>Une voix inimitable</h3> <p>Le magnifique timbre de sa voix – tellement reconnaissable – a notamment servi pour le disque du <i>Petit Prince</i> de Saint-Exupéry en 1972, la version française d’<i>Ernesto Che Guevara: Journal de Bolivie </i>du cinéaste suisse Richard Dindo en 1994 ou pour le récit du <i>Ruban Blanc</i> du réalisateur allemand Michael Haneke (Palme d’Or à Cannes en 2009). Au début des années 1980, Stanley Kubrick avait insisté pour utiliser sa voix pour doubler Jack Nicholson dans la version française de <i>Shining</i>.</p> <p>Sa filmographie est riche et pléthorique au plein sens des termes. Jean-Louis Trintignant a joué dans des films de cinéastes majeurs de la Nouvelle Vague française (Chabrol, Rohmer, Truffaut), qui s’identifiaient à elle (Vadim) ou furent de près ou de loin inspirés par ce courant majeur du cinéma d’auteur (Deville, Robbe-Grillet, Techiné, etc). On peut le voir également dans des films importants non seulement de grands cinéastes italiens (Bertolucci, Comencini, Risi, Scola, Zurlini), mais aussi d’autres cinéastes français et européens connus ou reconnus internationalement (Audiard, Bilal, Chéreau, Clément, Gavras, Haneke, Lelouch, Kieslowski, Soutter, Tanner, etc). Les différents rôles qu’il a incarnés dessinent les contours du septième art de l’après-guerre en Europe, ceux du cinéma commercial comme du cinéma d’auteur. Ils reflètent ses motifs récurrents, son imaginaire et ses esthétiques.</p> <p>Jean-Louis Trintignant observait avec lucidité le cours de sa carrière et de sa vie. Il a livré dans ses entretiens radiophoniques et télévisuels des clés subtiles de compréhension des diverses facettes des métiers de l’art dramatique. Les nombreuses épreuves ayant jalonné son existence – la mort de son frère et de ses deux filles dans des circonstances particulièrement tragiques – enrichirent positivement son répertoire et ses performances d’acteur. «Les êtres humains sont faits de leur bonheur et de leur drame, d’où leur profonde humanité», soulignait-il en commentant sa double vie, entrelacée, d’homme et de comédien.</p> <h3>Enfance et jeunesse</h3> <p>Jean-Louis Trintignant est né à Piolenc en 1930 dans une famille de notables du Vaucluse. Son père, un industriel, est maire de Pont-Esprit et Conseiller général du Gard entre 1944 et 1949. Engagé dans la Résistance, il rejoint un maquis de l’Ardèche avant d’être fait prisonnier par les Allemands. Il échappe de peu à la fusillade. Sa mère est tondue après la guerre pour avoir eu une liaison avec un Allemand. Dans un entretien pour l’émission «Presque rien sur presque tout» de la RTS donné en 2012, Jean-Louis évoque l’humiliation publique de sa mère baladée aux yeux de tous sur une carriole à travers le village. Cet épisode empoisonne la vie du couple de ses parents pour le restant de leurs jours: «Il n’y avait plus que de la haine entre eux jusqu’à la fin». Le père de Jean-Louis reprocha à son fils, pourtant très jeune au moment des faits, de ne pas avoir pu prévenir le comportement de sa mère pendant la guerre.</p> <p>Le fracas de la grande Histoire, les déchirements et drames familiaux le prédestinaient-il à une vie artistique? «Une enfance conventionnelle et facile ne m’aurait en tous cas pas permis de devenir acteur», estimait-il.</p> <p>Jean-Louis Trintignant étudia le droit à Aix-en-Provence avant de se frotter au jeu et à la mise en scène à Paris. A treize ans, il s’initie à la poésie par la lecture de Prévert. Il entend sa mère réciter des vers tragiques de Corneille et surtout Racine. Il en gardera un goût prononcé pour la poésie. Apollinaire, Baudelaire, Cendras, Cocteau, Desnos, Rimbaud, etc. La poésie lui permit de combiner deux inclinations en apparence contradictoires, l’introspection solitaire et recluse d’un côté, le dévoilement intime face au public de l’autre.</p> <h3>Découverte du théâtre</h3> <p>Jeune étudiant en droit à Aix-en-Provence, Trintignant est fasciné par l’interprétation d’Harpagon de <i>L’Avare</i> de Molière par le comédien et chef de troupe Charles Dullin. Il assiste également à une représentation de <i>Jules César</i> par Raymond Hermantier. Il en tire une fascination pour Shakespeare. Il décide de laisser tomber ses études, de suivre les cours des disciples de Charles Dullin qui vient de mourir et de Tania Balachova à Paris. «J’ai aussi eu le privilège d’assister à toutes les représentations du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Quand on n’était pas en scène, on était dans les coulisses et on pouvait observer. J’ai ainsi énormément appris.» </p> <p>«Beaucoup d’acteurs sont des gens timides. Le théâtre m’a arraché à ma mélancolie et à ma timidité». Et de faire ce constat paradoxal: «Le théâtre permet de sortir de sa timidité, d’enlever ses masques et de se trouver soi-même. Se montrer sur un plateau est une très bonne façon de se cacher pour toujours. Le fait d’avoir du culot et des certitudes n’est pas un atout pour un comédien. Cela donne un registre trop limité. En ce qui me concerne, j’ai tôt été conscient de posséder deux qualités indispensables pour ce métier: l’imagination et la sensibilité». Parallèlement à l’apprentissage du théâtre, Jean-Louis Trintignant suit des cours de cinéma à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) dans l’espoir d’apprendre la réalisation. Au théâtre, ses professeurs sont sévères avec lui, mais leur attitude l’encourage justement à continuer. Très emprunté à ses débuts, tenu de se débarrasser de son accent méridional, il doit son succès à sa patience et à sa ténacité.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1686223808_capturedcran2023060813.29.16.png" class="img-responsive img-fluid center " width="516" height="753" /></p> <h4><em>"L'Escapade", de Michel Soutter, 1974. © Collection Cinémathèque suisse. DR.</em></h4> <h3>Débuts au cinéma</h3> <p>«Si je n’avais pas été joli, je n’aurais pas fait de ciné», estime-t-il en esquissant un sourire. Son physique agréable de jeune premier est un atout important pour <i>Et Dieu créa la femme</i>, le film qui lui donna une visibilité à l’échelle internationale. Dans cet opus à scandale mythique de Roger Vadim sorti en 1956, Trintignant incarne le jeune mari éperdument amoureux de Juliette, une jeune femme à la beauté envoûtante qui ne pense qu’à aimer les hommes dans un village balnéaire de la communauté de Saint-Tropez attaché aux bonnes mœurs. «Roger Vadim voulait faire un film en couleurs. Et en engageant la star allemande Kurt Jurgens, il a pu effectivement se payer cette nouveauté. Le film véhiculait une image inédite de la femme: une femme qui allait se faire respecter. Mais ce n’était pas un grand film, ses vertus artistiques étaient mineures». Trintignant assiste cependant à la naissance du phénomène Bardot avec qui les médias lui prêtent une liaison. Il pose déjà alors un regard critique sur le phénomène de la starification. «Brigitte Bardot était littéralement harcelée par les journalistes. Cette notoriété était délétère et désagréable, surtout pour une personne secrète comme moi n’aimant pas faire de déclarations tapageuses.»</p> <h3>Films politiques</h3> <p>Ces débuts au cinéma sont interrompus par le service militaire. Trintignant parvient en se rendant malade à éviter d’être envoyé dans les Aurès en Algérie. Cependant, il est assigné à Trèves en Allemagne, puis à la caserne Dupleix à Paris. «J’ai voulu oublier cette période. A 26 ans, j’étais plus âgé et plus lucide que les autres. La torture était totalement banalisée. On me disait "Ah tu sais, le Français est cruel!" Ce fut pour moi une très mauvaise période. J’étais démoli. Je pensais ne pas avoir la force de redevenir comédien». L’expérience militaire le marqua profondément. Sympathisant de la gauche, elle l’incitera à accepter des rôles dans des films situés historiquement de manière explicite ou engagés politiquement: <i>Le combat dans l’île</i> d’Alain Cavalier (1962), <i>Z </i>de Costa-Gavras (1969), <i>Le conformiste</i> de Bernardo Bertolucci (1970), <i>L’attentat </i>d’Yves Boisset (1972), <i>Paris brûle-t-il</i>? de René Clément (1966), <i>Le Train</i> de Pierre Granier-Deferre (1973), <i>L’argent des autres </i>de Christian de Chalonge (1978), <em>Under Fire</em> de Roger Spottiswoode (1985) et <em>Fiesta</em> de Pierre Boutron (1995). </p> <p>Trintignant revient toutefois au théâtre grâce à Maurice Jacquemont. Il travaille longuement avec le metteur en scène sur <em>Hamlet</em> de Shakespeare. La première version de la pièce est «raccourcie» d’une durée de 5h15 à une version de 3h30! Elle reçoit un très bon accueil au Grand Théâtre des Champs-Elysées de Paris. «On peut passer toute une vie avec Hamlet! C’est le plus beau rôle dont un acteur puisse rêver! On peut le relire indéfiniment. On en a jamais fini avec ses personnages!» L’occasion de réapparaître à l’écran lui est fournie par Roger Vadim et son adaptation sulfureuse des <i>Liaisons dangereuses</i> de Choderlos de Laclos. Il y joue aux côtés des grands acteurs Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Annette Vadim et Boris Vian. Ce film réalisera les plus importantes recettes du cinéma français pendant de longues années.</p> <h3>Cinéma italien</h3> <p>Trintignant connait rapidement le succès avec <i>Le Fanfaron</i> de Dino Risi, film culte de la comédie italienne des années 1960 avec Vittorio Gassman. Il inaugure avec cet opus une longue présence sur grand écran en Italie. Il y apparaît dans une vingtaine de films. «Je n’acceptais pas d’être un acteur sans voix et d’être doublé en dépit du fait que je ne parlais pas l’italien parfaitement. J’ai toujours joué des rôles d’Italiens, refusé de jouer seulement un étranger avec un accent.» Trintignant s'éprend du cinéma de la péninsule: «Il y avait quelque chose de très joyeux, de très gai, de très insouciant dans le cinéma italien de cette époque, qui était magnifique». Selon lui, les cinéastes italiens possédaient aussi presque instinctivement un très bon goût. «Ils étaient très portés vers les arts plastiques et la photographie. Ils étaient très intéressés par l’habillage et le maquillage, ce qui me plaisait».</p> <p>Le jeune et séduisant Trintignant s’était fait repérer en 1959 des spectateurs d’<i>Eté violent</i> de Valerio Zurlini. Dans <i>Le conformiste </i>(1969) de Bertolucci, adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, il jouera l’un des plus grands rôles de sa très longue carrière. Il incarne le personnage complexe et ambigu de Clerici. Ce dernier est tourmenté par un sentiment de culpabilité et d'anormalité liés à des abus subis dans l’enfance. Il ressent la nécessité d'être conforme à ce que la société attend d'un homme de son époque et le besoin de se fondre dans la masse en adhérant au fascisme. Parallèlement, dans la vraie vie, Jean-Louis Trintignant devient ami du cinéaste Ettore Scola. Les deux sont contemporains. Il joue des petits rôles dans ses films. «J’ai joué notamment dans <i>La Terrasse </i>avec <i></i>les quatre grands du cinéma italien, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Serge Regianni et Vittorio Gassman». Dans ce film, quatre amis de longue date, proches des milieux de la gauche culturelle, se retrouvent à Rome pour une soirée-buffet sur la grande terrasse de l'un d'entre eux. L'enthousiasme de la jeunesse fait place pour eux à l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux. «Les personnages principaux de ce film incarnent une certaine décadence. Ce fut le film testament de la comédie italienne. C’était déplaisant d’être aussi lucide. Ettore Scola est un homme drôle, mais très lucide», souligne Trintignant. </p> <h3>Amis réalisateurs</h3> <p>Comment décidait-il d’accepter ou de refuser une proposition de tournage? «J’ai très souvent choisi en fonction du réalisateur. Le rôle m’importait peu.» Le courant de la Nouvelle Vague française y est peut-être pour quelque chose. Ses films se distinguent par les conditions inhabituelles dans lesquels ils sont tournés. Ses principaux réalisateurs ont fondé leur propre société pour s’émanciper des structures rigides de production qui avaient cours jusqu’alors dans l’Hexagone. Dans <i>Ma nuit chez Maud </i>d’Eric Rohmer, la morale du héros est éprouvée. Incarné par Trintignant, ce dernier examine si les promesses qu'elle contient sont valables, utiles ou hypocrites, dans la réalité. «J’ai adoré le scénario de <i>Ma nuit chez Maud</i>. Au début, j’ai décliné la proposition, mais comme le réalisateur Eric Rohmer et le producteur Barbet Schroeder insistaient, j’ai décidé de participer et de financer le film.»</p> <p>Trintignant s’était déjà illustré dans <i>Compartiments tueurs</i> (1965), le premier film réunissant une pléiade d’amis du réalisateur franco-grec Costa-Gavras. Tout comme Yves Montand, Irène Papas et Jacques Perrin et également par affinité élective, il accepte d’incarner bénévolement le rôle du juge d’instruction dans <i>Z</i> de Costa-Gavras (1968). «Egalement producteur, Jacques Perrin a obtenu que le film soit tourné en Algérie. Nous n’étions pas payés». Jean-Louis Trintignant aime travailler avec certains cinéastes non-conventionnels. Il affectionne la sensibilité qui émane du nouveau cinéma suisse, le vent discret de contestation qui souffle dans ses films. On peut le voir ainsi à l’écran dans trois films des réalisateurs genevois Michel Soutter (<i>L’escapade </i>(1974) et <i>Repérages </i>(1977)) et Alain Tanner (<i>La vallée fantôme</i> (1987)). Il partage avec ces cinéastes un même humour, fait vœu avec eux d’une même liberté et inventivité. Il communique son enthousiasme dans le cadre de l’émission Spécial Cinéma de la Radio-télévision suisse à Genève en 1977: «Les cinéastes suisses sont privilégiés. A Genève, vous avez la chance d’avoir un groupe de producteurs qui vous soutiennent pour faire ce que vous voulez. J’aime travailler avec vous!»</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1686224055_capturedcran2023060813.33.31.png" class="img-responsive img-fluid center " width="699" height="555" /></p> <h4><em>"La Vallée fantôme", Alain Tanner, 1987. © Collection Cinémathèque suisse. DR.</em></h4> <h3>Des rôles très variés</h3> <p><i>Z</i> de Costa-Gavras dénonçait la dictature des colonels instaurée en Grèce à la fin des années 1960. Avec ce rôle, Trintignant obtient le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1969. A l’instar de celui de <i>Z</i>, le personnage qu’il incarne dans <i>Ma Nuit chez Maud</i> est habité par le doute. Cependant, Jean-Louis Trintignant brille également lorsqu’il se glisse dans la peau de personnages plus décidés et volontaires, mus par le goût de l’action, le désir sexuel ou par le sentiment amoureux. En témoignent <i>Un homme et une femme</i> de Claude Lelouch (Palme d’Or à Cannes en 1966 avec Anouk Aimée), <em>Mon amour, mon amour</em> de Nadine Trintignant (1967), <i>L’homme qui ment</i> d’Alain Robbe-Grillet (Ours d’argent au Festival du film de Berlin en 1968), <i>Le train</i> de Pierre Granier-Deferre (sorti en 1973 avec Romy Schneider), <em>Je vous aime</em> de Claude Berri (1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Alain Souchon, Serge Gainsbourg), <i>Le mouton enragé</i> (diffusé en 1984 avec Romy Schneider et Jane Birkin) et <em>Rendez-vous</em> d'André Techiné (1985 avec Juliette Binoche).</p> <h3>Intransigeance artistique</h3> <p>Sa compagne à la ville, Nadine Marquand-Trintignant, est une femme à poigne. Elle-même réalisatrice, elle souhaite que son compagnon fasse du cinéma. Elle l’encourage beaucoup. Une tragédie frappe le couple. Leur première fille Pauline qui vient à peine de naître meurt subitement en 1970 à l’âge de dix mois. «J’ai eu ma part de malheur. Ce fut une période douloureuse de ma vie. Pauline est morte d’une asphyxie du nourrisson pendant le tournage du film alors qu’elle était avec nous à Rome. Je l’ai trouvée morte dans mon lit d’hôtel. J’ai décidé de continuer à tourner <i>Le Conformiste</i> quand bien même j’étais dévasté intérieurement. Si on accepte d’être acteur, de jouer la comédie, il faut aller jusqu’au bout. Tous les grands metteurs en scène sont très durs. Bernardo Bertolucci, c’est évident, en a profité. Mon personnage a dans <i>Le Conformiste </i>une sensibilité écorchée. Cette interprétation est peut-être ce que j’ai fait de mieux, de plus fort, de toute ma carrière.» Un an après le drame, Nadine décide d’écrire et de réaliser le film <i>Ça n’arrive qu’aux autres</i>. Pour ce récit directement inspiré du drame que le couple vient de vivre, elle sollicite Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni. </p> <p>Il se plaît à explorer les interstices de la fiction et de la réalité. Dans <i>Flic Story </i><b></b>de Jacques Deray (1975), Jean-Louis Trintignant incarne un tueur en série. Il commente ainsi les exigences du rôle: «On ne peut pas être un personnage auquel tout nous oppose naturellement. Il faut faire un effort. Pendant le film, je suis devenu antipathique. Je me suis enfermé dans un hôtel pour épargner cela à mes proches. Cela m’est arrivé pour d’autres rôles. Je donne d’ailleurs souvent ce conseil aux comédiens: s’isoler pour entrer dans la peau de leur personnage». A la fin des années 1980 et durant les années 1990, Trintignant incarne des rôles plus énigmatiques. Il joue des personnages souvent misanthropes, cyniques ou enfermés dans leur solitude: <em>Rendez-vous</em> d’André Techiné (1985), <i>La vallée fantôme</i> d’Alain Tanner (1987), <i>Trois couleurs: Rouge</i> de Krzystof Kieslowski (1994), <i>Regarde les hommes tomber</i> de Jacques Audiard (1994)<i>, Ceux qui m’aiment prendront le train</i> de Patrice Chéreau (1997).</p> <h3>Eclectisme, autonomie et goût du risque</h3> <p>Jean-Louis Trintignant s’essaie à la réalisation une première fois avec la comédie d’humour noir <i>Une journée bien remplie</i>, puis une deuxième fois avec <i>Le Maître-Nageur</i>, un récit empreint de la même tonalité sardonique que le précédent. Il décide de ne pas poursuivre dans cette voie. S’il le regrette, il observe manquer de certitudes et des compétences de leadership nécessaires pour exercer le métier de réalisateur. Malgré quelques apparitions dans des films tournés outre-Atlantique (<i>Un homme est mort</i> de Jacques Deray (1972) et <em>Under Fire</em> de Roger Spottiswoode (1985)), le cinéma américain ne le fait pas rêver. Il décline les invitations à incarner les personnages de Lacombe dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rencontres_du_troisi%25C3%25A8me_type"><i>Rencontres du troisième type</i></a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Steven_Spielberg">Steven Spielberg</a> et d'un journaliste dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Apocalypse_Now"><i>Apocalypse Now</i></a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Ford_Coppola">Francis Ford Coppola</a>. Ces rôles sont respectivement repris par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%25C3%25A7ois_Truffaut">François Truffaut</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dennis_Hopper">Dennis Hopper</a>. Cependant, il parvient à exaucer un souhait qu’il nourrit de longue date, celui de collaborer avec le père de la Nouvelle Vague en apparaissant aux côtés de Fanny Ardant dans <i>Vivement Dimanche</i> le dernier film de François Truffaut (1983).</p> <p>Jean-Louis Trintignant aime l’inattendu. Il a le goût du risque. Il s'intéresse à la compétition automobile et devient pour un temps pilote automobile professionnel. Il participe à plusieurs <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rallye_automobile">rallyes</a>, notamment à celui de Monte-Carlo à six reprises et les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/24_Heures_du_Mans">24 heures du Mans</a> en 1980. Il termine deuxième aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/24_Heures_de_Spa">24 heures de Spa</a> en 1982 avec ses coéquipiers <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Jarier">Jean-Pierre Jarier</a> et Thierry Tassin.</p> <p>En 1996, à l’instar de son oncle Maurice Trintignant (1917-2015) retiré de la course automobile dans son domaine viticole de Vergèze dans le Gard, il se lance dans une nouvelle aventure en achetant cinq hectares de vignes dans les côtes du Rhône avec un couple d’amis.</p> <h3>Surmonter l’horreur, vivre et jouer malgré le deuil</h3> <p>Marie Trintignant a débuté sa carrière d'actrice en 1966, à l'âge de quatre ans, dans <i>Mon amour, mon amour</i> de sa mère Nadine, aux côtés de son père Jean-Louis. Puis, elle enchaîne d'autres films avec sa mère, ensuite sous l’égide de son père adoptif le cinéaste Alain Corneau et d’autres réalisateurs. Active au théâtre, elle est nominée cinq fois aux César. Pendant quatre ans, de 1999 à 2003, Jean-Louis et Marie Trintignant jouent sur scène <i>Lettre d’amour du poète Guillaume Apollinaire à sa bien aimée Lou</i> mise en scène par Samuel Benchétrit. Trois ans plus tard, en 2002, Marie Trintignant est assassinée par son compagnon le chanteur Bertrand Cantat à Vilnius où elle tourne le téléfilm <i>Colette, une femme libre</i>, suite à une dispute au sujet d'un message envoyé par son mari Samuel Benchétrit dont elle est séparée.</p> <p>La mort de Marie plonge son père dans une stupeur et un désarroi total. «Cela m’a complètement détruit. Je n’arrive pas à m’en remettre. Marie est la personne que j’aime le plus au monde. Elle était très maternelle avec moi. Elle a établi cette relation avec moi sachant que cela me plaisait. J’ai pensé au suicide. J’ai appris à vivre sans consolation».</p> <p>En 2005, en hommage à sa fille tuée, Jean-Louis Trintignant lit la pièce d’Apollinaire, crée avec elle, au Festival d’Avignon. «Les mots ne m’ont pas guéri, mais ils m’ont nourri. J’ai réalisé que je pouvais vivre encore, partager des choses en redevenant comédien». Au cours de la même année, il joue avec Roger Dumas dans la pièce <i>Moins 2</i>, écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit au Théâtre Hébertot. Au côté de Daniel Mille à l’accordéon et de Grégoire Korniluk au violoncelle et après l’avoir présenté en province en 2011, il joue au théâtre de l’Odéon de Paris son spectacle «Trois poètes libertaires: Boris Vian, Jacques Prévert et Robert Desnos». Ce spectacle tourne dans d’autres villes en 2012 et 2013.</p> <p>Après quatorze années loin des caméras, Jean-Louis Trintignant accepte de revenir au cinéma dans <i>Amour</i> de Michael Haneke. Son interprétation magistrale d’un mari aimant au chevet de son épouse qui perd la mémoire est saluée unanimement par la critique. Ce drame familial et universel au sujet de la maladie, la vieillesse et de la mort est récompensé par la Palme d’or au 65ème Festival de Cannes, le César du meilleur film et l’Oscar du meilleur film étranger.</p> <p>En dépit de ses succès, Jean-Louis Trintignant est conscient de devoir affronter une double épreuve, la mort atroce de sa fille et celle sa propre vieillesse. «On nous avait pas prévenus que la vieillesse n’est pas une continuité! C’est une situation qui est très déplaisante. Il faut essayer de vivre le naufrage de la vieillesse le mieux possible». L’acteur pose sur sa vie un regard rétrospectif: «J’ai eu une adolescence très difficile. J’ai vécu l’âge adulte comme une renaissance. Le théâtre m’a arraché à la mélancolie. Et les femmes – l’amour – aussi.» Son art a été enrichi par ses expériences de vie, y compris celles les plus terriblement douloureuses et dramatiques. Cependant, il confesse le plaisir intense qu’il éprouve à remonter sur les planches. «Porter un masque tout en étant au plus proche de qui on est: c’est ce à quoi l’on peut aspirer une fois l’âge venu». «Ce que je préfère au théâtre, c’est le temps pour l’improbable et la place pour l’improvisation. J’aime l’expérimentation de jeu possible au théâtre. J’aime l’action sur le moment présent. J’aime l’instantanéité, le hasard, le jeu, le risque. La noblesse de l’art du théâtre, c’est qu’on ne peut pas s’installer dans une routine. J’aime la liberté que la poésie nous procure. La poésie nous dépasse, elle réussit à enthousiasmer. J’ai cherché et je cherche un théâtre pur, un jeu sincère qui puisse susciter l’émotion.»</p> <p>Jean-Louis Trintignant est mort le 17 juin 2022, à Collias dans le Gard, «entouré de ses proches», selon son épouse Marianne Hoepfner Trintignant, à l’âge de 91 ans. Il a consacré sa vie à faire rayonner les arts du théâtre et du cinéma, à partager avec beaucoup de justesse, de sincérité et de générosité ses émotions et les réflexions que nourrissaient sa personnalité hors du commun.</p> <hr /> <h4><a href="https://live.cinematheque.ch/cycle/2006-jean-louis-trintignant-un-an-dj" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant, un an déjà. Rétrospective à la Cinémathèque suisse</a>.</h4> <hr /> <h4>Pour aller plus loin:</h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/3470191-jl-trintignant.html">Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Jean-Louis Trintignant, Radio-télévsion suisse, 1977</a>.</h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/archives/tv/culture/special-cinema/7917214-trintignant-et-soutter.html">Spécial Cinéma de Christian Defaye avec Trintignant & Soutter, Ma RTS, Les Archives de la Radio-télévision suisse, 1977.</a></h4> <h4><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-jean-louis-trintignant-l-integrale-en-cinq-entretiens-2004">Jean-Louis Trintignant – A Voix nue, France Culture, 2004</a>.</h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=XD5t1VyyRT8&feature=youtu.be" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant - Vie privée, Vie publique, Mireille Dumas, 2005.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=9QhrA2JJdI4">Portrait de Jean-Louis Trintignant, pour la collection "empreintes", produit par Pierre Bouteiller et écrit et réalisé par François Chayé, Youtube, 2015.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=KWZCCjPu2Ko">Jean-Louis Trintignant: c’est quoi? Blow-up – Arte, 2017.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=FQPbDMn67dY&feature=youtu.be" target="_blank" rel="noopener">Jean-Louis Trintignant mort à 91 ans. Hommage C à vous, 2022.</a></h4> <h4><a href="https://www.youtube.com/watch?v=SkLs_PioFNo">Jean-Louis Trintignant: le monstre sacré, Code source, le podcast quotidien d'actualité du Parisien, 2022.</a></h4> <h4><a href="https://www.rts.ch/info/culture/cinema/9737168-jeanlouis-trintignant-le-discret.html#chap03">Jean-Louis Trintignant, le discret, Marie-Claude Martin, Radio-télévision suisse, 2022.</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'jean-louis-trintignant-talent-et-profondeur', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 279, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1259, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 3 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 2 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 3 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4866, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Jia Zhang-Ke. 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En témoignent leur programmation dans des ciné-clubs, leur projection dans des espaces informels de visionnement et les discussions que l’on peut trouver à leur propos sur les forums internet.</p> <p>À cause de son style unique et déroutant, son sens subtil de l’observation, sa capacité à restituer l’atmosphère d’environnements sociaux et de décors géographiques peu explorés, Jia Zhang-Ke est demeuré au cours des vingt dernières années un cinéaste de référence à l’international.</p> <p><strong>Le cinéma indépendant chinois et le réalisme post-soviétique</strong></p> <p>Le cinéma d’art et d’essai chinois a émergé au début des années 1990. Avec son film <em>Mama</em> Zhang Yuan inaugure une tradition consistant à produire des films à l’extérieur du système officiel des studios chinois. D’autres jeunes réalisateurs le suivent dans cette voie à l’instar de Wan Xiaoshuai et He Jianjun. 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Le premier film de Jia Zhang-Ke témoigne déjà d’une volonté de construire une impression de confrontation brute avec la réalité. Dans son premier court-métrage, <em>One day in Beinjing,</em> sa caméra se fixe sur une foule de touristes à la Place Tiananmen de Pékin, en particulier sur des gens de la campagne. « Il y a toute sorte de gens sur la place – des préposés à l’entretien, des gens locaux qui promènent leurs enfants, des amateurs de cerf-volant. Pour ma part, allez savoir pourquoi, j’ai été naturellement attiré par ceux qui viennent de la campagne. D’un point de vue émotionnel, il y avait quelque chose qui m’attirait vers eux».</p> <p>Ainsi, <em>Xiao Shan going home </em>prend donc logiquement ensuite pour sujet l’histoire de travailleurs provinciaux qui viennent à Pékin pour chercher du travail. Xiao Shan est le nom d’un travailleur de la province du Henan, et son histoire se déroule juste avant le Festival du printemps lorsque le protagoniste veut rentrer à la maison pour rendre visite à sa famille pour le Nouvel An, comme le veut la coutume chinoise. Cependant, Xiao Shan ne veut pas y aller seul et se met à chercher quelqu’un de sa ville natale qui veuille bien l’accompagner. Parmi ces derniers on trouve des maçons, des revendeurs de tickets, des prostituées et des étudiants d’université – mais personne ne souhaite y aller avec lui. En fin de compte, le protagoniste accroche une annonce dans la rue, et le film se conclut sur une image de lui chez un barbier du coin en train de faire couper ses longs cheveux.</p> <p>Jian Zhang-Ke a réalisé ces deux premiers courts-métrages – et un troisième <em>Du Du –</em> grâce à ses études à la Beijing Film Academy. C’est dans cet univers très ouvert sur le cinéma et la littérature étrangère qu’il a découvert son ambition de cinéaste : « <em>Xiao Shan Going Home </em>a remporté un prix au Festival du film indépendant de Hong-kong, et c’est pendant ce voyage à Hong-kong que j’ai rencontré les producteurs Chow Kueng (Zhou Qiang) et Lit Kit-ming (Li Jieming) et le chef opérateur Yu Lik Wai (Yu Liwei). Ils sont devenus les trois membres indispensables de mon équipe. Nous avons décidé de faire des films ensemble.»</p> <p><strong>Marchandisation, délitement des liens et solitude</strong></p> <p>La décision de filmer son prochain film <em>Xia Wu (Pickpocket</em>) à Fenyang dans sa ville natale qui borde le fleuve jaune, dans la province du Shanxi, ne doit rien au hasard. Elle est en parfaite cohérence avec la vision artistique qu’il a déjà élaborée. « J’ai décidé de débuter le film avec un plan de ses mains parce que c’est un pickpocket, un voleur, et ses mains sont son outil de travail. 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Économiques, technologiques, urbanistiques et architecturaux pour citer celles qui ne relèvent que de la sphère matérielle, ces transformations ont eu un impact multiforme et profond, encore difficile à mesurer avec exactitude, notamment sur les sphères sociales, familiales et individuelles.</p> <p>Dès les années 1980, les autorités chinoises ont voulu partager avec la population leur optimisme pour l’avenir. Dans le sillage de la libéralisation des échanges commerciaux avec le reste du monde et des progressives privatisations, les régions les plus reculées de Chine ont vu arriver notamment le vélomoteur, la télévision ou le lave-linge individuel. Cependant, le capitalisme marchand autoritaire - avec son corollaire, la réification de toute chose, et de tout échange entre les individus - ont un coût social et humain très élevé. « Les transformations arrivaient au Fenyang d’une façon tellement visible. Elles touchaient le comportement des gens. 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On peut citer notamment <em>Hidden Pleasures </em>(2002), <em>Still Life </em>(2006), <em>24 City </em>(2008)<em>, A Touch of Sin</em> (2013) et <em>Moutains May Depart </em>(2015). « Pour moi, il était important de faire quelque chose de cette réalité chinoise que je connaissais. Je ne voulais pas rester confiné au registre des cinéastes certes talentueux de la cinquième génération du cinéma chinois comme Cheng Kaige et Zhang Yimou, mais qui restaient confinés à une représentation imaginaire et idéalisée de la société chinoise traditionnelle ».</p> <p>Pour témoigner de l’impact des mutations sociétales chez la jeunesse et aussi de l’oppression ressentie par les individus dans la société chinoise, le réalisateur s’intéresse dans <em>Platform </em>(2002) à l’évolution d’une troupe de chanson et de danse. « Ces ensembles relèvent du totem chez les travailleurs de la culture en Chine. 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Jean Gabin y joue le rôle d’un déserteur de la Coloniale arrivé dans le port du Havre et qui cherche à se cacher avant de pouvoir quitter le pays. </p> <p>Grâce à un sympathique SDF, Jean trouve un abri dans une baraque du port où il fait la connaissance d’un peintre original et de Nelly, une jeune orpheline de dix-sept ans dont il s’éprend. En dépit de leur passion et du goût retrouvé par le héros pour l’existence, le destin, tragique, va l’emporter. Nelly soupçonne Zabel (Michel Simon) d'avoir assassiné Maurice, son amant. Pour défendre Nelly, Jean assassine Zabel. Alors qu'il s'enfuit pour rejoindre le bateau qui doit l'emmener au Venezuela, il est tué par Lucien (Pierre Brasseur), un jeune voyou local dont il s'est attiré les foudres.</p> <p>Le film est interdit sous l’Occupation allemande par la censure française et devra attendra mai 2011 pour entrer dans la catégorie des «tous publics». 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La majorité de l’action se déroule dans les rues et les estaminets enfumés de Paris. Cependant, au milieu du film, Becker octroie aux amants une courte idylle au bord de la rivière. D’autres scènes d’extérieur évoquent «Une partie de campagne» de Jean Renoir. Echec commercial à sa sortie, <i>Casque d’or </i>suscitera l’admiration des futurs représentants de la Nouvelle Vague. 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Une fois arrivé à Hollywood, défendu par le réalisateur Preston Surges, acquis de longue date à son style, il réalise un certain nombre de films appréciés par la critique.</p> <p>De retour en France, il adapte <i>La Ronde </i>(1950) d'Arthur Schnitzler, qui remporte le BAFTA Award du meilleur film en 1951, <i>Lola Montes</i> (1955) avec Martine Carol et Peter Ustinov, ainsi que <i>Le Plaisir</i> et<i> Les Boucles d’oreille de Madame De</i> (1953). Ce dernier, avec Danielle Darieux et Charles Boyer, couronne sa carrière. </p> <p>Dans <i>Madame De</i>, d’après le roman de Louise de Vilmorin, Danielle Darieux, alors l’héroïne emblématique de Max Ophuls, se débat avec les tracas d’une grande dame, coquette, futile et dépensière. Soudain touchée par la passion amoureuse, elle va devoir affronter tous ses périls. Le style baroque et lyrique décrit à la perfection le tourbillon de la vie mondaine 1900, son calendrier réglé et son cortège d’us et coutumes: caprices, bals, sentiments dissimulés, élans du cœur et rivalités masculines (Charles Boyer et Vittorio de Sica). Le cinéaste porte un regard amusé, mais critique et acéré sur l’art du mariage, le bonheur que l’institution bourgeoise fait miroiter et qui cache mal l’implacable subordination des femmes. </p> <p>Max Ophüls est décédé en 1957 à Hambourg d’une maladie cardiaque rhumatismale alors qu'il tournait des intérieurs sur <i>Les Amoureux de Montparnasse</i>. Il a été enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris. Ce dernier film a été réalisé par son ami Jacques Becker.</p> <h3>Amour vécu, amour perdu, d'une beauté sans égale</h3> <p>La ville d’Hiroshima est hantée par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et de l’usage de la bombe atomique contre les civils. Au cours de son séjour sur place, une Française va revivre dans les bras d’un Japonais l’amour auquel elle a succombé pendant la guerre avec un soldat allemand. Cette aventure lui avait valu d’être tondue et de subir l’humiliation et l’opprobre à la Libération. L’écriture incantatoire de Marguerite Duras et la caméra avant-gardiste de Resnais plongent le spectateur dans un vertige amoureux et existentiel. Le récit littéraire – tout comme le récit filmique adapté de ce dernier – est celui de l’amour et de son impossibilité, à la fois pratique et morale. L’amour vécu et l’amour perdu, passé et présent, se vivent à la fois dans le cadre du récit et à travers son souvenir, ce qui leur confère une portée obsédante, d’une beauté sans égale.</p> <p><i>Hiroshima mon amour</i> a déconstruit les concepts classiques du récit cinématographique et exposé, de manière nouvelle pour l’époque, les notions de mémoire et d’oubli. Le film évoquait les différents traumatismes liés à la Seconde Guerre mondiale. Avec 2,2 millions d'entrées en France, il a obtenu un immense succès. <i>Hiroshima mon amour </i>est récompensé en 1959 par le prix Meliès <i>ex æquo </i>avec un autre film qui, comme lui, connut un très grand retentissement et devint tout de suite un classique du cinéma: <i>Les Quatre cent coups</i> de François Truffaut.</p> <p>Réalisateur d'<i>Hiroshima Mon amour </i>(1959) et de <i>L’année dernière à Marienbad</i> (1961), Alain Resnais a été rapidement considéré comme l'un des grands représentants du courant de la <i>Nouvelle Vague</i>. Il est aussi perçu comme l’un des tenants de la modernité cinématographique européenne, avec Roberto Rossellini, Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni, en raison de sa façon de questionner la grammaire du cinéma et de battre en brèche la narration linéaire classique.</p> <p>Alain Resnais est reconnu pour sa propension à créer des formes inédites et à enrichir les codes de la représentation cinématographique par le biais d’apports d’autres arts: littérature, théâtre, musique, peinture ou bande dessinée. On retrouve dans son œuvre des sujets historiques, la mémoire, l'engagement politique, l'intimité, la réalité de l'esprit, le rêve, le conditionnement des êtres, la mort, la mélancolie et l'art.</p> <p><i>Hiroshima mon amour </i>est présenté hors compétition au Festival de Cannes en 1959. Il divise alors les spectateurs. Le film fait parler de lui très loin à la ronde. Il s’attire les grâces de la critique et du public. Pour Louis Malle, «ce film fait faire un bond dans l'histoire du cinéma». Jean-Luc Godard s’estimera plus tard envieux du film: «Je me souviens avoir été très jaloux de <i>Hiroshima mon amour</i>. Je me disais: "Ça c'est bien et ça nous a échappé, on n'a pas de contrôle là-dessus"».</p> <h3>Une femme dans la ville</h3> <p>Le courant de <i>La Nouvelle Vague</i> du tournant des années 1960 est devenu un modèle de l’art au cinéma sur le plan international. Il a combiné la subjectivité du créateur, sa maîtrise totale de l’œuvre et la transgression des nombreuses normes, à la fois culturelles et morales.</p> <p>Ce courant<i> </i>a redonné une vigueur au cinéma français. Il lui a offert une immense bouffée d’oxygène, faisant respirer le milieu jusqu’alors très hermétique et hiérarchisé de l’industrie cinématographique française. Depuis la fin de la guerre et jusqu’au milieu des années 1950, Henri-Georges Clouzot, Jean Delannoy, Claude Autant-Lara, Christian-Jaque et Marc Allégret dominent en effet la production et les studios. Ces cinéastes se réclament d’une «tradition de la qualité» grâce à leur important savoir-faire. Cependant, le système qu’ils ont érigé est très défavorable à la jeunesse et au renouvellement des cadres. Comme l’explique Antoine de Baecque, «parmi la vingtaine de réalisateurs de la <i>Nouvelle Vague</i> ayant laissé une empreinte durable, on peut discerner sinon quelques écoles, du moins certaines filiations. Le groupe issu des <em>Cahiers du cinéma</em>, celui dit des Jeunes Turcs devenus cinéastes tels que Claude Chabrol, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Eric Rohmer, véritable noyau dur de la Nouvelle Vague. Les auteurs <i>Rive Gauche </i>ensuite, appellation spatiale, culturelle, politique, littéraire, certains travaillant avec les écrivains du Nouveau Roman: Alain Resnais, Jacques Doniol-Valcroze, Pierre Kast, Chris Marker, Agnès Varda, Jean-Daniel Pollet. Ceux que l’on pourrait regrouper sous le nom d’"aventuriers de la caméra", adeptes des expériences de caméra légère, de cinéma direct, pris sur le vif, proches de l’école documentaire, tels que Jean Rouch, François Reichenbach, Pierre Schoendoerffer. Quelques francs-tireurs, inclassables, autodidactes de la caméra, comme Jacques Demy, Jean-Pierre Mocky ou Jacques Rozier. Enfin, un dernier groupe plus éclaté encore, comportant de jeunes cinéastes issus du cinéma commercial (ils ont fait une carrière d’assistant dans les années 1950) mais portés par la vague au point de s’identifier à elle (Roger Vadim, Louis Malle, Edouard Molinaro, Claude Sautet, Philippe de Broca)». (<em>Dictionnaire de la pensée du cinéma</em>, Antoine de Baecque & Philippe Chevallier, Presses Universitaires de France, 2012, pp. 518-519).</p> <p>Lors de son émergence, le cinéma de la <i>Nouvelle Vague</i> est avant tout apprécié pour l’authenticité des images de la jeunesse qu’il véhicule et sa façon d’explorer les rapports amoureux. D’après l’historienne et critique du cinéma Genève Sellier, du fait que les cinéastes qui en sont issus étaient quasiment tous des hommes, le cinéma de la <i>Nouvelle Vague</i> allait privilégier l’expression de la subjectivité et le culte de la nouveauté formelle au détriment des enjeux de société. De jeunes acteurs masculins incarnent le rôle d’alter-egos des réalisateurs alors que les personnages féminins représentent un mélange d’archaïsme et de modernité. Les deux représentantes les plus célèbres de la Nouvelle Vague sont Jeanne Moreau, incarnant l’amoureuse éperdue ou la femme fatale, ainsi que Brigitte Bardot, icône ambigüe de la culture de masse. En dépit des films passionnants de Marguerite Duras et d’Agnès Varda ou du regard indomptable de Jacqueline Audry (treize long-métrages à son actif), le cinéma de la génération <i>Nouvelle Vagu</i>e est resté tributaire d’un regard masculin souvent misogyne, et de son imaginaire tel que façonné par des siècles d’éducation ainsi que par l’influence des arts et des lettres (Geneviève Sellier, <i>La nouvelle vague, un cinéma au masculin singulier</i>, Paris, CNRS Ed., coll. Cinéma & Audiovisuel, 2005, 217 pages).</p> <p>La cinéaste Agnès Varda s’intéresse aux mouvements d’émancipation collectifs. Elle a signé plusieurs œuvres marquantes sur le mouvement d’émancipation féminine. <i>Réponse de Femmes: notre corps, notre sexe</i> (1975) explore d’un point de vue féministe le rapport des femmes à leur corps. <i>L’une chante, l’autre pas</i> (1976) évoque, par-delà les barrières sociales existantes, la question du droit à l’avortement. <i>Cléo de 5 à 7</i> (1962) peut se lire comme un appel à une conscientisation féministe. L’héroïne de cette fiction est une diva de la chanson. Son personnage satisfait à tous les critères esthétiques et comportementaux du glamour médiatique. Des cheveux blonds permanentés; la perfection surfaite du maquillage; la taille de guêpe et les talons aiguilles; l’allure, mais aussi le discours et les manières hyper stéréotypées: Cléo est l’incarnation de l’idéal féminin sur papier glacé. Pourtant, elle ne respire de loin pas le bonheur. Elle attend les résultats d’une analyse médicale. Son esprit tourmenté lui fait croire à l’imminence de l’annonce d’une maladie cancéreuse qui viendrait rapidement l’emporter. Son angoisse de mort est symbolisée par une peur panique d’atteinte à son intégrité corporelle. Celle-ci n’est que le reflet de son obsession à voir sa beauté, son seul et unique atout dans sa triste manche existentielle, à jamais préservée. L’exploration de cette névrose très spécifique, qui prend dans certaines scènes carrément la forme d’une angoisse de mutilation (verbalisée par l’héroïne), est une critique de la fétichisation du corps féminin dans une société où règne encore la domination du masculin, de ses fantasmes et de ses valeurs. Le spectateur est bientôt l’heureux témoin de la transformation intérieure de l’héroïne. Celle-ci s’opère en écho à la rébellion qu’elle va mettre en œuvre contre les codes et usages qui l’avaient jusqu’ici enfermée. Cette libération s’effectue au travers d’une déambulation, à pied et virevoltante, par les rues de Paris. Dans la culture occidentale, la flânerie était jusqu’à récemment l’apanage quasi exclusif du masculin. L’affirmation de l’héroïne se joue donc dans l’acte de flâner. La transformation intérieure implique un changement d’attitude vis-à-vis du monde extérieur. Une porte d’accès vers l’Autre s’ouvre alors que la caméra, comme en écho à ce nouveau regard, adopte une multiplicité de points de vue sur la ville.</p> <h3>Décor enchanté</h3> <p>Comme Agnès Varda, son compagnon Jacques Demy est venu à la réalisation par le court-métrage. Ils font tous deux partie de la constellation de la <i>Nouvelle Vague</i>. Cependant, leurs films sont très différents. Enclin à la rêverie poétique et aux sentiments exacerbés, Jacques Demy se laisse très volontiers aller au lyrisme. Il s’attarde longuement au pays des amours contrariées et des aventures passionnées. Ses personnages féminins sont parés d’une auréole quasi mythique. Le blanc laiteux prévaut dans ses films en noir et blanc. Il affectionne particulièrement les couleurs pastel. Cependant, le rose, le bleu et le jaune, si présents dans ses films en couleur, ne sont pas censés évoquer uniquement la béatitude. </p> <p><i>Les parapluies de Cherbourg </i>(1964) raconte l’histoire d’un amour brisé par la guerre d’Algérie. Les acteurs parlent une prose mélodique sur une musique enivrante de Michel Legrand. La musique est une composante cruciale du récit cinématographique. Catherine Deneuve, Nino Castelnuovo et les autres interprètes du film sont doublés par des chanteurs dont les voix ressemblent parfaitement aux leurs. Les rues, les maisons, les décors, les costumes changent d’apparence et de couleurs en fonction des états d’âme et des pensées des personnages. Romantique, tendre, mélancolique, le film échappe toutefois à la niaiserie et au happy-end. Selon l’actrice Virginie Ledoyen, il fait l’effet d’un «bonbon empoisonné». En 1964, <i>Les parapluies de Cherbourg</i> reçoit le prix Louis-Delluc, la Palme d’Or du Festival de Cannes, le prix de l’Office catholique du cinéma et, enfin, le prix Meliès 1965.</p> <h3><em>Playtime</em></h3> <p>Dans ce film «comique» sorti en 1967, Jacques Tati incarne une nouvelle fois Monsieur Hulot, le personnage populaire qui a joué une partition cruciale dans ses films précédents, <i>Les Vacances de Monsieur Hulot </i>(1953) et <i>Mon oncle</i> (1958).</p> <p><i>Playtime </i>se déroule dans un Paris moderniste en proie à la surconsommation permanente. L’histoire est structurée en six séquences, liées par deux personnages qui se croisent à plusieurs reprises au cours d’une journée: Barbara, une jeune américaine en visite à Paris accompagnée de touristes américaines, et Monsieur Hulot, un Français déconcerté et perdu dans une modernité trop grande pour lui. La venue des voyageuses, plus ou moins aisées, dans la mégalopole française, est annonciatrice du tourisme de masse.</p> <p>Le film est dépourvu <b></b>d’une vraie narration. Il met en scène la frénésie d’un monde animé par la recherche du profit et de l’utilité, mais aussi par la soif de loisirs et de divertissements caractéristique des décennies 1960 et 1970.<b></b></p> <p>Le personnage de Monsieur Hulot, avec son manteau à carreau porté comme une cape à l’anglaise, sa silhouette élancée et sa pipe, fait corps avec Jacques Tati. L’acteur-réalisateur s’est comparé à Charlie Chaplin ou à Buster Keaton.<b></b>Toutefois, il a renoncé à faire de son personnage comique le cœur de ses films et il a choisi plutôt de mettre en avant ses très nombreux figurants.</p> <p>La vie sociale a cependant un goût quelque peu amer dans <i>Playtime</i> comme dans d’autres des réalisations de Tati car les gens ne s’y parlent pas vraiment. Le vieux camarade de service militaire rencontré par hasard<i> </i>semble ainsi ravi de montrer à Hulot son nouvel appartement, mais pas intéressé à prendre de ses nouvelles et à échanger avec lui. Les personnages vivent dans une culture des apparences qui empêchent une réelle communication. Tati observe la société contemporaine avec l’œil d’un anthropologue ou d’un sociologue. Il se moque abondamment du monde moderne, en particulier de la technique. Cependant, le regard qu’il porte sur l’humanité demeure bienveillant. Ses personnages sont plus burlesques que méchants ou violents. Même les plus caricaturaux d’entre eux conservent une part attachante ou paraissent la retrouver au gré des péripéties.</p> <p>L’univers de <i>Playtime</i> est celui du gigantisme urbain et de la modernité technologique, tout en couleur bleu, gris ou violet pâle. On comprend à peine les mots prononcés le plus souvent en anglais par les personnages. En dépit de la quasi absence de dialogues dans ses films, Tati apporte un soin très prononcé aux bandes-son. Totalement composée en postsynchronisation, travaillée avec un soin et une minutie extrêmes, la bande-son permet par la précision de chaque élément, de donner l’impression d’une ruche dans laquelle les personnages évoluent et interagissent de manière bruyante. De l’avis de nombreux critiques, l’on peut reconnaître immédiatement un film de Tati en écoutant la bande-son, sans les images.</p> <p>Pourtant, à propos de <i>Playtime</i>, Jacques Tati estimait que «ce film n’est pas fait exactement pour un écran, mais fait pour l’œil». «Il considérait en effet que ce film était moins le sien que celui du spectateur. "Les plans sont ainsi conçus que si vous voyez le film deux ou trois fois, ce n’est déjà plus mon film. Cela devient le vôtre. Vous reconnaissez les gens, vous savez qui ils sont et vous ne savez même plus qui a dirigé le film. 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Barria Bignotti au Commun, espace culturel de la Ville de Genève, le 23 août dernier, fera date. Pour tous les membres de la communauté chilienne qui résident à Genève et leur.e.s ami.e.s. Et pour Marisa Cornejo en particulier.</p> <p>Elle est née en 1971, à Santiago du Chili. Artiste plasticienne dotée d’un grand talent d’écriture, son travail s’articule depuis plus de vingt ans autour des thèmes de la mémoire et de la réparation de l'identité déterritorialisée.</p> <p>Marisa Cornejo Studio, l’association au travers de laquelle son travail d’artiste se déploie, a reçu récemment le soutien de Pro Helvetia. Plusieurs de ses œuvres sont exposées à la Galerie Gallatin de New York en ce moment et jusqu’à la fin du mois.</p> <p>Les traumatismes nécessitent de faire le bilan du passé. Cependant, ils exigent également de trouver un chemin vers l'avenir, une voie transformatrice, constructive et, idéalement, porteuse d’espoir. 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C’est d’abord l’irruption dans l’appartement familial à Santiago de paramilitaires, à laquelle elle a assisté impuissante en tant qu’enfant. Ainsi, il s’agit du souvenir traumatique lié à cette image. L’empreinte, c’est aussi la torture et la violence d’Etat que son père a subie à l’instar de nombreux prisonniers politiques chiliens disparus sans laissé aucune trace; cependant, enfin, dans une perspective de transmission et de vocation filiale, l’empreinte évoque les archives de son père. Lui-même artiste, son travail plastique a malheureusement été privé de reconnaissance de son vivant à cause de son statut d’apatride. Le livre paru aux éditions Art & Fiction en 2023 permet d’évoquer mais aussi d’apprécier visuellement les gravures, dessins, affiches, meubles, objets d’art et très nombreuses photographies qu’Eugenio transportait au cours des déménagements familiaux successifs. 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Taganrog résonne aujourd’hui de façon sinistre puisque c’est devenu le centre de filtration de l’armée russe: les habitants de Marioupol ont été conduits là, à Taganrog, où ils se sont vus confisquer leurs passeports et leurs portables pour être déportés ensuite vers des régions éloignées de la Fédération de Russie. En lieu et place de leurs passeports, on leur a donné des certificats les assignant à résidence dans différentes villes russes les engageant à y effectuer un travail obligatoire. <br /><br />Dans sa correspondance, Tchekhov dit à plusieurs reprises être un homme du Sud, qu’il subit donc un atavisme géographique qui le porte naturellement à la paresse. C’est un thème qu’il aborde en se servant toujours du même mot: <i>Khokhol</i>. <i>Khokhol </i>est un terme péjoratif qu’utilisaient les Russes pour désigner les Ukrainiens. Avec leur grand sens de l’humour et de l’autodérision les Ukrainiens se qualifient eux-mêmes de <i>Khokhly</i>. Les traducteurs ont soin d’éviter ce mot. 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Sa radiographie de la société et de la mesquinerie humaine, on la rencontre tous les jours en Russie. Lire Tchekhov c’est comprendre la Russie d’aujourd’hui. Filmer Tchekhov c’est le remercier.</p> <p><strong>Dans <em>Un selfie avec Anton Tchekhov</em>, vous choisissez de mettre l’accent sur certains aspects documentaires, mais vous insérez aussi des séquences qui restent ouvertes à l’interprétation...</strong></p> <p>La structure polyphonique du film est en adéquation avec la structure même des pièces de Tchekhov: des voix s’entrelacent, se répondent, ou restent en suspension, et laissent place au silence. L’imaginaire s’invite parmi ces plans documentaires, les hasards du quotidien d’un tournage, des improvisations...</p> <p><strong>Votre film nous présente un Tchekhov très proche...</strong></p> <p>Anton Tchekhov a tenu toute sa vie une abondante correspondance, caviardée «pour cause d’indécence», par les chercheurs soviétiques: se plonger dans ses lettres, dans son œuvre, revient à faire la connaissance d’un être exceptionnel, drôle, modeste, brillant, quelqu’un qui habiterait... le palier d’en face.</p> <p><strong>Tchekhov n’est pas incarné par un comédien. En revanche, vous faites énoncer le diagnostic médical par un comédien.</strong></p> <p>La voix de Tchekhov est incarnée par Michel Voïta, un texte est dit par Nathalie Sarraute elle-même... Le film, dont le thème est «Ich sterbe (je meurs)», nous concerne tous. C’est peut-être un film clôture. La rétrospective organisée par la Cinémathèque durant ce mois d’octobre me donne un peu ce sentiment...</p> <p><strong>Comment avez-vous choisi les extraits des pièces de Tchekhov?</strong></p> <p>J’ai visionné les captations de multiples mises en scène, des plus anciennes (avec Michel Piccoli, par exemple), aux plus contemporaines, j’ai revu les adaptations des pièces au cinéma: je laisse aux spectateurs le plaisir de découvrir mon choix.</p> <p><strong>De combien de temps avez-vous eu besoin pour la réalisation?</strong></p> <p>Un essai demande du temps, exige d’avoir le goût de l’improvisation et d’être constamment à l’affût. Le film s’est fait sur trois ans.</p> <p><strong>Vous êtes vous-même auteure. Tchekhov est-il un de vos interlocuteurs privilégiés?</strong></p> <p>L’œuvre de Tchekhov, dans la collection de La Pléiade représente trois épais volumes, sans compter sa correspondance (<i>Vivre de mes rêves</i>, magnifiquement traduite par Nadine Dubourvieux). C’est cette correspondance qui m’a le plus subjuguée et qui m’a décidée à réaliser <i>Un selfie</i> <i>avec Anton Tchekhov.</i></p> <p><strong>La littérature russe questionne-t-elle la mort de façon plus profonde que les autres littératures?</strong></p> <p>Anton Tchekhov pose sur la mort un regard de médecin sans état d’âme. Dans <i>Platonov</i>, il fait dire à ses comédiens: - Que faire Nikolaï? - Enterrer les morts et réparer les vivants.</p> <p><strong>Comment désirez-vous conclure?</strong></p> <p>Sur ces mots d’André Markowicz, auteur et traducteur, dont je recommande vivement les chroniques sur FB: «Toute l’œuvre de Tchekhov est une protestation contre les potentats russes, un appel à soigner la folie des hommes. La grande littérature russe est une littérature de compassion, une littérature tchekhovienne, celle de l’humanisme même».</p> <p>«On lit quoi en priorité?», demande-t-on souvent à André Markowicz. «Tchekhov, Tchekhov et encore Tchekhov.»</p> <hr /> <h4><em>Un selfie avec Anton Tchekhov</em> sera visible dans plusieurs villes de Suisse romande ces prochaines semaines: 07.10 à La Chaux-de-Fonds au Cinéma ABC, à Berne au Cinéma Rex le 09.10, à Fribourg au Cinéma Rex le 13.10, à Sion le 27.10 au Cinéma Capitole et à Genève aux Cinémas du Grütli le 3.11</h4> <h4><a href="https://live.cinematheque.ch/editorial/1901-rtrospective-dominique-de-rivaz" target="_blank" rel="noopener">Rétrospective Dominique de Rivaz</a>, à la Cinémathèque suisse, jusqu'à la fin du mois d'octobre.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'dominique-de-rivaz-lire-tchekhov-c-est-comprendre-la-russie-d-aujourd-hui', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 445, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 1259, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 10270, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'Capture d’écran 2023-06-08 à 10.49.52.png', 'type' => 'image', 'subtype' => 'png', 'size' => (int) 1717723, 'md5' => '5badd52d7e4d54829859421d12dc2fd0', 'width' => (int) 1137, 'height' => (int) 758, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => '"Le conformiste" de Bernardo Bertolucci, 1970.', 'author' => '', 'copyright' => '© Collection Cinémathèque suisse. 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