Culture / Flinguomanie américaine
L'ombre d'un sniper de l'armée américaine, lors d'une opération de sécurisation en Afghanistan (2010). © Cpl Daniel Blatter/Public Domain
Alors que la tuerie d’Uvalde (Texas, 21 morts, dont 19 enfants) ravive, une triste fois de plus, le débat sur le port d’armes aux Etats-Unis, paraît un récit au plus près de la folie armée américaine. Patrick Declerck, anthropologue et psychanalyste, a fréquenté à trois reprises un stage de formation pour tireurs d’élite. Entre démonstrations de force un peu vaines, instruction pratique et solide cynisme, il raconte.
Il faut poser cela clairement et dès l’abord: Patrick Declerck, anthropologue, psychanalyste, philosophe français et belge, auteur d’une dizaine d’ouvrages salués, n’a aucune imagination. Ce qu’il raconte, c’est du vécu, rien que du vécu. Son premier livre, Les Naufragés. Avec les clochards de Paris (2001) se situe aux limites de la raison et de la société, au Centre d’accueil des sans-abris de Nanterre. Socrate dans la nuit (2012) révèle que l’auteur est atteint d’une tumeur cérébrale inopérable. Quatre ans plus tard, Crâne, le récit de l’opération qui finalement put avoir lieu. Une opération «à cerveau ouvert» au cours de laquelle il était vital que le patient demeurât conscient. Declerck a tout vu, tout vécu, et il raconte. Il ne fait que raconter, et comme le revendique le titre d’un autre de ses ouvrages, le tout est Garanti sans moraline.
Dans la vraie vie, Patrick Declerck est un immense gaillard de près de deux mètres, qui porte fièrement à l’avant de son crâne la cicatrice, le trou d’obus, qu’a laissé la chirurgie. C’est d’une voix toujours posée et douce qu’il parle de son amour des animaux, même les plus repoussants, et du même ton, la main se portant par réflexe à sa ceinture, déclare son peu d’estime pour le genre humain. On peut en croire son expérience: ni Dieu, ni maître, ni morale. D’accord. Mais une éthique.
Il arriva pourtant un moment où ses récits parurent trop invraisemblables. Raconter, dans les dîners parisiens, que vous revenez – diplômé – d’un stage de sniper en Arizona, cela n’est pas du meilleur effet. C’est pourtant du vécu aussi, pour preuve ce livre.
Juin 2012, «quelque part dans la banlieue désertique de Phoenix, Arizona», Declerck, après un numéro de persuasion périlleux et un passage des frontières surveillé par le FBI, débarque à la Bolt Action Sniper Academy.
«Sniper, me disais-je. Sniper de moi-même. Et glorieuse hauteur que d’en finir en n’étant plus rien d’autre que ma propre et dernière cible... (...) Doux fantasme d’une petite mise en scène plaisamment narcissique. Coquetterie protestataire de rester, et ce jusqu’à la dernière des dernières secondes, le maître absolu (...)» Voilà pour les dispositions d’esprit. Au moment où Patrick Declerck débarque aux Etats-Unis, il sait qu’à son retour en Europe l’attend une opération au cours de laquelle il a toutes les chances de laisser sa vie, ou son autonomie. Une arme comme porte de sortie potentielle, cela se comprend. Mais une arme de guerre capable de viser une cible à deux kilomètres... Cela semble peu commode pour mettre fin à ses jours.
Qu’importent les questions, le récit avance, au cœur de ce que les USA ont sans doute produit de pire à nos yeux européens: la «flinguomanie nord américaine la plus militante», raciste, homophobe, bête et brutale.
C’est fort de son savoir d’anthropologue, de son regard psychiatriquement acéré, que celui que ses compagnons surnomment vite «Doc» détaille les autres participants au stage, et les instructeurs. Il va de soi qu’il est le seul Européen, mais son anglais fluent acquis au cours d’une enfance américaine le préserve du rejet.
Les instructeurs, Todd, Scott et Frank, commencent leur premier cours en précisant que, bien que vêtus de chemises bleu ciel, ils ne sont «pas des pédés». Et ils insistent beaucoup, beaucoup sur ce point. La cohésion du groupe est assez sommaire, et se constitue autour d’un principe simple: «Vous allez être armés, nous le sommes aussi. Le premier à faire le con sera immédiatement abattu.»
Les frères d’armes, les voici: Phil, un mécanicien automobile névrosé et fasciné par les fusils, qui n’en est pas à son premier stage. «Il ne paraît pas clairement distinguer entre ce stage qui commence et l’habituel quotidien de son existence». Mark, un «grand Black», flic à la retraite reconverti dans la sécurité privée en Afghanistan. Jimmy, vétéran d’Irak II, aujourd’hui flic. John, vétéran d’Irak lui aussi, «marine medic», ce qui lui vaut aussitôt un respect inaliénable de la part du groupe. Daniel, «tronche banale, taille moyenne», un ex-marine qui organise des séminaires pseudo-militaires à destination des entreprises. Les deux derniers sont arrivés en même temps et en retard: des anciens marines, honteux de ne pas avoir combattu, répondant aux noms de Bob et Al, on n’en saura pas plus.
«J’allais débuter quinze jours de cours, dimanches compris et sans interruption aucune. Les leçons commenceraient à six heures et se termineraient, sans véritable pause, dix heures plus tard. Il fallait apporter avec soi de quoi se nourrir en quelques minutes si on le souhaitait et surtout de quoi boire suffisamment dans un environnement où la température, en cette saison, oscillait entre trente et quarante-cinq degrés.»
Declerck n’est pas, comme Phil, un névrosé qui vide son chargeur pour se griser de sa propre puissance, de sa capacité de destruction et jouir du bruit qu’il peut faire. C’est un amoureux des armes, oui, il le revendique et s’en explique autant qu’il le peut. Et c’est en spécialiste soucieux de pédagogie qu’il décrit l’expérience, façon aussi de démystifier, tant pour ceux qui fantasment sur les canons que pour ceux qui en ont un dégout panique. Les passages techniques concernent ainsi le modèle de l’arme utilisée, en l’occurrence une Remington 700, les munitions, l’entretien, le montage et démontage des différentes pièces, le calcul des distances, le réglage de la lunette, les difficultés physiques induites par la position même du sniper, couché et immobile durant des dizaines d’heures, la gestion des douleurs et de la fatigue, les hématomes sur l’épaule que provoquent les tirs, le bruit des détonations, la poussière, l’odeur de la poudre... Avec un mantra simple: ce qui tue, ce n’est pas l’arme, c'est le connard qui la tient.
Dans une tribune publiée par Le Monde, portant sur la tragique actualité américaine et les débats sur le port d’armes une fois de plus relancés, Declerck souligne: «Il est paradoxal que cette monstruosité plus ou moins contrôlée ne puisse s’accomplir qu’en appliquant scrupuleusement une technique de pure rationalité. Quelles que soient la motivation, la mission ou la folie du sniper, ce dernier n’atteindra sa cible avec efficacité qu’en se soumettant aux exigences des pures lois de la chimie, de la physique et de la gravitation.»
«Chaque sniper est une possibilité de catastrophe en marche et sa formation n’a d’autre objectif que de lui apprendre à tuer vite et implacablement. Voilà sa seule mission et il n’attend que l’occasion de l’accomplir.»
Il est également paradoxal de lire ce récit de volonté de puissance, de pulsion de mort et de destruction, de la part d’un homme qui met toute son énergie à préserver la vie des lézards, serpents, araignées, colibris, mouches et autres habitants innocents du désert d’Arizona. Pendant des heures, chaque jour, Declerck s’exerce, se perfectionne, se conditionne à viser la tête, le cœur, le foie, de cibles métalliques à forme humaine. Pourquoi? Cette question reste en suspens, et si l’auteur ne prend pas la peine d’y répondre de manière argumentée, en anthropologue, c’est parce que nous connaissons tous la réponse, au fond. Il s’agit peut-être de canaliser une brutalité réelle, tapie au fond de chaque homme, et qui est au moins ici sincèrement (et non sans auto-dérision) exposée. Il s’agit probablement de faire ce qu’on peut, comme on le peut, pour conjurer la colossale violence qu’il y a à être en vie. Il s’agit enfin, même et surtout si l’on n’y croit pas, de devenir Dieu.
«Tout cela est épouvantable, c’est entendu. Epouvantable! Mais si ce n’était que cela, alors l’épouvante, l’horreur, la culpabilité, la honte et son frère le dégoût auraient depuis longtemps mis un terme à cette assassine folie. (...) Non, quelque chose fait défaut à notre analyse. Et je fais l’expérience de ce dont il s’agit en balayant de ma lunette tous les lieux d’impacts possibles d’une de mes balles sur le visage de Todd… C’est simple: en cet instant précis, je suis Dieu. Dieu, le maître absolu de ce monde qui, d’une simple et secrète tension de l’extrémité de son seul et divin index, peut anéantir un être à jamais et je connais, à présent, cette monstrueuse jouissance de détenir le pouvoir (...) Votre existence même, toute votre supposée liberté fière et chérie n’est plus, à cette seconde, que l’extension de mon éventuelle générosité. Et voilà, le fond du fond, la jouissance absolue et l’ultime secret de cette affaire.»
A la fin du stage, Declerck rentre en France, où il pourra se procurer sans difficulté un modèle équivalent à l’arme de guerre avec laquelle il s’est entraîné à tuer durant quinze jours. Ses compagnons de tir, eux, se dispersent à nouveau dans la nature, sur le vaste territoire américain ou vers l’honni Moyen-Orient, tous des catastrophes en puissance et armées jusqu’aux dents, le Deuxième amendement solidement fiché à la ceinture.
«Sniper en Arizona», Patrick Declerck, Editions Buchet-Chastel, 384 pages.
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Les passages techniques concernent ainsi le modèle de l’arme utilisée, en l’occurrence une Remington 700, les munitions, l’entretien, le montage et démontage des différentes pièces, le calcul des distances, le réglage de la lunette, les difficultés physiques induites par la position même du sniper, couché et immobile durant des dizaines d’heures, la gestion des douleurs et de la fatigue, les hématomes sur l’épaule que provoquent les tirs, le bruit des détonations, la poussière, l’odeur de la poudre... 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En pleine pandémie, les organisateurs avaient pris des précautions maximales: masques obligatoires, bulles sanitaires pour protéger les athlètes, public contraint de regarder la majeure partie des festivités à la télévision... Sur certains tronçons du parcours de la flamme, rappelle l’article des <em>Echos</em>, il était même défendu au public de pousser des cris d’enthousiasme, afin d’éviter les contaminations. </p> <p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. 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