Culture / Cinq raisons de ne pas oublier Oskar Kokoschka
"Enfants jouant", Oskar Kokoschka, 1909.
Le Musée d’Art Moderne de Paris présente «Oskar Kokoschka. Un fauve à Vienne», la première rétrospective de cet iconique artiste, dramaturge et poète viennois. La carrière de «l’enfant terrible» débute au cœur de la Sécession, Kokoschka et sa légende passent les frontières, traversent l’Europe du XXème siècle, jusqu’à la fin de sa vie à Villeneuve, sur les rives du lac Léman. Grand européen, provocateur de génie, militant politique incisif, Kokoschka a sa place à part dans l’histoire de l’art.
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Le peintre tient aussi à alerter l’opinion sur le sort des enfants victimes de la guerre, ou encore sur la lenteur de réaction des Américains pour ouvrir un deuxième front à l’ouest.</p> <p>Après l’armistice, Kokoschka se détourne des démonstrations de joie triomphante. C’est avec un certain pessimisme qu’il considère l’avenir. «Déchaînement de l’énergie nucléaire» (1946-1947) signe son engagement. La toile figure une scène de cirque festive et dénonce l’aveuglement politique de ses contemporains. Un clown, au premier plan, tient dans sa main une clé qui ouvre la cage du lion. Celui-ci s’échappe déjà, une colombe prend son envol. Pour Kokoschka, la vigilance doit rester de mise, la paix n’est pas un acquis définitif.</p> <p>En Suisse, il poursuit son engagement pour l’unification de l’Europe et montre un souci particulier des soubresauts politiques. En 1968, il est marqué par une représentation des <em>Grenouilles</em> d’Aristophane par une troupe de théâtre qui adapte le message à l’actualité de la dictature militaire grecque. Il peint «Les Grenouilles», interprétant le chœur de batraciens de la pièce, soumis aveuglément au dieu Dionysos, comme l’incapacité de l’esprit humain à distinguer le vrai du faux. Au dos de la toile, il inscrit «Europe’s Sunset 1968, Prague 23 8 68», référence au Printemps de Prague.</p> <p>Son portrait de Konrad Adenauer, en 1966, est l’apogée de son engagement pour une Europe unie, et l’apogée de sa carrière de peintre, enfant terrible de Vienne devenu portraitiste d’un des plus grands hommes d’Etat de son temps. 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Des médailles d’or, d’argent et de bronze distribuées dans les catégories peinture, sculpture, architecture, littérature... Suivant un idéal antique: <em>mens sana in corpore sano, </em>Coubertin croyait nécessaire de pratiquer à la fois sports et arts. Centré sur les Jeux de Paris de 1924, le récit offre un panorama vivant et riche du monde du sport durant les Années folles. On ne peut bien sûr s’empêcher de comparer les deux olympiades, à un siècle d’écart. Alors, la figure de l’écrivain-sportif avait les faveurs de la critique. Le jury des épreuves artistiques comptait Jean Giraudoux, Paul Claudel, ou encore Edith Warthon dans ses rangs; Henry de Montherlant, favori pour la médaille en littérature, ne l’obtint finalement pas... Au profit d’un certain Géo-Charles, inconnu jusque là et oublié depuis. Louis Chevaillier nous rappelle que les Jeux olympiques, comme le sport en général, étaient il y a un siècle une affaire de <em>gentlemen</em> et donc de riches amateurs. Jusqu’au mitan du XXème siècle, être athlète «professionnel» constituait une infamie. Et plus infamant encore aux yeux de Coubertin lui-même: le sport féminin... Le baron dit n’avoir jamais rien vu de plus laid qu’une femme sur une luge. On cantonne les sportives à quelques disciplines «inoffensives», puis le régime de Vichy interdira complètement la pratique du sport de haut niveau aux femmes. Leur corps n’appartient-il pas à leur époux et à la patrie? Bien des choses ont été balayées, réformées, dépoussiérées depuis la fin du XIXème siècle. A commencer par les épreuves artistiques et littéraires, qui ont fait long feu. D'autres se sont ancrées durablement dans la tradition et l'esprit olympiques. Ce livre est aussi l’occasion de s’interroger sur la nature même de l'art. Peut-on associer poésie et littérature au spectacle et au spectaculaire? A la quête de la performance? Le dépassement de soi en art se fait bien plutôt en silence à l’ombre de l'atelier. 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1. De la Sécession à l’expressionnisme
Kokoschka, né en 1886 non loin de la capitale de l’empire austro-hongrois, débute sa carrière à Vienne, sous l’aile de Gustav Klimt et d’Adolf Loos, et s’intègre à la Sécession viennoise. Ses premières esquisses, qui seront familières aux visiteurs du musée Jenisch de Vevey où certaines sont conservées, portent bien la trace et le style Sécession. Corps de femmes désarticulés à la manière de Klimt, mais aussi affiches, typographies, interprétations religieuses, et ce tableau, «Mère et enfant» (1921), où le visage verdâtre de la mère, d’une main retenant son enfant, rappelle à distance «La Mère morte» (1910) d’Egon Schiele.
Cependant, Kokoschka, en rebelle, s’affranchit tôt des canons de la Sécession, au point d’en être considéré comme «l’enfant terrible». L’expressionnisme l’emporte sur l’Art nouveau. A partir de 1909, il se bâtit une réputation en peignant le portrait de notabilités, portraits qui font scandale et provoquent souvent le mécontentement des modèles, tant il semble que leur âme est peinte sur leur front en larges coups de pinceau.
2. Un don de «voyant»
En 1910, Kokoschka effectue un premier séjour en Suisse. Il réalise les portraits de pensionnaires d’un sanatorium. La maladie et l’âme des modèles sont lisibles par dessus l’enveloppe charnelle, retournée comme un gant. La légende autour des prétendus dons de voyant du peintre commence à se cristalliser, celui-ci ayant aux dires des modèles prophétisé leur sort en peignant leur portrait. Il se montre en tout cas très psychologue, et connaisseur de la sauvagerie de l’âme humaine. Inspiré par la psychanalyse, comme tout Viennois de son temps, il représente des visages aux yeux tantôt dévorant le spectateur, tantôt comme deux globes vidés de leur substance; des mains énormes et tordues, des bouches grimaçantes.
Le psychiatre suisse Auguste Forel dont Kokoschka réalise le portrait en 1910, portrait sur fond d’espace flou, aux yeux fixes et aux mains agitées, refusera d’acquérir la toile. Il déclare que l’œuvre relève «davantage de la psychiatrie que de l’art».
Opposé à l’abstraction, Kokoschka a tout au long de sa carrière insisté sur l’importance de la représentation du visage, l’essence de l’homme, et du vivant. Un extrait de film diffusé au Musée d’Art Moderne le montre dessinant une esquisse, prenant pour modèle un petit serpent factice articulé. Il en réplique le mouvement sur la toile. Le même souci de peindre le mouvement, le vivant et le mouvant, se trouve dans ses peintures animalières (tortues géantes, grenouilles, crabes), et dans ses paysages et vues urbaines. Chaque touche est partie d’un tout, d’un écosystème en mouvement perpétuel.
3. Alma Mahler inanimée
Dans la pièce de théâtre Meurtrier, espoir des femmes, qu’il a écrite et mise en scène à Vienne, Kokoschka entendait exprimer toute la violence des rapports hommes-femmes. La femme qui habite son œuvre dans l’immédiat avant-guerre, c’est Alma Mahler, de sept ans son aînée lorsqu’ils se rencontrent, alors qu’elle est veuve du compositeur Gustav Mahler. Leur liaison inspire au peintre son chef-d’œuvre, malheureusement absent de l’exposition car intransportable, «La Fiancée du vent» (1913). Lorsque cette liaison s’achève, Kokoschka demande à Hermine Moos, costumière de théâtre à Munich, de lui confectionner une poupée grandeur nature à l’effigie d’Alma Mahler, qui puisse «abuser tous les sens». La poupée sert de modèle à plusieurs toiles, dont un autoportrait du peintre avec elle. On la voit également photographiée. Une très grande poupée de chiffon au corps démesurément enflé, au visage grossièrement dessiné. Dans un acte probablement expiatoire et cathartique tout autant qu’artistique, Kokoschka finit par asperger la poupée de vin au cours d’une soirée, et la détruit.
Alma Mahler et Kokoschka n’entretiennent cette liaison passionnée que durant deux ou trois ans. Emouvants, les éventails que Kokoschka peignait et offrait à sa maîtresse sont exposés. Des scènes inspirées de la Bible ou de récits médiévaux figurent les deux amants, autant de vignettes destinées à immortaliser leur histoire.
4. Son talent pour la provocation
Dans les premières salles de l’exposition, un tableau apparemment innocent, «Enfants jouant» (1909), interpelle. Une petite fille et un garçon jouent dans ce qui semble être un appartement. La fillette regarde le spectateur, son frère (comme l’indique le cartel) penche son visage vers elle. Le cartel nous renseigne sur l’histoire de ce tableau: Marie-Charlotte et Walter Stein sont les enfants du libraire viennois Richard Stein. Kokoschka a à première vue représenté une scène de jeux innocente, peut-être pour en offrir le souvenir aux parents. La position des mains des deux protagonistes, cependant, raconte une autre histoire. La main gauche de Marie-Charlotte présente un poing fermé, alors que celle de son frère est ouverte et tendue vers elle. Kokoschka illustre ici un discours psychologique novateur sur l’enfance, qui serait, contre toute intuition de l’époque, un âge où se mêlent tendresse et agressivité. L’œuvre fait scandale. Exposée en 1924 à Vienne, elle est lacérée par un visiteur. Elle rejoindra en 1937 nombre de toiles de Kokoschka sous l’étiquette décrétée par les nazis d'«art dégénéré». Plusieurs d’entre elles seront détruites, perdues lors de spoliations de collectionneurs juifs ou vendues pour financer l’effort de guerre allemand.
Provocateur, Kokoschka l’est, le cultive et le revendique. C’est donc naturellement et avec une audacieuse insolence qu’il s’approprie le qualificatif infamant en réalisant, la même année, son «Autoportrait en artiste dégénéré». Le peintre se représente dans un tricot à manches courtes, fixant le public d’un regard ouvert et franc qui contredit radicalement l’appellation «dégénéré». Les bras croisés, le menton légèrement relevé et les sourcils haussés en signe de défi. Kokoschka s’exile à Londres l’année suivante, puis s’établit à Villeneuve (VD) à partir de 1953.
5. La guerre, l'Europe, l'atome
C’est dans l’entre-deux-guerres, alors que Kokoschka a combattu et été blessé sur le front ukrainien en 1915, que se forge sa conscience politique européenne. Il s’engage à Paris dans l’Union des artistes libres, et à Londres pour la défense et la préservation de la culture allemande et autrichienne.
Durant la Seconde guerre mondiale, alors qu’il réside en Angleterre, Kokoschka réalise plusieurs tableaux, allégories et caricatures politiques. «L’Œuf rouge» (1940-1941) dit son effroi des accords de Munich. Il représente Hitler grimaçant, Mussolini à la tête colossale, et sous une table, un chat – la France – est étendu, puissance ronronnante jalouse de son confort. Au loin, Prague est en flammes. Au centre du tableau, un œuf rouge fendu.
Dans «Anschluss - Alice au pays des merveilles» (1942), il dénonce l’aveuglement des gouvernements ouest-européens et de l’Eglise face au régime nazi et à l’annexion de l’Autriche. Le peintre tient aussi à alerter l’opinion sur le sort des enfants victimes de la guerre, ou encore sur la lenteur de réaction des Américains pour ouvrir un deuxième front à l’ouest.
Après l’armistice, Kokoschka se détourne des démonstrations de joie triomphante. C’est avec un certain pessimisme qu’il considère l’avenir. «Déchaînement de l’énergie nucléaire» (1946-1947) signe son engagement. La toile figure une scène de cirque festive et dénonce l’aveuglement politique de ses contemporains. Un clown, au premier plan, tient dans sa main une clé qui ouvre la cage du lion. Celui-ci s’échappe déjà, une colombe prend son envol. Pour Kokoschka, la vigilance doit rester de mise, la paix n’est pas un acquis définitif.
En Suisse, il poursuit son engagement pour l’unification de l’Europe et montre un souci particulier des soubresauts politiques. En 1968, il est marqué par une représentation des Grenouilles d’Aristophane par une troupe de théâtre qui adapte le message à l’actualité de la dictature militaire grecque. Il peint «Les Grenouilles», interprétant le chœur de batraciens de la pièce, soumis aveuglément au dieu Dionysos, comme l’incapacité de l’esprit humain à distinguer le vrai du faux. Au dos de la toile, il inscrit «Europe’s Sunset 1968, Prague 23 8 68», référence au Printemps de Prague.
Son portrait de Konrad Adenauer, en 1966, est l’apogée de son engagement pour une Europe unie, et l’apogée de sa carrière de peintre, enfant terrible de Vienne devenu portraitiste d’un des plus grands hommes d’Etat de son temps. Kokoschka s’éteint au bord du lac Léman en février 1980, après avoir reçu la citoyenneté d’honneur autrichienne, et semé les graines d’une légende qui court encore l’Europe.
«Oskar Kokoschka. Un fauve à Vienne», Musée d'Art Moderne de Paris, jusqu'au 12 février 2023.
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@miwy 25.11.2022 | 04h11
«Merci pour ce bel article ! Il est (très) rare que la lecture d'un texte au sujet d'une exposition me donne envie d'aller la voir, mais là...je suis plus que tenté de prendre le TGV !»
@Philippe37 25.11.2022 | 14h44
«Merci. Bon panorama de sa vie, son oeuvre qui complète heureusement les fragments de connaissance que chacun a sur cet artiste dérangeant. Sa folie reflète très littéralement celle du monde ! »
@rogeroge 26.11.2022 | 10h00
«Belle analyse. On pourrait ajouter que sa première venue en Suisse l'a été à 23 ans pour rencontrer son ami architecte Adolf Loos à la Villa Karma à Clarens et qu'aux Avants, il a peint sa toile "Les Dents du Midi" et plusieurs œuvres relatives au Léman.
Il se fit construire en effet une petite maison à Villeneuve où il demeura jusqu'à son décès à l'Hôpital de Montreux. »