Culture / Assis seul à une table du «Paquebot»
Le paquebot "Georges Philippar", carte postale de 1931.
Avant d’être un passionné d’histoire, Pierre Assouline est un écrivain avec un style, un humour, une sensibilité et une force qui lui sont propres. C’est ce qui m’a emporté en voyage moi aussi, naviguant, voguant au large des petits plaisirs de la vie, assis seul à une table dans un restaurant.
Contrairement à Assouline, je n’ai pas de talent d’historien. Je ne retracerai donc pas le récit aussi détaillé que captivant du Georges Philippar, navire flambant neuf, qui finit plutôt mal, à l’instar du Titanic.
Le Paquebot, ce ne sont que des faits réels, ou presque. Oui, il y a bien eu un George Philippar qui a pris le large depuis Marseille en 1932, oui il y a bien le fameux reporter Albert Londres à bord. Assouline s’est documenté; il a mené ses recherches. Mais il n’écrit pas un livre d’histoire pour autant. Un écrivain reste un écrivain, quoiqu’il en coûte. Assouline doit donc trouver un moyen de raconter l’histoire du Philippar, en y pénétrant lui-même pleinement.
Il invente donc, comme à son habitude, un narrateur qui, pour avoir connu l’auteur personnellement, ressemble beaucoup et même énormément à son créateur. Ce dernier plonge dans ce récit réel en créant son narrateur: Jacques-Marie Bauer. Ce cher Bauer est de la croisière: il observe, fait connaissance, débat et tombe même amoureux. On vit le récit du Philippar à travers ce narrateur. On en vient même à se demander si toute la documentation sur ce navire n’est pas un prétexte pour l’auteur de nous dire ce qu’il a à dire aujourd’hui sur la politique et l’art du voyage…
La croisière s’amuse, oui, mais pas seulement: la croisière débat, la croisière travaille, la croisière s’enflamme… euh peut-être que j’en dis trop. En tout cas, Le Paquebot se livre à des pages et des pages de débat politique. 1932, aux portes du nazisme, en plein cœur du fascisme italien. Le Paquebot se livre à des descriptions à la Flaubert, des romances à la Stendhal. Oui, si l’on considère ce roman comme l’une des œuvres majeures d’Assouline, c’est parce qu’en près de quatre cent pages il met tout. Même de l’érotisme: délicat et discret, fin et vrai.
Assis seul à une table
Il reste que ce qui nous touche le plus dans un roman, c’est ce qui nous ressemble le plus. Au-delà de toutes ses richesses, le roman et son narrateur m’ont touché le plus sur un aspect bien précis: l’observation. Fil rouge du récit, l’observation de Jacques-Marie Bauer va jusqu’à mettre des mots sur l’intimité d’un observateur du monde qui l’entoure.
Qu’il est jouissif de retrouver dans un roman une passion qui nous habite! Le narrateur, comme Assouline et comme moi d’ailleurs partageons un plaisir: être assis seul à une table et observer le monde qui défile face à nous. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup… Vous y retrouvez-vous? En voyageur solitaire, en buveur solitaire, vous abreuvant du spectacle d’un restaurant, d’un bistrot où défilent les serveurs affairés, les clients hésitants, la tablées allègres, les femmes en attente d’une déclaration, les hommes stressés et maladroits face à elles, les poivrots seuls au comptoir, le regard vide.
«Pour l’heure, je voulais juste voir sans être vu. Observer, écouter, décortiquer, imaginer avant de me livrer au plaisir secret de juger, au risque de condamner tout en sachant que mes victimes auraient quelques semaines pour faire appel devant mon tribunal intérieur. Car à table, dès lors qu’on écoute, on a le loisir de dévisager les gens au sens propre, c’est-à-dire de les voir de fond en comble, les fouiller, les décrypter, et deviner si une femme au masque souriant n’est pas en réalité en proie à la puissance ravageuse de la déception.
Rien ne me plaît tant que d’être en face de moi-même, de temps à autre, pour mieux me retrouver; tant pis pour les maîtres d’hôtel qui s’évertuent à dissimuler les esseulés dans un coin de la salle comme si leur présence à couvert unique assombrissait nécessairement l’ambiance.»
C’est aussi cela une expérience romanesque: lire, observer et se retrouver seul à la table d’un restaurant, et voir défiler cette comédie humaine dans le Georges Philippar, ou le bistrot où j'écris cet article. Alors plongez-vous dans un bon livre, et osez l’aventure, pour un grand voyage, à la découverte du monde, à la découverte de soi.
«Le Paquebot», Pierre Assouline, Gallimard, 391 pages.
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Il se ruine, il est boudé, ridicule, mais sait prendre sa revanche sur la critique, en s’élevant là où il se voyait déjà, «en haut de l’affiche». Rolls, fourrures, Vegas, mais aussi travail et encore travail, sans oublier les drames et un malheur qui le poursuit. Et le film s’achève, à l’aube des années 70.</p> <h3>Critique</h3> <p>Si j'avais été grincheux, j’aurais dit que le film était un raté grotesque, dirigé par une équipe d’amateurs, interprété selon une performance proche de celle des kermesses, rythmé de façon banale, sans originalité aucune, ne sachant pas rendre à l’écran une once de qui fut ce «Monsieur Aznavour», pompeusement nommé, ni de son œuvre infiniment plus riche que celle qui passe comme une musique de fond sous le jeu d’un acteur qui singe Aznavour. Mais je ne suis pas grincheux. Le film est bien décevant sous certains aspects, il comporte bien des problèmes tant au niveau du jeu que de la réalisation. <i>Et pourtant, pourtant…</i> ce film a du cœur.</p> <p>Aussi, être grincheux face à cette équipe de jeunes qui aiment sincèrement Aznavour et qui se sont donnés de la peine pour réaliser ce film, ce serait jouer les scribouillards qui critiquent tout sans avoir jamais rien fait par soi. La critique aurait eu de quoi se déchaîner si le film et son équipe étaient prétentieux. <i>Et pourtant, pourtant…</i> il n’en est rien. Etre grincheux, c’eût été encore faire le jeu de ces critiques qui s’en prenaient à Aznavour lui-même en écrivant, pour l’un d'eux cité dans le film, «comment peut-on laisser un infirme chanter?», avant de venir présenter ses excuses à un Aznavour bonhomme qui n’en tient pas rigueur et qui offre même une coupe de champagne à son détracteur.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i> disons ce qu’il y a à dire. Le jeu de Tahar Rahim, avec les qualités de ses défauts, est davantage une imitation, parfois exagérée aux confins du ridicule, qu’une interprétation. Sans parler des colères surfaites de Charles qui auraient eu davantage leur place sur des planches de théâtre que sur un plateau de cinéma. Quant à la famille Aznavourian et leur entourage, jamais n’a été livrée une mise en scène aussi caricaturale des gentils Arméniens qui aiment la poésie et les fêtes, et qui sont très pauvres mais vraiment très très gentils, généreux et accueillants alors. On est à la limite du racisme.</p> <p>La musique et les paroles d’Aznavour passent comme une bande-son qui font compagnie aux images. Et la trame est agencée sans aucune originalité. Comme un défilé de clowns, on voit tantôt apparaître un Johnny Hallyday, tantôt un Sinatra, tantôt tel compositeur, tel imprésario, telle femme à séduire, telle autre qui viennent remplir la scénario d’une lourdeur insupportable.</p> <p><i>Et pourtant, pourtant…</i>, le film a certes du cœur, et c’est l’essentiel, mais il compte aussi de réelles qualités. Si aucun acteur adulte ne crève l’écran, les enfants eux, notamment les interprètes de Charles et de sa sœur, sont fascinants tant ils inspirent de la sympathie, mais surtout tant ils rendent le sentiment et la vie de l’époque où les Aznavourian étaient des réfugiés en terre de France.</p> <p>Autre grande qualité du film par son scénario, c’est la complexité avec laquelle est dépeinte l’artiste: loin d’être idéalisé, il est montré dans sa gloire, certes, mais aussi dans ses échecs, ses erreurs et avec une tristesse qui le suit jusqu’au sommet. 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Quand on admire une personnalité, on aime partager, ou en l’occurrence repartager, ses joies dans ses conquêtes professionnelles ou amoureuses, et pleurer avec elle sur ses misères, comme le décès de son fils Patrick, qui a donné lieu d’ailleurs à «<a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ll-C2ExMBXs" target="_blank" rel="noopener">L’aiguille</a>», l’une des chansons les plus émouvantes de son répertoire.</p> <p>Revenir sur la vie et l’œuvre d’Aznavour c’est accompagner chacune des étapes de sa propre vie par l’une de ses chansons. Et son répertoire est l’un des rares à offrir ce champ de textes propres à chaque occasion. Où est-ce qu’Aznavour me rejoint par son œuvre?</p> <p>J’abordais cette question dans une série d’articles rédigés en 2018, à l’occasion de son décès. Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Gamuret 21.05.2022 | 12h16
«Bonjour !
En même temps, être un éternel spectateur de la vie des autres c'est rester uniquement dans l'activité de représentation. Le sentiment nous relie au monde et la volonté nous engage. Il est dommage de rester uniquement dans "la tête" (la représentation) ; car ainsi l'homme n'est pas complet.
Mais c'est l'essence du livre d'être dans le monde "représenté".
Mes bonnes salutations ! »