Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, ici avec la Chancelière Angela Merkel, se ralliera-t-il au plan de relance proposé par le couple franco-allemand? Il y aurait intérêt, pour cette fois, à mettre ses principes de côté. © DR
Le premier ministre néerlandais est à la tête des refuzeniks face au méga-plan de relance de 750 milliards d'euros initié par le couple franco-allemand. Et s'il changeait d'avis?
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La logique commande d’en tirer les conséquences: les biens gelés doivent servir à financer la reconstruction.</p> <h3>Précédents dans le Golfe</h3> <p>La question de l’utilisation des avoirs gelés est aussi ancienne que les sanctions elles-mêmes. Dès les premiers jours de la guerre, il a semblé clair pour de nombreux experts et décideurs occidentaux que les centaines de milliards de dollars appartenant à la Russie ne seraient jamais retournés au gouvernement responsable de la guerre, et pour cause: en septembre dernier, une estimation conjointe de la Banque mondiale, de la Commission européenne et du gouvernement ukrainien évaluait les coûts de reconstruction des infrastructures à 349 milliards de dollars. Lors de la Conférence de Lugano de l’été dernier, Kiev avait même présenté une facture de 750 milliards, incluant les pertes économiques imputables à la guerre. 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La dynamique créée par la rupture de l'ordre international est de celle qui a le potentiel de se transformer en «game changer», c'est-à-dire de modifier durablement les règles du jeu. Comme celle des attentats du 11-Septembre, qui ont abouti à la criminalisation internationale de l'argent du terrorisme, ou celle de la crise financière de 2008, qui a débouché, comme les banquiers suisses le savent, sur la disparition du secret bancaire pour les questions fiscales.</p> <p>En clair: pour traquer les secrets financiers de Vladimir Poutine et des près de 900 autres personnes ciblées par les sanctions occidentales, il faut commettre ce qui n'avait jamais été sérieusement tenté jusqu'ici: s'enfoncer dans la jungle des sociétés offshore, trusts, fondations, sociétés de domicile, «limited partnerships» et autres. Démêler les cachotteries des avocats, des notaires, des fiduciaires et des hommes et femmes de paille. Amener les banquiers à parler. 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Baptisé REPO, pour Russian Elites, Proxies, and Oligarchs multilateral task force, il a explicitement pour but de «recueillir et partager les informations permettant de déclencher des actions concrètes, dont des sanctions, des gels d'avoirs et des saisies civiles et pénales d'actifs ainsi que des poursuites judiciaires», selon un communiqué du Trésor américain du 17 mars.</p> <p>Depuis lors, le travail avance. A quel rythme? C'est là que les choses se compliquent. Des yachts d'oligarques ont été saisis, certes. Des villas somptueuses ont été confisquées, certes. Des comptes en banques et autres actifs financiers ont été gelés pour un total de quelques milliards de francs, certes. Mais nombre d'autres yachts ont pu fuir et se réfugier qui en Turquie, qui aux Emirats, aux Seychelles ou aux Maldives (voire dans l'enclave russe de Kaliningrad pour l'un des navires personnels de Vladimir Poutine). Et des fortunes considérablement plus élevées continuent d'échapper aux enquêteurs. 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Certainement, à un problème près: les capacités de transport vers l'Empire du Milieu sont six fois moindres que celles développées depuis des décennies vers l'Ouest, selon le dernier numéro de <em>The Economist</em>.</p> <p>L'activité manufacturière, présentée comme la colonne vertébrale de la puissance économique d'un pays, est faible en Russie: elle ne représente qu'un dixième du PIB, soit une proportion de moitié moindre que celle de la France, un pays qui souffre pourtant de désindustrialisation. Aucun grand groupe industriel russe ne rivalise avec un Volkswagen allemand ou avec un Boeing américain, ni en taille ni en rayonnement international.</p> <p>Ce déséquilibre de la composition économique se reflète dans la composition des grandes entreprises russes: sur les dix plus grandes, quatre sont actives dans l'extraction et la commercialisation de pétrole et de gaz, deux sont des banques, deux sont de grands distributeurs, genre Coop-Migros. L'on y trouve aussi les chemins de fer. 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Têtu comme un Hollandais, dit-on. Une image que le Premier ministre Mark Rutte a soigneusement cultivée par son refus obstiné du méga-plan de relance de l'économie européenne initié le 15 mai dernier par le couple franco-allemand et qui se base sur un emprunt collectif de 750 milliards d'euros pour aider les pays les plus affectés par la pandémie. Le Néerlandais est vent debout contre cette mise en commun des ressources financières, avec ses collègues suédois, autrichien et danois, surnommés «les Quatre frugaux», en prévision du sommet européen prévu les 17 et 18 juillet prochains à Bruxelles, qui doit en principe l'entériner.
Il y a quelque chose de suisse dans l'attitude de ces quatre enfants terribles de l'UE: ils sont riches et ont fait la démonstration d'une gestion plutôt bonne des conséquences économiques de la crise sanitaire. La récession y est globalement moins prononcée qu'ailleurs, et même moins, Pays-Bas mis à part, que l'Allemagne, pourtant l'un des meilleurs exemples européens. Ils sont ainsi mieux positionnés en vue de la reprise économique attendue que la plupart des autres membres de l'UE, à commencer par ces grandes victimes que sont l'Italie, l'Espagne et la France. Leur position défensive pourrait être assumée par Ueli Maurer, chef du Département fédéral des finances, si la Suisse était membre de l'UE. Notre conseiller fédéral n'a-t-il pas dit dans la NZZ début mai que la perspective d'une hausse de la dette «{le} faisait se sentir mal dans {sa} peau» ?
Lire aussi: Ueli Maurer, endette-nous, pour notre bien!
La méfiance face au «Club Med»
Mais comme le souligne l'hebdomadaire The Economist, proche des milieux financiers britanniques, Mark Rutte défend une position bien plus élastique que son obstination affichée ne le laisse entendre: «Il est comme le vicaire de Bray». Autrement dit: comme cet abbé d'un village britannique prêt à changer de religion à chaque nouveau monarque, du moment qu'il renforce sa position. Et comme lui, Ueli Maurer a fini par entériner le vaste programme d'aide de 75 milliards de francs engagé par la Confédération pour pallier les effets de la pandémie, non sans grommeler il est vrai face à cette décision du Conseil fédéral dont il se doit d'être solidaire.
Pourquoi en irait-il différemment avec Mark Rutte? Bien sûr, politiquement, il s'appuie sur une opinion qui pense majoritairement que les pays du Sud payent les conséquences de nombreuses années de mauvaise gestion et de réformes insuffisantes. Bien sûr, il fait monter les enchères de la négociation, en exigeant, par exemple, que le budget de l'UE pour ces cinq prochaines années, soit limité et modernisé. Mais au plan économique, les Pays-Bas, comme la Suède, le Danemark, l'Autriche, et bien sûr l'Allemagne, vont largement bénéficier de l'effort financier collectif que les Vingt-Sept vont consacrer à la relance.
Ne pas être le seul à payer
La croissance économique du continent, languissante depuis la crise de la zone euro en 2010-2012, devrait en effet s'en trouver stimulée. Selon les calculs de la Commission, ce sont deux points de pourcentage de croissance en plus qui devraient être générés dans les quatre prochaines années, avec la création de deux millions d'emplois supplémentaires. Une telle croissance ne profite évidemment pas qu'au pays directement récipiendaires des aides mais à l'ensemble de l'économie du continent, y compris celles des «quatre frugaux».
C'est évidemment ce qu'a compris le gouvernement allemand lorsqu'il a accepté en mai dernier la vieille revendication française, accompagnée de celle des pays endettés du sud, de partager la dette. Les Allemands ont vite fait leurs calculs. Leur propre plan de relance atteint le montant astronomique de 1100 milliards d'euros (prêts, subventions, cautionnements), soit près d'un tiers du PIB. Or ce plan, qui dépasse de la tête et des épaules les efforts des autres pays (proportionnellement et en valeur absolue), ferait porter sur les épaules du seul contribuable allemand le prix de la sortie de crise. Pourquoi? Dans une économie aussi interconnectée que celle du continent européen, les mises de fonds d'un pays aussi puissant et central que l'Allemagne finissent inévitablement dans les poches des partenaires. Aussi, mieux vaut d'emblée, pour Berlin, partager la facture après avoir donné des gages de bonne volonté.
Partage des risques et des gains
Les Néerlandais sont des gens têtus mais, comme les Suisses, comme les Allemands, ils sont aussi pragmatiques. Ils ont assurément fait leurs comptes pour découvrir qu'ils avaient aussi à gagner, et pas seulement à perdre, en empruntant pour financer la sortie des pays du «club Med» de la crise. Dans une déclaration conjointe avec la Confindustria, l'association patronale italienne publiée jeudi dernier, la VNO-NVW, la confédération des employeurs néerlandais, appelle une ratification de l'accord. A une condition: que les impôts ne soient pas relevés.
Bien sûr, le plan de relance va encore creuser la dette des pays européens. Mais est-ce si grave, docteur? Le phénomène est mondial. Pour la première fois depuis la dernière guerre mondiale, le taux d'endettement moyen va dépasser l'équivalent du PIB. La Suisse n'est, à cet égard, pas différente des autres pays, elle qui verra la Confédération accroître d'une trentaine de milliards de francs sa dette, actuellement voisine de 97 milliards. Mais ni les économistes ni les politiciens n'ont trouvé mieux, pour le moment, pour remédier aux conséquences des fermetures forcées par la pandémie. Dès lors, partager les risques, c'est aussi partager les gains futurs. Et c'est peut-être l'enseignement que Mark Rutte pourra, lorsqu'il aura finalement donné son accord au méga-plan de relance, donner à Ueli Maurer, lequel dit encore que c'est tout seul qu'on est le plus fort.
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Le premier samedi soir de la guerre d'agression russe en Ukraine, le 26 février, la Maison-Blanche communiquait sa volonté, et celle de ses alliés britanniques, allemands, français, italiens, canadiens et de l'Union européenne, de «créer un groupe de travail transatlantique chargé de s'assurer de la bonne application des sanctions financières en identifiant et en gelant les actifs des individus et des entreprises basés dans nos juridictions».</p> <p>Et quelques lignes en-dessous, le communiqué précisait: «nous allons engager d'autres gouvernements». Lisez: ceux des pays qui ont massivement accueilli des fortunes de milliardaires russes, dont, évidemment, la Suisse, Chypre, les Emirats arabes unis et quelques autres paradis fiscaux.</p> <h3>Faire parler la carpe</h3> <p>Chacun a bien compris la portée de la charge lancée à toute vapeur dans la stupeur et la colère des premiers jours du conflit. 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De quelle ampleur? Mystère. Les seuls avoirs de Vladimir Poutine ont fait l'objet d'estimations de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars. Pour donner une idée: la Suisse a annoncé le blocage de 5,7 milliards de francs. Or, la fortune détenue par des personnes russes dans les banques suisses est estimée entre 150 et 200 milliards.</p> <h3>Des peines de prison</h3> <p>La première difficulté est de recueillir l'information. Or, celle-ci est dispersée à l'extrême entre des administrations qui ne sont pas forcément outillées pour appliquer des sanctions – comme les registres fonciers – et qui sont parfois en concurrence les unes avec les autres. Pour recueillir l'information, il faut aussi amener les gens à parler. 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Plus les fortunes qu'ils devront geler ou saisir seront élevées, plus leur responsabilité implicite dans l'accueil des milliards de Vladimir Poutine et de ses amis sera éclatante. Pas bon pour l'image. Mais il y a pire: l'entreprise de perçage de secrets russes risque fort d'aboutir à des révélations fort désagréables pour les maîtres de l'opacité financière. Les oligarques russes n'ont pas fait des affaires seuls dans leur coin: ils avaient nécessairement d'innombrables partenaires d'autres pays, à commencer par les Occidentaux.</p> <p>Aussi, en révélant les secrets de tel milliardaire russe, ce sont ceux de beaucoup d'autres milliardaires des pays du G7 et de leurs partenaires dans cette traque (dont la Suisse), de leurs banques, de leurs avocats, de leurs fiduciaires, de leurs hommes de paille qui vont être mis au jour. Ce sont des mécanismes entiers de dissimulation qui seront révélés, jetant une lumière crue sur des décennies de construction minutieuse du secret.</p> <h3>Trusts américains, partnerships britanniques</h3> <p>A ce jeu, la Suisse n'est même pas le pays qui a le plus à perdre: c'est déjà fait, avec l'éventement du secret bancaire. Le Royaume-Uni – Londongrad commence à en prendre pour son grade – est beaucoup plus exposé, en incluant ses dépendances que sont ces perles de l'industrie offshore comme les Iles Vierges britanniques (BVI), les Iles Caïman, les Iles Anglo-normandes, l'île de Man, la City, et toutes leurs juridictions faiseuses de secrets comme l'«international business company» des BVI ou encore le «scottish limited partnership». Sans même parler des trusts de certains Etats américains, comme celui, fameux, du Dakota du Sud, ou la société à responsabilité limitée du Delaware. La «chasse aux milliards» risque aussi de jeter un peu trop de clarté, au goût de certains, sur les liens de dépendance financière qui peuvent unir des pays comme les îles Marshall, ancienne colonie américaine dans le Pacifique, les Seychelles ou encore les Emirats arabes unis avec les grandes places de Londres et de New York.</p> <p>Les promoteurs occidentaux de la traque des actifs financiers des amis de Vladimir Poutine risquent donc de se prendre à leur propre piège de la transparence. Par conséquent, si cette quête prend du temps, ce ne sera pas uniquement à cause de l'épaisse couche de secret à percer. Mais aussi, vraisemblablement, en raison du coût élevé que cela aura pour les promoteurs de cette transparence nouvelle, les Etats. A moins, évidemment, que la guerre ne prenne fin avant que toute la lumière puisse être faite sur les zones d'ombre de la finance offshore des milliardaires russes et de leurs innombrables partenaires et amis occidentaux. 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Dire que la Russie est un colosse qui ne se laisse pas facilement impressionner tient du truisme.</p> <h3>Faiblesses structurelles</h3> <p>Un colosse aux pieds d'argile, pour reprendre la vieille image. Une fragilité qui réduit fortement ses chances de soutenir un effort de guerre sur la durée Les marchés financiers en sont bien conscients: les bourses et la monnaie russes ont chuté bien davantage que leurs homologues occidentales lors du premier jour de la guerre. Si le rouble était une monnaie-refuge, cela se saurait!</p> <p>La principale ressource du pays est la vente de pétrole et de gaz. Or, les principaux clients sont ces fameux Européens que l'on présente si dépendants. La Chine pourrait-elle racheter ce gaz que ces mêmes Européens boycotteraient? Certainement, à un problème près: les capacités de transport vers l'Empire du Milieu sont six fois moindres que celles développées depuis des décennies vers l'Ouest, selon le dernier numéro de <em>The Economist</em>.</p> <p>L'activité manufacturière, présentée comme la colonne vertébrale de la puissance économique d'un pays, est faible en Russie: elle ne représente qu'un dixième du PIB, soit une proportion de moitié moindre que celle de la France, un pays qui souffre pourtant de désindustrialisation. Aucun grand groupe industriel russe ne rivalise avec un Volkswagen allemand ou avec un Boeing américain, ni en taille ni en rayonnement international.</p> <p>Ce déséquilibre de la composition économique se reflète dans la composition des grandes entreprises russes: sur les dix plus grandes, quatre sont actives dans l'extraction et la commercialisation de pétrole et de gaz, deux sont des banques, deux sont de grands distributeurs, genre Coop-Migros. L'on y trouve aussi les chemins de fer. Et, enfin, un groupe technologique.</p> <p>Le pays, enfin, est très mal classé pour les question de gouvernance. Cela nuit à l'efficacité de son économie, de son administration et amoindrit la qualité de vie de sa population. L'ONG Transparency International le classe parmi les 25% de plus mauvais élèves à son indice de perception de la corruption. La Banque mondiale le classe certes à un honorable 28ème rang pour la facilité à y faire des affaires, mais tant l'IMD que le World Economic Forum le classent respectivement au 45ème et au 43ème rang en matière de compétitivité.</p> <h3>Deux fois la Suisse</h3> <p>Alors, bien sûr, la Russie est au deuxième rang mondial en matière de production d'armes. Mais le numéro un reste les Etats-Unis. Un pays qui se classe, là encore un truisme, loin devant dans tous les autres, dans les classements énumérés ci-dessus, pour le meilleur comme pour le pire. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Eggi 19.07.2020 | 16h54
«Intéressante analyse, avec quelque originalité. Il aurait été encore plus intéressant de connaître l'opinion de la majorité des néerlandais, que respecte certainement Rutte, ainsi que les raisons pour lesquelles le politicien n'a pas tenté d'expliquer à son bon peuple l'intérêt pour lui de la relance européenne.»
@arizan 21.07.2020 | 14h49
«Plaisir de lire un article de quelqu'un d'aussi intelligent. Les Pays-Bas ont-ils pensé qu'ils auraient une fois besoin des autres pays européens, par exemple lorsque la Mer du Nord envahira leurs terres.
Je me réjouis de vous lire de nouveau. »