Analyse / La révolution passéiste

Manifestation du 5 décembre à Paris contre la réforme des retraites. © Jeanne Menjoulet via Flickr - CC BY 2.0
Pour qui a les yeux et les oreilles tournés vers la France, la litanie des plaintes qui paralyse le pays laisse plus que perplexe. Que veulent les manifestants qui pour la plupart s’auto-proclament révolutionnaires? Stopper toute réforme, s’accrocher à un passé idéalisé. Des flambées de révolte, il y en eu tant dans l’histoire. Portées par un projet, pervers ou fou ou prometteur, de toutes sortes. 1789? La course vers les Lumières, jusque dans les dérapages cruels. L’appel ouvrier des années 30? Il en resté les vacances pour tous. Les mobilisations communistes de l’après-guerre? On rêvait du socialisme façon Staline. Terrible, mais ambitieux. Mai 68? «Rasez les Alpes qu’on voie la mer»: c’était au moins poétique. A chaque fois on se bougeait avec la promesse, utopique ou non, d’un avenir meilleur. Là, non, il est demandé en fait de revenir en arrière.
On a beau écouter ces discours qui tournent en boucle à propos des retraites, de l’abominable macronisme, on n’y trouve aucune vision cohérente et plausible. Les uns s’accrochent à leurs «régimes spéciaux» de retraites, les autres rejettent les nouveaux modes de calcul encore flous, à peu près tous refusent de repousser l’âge de la sortie. Chacun, c’est d’ailleurs compréhensible, se fixe sur les informations compliquées que distille un gouvernement en plein désarroi et sur ce que l’on entrevoit de son propre sort. Paradoxe: selon les sondages, une majorité des Français estime que le système actuel est condamné à terme, mais toute tentative de le modifier est refusée par avance. Que l’on soit d’ccord ou pas avec telle ou telle proposition, c’est légitime, c’est la démocratie, mais le frisson collectif actuel ne s’embarrasse d’aucune considération rationnelle, il part des tripes. Retrait du projet! Démission! Ah! oui, et après?
Toutes ces inquiétudes s’appuient sur le sentiment qu’autrefois, tout était bien mieux. Avant Macron, avant Hollande, avant Sarkozy, avant la mondialisation, avant l’Europe. Il y aurait eu en France un âge d’or social qui a été massacré. Des évolutions fâcheuses sont avérées. A commencer par la montée du chômage ces dernières décennies, par le dépérissement des territoires éloignés des villes. Mais il est faux d’affirmer que le niveau de vie a baissé, il a stagné depuis 2008 après avoir sensiblement progressé, mais s’installer dans la certitude que l’on vit beaucoup moins bien aujourd’hui qu’hier, c’est se mentir.
Nostalgie des années soixante? Parlons-en. L’espérance de vie moyenne était de 70 ans, plus de 82 ans maintenant. On mourait beaucoup de maladies vaincues par la suite. Depuis cette époque, le temps de travail a baissé grosso modo de 25 %. Frigos, téléviseurs et autres objets domestiques étaient trois fois plus cher. Téléphoner à ses proches était toute une histoire. L’automobile était un encore un luxe. Les voyages à l’étranger peu accessibles pour les gens modestes. Les déplacements en train à l’intérieur du pays beaucoup plus longs. Bien sûr, depuis lors, trop de petites lignes ont été fermées, mais de là à peindre ce passé en rose… A noter aussi que les femmes, dans ce temps-là, n’avaient guère leur mot à dire en politique alors que le gouvernement est aujourd’hui paritaire. A noter enfin que l’on se fichait comme d’une guigne des questions environnementales.
Il n’est pas question de dire que tout va bien. Les souffrances exprimées ces temps-ci sont réelles, parfois insupportables. Mais quelles réponses leur donnent les leaders de la révolte? Faire passer les projets de Macron, c’est un peu court. Qui dit mieux? Les syndicats dont certains célèbrent le retour dans arène politique défendent d’abord les avantages de leurs affiliés (si peu nombreux), les revenants des gilets jaunes restent dans la confusion du palabre, la gauche socialiste ne se remet pas du KO des dernières élections. La France insoumise reste pour une grande part soumise à Mélenchon, le nostalgique marxiste, le grand admirateur du Venezuela de Maduro que sa population fuit par millions. Côté projet, il y a mieux. Marine Le Pen? Elle en reste à son programme: restaurer la France d’autrefois.
Cette multiple fascination passéiste est inconnue dans la plus grande partie du monde, en Asie, en Amérique et même en Afrique. Absente aussi dans plusieurs pays d’Europe, à l’est en particulier, où l’on attend beaucoup du lendemain. En France, elle est paralysante, ravageuse.
La grève? Pourquoi pas? Mais si le cri n’articule aucune vision, même follement ambitieuse, à quoi peut-il bien servir? Sinon à s’enfoncer dans des fantasmes qui promettent des lendemains puants.
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Il va jusqu’à promettre une ambassade à Jérusalem… où l’on n’est guère convaincu par ce nouvel allié proclamé. Ses seuls ennemis, dit-il, ce sont l’Iran et le Hezbollah. Et n’a pas un mot quant aux bombes israéliennes qui pleuvent sur son territoire ni sur la présence de Tsahal aux portes de Damas. Silence aussi devant les exactions et les assassinats commis par ses partisans, rapportés sur le net, image à l’appui. En outre, il est prévu de mijoter une nouvelle constitution. La «République arabe syrienne» devrait s’appeler «Etat islamique de Syrie».</p> <p>On peut comprendre la satisfaction des Américains et des Européens voyant que la Russie et l’Iran sont bannis des lieux. Mais comment peuvent-ils peindre ainsi en rose la nouvelle situation? Sans penser aux désastreux précédents de l’Irak, de la Libye?</p> <p>En fait, ce n’est pas totalement surprenant. Lorsque la guerre civile fut déclenchée en 2011, ce sont les mêmes forces islamistes qui prirent très tôt le relais des manifestants qui réclamaient la démocratie, brutalisés par la police d’Assad. Elles furent soutenues aveuglément, des années durant, par plusieurs pays arabes et européens. Ce fut atroce. Un demi-million de morts, dit-on. Sous le double feu du dictateur criminel, certes, et celui des insurgés barbus. Des dizaines de millions d’exilés fuyant la fureur des uns et des autres.</p> <p>N’entrons pas ici dans les spéculations sur l’avenir, sur les desseins des puissances qui, de fait, s’emparent du pays, qui s’agitent au fil de leurs ambitions géopolitiques et économiques. Sans parler du pétrole, exploité par les Américains sur la partie kurde… Qu’il nous soit permis d’évoquer plutôt un souvenir. Cinq ans avant la guerre, un voyage inoubliable en Syrie. Un prêtre nous faisait visiter Alep, tous les quartiers, animés et relativement prospères. Nous parlions avec tous. Conscients d’être dans une dictature, nous constations que chacun exprimait sans peur sa foi, son appartenance. Nous avions visité l’admirable mosquée des Omeyyades à Damas. Nous nous sommes étonnés auprès de deux jeunes filles de voir tant de monde, des familles en sortie, un dimanche et non un vendredi. Elles éclatèrent de rire: «Mais c’est le jour de Pâques!». Comme Noël, les jours de fêtes chrétiennes sont officiellement fériés en Syrie. Jusqu’à quand?</p> <p>Le prêtre d’Alep, devenu un ami, qui vit aujourd’hui en France, n’a pas le cœur à applaudir le tournant actuel. Il s’est exilé avec les siens après que sa fille de dix-huit ans ait été débarquée d’un bus, violée et assassinée parce qu’elle portait une croix autour du cou. Par des «rebelles modérés» comme on disait à l’époque. 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Il vient pourtant de se produire un évènement majeur près de nous, dans un pays membre de l’UE, la Roumanie. Les élections présidentielles y ont été annulées. Car le vainqueur de premier tour, Călin Georgescu, candidat indépendant, est vivement attaqué par les deux grands partis qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. L’affrontement ne cesse de s’échauffer entre ses partisans et ses adversaires, dans les médias, sur internet et parfois dans la rue. Aucune nouvelle date n’a encore été fixée pour de nouvelles élections.</p> <p>Or la Commission européenne ne bronche pas. Elle a su tancer, à raison, les pressions du gouvernement sur la justice en Pologne et en Hongrie. Mais là, l’annulation d’une élection incontestée – les bulletins ont été recomptés – n’appelle aucune critique. Donald Trump a d’ailleurs condamné cette décision anti-démocratique. Tout comme la rivale du vainqueur, arrivée en deuxième position, Elena Lasconi, qui voit là «un retour des jours sombres du communisme». Mme von der Leyen croit bon au contraire d’appuyer le président roumain sortant qui réclame une enquête sur les ingérences hypothétiques de la Russie lors de la campagne, largement menée sur les réseaux sociaux.</p> <h3><strong>Qui veut la peau de Călin Georgescu ?</strong></h3> <p>C’est piquant si l’on songe que sur l’autre bord, l’influence américaine pèse lourd sur ce pays. Son commandant en chef, le général Vlad, a été formé dans la plus haute école militaire aux USA et a même participé à l’opération menée contre l’Irak en 2003. Depuis la guerre en Ukraine, la pression de l’OTAN et des lobbies de l’armement est énorme. Le budget de la défense roumaine a augmenté de 53 %, il représente 3 % du PIB. Une grande base est en construction à la frontière avec la Russie. 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Plus inquiétant pour lui: divers services s’activent pour trouver quelques charges à son encontre qui permettraient d’écarter une nouvelle candidature. «Comme il n’y a rien à me reprocher, il leur faut du temps pour fabriquer des preuves…», commente l’intéressé. Il appelle de ses vœux des enquêteurs internationaux, européens, américains. Ajoutant: «Nous respectons nos partenaires démocratiques, mais j’ai le sentiment qu’ils nous lâchent, j’espère me tromper.»</p> <h3><strong>L’Union européenne discréditée </strong></h3> <p>Il y a bien lâchage du côté de Mme von der Leyen et ses gens. Soucieux d’abord de s’aligner sur la ligne de l’OTAN et de l’administration Biden, entraînant tant de médias dans ce sillage. Il s’agit là d’une dérive de l’UE et de ses principes. Une fois de plus, la tactique du «deux poids deux mesures». On tance un Erdogan, un Fico (le président slovaque), mais pas un mot sur le président roumain Iohannis qui prolonge son mandat en cassant une élection. 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Portées par un projet, pervers ou fou ou prometteur, de toutes sortes. 1789? La course vers les Lumières, jusque dans les dérapages cruels. L’appel ouvrier des années 30? Il en resté les vacances pour tous. Les mobilisations communistes de l’après-guerre? On rêvait du socialisme façon Staline. Terrible, mais ambitieux. Mai 68? «Rasez les Alpes qu’on voie la mer»: c’était au moins poétique. A chaque fois on se bougeait avec la promesse, utopique ou non, d’un avenir meilleur. Là, non, il est demandé en fait de revenir en arrière. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Ph.L. 09.12.2019 | 21h48
«Article très riche (c'est le mot!) - trop, peut-être, et manquant d'unité, si j'ose une critique. Cela dit, regardons quelques faits économiques universellement reconnus, ou presque. Depuis les années 80 (laissons les sixties à la toujours charmante Jane Birkin...), les inégalités n'ont fait que croître. Et depuis la grande crise de 2008 (cela fait tout de même 11 ans), le pouvoir d'achat des classes moyennes et inférieures a stagné ou... diminué régulièrement, malgré une croissance économique revenue. Dans un tel contexte, n'est-il pas compréhensible qu'une majorité du corps électoral ne fasse plus confiance aux "politiques" quand il s'agit de réformer les prestations sociales qui ont trait à son avenir? De fait, la révolution néo-libérale a démonétisé les institutions qui structuraient la social-démocratie et peu nombreux sont ceux qui croient encore à la parole de ses représentants. On se soumettra peut-être à la réforme de M. Macron, au final, mais ce sera par pure résignation et sans lui accorder la moindre foi. N'oublions pas que l'actuel président de la République française, quelles que soient ses qualités, n'est guère plus que le repoussoir de l'extrême droite aux yeux d'une très grande partie - peut-être la majorité - de ses compatriotes (dont je suis), une sorte de pis-aller, finalement.»
@Rhusansbarbe 23.12.2019 | 14h54
«Je me permets de vous citer "La France insoumise reste pour une grande part soumise à Mélenchon, le nostalgique marxiste, le grand admirateur du Venezuela de Maduro que sa population fuit par millions. "
C'est cumuler beaucoup de préjugés et de dénigrement en une seule phrase! Pour ma part, l'éloquence de ce tribun du peuple pour défendre avec véhémence les prolétaires... me ravit à chaque fois et déclenche aussitôt en moi un effet jubilatoire qui rompt avec la morosité habituelle des autres partis politiques français.
Je vous suis depuis le premier no de l'Hebdo ...mais là votre piédestal a rapetissé d'un coup!
Avez-vous vu sur Thinkerview (You tube) son interview magistral et brillant? Accordez-lui, de grâce, un regard plus nuancé et moins réducteur. L'avez-vous au moins écouté dans l'émission de Pujadas, "Des paroles et des actes" du 26 mai 2016
Comment osez-vous affirmer sans tambour ni trompettes qu'il est le fidèle allié de Maduro? Ne serait-ce pas plutôt l'interventionnisme des Trumpetistes des USA qu'il déplore? Etes-vous au courrant peut-être, que le pays de Maduro est à l'agonie suite aux manipulations des marchés de l'or brut et de la chute du prix du baril? La violence que ce chef d'Etat exerce sur son peuple ne me plaît pas non plus, mais j'en comprends les causes ... Son cri, celui de Mélenchon, selon moi, articule bel et bien une vision ambitieuse, celle d'un rebelle sage qui énonce des solutions par foison et porte sa nation à bout de bras, contre vents et marées, la tête au dessus des flots, sans gilet, mais avec l'énergie du désespoir, il atteindra la rive... puis la grève... sans trève... et se relèvera toujours sur sa plage de rêves...
Ainsi donc , je me permets avec outrecuidance de vous conseiller la lecture du livre de Hervé Le Bras
"Se sentir mal dans une France qui va bien"
Question de mieux comprendre vos voisins!
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@Lagom 25.12.2019 | 23h56
«Puisque les baromètres de la popularité du Président et de son PM sont à la hausse pendant les grèves, il n'y aucune raison que celle-ci s'arrêtent rapidement. Ils finiront par vider la réforme de son sens pour ramener le calme, mais la majorité rationnel du peuple sera conforté pour choisir à nouveau Macron en 2022.»