L'entrée principale du Musée national de Varsovie. © MNV
Ancienne ambassadrice polonaise à Canberra et Wellington, Agnieszka Morawinska, historienne de l’art, a été appelée à diriger le Musée national de Varsovie en 2010. Après sa démission il y a trois ans, sur fond de désaccords politiques, elle livre dans le «Journal des Arts» son diagnostic éclairé sur le paysage culturel polonais actuel, ses vides et ses pleins.
Sa démission? Une tentative de secouer les autorités polonaises, de les faire «changer de cap». Car en Pologne, l’art est plus que jamais politique. «Les autorités déclarent ouvertement qu’elles ont décidé de créer de "nouvelles élites", raconte Mme Morawinska au journaliste Itzhak Goldberg, malheureusement, celles-ci n’ont aucune compétence pour les postes qu’ils doivent occuper.» Et le milieu artistique, des musées nationaux aux galeries indépendantes, jusqu’aux instituts culturels à l’étranger, s’en ressent fortement.
Le climat homophobe, instillé par le parti au pouvoir, le PiS, conservateur, et par l’Eglise, est la première cause d’ingérence de l’Etat dans les activités artistiques. L’artiste Karol Radziszewski et son œuvre «Au début était l’acte», consacrée à la répression violente de la Gay Pride par des militants nationalistes, en a fait les frais. Il ne s’agit pas de censure au sens premier du terme selon Agnieszka Morawinska, mais plutôt d’un système de prise de contrôle, par des proches du gouvernement Kaczyński, des postes de direction et des leviers de décision. S’ajoutent à cela des campagnes de presse très hostiles et des pressions financières, contre lesquelles les élus locaux, même d’opposition, n’ont que peu de moyens d’agir.
Les institutions ont ainsi à faire face à des injonctions bien plus politiques qu’artistiques. «Comment comprenez-vous les devoirs d’un musée national?» est la question à laquelle la directrice a été souvent confrontée. Comprendre: comment comptez-vous mettre votre outil à disposition du récit national? Agnieszka Morawinska avait l’intention de proposer au public un élargissement des perspectives, de montrer que «l’art polonais» résultait de l’influence de certains styles et idées qui traversent les frontières. Elle comptait aussi aborder l’engagement politique des artistes, la contribution des créateurs juifs, des femmes, des avant-gardes, à l’essor culturel national. Fin de non recevoir. La galerie d’art polonais des XIXè et XXè siècles a tout simplement été démantelée par son successeur.
Cela vaut aussi pour l’Histoire: une controverse secoue la société polonaise et les historiens depuis plusieurs années autour du rôle qu’ont joué les Polonais dans la Shoah. Il n’est pas question de les considérer autrement que comme des héros de la résistance, aucune nuance n’est permise.
Pawel Machcewicz, historien et professeur, a ainsi été licencié de son poste à l’Institut de la mémoire nationale car il ne soulignait pas assez l’héroïsme national et refusait de passer sous silence les faits de collaboration avec l’occupant nazi. Son successeur a «amélioré le récit», suivant la ligne prescrite par le PiS.
De là à parler de propagande, il n’y a qu’un pas qu’Agnieszka Morawinska franchit. Dans les programmes scolaires, ce récit conforme à la ligne politique est omniprésent. Le gouvernement a par ailleurs créé de nouveaux musées, au nombre de 70, pour accréditer ce récit officiel, «au détriment des institutions ayant une longue tradition et d’importantes collections plus résistantes à la manipulation».
La fronde s’organise autour de figures parfois connues au-delà des frontières, comme la prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk. Sans aucun financement du ministère de la culture, des festivals, des galeries fleurissent et alimentent critiques et écrivains.
Un grand mouvement de valorisation de la photographie est également à l’œuvre, autour des musées de Lodz, Varsovie ou Cracovie, mais là encore, le fossé entre investissements publics et initiatives privées est vaste.
Quant au public? Agnieszka Morawinska déplore le manque de culture artistique du public polonais, arguant que les décennies de présence soviétique ne l’ont pas préparé à la réception de l’art contemporain. La clé, selon elle, réside dans l’éducation des plus jeunes. Ne plus considérer l’art comme une offense à la religion ou à la patrie ne s’acquiert malheureusement pas du jour au lendemain. C’est un changement profond de société que l’ancienne directrice du Musée national appelle de ses vœux.
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Nous y étions déjà accoutumés. Julien Le Mauff, historien et enseignant-chercheur en science politique, fait remonter aux attentats du 11 septembre 2001 cet «empire de l’urgence», dans lequel nous vivons donc depuis plus de vingt ans. L’état d’urgence consiste à prendre toutes mesures au nom de la raison d’Etat, et la première est de suspendre l’exercice «normal» du pouvoir. Il y a plus urgent que la démocratie, lorsque l’on parle de terrorisme ou d’une maladie mortelle. Or, dénonce l’auteur, le mot d’urgence est aujourd’hui dévoyé: tout problème sur lequel se penchent nos politiques devient aussitôt une «urgence»: hôpital public, trafic de drogue, harcèlement scolaire... Il met en place une dialectique: dans un état d’urgence, l’exception fait la règle. En citant Carl Schmitt, il rappelle qu’en allemand le mot urgence se traduit aussi par nécessité. La nécessité, l’état d’urgence donc, a aussi accompagné la naissance de l’Etat moderne et de sa souveraineté. Le paroxysme et l’archétype de la raison d'Etat comme alibi de la tyrannie dans l’histoire étant le massacre des Innocents. Il ne faudrait donc pas opposer si rapidement état d’urgence et état de droit, mais plutôt état d’urgence et démocratie. Par ce qu’il nomme la «violence souveraine», aussi bien des décisions arbitraires que de la répression policière, l’état d’urgence est un «moment baroque», celui du «retour du prince». Devant l’incapacité par essence de la démocratie à s’exercer dans un état d’urgence permanent, une autre forme de souveraineté que celle du peuple par le peuple et pour le peuple se recompose petit à petit, autour des différents lieux de pouvoir. 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