Actuel / Samia Hurst: «L’équivalence n’est obtenue que si la femme fait mieux que l'homme»

«Les stéréotypes de genre sont aussi un fardeau pour les hommes.» © Anna Decosterd
«Samia Hurst est bioéthicienne et médecin, consultante du Conseil d’éthique clinique des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), responsable de l’Unité d’éthique clinique du CHUV, et directrice de l’Institut Ethique, Histoire, Humanités (IEH2) à la Faculté de médecine de Genève.» Mazette, me suis-je dit in petto en préparant mon interview, rien que ça! J’espère que j’arriverai à suivre. C’était sans compter avec le sens de l’accueil, l’immense humanité et les compétences de vulgarisatrice hors pair d’une femme à la voix aussi douce qu’est forte sa détermination sans faille à s’engager pour le Bien.
Interview signée Anna Decosterd
Première question un peu bateau: étiez-vous dans la rue ce 14 juin 2019?
Oui j’y étais. J’y ai retrouvé des membres de ma famille et des amis. C’était une très belle manifestation. Dans mon équipe (au travail, ndlr), on a assuré le service minimum. Je donnais par exemple ce jour-là un cours que les étudiants en médecine ne suivent qu’une fois durant leur cursus. Un cours très important à mes yeux. Il était prévu depuis longtemps, et j’ai pris la décision de le donner quand-même. Alors je les ai avertis: je suis en grève, mais nous assurons l’essentiel et aujourd’hui, l’essentiel c’est vous. Ils m’ont très bien comprise.
Ce fameux 14 juin, vous tweetez «Bon, ben il va être temps d’épousseter les banderoles de maman et de grand-maman et de rejoindre la manif, là». Votre mère a-t-elle manifesté en 1991?
Oui, ma maman y était, mais pas moi. J’étais en période d’examens, je devais absolument me préparer, et j’ai renoncé. L’histoire se répète d’ailleurs. Cette-fois ci, c’est ma fille qui n’a pas pu venir, également pour des questions d’examens.
Dans un autre tweet, vous écrivez «Nous demandons vraiment des choses élémentaires. 6000 ans d’exploitation, et pas une pancarte demandant la moindre vraie réparation.» Quelle réparation imagineriez-vous demander?
C’est juste un exercice d’imagination. Bien sûr qu’il ne s’agit pas de demander une réparation de type matériel. Mais je constate que nous vivons dans une société qui marche à l’envers. Imaginons un instant une société dans laquelle on valoriserait plus les soins à la personne et à la nature, que la production de choses. Pas seulement moralement, mais financièrement aussi. Ce serait une société très différente, n’est-ce pas? Le travail de soin, de replenishing, que je traduirais comme un travail de renouvellement et de maintien de la vie, est un travail que l’on qualifie de féminin, essentiel à la survie de notre espèce. On sait par ailleurs que produire de plus en plus de choses n’est pas la solution aux difficultés auxquelles nous devons faire face. C’est un conflit de valeurs qui rend le travail des femmes invisible. Et c’est ce que je trouve particulièrement rageant en Suisse! Nous sommes très forts dans les domaines de maintien et de renouvellement, nous devrions être à la pointe de ces questions et valoriser le travail des femmes. Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Demander un salaire égal et un travail égal ça me paraît, dans cette perspective, être un minimum syndical. Ce que nous devrions demander, c’est d’autres valeurs, une autre société.
Quels sont les obstacles qui restent à franchir pour atteindre cette société-là, selon vous?
Ces obstacles sont dans nos têtes, et c’est pour cela qu’il ne faut pas sous-estimer leur hauteur. En premier lieu, les stéréotypes sur le féminin et le masculin sont partout et ils sont pernicieux: quoi que fasse une femme, l’équivalence entre son travail et celui d’un homme n’est obtenue que si la femme fait mieux. Lorsqu’elles postulent dans la recherche scientifique par exemple, les femmes doivent présenter deux fois et demi plus de publications que les hommes pour prétendre à «l’égalité». Lorsqu’elles sont écartées, on attribuera leur échec à un manque de travail et de mérite, sans se rendre compte que c’est injuste. La notion de mérite est un sujet important. Nous vivons dans le récit du bonheur au mérite. C’est ce que j’appelle un mythe opérant. Un mythe est un récit organisateur, un moyen de créer un lien entre les choses et nous aider à comprendre le monde. Le mythe du mérite comme seul facteur de réussite n’admet pas la part dévolue à la chance. Cela nuit à la cause des femmes. Pour qu’une personne – femme ou homme d’ailleurs – arrive à obtenir un poste socialement valorisant, le mérite seul ne suffit pas. Il y a aussi une part de chance, ce moment où les planètes sont toutes alignées et que «ça se fait». Admettre une part de chance ne signifie pas nier les efforts. Dans une société qui nie la part de chance, échouer peut devenir très destructeur et les femmes le savent. Elles «s’économisent», postulent moins, ou alors seulement si absolument toutes les conditions, toutes les preuves de leurs compétences sont réunies. Elles savent que pour elles, le pari est plus risqué, et que cela peut devenir dangereux pour leur estime d’elles-mêmes, le respect qu’elles se portent et qu’on leur porte. Mais attention, les stéréotypes de genre sont aussi un fardeau pour les hommes. Je pense à l’un de mes professeurs en faculté de médecine qui nous a avoué, avec beaucoup d’émotion, avoir été bouleversé dans sa vision de lui-même le jour où il a découvert que le travail de médecin était un travail typiquement féminin, puisque tourné vers le soin. Ce n’est évidemment pas comme cela que le présentait la société. Cela m’a beaucoup touchée. Je voudrais que l’on soutienne davantage de modèles positifs, pour les hommes comme pour les femmes, que l’on encourage le meilleur des deux
Dans quelle lutte avez-vous envie de jeter toutes vos forces aujourd’hui?
Je pense qu’il y a urgence dans les domaines de la justice sociale et de l’environnement, et à la croisée entre ces enjeux se trouve le monde du travail. Nous devons le repenser. Les maladies liées au travail explosent. Je suis très inquiète face à la multiplication des bullshit jobs, ces emplois qui au mieux ne servent à rien, et au pire, sont nuisibles. Un nombre de personnes de plus en plus grand considère que si demain, leur travail disparaissait, le monde se porterait mieux. C’est une érosion de l’identité qui provoque des dégâts terribles, qui use intérieurement. Le travail de protection des personnes contre des forces face auxquelles elles sont démunies est insuffisant. En tant que médecin, je vois à quel point la précarité toujours plus forte du monde du travail influe sur la santé mentale. Si l’on y ajoute le mythe du bonheur au mérite, on moralise la responsabilité de la santé pour l’attribuer au seul individu. Être malade devient un échec personnel, et bien sûr, mourir de maladie, dans ce contexte, une sorte de «faute ultime» dont il faudrait excuser la victime en soulignant l’ardeur de son combat. C’est assez terrible. La moralisation de la santé est l’un de mes autres chevaux de bataille. Toutes ces questions touchent évidemment beaucoup les femmes, souvent fragilisées professionnellement. On reste donc dans le sujet.
On vous a présentée comme le «visage souriant de la bioéthique», et l’on souligne votre douceur et votre amabilité quasiment à chaque fois que vous intervenez dans les médias. Le vivez-vous comme une qualité qui vous est naturelle, ou le considérez-vous comme un signe de légère misogynie à votre égard?
Oh, c’est vrai que ça a provoqué beaucoup de commentaires sur les réseaux cette histoire! (rires). Je crois qu’avant tout, j’ai une formation et une longue expérience dans la médecine interne. J’ai travaillé aux urgences, dans une ambulance, en gynécologie, en réhabilitation…. J’ai appris à rester calme dans presque toutes les circonstances, quel que soit le drame qui se déroulait devant mes yeux. En médecine, nous devenons souvent des marathoniens du calme, si j’ose dire. Et finalement, je me suis rendu compte que c’était une assez bonne école pour la bioéthique. J’ai bien conscience que, dès le moment où l’on transmet des messages à contre-courant, on suscite une inquiétude, un inconfort. On doit apporter une réassurance, montrer que l’on reste à l’écoute, ouvert à la discussion.
Au moment de nous quitter, Samia Hurst me montre un tableau dessiné par son fils. Une sorte de cartographie d’une ville imaginaire, avec son fleuve, ses ponts, ses parcs… «il les crée de manière organique me dit-elle. En commençant par un petit centre, qui peu à peu s’agrandit, parce qu’il y rajoute des nouveaux habitants, des envahisseurs, des accidents de parcours… » Une belle métaphore de nos existences en somme. La vie comme une ville dont Samia Hurst parcourrait les ruelles les plus étroites et les plus discrètes, pour en découvrir le sens caché et nous le raconter.
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Demander un salaire égal et un travail égal ça me paraît, dans cette perspective, être un minimum syndical. Ce que nous devrions demander, c’est d’autres valeurs, une autre société.</p> <p><strong>Quels sont les obstacles qui restent à franchir pour atteindre cette société-là, selon vous? </strong></p> <p>Ces obstacles sont dans nos têtes, et c’est pour cela qu’il ne faut pas sous-estimer leur hauteur. En premier lieu, les stéréotypes sur le féminin et le masculin sont partout et ils sont pernicieux: quoi que fasse une femme, l’équivalence entre son travail et celui d’un homme n’est obtenue que si la femme fait mieux. Lorsqu’elles postulent dans la recherche scientifique par exemple, les femmes doivent présenter deux fois et demi plus de publications que les hommes pour prétendre à «l’égalité». Lorsqu’elles sont écartées, on attribuera leur échec à un manque de travail et de mérite, sans se rendre compte que c’est injuste. La notion de mérite est un sujet important. 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Le vivez-vous comme une qualité qui vous est naturelle, ou le considérez-vous comme un signe de légère misogynie à votre égard? </strong></p> <p>Oh, c’est vrai que ça a provoqué beaucoup de commentaires sur les réseaux cette histoire! (<em>rires</em>). Je crois qu’avant tout, j’ai une formation et une longue expérience dans la médecine interne. J’ai travaillé aux urgences, dans une ambulance, en gynécologie, en réhabilitation…. J’ai appris à rester calme dans presque toutes les circonstances, quel que soit le drame qui se déroulait devant mes yeux. En médecine, nous devenons souvent des marathoniens du calme, si j’ose dire. Et finalement, je me suis rendu compte que c’était une assez bonne école pour la bioéthique. J’ai bien conscience que, dès le moment où l’on transmet des messages à contre-courant, on suscite une inquiétude, un inconfort. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. 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Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. 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C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». 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Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. 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