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Qu’elle est triste, cette campagne française! Morne, brumeuse, grisouille et balayée de vents mauvais. C’est bien sûr de la campagne des législatives qu’il s’agit. La vraie se porte comme un charme et offre à son homonyme politique un riant contraste. Le second mandat du président Macron commence dans la morosité. Depuis plusieurs années, l’état de grâce n’existe plus. Place à l’état de disgrâce.



Scène vécue mardi au marché de Mareuil-sur-Belle (commune de Mareuil-en-Périgord) qui appartient à la troisième circonscription de la Dordogne. Le député sortant, Jean-Pierre Cubertafon, sollicite un dernier mandat, vient serrer des mains, distribuer des tracts, papoter ici et là, s’enquérir du petit dernier qui fait ses dents, se soucier de la santé des vieux parents qui viennent de sortir du Covid, toutes opérations aussi vieilles que la démocratie et qui se placent sous ce thème général: tâter le terrain. 

Car tout terrain, surtout électoral, doit être tâté, câliné, caressé. Préliminaire obligé pour qui veut connaître l’orgasme de la victoire.

Membre du MoDem, sorte de démocratie-chrétienne à la française fondée par François Bayrou, Jean-Pierre Cubertafon se présente sous la bannière «majorité présidentielle».

Indifférence et sympathie

De plus en plus, les élus ou les candidats à une élection entament ces descentes de marché la boule au ventre et l’angoisse à la gorge, craignant d'essuyer insultes, injures, crachats, voire baffes et horions.

Rien de tel à Mareuil. Le Périgordin vit dans un climat tempéré et agréable qui agit favorablement sur son caractère. Et s’il est en colère, il le manifeste en votant Le Pen au premier tour, tout en se ravisant au second, comme lors de la dernière élection présidentielle.

Cela dit, s’il est poliment reçu, le député ne déchaîne pas pour autant la ferveur. Le choix des carottes et des blettes reste prioritaire; et se révèlent fort nourris, les échanges sur la sécheresse qui menace. On sait bien qu’en France, un parlementaire ne fait pas la pluie et le beau temps.

«De toute façon, Cubertafon sera réélu. Et dans un fauteuil encore!» Unanime explication à ce manque de passion électorale. 

Garder la chambre... d'enregistrement

Ce constat, bien d’autres citoyens français peuvent le dresser dans nombre de circonscriptions. A écouter les «informés» qui pérorent à longueur d’onde, les candidats adoubés par Emmanuel Macron ont gagné d’avance cette législative (qui se déroule les 12 et 19 juin prochains). Depuis que l’élection législative suit dans la foulée la présidentielle, les électeurs ont le bon goût d’offrir au nouvel élu ou réélu, une majorité à sa main à l’Assemblée Nationale. Qui se voit ainsi transformée en chambre d’enregistrement des décisions fulminées par l’Elysée. 

Saluons les efforts de Jean-Luc Mélenchon qui a réussi son OPA sur les vestiges de la gauche pour la ripoliner en NUPES (Nouvelle union populaire écologiste et sociale). Il a trouvé un slogan auquel personne ne croit mais qui fait mouche: «Mélenchon, premier ministre». Sous-entendu, «camarades citoyens, donnez-moi une majorité des députés et j’imposerai un gouvernement de cohabitation musclée». Mais pour ce faire, il faudrait que les nupistes posent leur séant sur 289 sièges. Autant poursuivre l’«inaccessible étoile» de Jacques Brel-Don Quichotte. Cela dit, les mélenchoniens paraissent bien partis pour devenir la principale force d’opposition à Macron-bis.

De son côté, Marine Le Pen et ses candidats RN continuent d’accomplir ce qu’ils font le mieux, soit ne rien faire. Et ce qui reste de la droite LR refait ce qu’elle a toujours pratiqué, à savoir se déchirer.

Pas très mobilisateur, tout ça! 

Pourquoi tant de morosité?

Les raisons de cette morosité électorale ne manquent pas. On a le choix: un nouveau gouvernement censé faire de l’environnement sa priorité et qui ne comprend aucune personnalité crédible dans ce domaine; une première ministre, Elisabeth Borne, au parcours de technocrate et au charisme digne de son patronyme; un ministre à peine nommé et qui est déjà visé par des accusations d’agression sexuelle (le Parquet n’a pas ouvert d’information pénale faute d’éléments suffisants); la finale de la Ligue des Champions à Paris qui a sombré dans le fiasco de la désorganisation et des brutalités policières. 

Sans oublier les facteurs plus lointains mais qui pèsent aussi sur le moral de chacune et chacun: les horreurs poutiniennes de la guerre en Ukraine et les tueries dans les écoles aux Etats-Unis.

Inversion néfaste du calendrier électoral

Toutefois, le facteur principal de cette campagne atone reste l’épuisement des institutions de la Vème République. L’inversion du calendrier électoral décidée par Jospin et Chirac à l’époque de leur cohabitation tient un rôle éminent dans ce désintérêt. 

Placer l’élection des députés juste après celle du président de la République, c’est conduire les électeurs à élire les candidats estampillés «majorité présidentielle» pour éviter une cohabitation entre adversaires politiques, source de crises gouvernementales majeures. 

Les cohabitations précédentes (Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin) n’ont pas fait sombrer la France – qui est plus solide que ne le pensent nombre de ses concitoyens.

Toutefois, ce ne sont pas les périodes les plus propices pour mener les profondes réformes réclamées, notamment, par la transition écologique et les bouleversements géopolitiques dus à la guerre en Ukraine.

Le «présimonarque» impotent par omnipotence

Cela dit, cette inversion n’est pas la cause fondamentale de la fatigue des institutions. Taillée pour le général de Gaulle afin de l’aider à extirper la France de la guerre en Algérie, la Vème République a rempli ses missions initiales. Mais aujourd’hui, elle entrave le débat démocratique.

En donnant au président de la République des pouvoirs qu’aucun chef d’un Etat démocratique ne possède, le régime tend à infantiliser les citoyens. Ils attendent tout de leur Jupiter élu. Et sont forcément déçus par un «présimonarque» dont l’omnipotence conduit à l’impotence. Submergé par des vagues d’événements complexes, isolé par le caractère quasi-absolu de son pouvoir, il décide de tout et risque de ne rien décider du tout… Ou de mal décider.

Contraste avec la Suisse

A cet égard, le contraste avec la Suisse est saisissant. Le passé – voire le présent à en croire les plus méchantes langues – a démontré que la médiocrité des Conseillers fédéraux n’empêchait pas la Suisse d’être bien gouvernée.

Le partage des pouvoirs, la collégialité gouvernementale, les négociations fréquentes avec les cantons ou entre syndicats et patronats ainsi que les instruments de la démocratie semi-directe permettent de limiter les erreurs face à une réalité de plus en plus difficiles à discerner et à maîtriser.

La classe politique française repousse aux Calendes Grecques cette grande réforme constitutionnelle devenue nécessaire. A l’exception de la France Insoumise de Mélenchon qui veut instaurer la VIème République. Le danger est que, cantonnée dans un seul camp politique, la réforme des institutions tourne en stériles combats politiciens.

«Voilà pourquoi, Madame, votre France est muette». Qui lui rendra la parole?

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