Actuel / Le journalisme en mode pandémique: «embedded», complaisant et incapable d’informer le débat démocratique

Conférence de presse au Palais fédéral. Les journalistes, triés par l'administration, doivent "faire la queue" pour pouvoir poser leur question, par téléphone ou par e-mail. © DR
Un exécutif dont les conférences de presse sont accessibles uniquement en streaming et lors desquelles les seules questions que les journalistes ont le droit de poser sont celles qu’ils ont envoyées au moins une heure à l’avance par e-mail. Des points de presse du gouvernement auxquels seule une poignée de correspondants est autorisée à se rendre en personne. Des journalistes qui doivent obtenir une permission de la police pour interviewer des médecins et sont escortés par un agent durant leur travail. Ces instantanés ne sont tirés ni d’une science-fiction dystopique, ni d’un rapport dénonçant les conditions imposées aux journalistes par un autocrate: ils décrivent la nouvelle normalité des médias suisses à l’époque du coronavirus.
Catherine Riva et Serena Tinari
Article paru sur le site Re-check.ch le 22 avril 2020
Depuis mars 2020, au nom de la lutte contre la pandémie, des centaines de millions de citoyens dans le monde sont privés de certains droits fondamentaux, comme la liberté de réunion, la liberté de manifestation ou encore la liberté de déplacement. Les écoles et les universités sont toujours fermées, la plupart des frontières bouclées, une bonne partie de l’activité économique interdite. Des armées ont été mobilisées et des instruments essentiels de contrôle démocratique (sessions parlementaires, votations) ont été suspendus au nom du droit de nécessité.
Cette crise sans précédent nous est présentée comme une crise sanitaire, alors que le scénario catastrophe d’une généralisation de la tragédie lombarde ne s’est pas vérifié et que dans certains pays, les hôpitaux sont même à moitié vides. Ses conséquences politiques et économiques directes, en revanche, sont très lourdes. Nombre de démocraties semblent même avoir atteint un point de bascule: aujourd’hui, les autorités peuvent invoquer la lutte contre le coronavirus pour décréter des mesures de censure, de surveillance et de répression qui auraient été encore impensables en janvier 2020 – et certains gouvernements ne s’en privent pas (1) (2). Dans le même temps, à cause des mesures prises, des millions de personnes ont sombré dans la précarité ou le dénuement.
Dans un contexte aussi extraordinaire et tendu, les médias assument une responsabilité cruciale.
Collaborations et proximités problématiques
Ils ont notamment le devoir de fournir au public des informations pertinentes, vérifiées et correctement mises en perspective pour que celui-ci puisse juger de manière éclairée si les décisions prises au nom de sa protection lui semblent justifiées avec toutes leurs conséquences. Or ce travail d’information ne peut être accompli que si les journalistes demandent régulièrement des comptes aux autorités pour défendre l’intérêt public et le droit des citoyens d’être informés. Comme l’a relevé à juste titre Vinzenz Wyss, professeur de journalisme à la Haute Ecole zurichoises des sciences appliquées à Winterthour (ZHAW) (3) (4): «Lorsque l’exécutif domine et que le débat parlementaire est réduit au silence, le journalisme doit être particulièrement vigilant. Les votes de l’exécutif en situation d’urgence ne sont pas juste un sujet parmi d’autres: les examiner est un devoir.»
Mais quelles sont les chances d’une couverture média présentant ces qualités essentielles quand les journalistes d’une télévision publique viennent ponctuellement travailler en renfort du service de communication des autorités?
Sept journalistes d’une radio et télévision de service public sont venus aider l’Etat-major de crise cantonal placé sous la direction de la police à communiquer à la population des contenus préparés main dans la main avec les autorités
La question peut sembler saugrenue dans une démocratie comme la Suisse qui souligne volontiers son attachement à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance des médias. Et pourtant, en 2019, RSI, la branche italophone de la radio-télévision suisse de service public, qui a ses quartiers généraux dans le canton du Tessin, a signé avec les autorités de ce canton un accord prévoyant qu’elle assurerait ce genre de prestations «en cas d’urgence». Notamment en mettant à disposition «le personnel et les moyens techniques nécessaires à la rédaction, la production et la diffusion des messages institutionnels et informatifs de l’Etat-major cantonal de crise» (5). Avec la pandémie, les conditions étaient réunies pour que cette «collaboration» soit mise en œuvre. Résultat: sept journalistes d’une radio et télévision de service public sont venus, par équipes, aider l’Etat-major de crise cantonal, placé sous la direction de la police, à communiquer à la population ce que les autorités estimaient qu’elle devait savoir, en mettant à disposition, comme convenu, «les canaux multimédias et la télévision» pour transmettre les contenus préparés main dans la main avec les autorités (6).
On peut également se demander quelles sont les chances d’une couverture média pertinente et fondée quand seuls certains correspondants sans compétences particulières sur les questions de santé ont accès aux conférences de presse des autorités, comme c’est le cas un jour sur deux au Centre des médias du Palais Fédéral, à Berne. Les autres journalistes – également triés sur le volet par l’administration –, eux, doivent «faire la queue» pour pouvoir poser leur question par téléphone ou par e-mail.
Les autorités tessinoises, pour leur part, ont exigé ces dernière semaines des médias qu’ils soumettent par écrit leurs questions (deux au maximum) plusieurs heures à l’avance, tout en précisant que lesdites questions ne pourraient être posées que si le temps disponible restait suffisant (7). Elles ont ainsi privé les journalistes de la possibilité d’insister en cas de réponse vague ou fuyante, mais surtout de poser des questions sur l’information délivrée lors des conférences de presse.
Enfin, certaines rédactions ont passé avec les autorités des accords qui n’autorisent plus qu’un «pool» de journalistes à accéder aux hôpitaux et à effectuer des reportages de manière «encadrée» (8). Et selon nos informations, dans un canton de Suisse romande, c’est la police qui règle l’accès des médias aux structures hospitalières; ses agents consultent aussi apparemment les notes prises par les journalistes. Malheureusement, les journalistes concernés n’osent pas dénoncer ces pratiques, ce qui montre bien qu’ils ne se sentent pas libres, voire qu’ils craignent pour leur poste.
Avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités
Dans tous ces cas de figure, la probabilité d’une couverture média pertinente et fondée est très faible, voire nulle. Car avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités. Ils doivent se contenter des éléments que l’exécutif et les administrations veulent bien leur donner et ne peuvent plus apprécier la qualité de cette information, ni la remettre en question, ni l’analyser.
Un journalisme «embedded» qui ne dit pas son nom
En acceptant de fonctionner de la sorte, les journalistes se mettent en situation de dépendance et de conflits d’intérêts qui les expose à risque massif de biais et d’influence. Or comme l’ont montré les exemples de reportages «embedded» lors de la guerre en Irak, une telle dépendance des médias vis-à-vis des autorités hypothèque invariablement la qualité de l’information. Par ailleurs, l’accès aux structures pertinentes pour la couverture de l’épidémie ne saurait être le privilège de quelques journalistes «invités». Mais surtout, pour tous les «non-embedded», il sera dès lors très difficile, voire impossible de confronter le gouvernement et l’administration.
Autre point préoccupant: aucun des médias concerné par ces pratiques n’a à ce jour déclaré au public de manière ouverte et pro-active les conditions dans lesquelles son travail s’opérait désormais: ni les détails des arrangements au terme desquels des reportages «en immersion» ont été réalisés, ni les difficultés rencontrées pour accéder aux conférences de presse, ni les limites qui ont été imposées pour mener des interviews, ni les collaborations éventuellement engagées avec les autorités. Pire encore, aucun média en Suisse n’a fermement dénoncé les contrôles et menaces dont certains journalistes ont fait l’objet, alors que comme l’a révélé le récent sondage d’Impressum, organisation professionnelle des journalistes du pays, au moins 38 professionnels détenteurs d’une carte de presse suisse ont été empêchés dans leur travail par les autorités depuis le début de la crise (9).
Ces silences donnent au public l’illusion que les journalistes peuvent continuer à travailler normalement. Que le droit à l’information s’exerce pleinement, que les médias ne subissent pas de pressions
Les résultats préliminaires de l’enquête d’Impressum auraient dû soulever un tollé. Ils ont été accueillis par un silence assourdissant qui est venu s’ajouter à tous les autres.
Or ces silences sont des plus problématiques. Car ils donnent au public l’illusion que les journalistes peuvent continuer à travailler normalement. Que le droit à l’information s’exerce pleinement, que les médias ne subissent pas de pressions ou encore qu’ils ont librement accès aux experts et aux sites de leur choix. Et donc que les recommandations des autorités et les témoignages de ceux qui sont «au front» constituent les éclairages les plus pertinents sur cette crise. Que les masques avec lesquelles les équipes de télévision s’exhibent constituent une protection indispensable pour l’exercice de leur métier dans les circonstances actuelles, alors qu’il s’agit de tournages en plein air, et que les personnes interviewées leur parlent à plusieurs mètres de distance.
Tant que les rédactions ne protestent pas, il est impossible de savoir, par exemple, si les restrictions tessinoises sont une exception ou si elles ont cours dans les autres cantons. Voire si dans certains cas, la situation est comparable à celle qu’on dénoncée des journalistes espagnols, à savoir des conférences de presse du gouvernement diffusées en streaming uniquement, dans le cadre de laquelle les médias devaient soumettre les questions à l’avance et où le gouvernement sélectionnait lui-même les questions auxquelles il souhaitait répondre (10).
Tant que les journalistes menacés par la police ne donnent pas de la voix, il est impossible de savoir si leur cas est isolé
Tant que les journalistes menacés par la police ne donnent pas de la voix, il est impossible de savoir si leur cas est isolé ou si ces pratiques sont systématiques. Et surtout de s’assurer qu’il y sera mis un terme.
Gageons que si les rédactions suisses avaient dénoncé dès le début les conditions qui leur ont été imposées, le 11 avril 2020, la plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe n’aurait pas seulement pointé du doigt la décision du gouvernement serbe d’exiger des journalistes qu’ils soumettent leurs questions à l’avance par écrit (11): elle aurait sans doute aussi tancé les autorités tessinoises, par exemple, qui avaient adopté la même pratique depuis plusieurs semaines déjà sans qu’aucune rédaction helvétique ne proteste publiquement. Les journalistes espagnols ont obtenu gain de cause et le gouvernement a modifié sa pratique. Et les Tessinois? Nous n’en savons rien.
Le mutisme des rédactions sur leurs conditions actuelles de travail pose encore un autre problème de taille: il donne au public l’illusion que tous les experts analysent la gravité de cette épidémie de la même manière, que les chiffres diffusés sont des indicateurs vérifiés et pertinents, et donc qu’il n’y a guère d’alternative aux mesures qui ont été prises.
Or rien de cela n’est vrai et le public doit en être informé.
Car au-delà de la récession économique ou de la suspension de certaines libertés publiques, l’une des conséquences majeures de la crise actuelle réside dans une couverture média qui glisse trop souvent vers un journalisme au mieux ankylosé et au pire complaisant (12) et trompeur (13) (14). Et qui, de fait, ne peut plus informer le débat démocratique.
Tentation manifeste d'instrumentaliser les médias
En s’embarquant de la sorte à bord d’un vaisseau contrôlé par les autorités, les médias acceptent de rester dans un état de sidération incompatible avec les standards éthiques liés à leur mission d’information.
Au point que désormais, on peut voir des journalistes s’excuser après avoir posé une question pertinente. Comme cela a été le cas lors du point de presse du 28 mars à Berne, lorsque Daniel Koch de l’Office fédéral de la santé publique a décrit comme «énorme» le chiffre de 280 personnes sous respiration artificielle en Suisse. Interrogé par un journaliste sur ce que serait la «normale» dans le domaine, Daniel Koch s’est contenté de secouer la tête d’un air réprobateur et de lâcher «Nous ne le savons pas». En dépit du caractère inacceptable de cette réponse, le journaliste s’est excusé, comme s’il avait agi de manière inadéquate alors qu’il ne faisait que son travail. Et aucun de ses collègues présents n’a bronché. Pourtant, sa question était parfaitement pertinente, car il faut toujours un comparateur pour mettre des chiffres en perspective. Et surtout, tout journaliste devrait protester haut et fort lorsque l’un de ses pairs est traité avec une condescendance pareille par un haut fonctionnaire qui présente la situation sur le front hospitalier sous un jour éminemment dramatique, sans préciser que globalement, les nouvelles sont bonnes puisque ces infrastructures ne sont pas débordées (15) (16) (17).
Les autorités et les administrations estiment peut-être que tout est bon pour maintenir la population en état de siège. Les médias, eux, ont un devoir de vérité.
Les autorités et les administrations estiment peut-être que tout est bon pour maintenir la population en état de siège. Mais cela ne saurait être le cas des médias, qui ont un devoir de vérité envers le public.
Dans un article paru sur Medialex le 2 avril 2020 (18), Peter Häni, professeur émérite de droit constitutionnel et administratif à l’Université de Fribourg, a livré un constat aussi lapidaire qu’inquiétant: «Le travail des journalistes est (…) de plus en plus entravé et la tentation d’instrumentaliser les médias devient manifeste.» Avant de rappeler que même lorsque le droit de nécessité s’applique, les journalistes et les médias «ne se transforment pas en exécutants de la Confédération et des cantons en raison de l’ordonnance COVID-19 (ordonnance 2). Ils peuvent donc épuiser tout l’éventail de leurs possibilités dans leurs recherches et publier des vérités gênantes. Ce faisant, ils ne font que remplir leur fonction réelle dans un Etat constitutionnel libre et démocratique».
Il est donc urgent que les journalistes suisses se ressaisissent et, forts de leur mission, demandent des comptes aux autorités et à l’administration, alimentent la pluralité du débat et pointent les incertitudes. Mais aussi qu’ils abordent leur rôle dans cette crise, «en exposant de manière transparente les conditions, les routines et les limites de la couverture médiatique, relevait encore Vinzenz Wyss. Cette autoréflexion des médias et des journalistes ne devrait pas se borner à présenter ce que c’est que du faire du journalisme en télétravail. Ce qu’il faudrait, c’est expliquer davantage et moins se regarder le nombril».
Les auteures:Catherine Riva et Serena Tinari sont deux journalistes d’investigation spécialisées dans l’investigation des sujets de santé et l’enseignement de méthodes d’enquête dans ce domaine. En 2015, elles ont fondé Re-Check, une organisation indépendante spécialisée dans l’enquête et le mappage des affaires de santé (www.re-check.ch, @RecheckHealth).
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Nombre de démocraties semblent même avoir atteint un point de bascule: aujourd’hui, les autorités peuvent invoquer la lutte contre le coronavirus pour décréter des mesures de censure, de surveillance et de répression qui auraient été encore impensables en janvier 2020 – et certains gouvernements ne s’en privent pas (<a href="https://www.indexoncensorship.org/disease-control/" target="_blank" rel="noopener">1</a>) (<a href="https://rsf.org/en/tracker19-Coronavirus-Covid19" target="_blank" rel="noopener">2</a>). Dans le même temps, à cause des mesures prises, des millions de personnes ont sombré dans la précarité ou le dénuement.</p> <p>Dans un contexte aussi extraordinaire et tendu, les médias assument une responsabilité cruciale.</p> <h3>Collaborations et proximités problématiques</h3> <p>Ils ont notamment le devoir de fournir au public des informations pertinentes, vérifiées et correctement mises en perspective pour que celui-ci puisse juger de manière éclairée si les décisions prises au nom de sa protection lui semblent justifiées avec toutes leurs conséquences. Or ce travail d’information ne peut être accompli que si les journalistes demandent régulièrement des comptes aux autorités pour défendre l’intérêt public et le droit des citoyens d’être informés. Comme l’a relevé à juste titre Vinzenz Wyss, professeur de journalisme à la Haute Ecole zurichoises des sciences appliquées à Winterthour (ZHAW) (<a href="https://www.persoenlich.com/medien/journalisten-durfen-kritik-nicht-dunnhautig-abschmettern" target="_blank" rel="noopener">3</a>) (<a href="https://meedia.de/2020/04/09/journalismus-in-der-krise-die-fuenf-defizite-der-corona-berichterstattung/" target="_blank" rel="noopener">4</a>): «Lorsque l’exécutif domine et que le débat parlementaire est réduit au silence, le journalisme doit être particulièrement vigilant. Les votes de l’exécutif en situation d’urgence ne sont pas juste un sujet parmi d’autres: les examiner est un devoir.»</p> <p>Mais quelles sont les chances d’une couverture média présentant ces qualités essentielles quand les journalistes d’une télévision publique viennent ponctuellement travailler en renfort du service de communication des autorités?</p> <blockquote> <p><em>Sept journalistes d’une radio et télévision de service public sont venus aider l’Etat-major de crise cantonal placé sous la direction de la police à communiquer à la population des contenus préparés main dans la main avec les autorités</em></p> </blockquote> <p>La question peut sembler saugrenue dans une démocratie comme la Suisse qui souligne volontiers son attachement à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance des médias. Et pourtant, en 2019, RSI, la branche italophone de la radio-télévision suisse de service public, qui a ses quartiers généraux dans le canton du Tessin, a signé avec les autorités de ce canton un accord prévoyant qu’elle assurerait ce genre de prestations «en cas d’urgence». Notamment en mettant à disposition «le personnel et les moyens techniques nécessaires à la rédaction, la production et la diffusion des messages institutionnels et informatifs de l’Etat-major cantonal de crise» (<a href="https://www3.ti.ch/CAN/comunicati/18-03-2019-comunicato-stampa-908742458649.pdf" target="_blank" rel="noopener">5</a>). Avec la pandémie, les conditions étaient réunies pour que cette «collaboration» soit mise en œuvre. Résultat: sept journalistes d’une radio et télévision de service public sont venus, par équipes, aider l’Etat-major de crise cantonal, placé sous la direction de la police, à communiquer à la population ce que les autorités estimaient qu’elle devait savoir, en mettant à disposition, comme convenu, «les canaux multimédias et la télévision» pour transmettre les contenus préparés main dans la main avec les autorités (<a href="https://medienwoche.ch/2020/04/16/journalisten-im-krisenstab-in-der-not-fuer-den-staat/" target="_blank" rel="noopener">6</a>).</p> <p>On peut également se demander quelles sont les chances d’une couverture média pertinente et fondée quand seuls certains correspondants sans compétences particulières sur les questions de santé ont accès aux conférences de presse des autorités, comme c’est le cas un jour sur deux au Centre des médias du Palais Fédéral, à Berne. Les autres journalistes – également triés sur le volet par l’administration –, eux, doivent «faire la queue» pour pouvoir poser leur question par téléphone ou par e-mail.</p> <p>Les autorités tessinoises, pour leur part, ont exigé ces dernière semaines des médias qu’ils soumettent par écrit leurs questions (deux au maximum) plusieurs heures à l’avance, tout en précisant que lesdites questions ne pourraient être posées que si le temps disponible restait suffisant (<a href="https://www4.ti.ch/area-media/agenda/dettaglio-agenda/?NEWS_ID=187505&tx_tichareamedia_comunicazioni%5Baction%5D=show&tx_tichareamedia_comunicazioni%5Bcontroller%5D=Agenda&cHash=bfbab8276047f3ca068dc2f7c528a924" target="_blank" rel="noopener">7</a>). Elles ont ainsi privé les journalistes de la possibilité d’insister en cas de réponse vague ou fuyante, mais surtout de poser des questions sur l’information délivrée lors des conférences de presse.</p> <p>Enfin, certaines rédactions ont passé avec les autorités des accords qui n’autorisent plus qu’un «pool» de journalistes à accéder aux hôpitaux et à effectuer des reportages de manière «encadrée» (<a href="https://www.heidi.news/sante/nous-sommes-tous-citoyens-du-monde-meme-s-il-est-infecte" target="_blank" rel="noopener">8</a>). Et selon nos informations, dans un canton de Suisse romande, c’est la police qui règle l’accès des médias aux structures hospitalières; ses agents consultent aussi apparemment les notes prises par les journalistes. Malheureusement, les journalistes concernés n’osent pas dénoncer ces pratiques, ce qui montre bien qu’ils ne se sentent pas libres, voire qu’ils craignent pour leur poste.</p> <blockquote> <p><em>Avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités</em></p> </blockquote> <p>Dans tous ces cas de figure, la probabilité d’une couverture média pertinente et fondée est très faible, voire nulle. Car avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités. Ils doivent se contenter des éléments que l’exécutif et les administrations veulent bien leur donner et ne peuvent plus apprécier la qualité de cette information, ni la remettre en question, ni l’analyser.</p> <h3>Un journalisme «embedded» qui ne dit pas son nom</h3> <p>En acceptant de fonctionner de la sorte, les journalistes se mettent en situation de dépendance et de conflits d’intérêts qui les expose à risque massif de biais et d’influence. Or comme l’ont montré les exemples de reportages «embedded» lors de la guerre en Irak, une telle dépendance des médias vis-à-vis des autorités hypothèque invariablement la qualité de l’information. Par ailleurs, l’accès aux structures pertinentes pour la couverture de l’épidémie ne saurait être le privilège de quelques journalistes «invités». Mais surtout, pour tous les «non-embedded», il sera dès lors très difficile, voire impossible de confronter le gouvernement et l’administration.</p> <p>Autre point préoccupant: aucun des médias concerné par ces pratiques n’a à ce jour déclaré au public de manière ouverte et pro-active les conditions dans lesquelles son travail s’opérait désormais: ni les détails des arrangements au terme desquels des reportages «en immersion» ont été réalisés, ni les difficultés rencontrées pour accéder aux conférences de presse, ni les limites qui ont été imposées pour mener des interviews, ni les collaborations éventuellement engagées avec les autorités. Pire encore, aucun média en Suisse n’a fermement dénoncé les contrôles et menaces dont certains journalistes ont fait l’objet, alors que comme l’a révélé le récent sondage d’Impressum, organisation professionnelle des journalistes du pays, au moins 38 professionnels détenteurs d’une carte de presse suisse ont été empêchés dans leur travail par les autorités depuis le début de la crise (<a href="https://www.impressum.ch/fr/mes-droits-cct/la-liberte-de-reportage/" target="_blank" rel="noopener">9</a>).</p> <blockquote> <p><em>Ces silences donnent au public l’illusion que les journalistes peuvent continuer à travailler normalement. Que le droit à l’information s’exerce pleinement, que les médias ne subissent pas de pressions</em></p> </blockquote> <p>Les résultats préliminaires de l’enquête d’Impressum auraient dû soulever un tollé. Ils ont été accueillis par un silence assourdissant qui est venu s’ajouter à tous les autres.</p> <p>Or ces silences sont des plus problématiques. Car ils donnent au public l’illusion que les journalistes peuvent continuer à travailler normalement. Que le droit à l’information s’exerce pleinement, que les médias ne subissent pas de pressions ou encore qu’ils ont librement accès aux experts et aux sites de leur choix. Et donc que les recommandations des autorités et les témoignages de ceux qui sont «au front» constituent les éclairages les plus pertinents sur cette crise. Que les masques avec lesquelles les équipes de télévision s’exhibent constituent une protection indispensable pour l’exercice de leur métier dans les circonstances actuelles, alors qu’il s’agit de tournages en plein air, et que les personnes interviewées leur parlent à plusieurs mètres de distance.</p> <p>Tant que les rédactions ne protestent pas, il est impossible de savoir, par exemple, si les restrictions tessinoises sont une exception ou si elles ont cours dans les autres cantons. Voire si dans certains cas, la situation est comparable à celle qu’on dénoncée des journalistes espagnols, à savoir des conférences de presse du gouvernement diffusées en streaming uniquement, dans le cadre de laquelle les médias devaient soumettre les questions à l’avance et où le gouvernement sélectionnait lui-même les questions auxquelles il souhaitait répondre (<a href="https://rsf.org/en/news/coronavirus-spanish-government-yields-pressure-journalists-and-agrees-live-press-conferences-0" target="_blank" rel="noopener">10</a>).</p> <blockquote> <p><em>Tant que les journalistes menacés par la police ne donnent pas de la voix, il est impossible de savoir si leur cas est isolé</em></p> </blockquote> <p>Tant que les journalistes menacés par la police ne donnent pas de la voix, il est impossible de savoir si leur cas est isolé ou si ces pratiques sont systématiques. Et surtout de s’assurer qu’il y sera mis un terme.</p> <p>Gageons que si les rédactions suisses avaient dénoncé dès le début les conditions qui leur ont été imposées, le 11 avril 2020, la plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe n’aurait pas seulement pointé du doigt la décision du gouvernement serbe d’exiger des journalistes qu’ils soumettent leurs questions à l’avance par écrit (<a href="https://www.coe.int/fr/web/media-freedom" target="_blank" rel="noopener">11</a>): elle aurait sans doute aussi tancé les autorités tessinoises, par exemple, qui avaient adopté la même pratique depuis plusieurs semaines déjà sans qu’aucune rédaction helvétique ne proteste publiquement. Les journalistes espagnols ont obtenu gain de cause et le gouvernement a modifié sa pratique. Et les Tessinois? Nous n’en savons rien.</p> <p>Le mutisme des rédactions sur leurs conditions actuelles de travail pose encore un autre problème de taille: il donne au public l’illusion que tous les experts analysent la gravité de cette épidémie de la même manière, que les chiffres diffusés sont des indicateurs vérifiés et pertinents, et donc qu’il n’y a guère d’alternative aux mesures qui ont été prises.</p> <p>Or rien de cela n’est vrai et le public doit en être informé.</p> <p>Car au-delà de la récession économique ou de la suspension de certaines libertés publiques, l’une des conséquences majeures de la crise actuelle réside dans une couverture média qui glisse trop souvent vers un journalisme au mieux ankylosé et au pire complaisant (<a href="https://www.persoenlich.com/werbung/alain-berset-startet-social-media-kampagne" target="_blank" rel="noopener">12</a>) et trompeur (<a href="https://www.infosperber.ch/Artikel/Gesundheit/Corona-Statt-zu-informieren-fuhren-Behorden-eine-PR-Kampagne" target="_blank" rel="noopener">13</a>) (<a href="https://www.infosperber.ch/Artikel/Gesundheit/BAG-Corvid-19-Coronavirus-Diese-Kurve-ist-krass-irrefuhrend" target="_blank" rel="noopener">14</a>). Et qui, de fait, ne peut plus informer le débat démocratique.</p> <h3>Tentation manifeste d'instrumentaliser les médias</h3> <p>En s’embarquant de la sorte à bord d’un vaisseau contrôlé par les autorités, les médias acceptent de rester dans un état de sidération incompatible avec les standards éthiques liés à leur mission d’information.</p> <p>Au point que désormais, on peut voir des journalistes s’excuser après avoir posé une question pertinente. Comme cela a été le cas lors du point de presse du 28 mars à Berne, lorsque Daniel Koch de l’Office fédéral de la santé publique a décrit comme «énorme» le chiffre de 280 personnes sous respiration artificielle en Suisse. Interrogé par un journaliste sur ce que serait la «normale» dans le domaine, Daniel Koch s’est contenté de secouer la tête d’un air réprobateur et de lâcher «Nous ne le savons pas». En dépit du caractère inacceptable de cette réponse, le journaliste s’est excusé, comme s’il avait agi de manière inadéquate alors qu’il ne faisait que son travail. Et aucun de ses collègues présents n’a bronché. Pourtant, sa question était parfaitement pertinente, car il faut toujours un comparateur pour mettre des chiffres en perspective. Et surtout, tout journaliste devrait protester haut et fort lorsque l’un de ses pairs est traité avec une condescendance pareille par un haut fonctionnaire qui présente la situation sur le front hospitalier sous un jour éminemment dramatique, sans préciser que globalement, les nouvelles sont bonnes puisque ces infrastructures ne sont pas débordées (<a href="https://www.tagblatt.ch/ostschweiz/unterbelegung-und-kurzarbeit-die-groteske-situation-der-ostschweizer-spitaeler-ld.1211923" target="_blank" rel="noopener">15</a>) (<a href="https://www.lenouvelliste.ch/dossiers/coronavirus/articles/coronavirus-la-mise-au-chomage-partiel-dans-certains-hopitaux-se-precise-927391" target="_blank" rel="noopener">16</a>) (<a href="https://www.infosperber.ch/Gesundheit/Die-Corona-Epidemie-leert-Spitaler-und-Arztpraxen" target="_blank" rel="noopener">17</a>).</p> <blockquote> <p><em>Les autorités et les administrations estiment peut-être que tout est bon pour maintenir la population en état de siège. 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Les écoles et les universités sont toujours fermées, la plupart des frontières bouclées, une bonne partie de l’activité économique interdite. Des armées ont été mobilisées et des instruments essentiels de contrôle démocratique (sessions parlementaires, votations) ont été suspendus au nom du droit de nécessité.</p> <p>Cette crise sans précédent nous est présentée comme une crise sanitaire, alors que le scénario catastrophe d’une généralisation de la tragédie lombarde ne s’est pas vérifié et que dans certains pays, les hôpitaux sont même à moitié vides. Ses conséquences politiques et économiques directes, en revanche, sont très lourdes. 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Comme l’a relevé à juste titre Vinzenz Wyss, professeur de journalisme à la Haute Ecole zurichoises des sciences appliquées à Winterthour (ZHAW) (<a href="https://www.persoenlich.com/medien/journalisten-durfen-kritik-nicht-dunnhautig-abschmettern" target="_blank" rel="noopener">3</a>) (<a href="https://meedia.de/2020/04/09/journalismus-in-der-krise-die-fuenf-defizite-der-corona-berichterstattung/" target="_blank" rel="noopener">4</a>): «Lorsque l’exécutif domine et que le débat parlementaire est réduit au silence, le journalisme doit être particulièrement vigilant. 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Et pourtant, en 2019, RSI, la branche italophone de la radio-télévision suisse de service public, qui a ses quartiers généraux dans le canton du Tessin, a signé avec les autorités de ce canton un accord prévoyant qu’elle assurerait ce genre de prestations «en cas d’urgence». Notamment en mettant à disposition «le personnel et les moyens techniques nécessaires à la rédaction, la production et la diffusion des messages institutionnels et informatifs de l’Etat-major cantonal de crise» (<a href="https://www3.ti.ch/CAN/comunicati/18-03-2019-comunicato-stampa-908742458649.pdf" target="_blank" rel="noopener">5</a>). Avec la pandémie, les conditions étaient réunies pour que cette «collaboration» soit mise en œuvre. Résultat: sept journalistes d’une radio et télévision de service public sont venus, par équipes, aider l’Etat-major de crise cantonal, placé sous la direction de la police, à communiquer à la population ce que les autorités estimaient qu’elle devait savoir, en mettant à disposition, comme convenu, «les canaux multimédias et la télévision» pour transmettre les contenus préparés main dans la main avec les autorités (<a href="https://medienwoche.ch/2020/04/16/journalisten-im-krisenstab-in-der-not-fuer-den-staat/" target="_blank" rel="noopener">6</a>).</p> <p>On peut également se demander quelles sont les chances d’une couverture média pertinente et fondée quand seuls certains correspondants sans compétences particulières sur les questions de santé ont accès aux conférences de presse des autorités, comme c’est le cas un jour sur deux au Centre des médias du Palais Fédéral, à Berne. Les autres journalistes – également triés sur le volet par l’administration –, eux, doivent «faire la queue» pour pouvoir poser leur question par téléphone ou par e-mail.</p> <p>Les autorités tessinoises, pour leur part, ont exigé ces dernière semaines des médias qu’ils soumettent par écrit leurs questions (deux au maximum) plusieurs heures à l’avance, tout en précisant que lesdites questions ne pourraient être posées que si le temps disponible restait suffisant (<a href="https://www4.ti.ch/area-media/agenda/dettaglio-agenda/?NEWS_ID=187505&tx_tichareamedia_comunicazioni%5Baction%5D=show&tx_tichareamedia_comunicazioni%5Bcontroller%5D=Agenda&cHash=bfbab8276047f3ca068dc2f7c528a924" target="_blank" rel="noopener">7</a>). Elles ont ainsi privé les journalistes de la possibilité d’insister en cas de réponse vague ou fuyante, mais surtout de poser des questions sur l’information délivrée lors des conférences de presse.</p> <p>Enfin, certaines rédactions ont passé avec les autorités des accords qui n’autorisent plus qu’un «pool» de journalistes à accéder aux hôpitaux et à effectuer des reportages de manière «encadrée» (<a href="https://www.heidi.news/sante/nous-sommes-tous-citoyens-du-monde-meme-s-il-est-infecte" target="_blank" rel="noopener">8</a>). Et selon nos informations, dans un canton de Suisse romande, c’est la police qui règle l’accès des médias aux structures hospitalières; ses agents consultent aussi apparemment les notes prises par les journalistes. Malheureusement, les journalistes concernés n’osent pas dénoncer ces pratiques, ce qui montre bien qu’ils ne se sentent pas libres, voire qu’ils craignent pour leur poste.</p> <blockquote> <p><em>Avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités</em></p> </blockquote> <p>Dans tous ces cas de figure, la probabilité d’une couverture média pertinente et fondée est très faible, voire nulle. Car avec de telles règles du jeu, les journalistes ne sont ni en mesure d’accéder à l’information, ni d’établir une distance entre eux-mêmes et les autorités. Ils doivent se contenter des éléments que l’exécutif et les administrations veulent bien leur donner et ne peuvent plus apprécier la qualité de cette information, ni la remettre en question, ni l’analyser.</p> <h3>Un journalisme «embedded» qui ne dit pas son nom</h3> <p>En acceptant de fonctionner de la sorte, les journalistes se mettent en situation de dépendance et de conflits d’intérêts qui les expose à risque massif de biais et d’influence. Or comme l’ont montré les exemples de reportages «embedded» lors de la guerre en Irak, une telle dépendance des médias vis-à-vis des autorités hypothèque invariablement la qualité de l’information. Par ailleurs, l’accès aux structures pertinentes pour la couverture de l’épidémie ne saurait être le privilège de quelques journalistes «invités». Mais surtout, pour tous les «non-embedded», il sera dès lors très difficile, voire impossible de confronter le gouvernement et l’administration.</p> <p>Autre point préoccupant: aucun des médias concerné par ces pratiques n’a à ce jour déclaré au public de manière ouverte et pro-active les conditions dans lesquelles son travail s’opérait désormais: ni les détails des arrangements au terme desquels des reportages «en immersion» ont été réalisés, ni les difficultés rencontrées pour accéder aux conférences de presse, ni les limites qui ont été imposées pour mener des interviews, ni les collaborations éventuellement engagées avec les autorités. 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Car ils donnent au public l’illusion que les journalistes peuvent continuer à travailler normalement. Que le droit à l’information s’exerce pleinement, que les médias ne subissent pas de pressions ou encore qu’ils ont librement accès aux experts et aux sites de leur choix. Et donc que les recommandations des autorités et les témoignages de ceux qui sont «au front» constituent les éclairages les plus pertinents sur cette crise. Que les masques avec lesquelles les équipes de télévision s’exhibent constituent une protection indispensable pour l’exercice de leur métier dans les circonstances actuelles, alors qu’il s’agit de tournages en plein air, et que les personnes interviewées leur parlent à plusieurs mètres de distance.</p> <p>Tant que les rédactions ne protestent pas, il est impossible de savoir, par exemple, si les restrictions tessinoises sont une exception ou si elles ont cours dans les autres cantons. 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Et surtout de s’assurer qu’il y sera mis un terme.</p> <p>Gageons que si les rédactions suisses avaient dénoncé dès le début les conditions qui leur ont été imposées, le 11 avril 2020, la plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe n’aurait pas seulement pointé du doigt la décision du gouvernement serbe d’exiger des journalistes qu’ils soumettent leurs questions à l’avance par écrit (<a href="https://www.coe.int/fr/web/media-freedom" target="_blank" rel="noopener">11</a>): elle aurait sans doute aussi tancé les autorités tessinoises, par exemple, qui avaient adopté la même pratique depuis plusieurs semaines déjà sans qu’aucune rédaction helvétique ne proteste publiquement. Les journalistes espagnols ont obtenu gain de cause et le gouvernement a modifié sa pratique. Et les Tessinois? Nous n’en savons rien.</p> <p>Le mutisme des rédactions sur leurs conditions actuelles de travail pose encore un autre problème de taille: il donne au public l’illusion que tous les experts analysent la gravité de cette épidémie de la même manière, que les chiffres diffusés sont des indicateurs vérifiés et pertinents, et donc qu’il n’y a guère d’alternative aux mesures qui ont été prises.</p> <p>Or rien de cela n’est vrai et le public doit en être informé.</p> <p>Car au-delà de la récession économique ou de la suspension de certaines libertés publiques, l’une des conséquences majeures de la crise actuelle réside dans une couverture média qui glisse trop souvent vers un journalisme au mieux ankylosé et au pire complaisant (<a href="https://www.persoenlich.com/werbung/alain-berset-startet-social-media-kampagne" target="_blank" rel="noopener">12</a>) et trompeur (<a href="https://www.infosperber.ch/Artikel/Gesundheit/Corona-Statt-zu-informieren-fuhren-Behorden-eine-PR-Kampagne" target="_blank" rel="noopener">13</a>) (<a href="https://www.infosperber.ch/Artikel/Gesundheit/BAG-Corvid-19-Coronavirus-Diese-Kurve-ist-krass-irrefuhrend" target="_blank" rel="noopener">14</a>). 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En dépit du caractère inacceptable de cette réponse, le journaliste s’est excusé, comme s’il avait agi de manière inadéquate alors qu’il ne faisait que son travail. Et aucun de ses collègues présents n’a bronché. Pourtant, sa question était parfaitement pertinente, car il faut toujours un comparateur pour mettre des chiffres en perspective. 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La fidélité absolue est un concept éculé et hypocrite qui a pour but principal que les hommes soient certains que les enfants qui sortent des ventres de leur épouse soient bien le produit de leurs spermatozoïdes à eux. Transmettre ses gènes est un réflexe très animal, si Sapiens est vraiment un être supérieur, il devrait se détendre sur cette question. En plus, Pierre et moi n’avons pas fait d’enfants, trop concentrés sur nous-mêmes et nos vies à réussir. Marie, ma sœur, prétend que pour les femmes, l’importance de la fidélité n’a pas pour but la perpétuation de l’espèce mais plutôt la conservation à leur côté du mâle qui assure leur protection. Elle se trompe. Si Pierre et moi sommes toujours ensemble après trente-cinq ans de mariage, c’est justement parce que nous nous laissons la liberté d’aller de temps en temps voir ailleurs. Marie, elle, ne souhaitait plus de rapports sexuels tout en menaçant son mari de le quitter s’il la trompait. C’est lui qui est parti avec la première maîtresse qu’il s’est autorisée.</p> <p>Mais Pierre a changé.</p> <p>Nous nous sommes connus dans une manifestation contre le racisme alors que nous avions vingt-sept ans. Il était graphiste tandis que moi j’enseignais le français à des réfugiés dans un centre géré par l’Eglise protestante. Je l’avais déjà remarqué à d’autres occasions au fil des ans – Lausanne est une petite ville – notamment lors d’une soirée chez Jean-Luc, lequel a été mon amant lorsque j’avais vingt ans et que j’hésitais entre le trotskisme et l’écologie politique. Lorsque Jean-Luc, figure de proue des trotskistes locaux, m’avait quittée pour une camarade d’origine kurde plus valorisante pour lui, j’avais renoncé aux principes de la Quatrième Internationale et milité pour la sauvegarde de la planète, jusqu’à ma rencontre avec un zapatiste belge avec qui je suis partie au Mexique où j’ai attrapé une infection sexuellement transmissible. De retour en Suisse, j’ai soigné ma salpingite et terminé mes études de lettres. Entre deux amants de passage, je traversais de longues périodes d’abstinence sexuelle sans que cela me coûte. A la manif, j’ai trouvé Pierre très beau avec sa moustache et sa barbe de cinq jours. Et je l’ai trouvé irrésistible lorsqu’il a jeté une bouteille vide en direction des forces de l’ordre qui voulaient nous empêcher d’accéder à la salle où se déroulait une assemblée de l’UDC, ce parti d’extrême droite honni par nous. Pierre s’est fait réprimander par les camarades communistes qui assuraient le service d’ordre et il a fini par en venir aux mains avec eux. J’ai spontanément pris sa défense, nous nous sommes faits bousculer et avons quitté la manifestation, lui avec une arcade sourcilière fendue, moi avec un fort désir pour lui. Je l’ai emmené chez moi pour soigner sa blessure et nous avons fait l’amour toute la nuit. Deux semaines plus tard nous emménagions ensemble; nous ne nous sommes plus quittés.</p> <p>L’autre soir, alors que nous avions des invités à la maison, il m’a semblé reconnaître chez Pierre les signes d’une tension extrême. Depuis le temps, je le connais bien. Serge et Mireille, nos invités, l’ont eux aussi sentie, cette tension. Ce sont tout à la fois des amis et des clients. Des amis parce que comme nous ils sont de centre gauche, des clients car ils font appel à notre agence de communication pour promouvoir leur commerce. Après avoir été de grands voyageurs, Serge et Mireille vendent aujourd’hui des produits venus d’Asie, principalement d’Inde mais aussi de Birmanie et du Cambodge. Ils sélectionnent avec soins les artisans, privilégiant les structures coopératives respectueuses de l’environnement et du bien-être des populations locales. Nous gérons leur site internet et leur publicité, et tournons même pour eux des clips promotionnels. Pierre est devenu agressif avec Mireille lorsque celle-ci a déclaré que les néo-féministes exagéraient et que #MeToo décourageait toute tentative de séduction de la part des hommes. «Je n’ai pas peur de le dire, j’aime bien que l’on me tienne la porte et que les hommes me fassent sentir qu’ils me désirent…» Pierre lui a rétorqué que le patriarcat était une forme de fascisme et qu’en tant que progressiste nous devions tout faire pour l’abattre. J’ai essayé de dévier la conversation sur la nourriture bio mais très vite c’est l’écriture inclusive qui a fait s’échauffer les esprits. Serge, qui se pique d’aimer la littérature, a déclaré que le français était en danger, qu’il fallait le sauver des points médians et des réformes de l’orthographe. Pierre a rétorqué que pour rester vivantes les langues devaient changer, que les normes les étouffaient, que les règles orthographiques avaient été inventées pour empêcher les pauvres d’accéder aux études. «Etes-vous allés récemment au cinéma?» ai-je incidemment demandé à Mireille?</p> <p>Le lendemain, elle m’a appelée. «Avec Serge, on se demande si Pierre n’est pas en train devenir woke…» Mon sang s’est figé dans mes veines, une sourde angoisse est montée de mon estomac jusque dans ma gorge. «Non, non… Vous vous trompez… Vous avez bien vu, il continue de manger de la viande», ai-je rassuré Mireille. Mais le doute s’était instillé en moi, je me suis mise à mieux observer Pierre et, pour la première fois, j’ai fouillé dans ses poches et ses agendas, même dans son ordinateur. 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En jeu, rien de moins que les causes de la crise de la pollution plastique et les solutions appropriées pour y remédier.</p> <ul> <li> <p>D’un côté, la <a href="https://hactoendplasticpollution.org/fr/">Coalition de haute ambition</a> (HAC), les activistes du «zéro déchet» et de <a href="https://theconversation.com/traite-mondial-contre-la-pollution-plastique-en-coulisses-le-regard-des-scientifiques-francais-presents-234046">nombreux scientifiques</a> insistent sur la nécessité d’une <a href="https://hactoendplasticpollution.org/hac-member-states-ministerial-joint-statement-for-inc-5/">approche globale portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques</a>, y compris leur production.</p> </li> <li> <p>De l’autre côté, une <a href="https://medium.com/points-of-order/spoiler-alert-f737a24292e6">petite minorité d’Etats</a> ainsi que l’industrie pétrochimique ont à de nombreuses reprises détourné l’attention de cette question de la production des plastiques. 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Ils réduisent de manière significative la quantité de plastique qui se retrouve dans les océans.</p> <p>Malgré cela, et parce qu’ils font un travail salissant et vivent dans des endroits sales, ils sont souvent tenus pour responsables du problème de la pollution plastique. Dans les discours politiques des villes et des Etats, leur travail a longtemps été <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0956247816657302">tourné en dérision, considéré comme non qualifié et inefficace</a>. <a href="https://www.undp.org/blog/unsung-heroes-four-things-policymakers-can-do-empower-informal-waste-workers">L’absence de reconnaissance officielle</a> de leur travail rend leurs revenus particulièrement instables et précaires. Les réglementations environnementales peuvent <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ac6b49">aggraver ces menaces</a> en accélérant la privatisation du traitement des déchets.</p> <p>Alors que les efforts de lutte contre la pollution plastique gagnent du terrain, les ramasseurs informels sont soumis à une double pression:</p> <ul> <li> <p>Ils doivent protéger leur accès aux déchets, car c’est l’un des rares moyens de subsistance dont ils disposent.</p> </li> <li> <p>En même temps, ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie et de travail.</p> </li> </ul> <p>Un groupe de ramasseurs de déchets a donc profité de l’ouverture des négociations pour <a href="https://globalrec.org/document/just-transition-waste-pickers-un-plastics-treaty/">plaider en faveur de la reconnaissance de leur travail</a>. Il a été demandé que leurs contributions historiques à la réduction de la pollution plastique soient explicitement reconnues, et qu’un objectif explicite de transition juste soit intégré au traité sur les plastiques.</p> <h3>Avec l’économie circulaire, tout le monde est gagnant?</h3> <p>La <a href="https://theconversation.com/quatre-idees-recues-sur-la-transition-juste-227569">transition juste</a> est un principe défendu par les groupes de travailleurs et les défenseurs de la justice sociale afin de garantir que les politiques de transition écologique protègent, améliorent et compensent équitablement les moyens de subsistance des travailleurs et des communautés affectés par l’environnement.</p> <p>Les ramasseurs de déchets ont utilisé ce terme pour réclamer que le traité comprenne des dispositions pour améliorer leurs conditions de travail et de sécurité. Mais également pour que le traité intègre davantage les travailleurs informels aux systèmes de gestion des déchets, et pour exiger que les systèmes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-elargie-du-producteur-67766">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP) soutiennent aussi les travailleurs du secteur des déchets, en particulier les <a href="https://www.wiego.org/gender-waste-project">femmes et d’autres groupes vulnérables</a>.</p> <p>Etonnamment, ces demandes ont obtenu le soutien d’un large éventail de parties prenantes puissantes. Par exemple la <a href="https://www.businessforplasticstreaty.org/vision-statement#Key-elements">Business Coalition for a Plastics Treaty</a>, les <a href="https://news.un.org/en/story/2024/10/1156301">dirigeants des Nations unies</a> et même <a href="https://resolutions.unep.org/resolutions/uploads/american_chemistry_council.pdf">l’industrie pétrochimique</a>.</p> <p>Certaines de ces demandes ont été intégrées aux projets de traité sur les plastiques discutés au cours des négociations, ce qui représente une victoire majeure pour les travailleurs du secteur informel des déchets.</p> <p>Un consensus se dégage sur le fait qu’une économie circulaire inclusive peut être bénéfique à la fois pour l’environnement, l’économie et les travailleurs en améliorant la gestion de la pollution, les moyens de subsistance et les opportunités de croissance économique pour les entreprises.</p> <p>Ces promesses demandent toutefois à être vérifiées sur le terrain. Et c’est là que les choses se compliquent.</p> <h3>« Gagnant-gagnant », mais la victoire de qui ?</h3> <p>Dans mon livre <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262546973/recycling-class/"><em>Recycling Class</em></a>, j’examine comment les efforts de recyclage inclusif ont été mis en œuvre à Bengaluru, l’une des plus grandes villes de l’Inde.</p> <figure><a href="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img src="https://images.theconversation.com/files/635250/original/file-20241129-15-cdpt12.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" alt="" /></a> <figcaption><span></span></figcaption> </figure> <p>Dans cet ouvrage, je défends que l’intégration dans des programmes d’économie circulaire basés sur le marché n’est pas une solution miracle aux injustices ancrées dans les systèmes de production, de consommation et de production des déchets.</p> <p>La plupart des politiques d’économie circulaire et de recyclage inclusif reposent sur des mécanismes de marché, partant du principe que la création de marchés pour les déchets incitera les acteurs du marché à récupérer efficacement les déchets et à les convertir en ressources.</p> <p>Pour remplir leurs obligations en matière de <a href="https://theconversation.com/faire-payer-plus-les-entreprises-pour-quelles-reduisent-les-emballages-130073">responsabilité élargie des producteurs</a> (REP), les marques peuvent alors s’engager à acheter des plastiques recyclés et à financer la collecte des déchets en achetant des <a href="https://www.worldbank.org/en/programs/problue/publication/unlocking-financing-to-combat-the-plastics-crisis">crédits plastique</a>.</p> <p>Cette approche vise à améliorer le prix des déchets, à augmenter les salaires et à encourager les efforts de collecte, tout en attirant des investissements pour financer l’amélioration des infrastructures et des technologies.</p> <p>Cependant, les mécanismes fondés sur le marché aggravent les inégalités existantes en matière d’accès au marché. Les efforts visant à donner la priorité à la traçabilité et à la transparence – dans le but d’améliorer l’efficacité du marché et le respect de la réglementation – désavantagent souvent les travailleurs informels.</p> <p>Ces derniers ne disposent pas des ressources et des capacités techniques nécessaires pour adopter des systèmes de suivi complexes basés sur les SIG ou la blockchain, et se retrouvent exclus des processus formalisés. Les start-up financées par le capital-risque et les grandes entreprises s’emparent alors du secteur du recyclage.</p> <p>Les multinationales préfèrent d’ailleurs les partenariats avec des start-up technologiques qui offrent des services à «valeur ajoutée» tels que des indicateurs et des tableaux de bord environnementaux, permettant aux entreprises de mettre en scène leur propre récit sur le développement durable. Souvent issus de milieux éduqués et privilégiés, les employés de ces firmes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S001671852300057X">concurrencent les travailleurs informels existants, les subordonnant au passage</a>.</p> <p>A l’inverse, les femmes et les membres des minorités ethno-raciales et religieuses, qui constituent la majorité des travailleurs des économies informelles des déchets, sont confrontés à des obstacles supplémentaires. Notamment des <a href="https://mouvements.info/recuperateurs-de-dechets/">stigmates sociaux bien ancrés</a> qui limitent leur capacité à participer sur un pied d’égalité à ces marchés émergents. 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Une étude de <a href="https://www.circle-economy.com/resources/decent-work-in-the-circular-economy">Circle Economy</a> souligne que la plupart des emplois du secteur de l’économie circulaire restent ad-hoc et informels et ne bénéficient pas des garanties d’un emploi décent.</p> <p>En fin de compte, les travailleurs informels sont confrontés à un choix difficile: soit ils acceptent d’être exploités au sein des circuits de traitements des déchets en tant que simples ressources, soit ils risquent de perdre complètement leurs moyens de subsistance.</p> <p>Les systèmes actuels de production et de consommation du plastique déplacent donc la charge des déchets sur des communautés autochtones ou ethniques marginalisées, créant ainsi des <a href="https://www.dukeupress.edu/pollution-is-colonialism">zones sacrifiées</a>. Ce déplacement permet de maintenir la rentabilité, tout en perpétuant les atteintes à l’environnement et les inégalités sociales.</p> <p>En promouvant des technologies de <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57087908">recyclage chimique</a> non éprouvées et en étendant les marchés du plastique, les entreprises <a href="https://theconversation.com/comment-lindustrie-fossile-influence-les-negociations-mondiales-sur-le-plastique-222112">pétrochimiques</a> et de matières plastiques <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/21/2/121/97367/Future-Proofing-Capitalism-The-Paradox-of-the">s’approprient le langage de l’économie circulaire</a>. Cela leur permet de donner un vernis écologique à leurs propositions, tout en maintenant le <em>statu quo</em> sur les inégalités.</p> <p>Pendant ce temps, la HAC, plusieurs ONG et même certains ramasseurs de déchets invoquent également l’économie circulaire comme solution à la crise du plastique, en mettant l’accent sur le réemploi et le recyclage inclusif.</p> <h3>Demander des comptes aux pollueurs plutôt que compter sur l’efficacité du marché</h3> <p>Pour que l’économie circulaire aille au-delà de la simple protection du capitalisme fossile, elle doit prendre en compte les collecteurs de déchets et recycleurs informels dans le Sud et reconnaître les limites des mécanismes basés sur le marché. C’est vrai aussi bien pour le traité international sur la pollution plastique que pour d’autres démarches régionales comme le <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/679066/EPRS_ATA(2021)679066_FR.pdf">plan d’action de l’UE pour l’économie circulaire</a>.</p> <p>En effet, toute stratégie de lutte contre la pollution plastique basée sur le marché et axée sur le profit est susceptible de reproduire ces schémas d’inégalité. Et par la même occasion, de pérenniser les injustices systémiques qui soutiennent le statu quo. Pour une transition vraiment juste, la lutte contre la pollution plastique ne doit donc pas devenir une opportunité de croissance économique ou de profit.</p> <p>Au contraire, nous avons besoin d’une approche centrée sur la réparation. Il faut d’abord, pour cela, reconnaître les contributions historiques des collecteurs informels du plastique ainsi que les préjudices qu’ils subissent. Puis redistribuer les ressources aux personnes les plus touchées et créer des systèmes qui donnent la priorité à la restauration de l’environnement et à la justice sociale plutôt qu’au profit des entreprises.</p> <p>Une économie circulaire bien financée devrait d’abord renforcer le pouvoir des travailleurs, puis améliorer les capacités des infrastructures et réduire la concentration de ces déchets en produits chimiques toxiques, plutôt que de s’appuyer sur des solutions basées sur le marché qui aggravent les inégalités.</p> <p>Les vraies solutions consistent à demander des comptes aux pollueurs et à adopter des approches circulaires fondées sur la sobriété et la réparation, et non sur l’efficacité du marché.<img src="https://counter.theconversation.com/content/244065/count.gif?distributor=republish-lightbox-basic" alt="The Conversation" width="1" height="1" /></p> <hr /> <h4><span><a href="https://theconversation.com/profiles/manisha-anantharaman-1526162">Manisha Anantharaman</a>, Assistant Professor, Center for the Sociology of Organisations, CNRS/Sciences Po, <em><a href="https://theconversation.com/institutions/sciences-po-2196">Sciences Po </a></em></span></h4> <h4>Cet article est republié à partir de <a href="https://theconversation.com">The Conversation</a> sous licence Creative Commons. Lire l’<a href="https://theconversation.com/les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique-244065">article original</a>.</h4> </div>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ramasseurs-de-dechets-grands-perdants-du-recit-dominant-sur-la-pollution-plastique', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 42, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 85, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5283, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Les Etats-Unis financent un collectif international de journalistes', 'subtitle' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'subtitle_edition' => 'Si le réseau Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé des avoirs russes cachés ou la corruption au Venezuela, le Delaware, paradis de l'évasion fiscale, reste pour lui un tabou. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Drew Sullivan, son cofondateur.', 'content' => '<p style="text-align: center;"><strong>Urs P. 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De plus, l'agence gouvernementale américaine interdit d'utiliser son argent pour mettre au jour la corruption aux Etats-Unis.</p> <p>Certaines subventions étaient même affectées à un but précis: le Department of State, par exemple, a versé 173 000 dollars à l'OCCRP pour «détecter et combattre la corruption au Venezuela». Ou l'<a href="https://www.usaid.gov/">Agence pour le développement international (USAID)</a> a versé plus de deux millions de dollars dans le but de «mettre au jour la criminalité et la corruption à Malte et à Chypre».</p> <p>Le journal en ligne français indépendant <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">« Mediapart »</a> en a parlé le 2 décembre 2024 <a href="https://www.mediapart.fr/en/journal/international/021224/hidden-links-between-giant-investigative-journalism-and-us-government">.</a></p> <p>Le fondateur de l'OCCRP est un ancien employé <a href="https://www.rockwellautomation.com/de-ch.html">de Rockwell</a> devenu journaliste: <a href="https://www.occrp.org/en/staff/drew-sullivan">Drew Sullivan</a>. L'OCCRP a été créé à l'instigation de fonctionnaires du gouvernement américain. Selon Mediapart, Sullivan a reçu pour cela, en 2008, un financement de départ de 1,7 million de dollars du <a href="https://www.state.gov/bureaus-offices/under-secretary-for-civilian-security-democracy-and-human-rights/bureau-of-international-narcotics-and-law-enforcement-affairs/">Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs</a>(INL). Il s'agit d'une agence d'application de la loi du Département d'Etat américain.</p> <p>L'OCCRP s'appuie souvent sur des documents divulgués provenant de sources non identifiées. La qualité des recherches et des révélations de l'OCCRP n'est pas mise en doute. L'orientation unilatérale des recherches et le manque de transparence des informations sur le financement donnent lieu à des critiques.</p> <p>L'ampleur des liens personnels et financiers de l'OCCRP avec le gouvernement américain va à l'encontre de «tous les principes de l'éthique journalistique». C'est ce qu'a déclaré Leonard Novy, directeur de l'Institut allemand des médias et de la politique de communication, à la chaîne NDR. Cela laisse supposer que les journalistes peuvent être utilisés ou instrumentalisés à des fins politiques.</p> <p>Sullivan et l'OCCRP ont également laissé les médias partenaires et leurs lecteurs dans l'ignorance de leur proximité avec le gouvernement américain. Selon Leonard Novy, l'organisation a ainsi dépassé les limites.</p> <h3><strong>Sullivan n'a pas voulu parler clairement aujourd'hui encore</strong></h3> <p>Sullivan a d'abord affirmé à la chaîne NDR que l'OCCRP avait «un groupe de donateurs largement répandu», parmi lesquels «aucun donateur individuel ne domine». Il a ajouté que «le gouvernement américain [...] est l'un des plus grands donateurs, mais ce n'est pas un pourcentage énorme». Confronté aux dernières découvertes, il a finalement reconnu l'importance du financement de Washington: «C'est le plus grand bailleur de fonds de l'OCCRP, oui, et ce depuis presque le début de notre histoire. [...] Je suis très reconnaissant au gouvernement américain.»</p> <p>Par écrit, Sullivan a renchéri: «Nous avons dû décider si nous voulions accepter de l'argent du gouvernement ou ne pas exister.» Sur le site web de l'OCCRP, les montants des sponsors ne sont pas indiqués.</p> <h3><strong>Conditions posées</strong></h3> <p>Sullivan a confirmé à la NDR le pouvoir d'influence des autorités américaines: «Dans le cadre d'accords de coopération que nous n'aimons pas conclure, ils ont un droit de regard sur le choix des personnes [...] Ils peuvent mettre leur veto sur quelqu'un [...] Ils n'ont jamais mis leur veto sur quelqu'un.»</p> <p>L'OCCRP ne peut pas enquêter sur des affaires américaines avec l'argent fourni par Washington. «Notre politique veut que nous ne fassions pas de rapports sur un pays avec son propre argent», a déclaré Sullivan à la NDR. «Je pense que le gouvernement américain ne le permet pas. Mais même dans d'autres pays où ces dispositions n'existent pas, nous ne le faisons pas parce que cela vous place dans une situation de conflit d'intérêts et que vous préférez rester à l'écart de telles situations.»</p> <p>Ainsi, le paradis fiscal américain du Delaware n'a jamais fait l'objet de toutes les recherches sur l'évasion fiscale et l'argent de la corruption.</p> <p>L'OCCRP a tout de même effectué des recherches isolées aux Etats-Unis: par exemple sur les <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/meet-the-florida-duo-helping-giuliani-investigate-for-trump-in-ukraine">hommes d'affaires</a> qui avaient soutenu l'avocat de Donald Trump pour nuire à Joe Biden, ou sur la manière dont le Pentagone a dépensé des sommes énormes pour <a href="https://www.occrp.org/en/project/making-a-killing/revealed-the-pentagon-is-spending-up-to-22-billion-on-soviet-style-arms-for-syrian-rebels">fournir des armes</a> à des groupes rebelles en Syrie, ou encore sur un <a href="https://www.occrp.org/en/investigation/flight-of-the-monarch-us-govt-contracted-airline-once-owned-by-criminals-with-ties-to-russian-mob">contrat</a> entre le gouvernement américain et une compagnie aérienne dont les propriétaires sont liés au crime organisé en Russie.</p> <p>Ces recherches ont manifestement respecté une autre condition imposée par les autorités américaines à l'OCCRP: l'activité doit être «en accord avec la politique étrangère et les intérêts économiques des Etats-Unis et les promouvoir.» (<a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/COMPS-1071/pdf/COMPS-1071.pdf">US Foreign Assistance Act</a>).</p> <h3><strong>Voici comment la «NZZ» et Tamedia ont présenté la source OCCRP</strong></h3> <p><strong>«NZZ» du 19 juillet 2023</strong></p> <p>«L'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) est un réseau d'organisations journalistiques fondé en 2006, basé dans de nombreux pays différents et fonctionnant sous cette forme en tant que filiale du Journalism Development Network à but non lucratif, dont le siège est dans le Maryland.»</p> <p><strong>«Tages-Anzeiger» du 21 juin 2023</strong></p> <p>«Grâce à l'organisation OCCRP, des journalistes femmes de plusieurs pays ont pu étudier ces données, dont <em>Der Standard</em> en Autriche et <em>Der Spiegel</em> en Allemagne. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Lagom 23.04.2020 | 13h59
«Très bon article. Cela explique un peu les questions assez plates que les journalistes posent pendant les conférence de presse / Codid 19. Personne n'a posé la question pour savoir si l'aéroport de Genève, qui recevait de vols directs de Chine encore en mars, n'était pas un foyer de propagation. Par habitant Genève est bien plus touché que le Tessin mais avec moins d'infections fatales.
Embedded = intégré (plus joli en français)»
@jjacot 27.04.2020 | 17h02
«effectivement c'est un très bon article, nuancé et incisif qui notamment met en évidence le côté mouton grégaire de beaucoup de journalistes. Cela ne date pas du Coronavirus, mais aujourd'hui il n'y a plus l'excuse de dire que l'on doit écrire très vite et que l'on a plus le temps de réfléchir. Votre article est vraiment "Bon pour la tête" »