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Actuel / Le «consensus de Washington» découvre les inégalités

Yves Genier

18 août 2020

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Le FMI et la Fed sont deux grandes institutions qui donnent le ton du politiquement correct en langage économique libéral. L'essor foudroyant de la pauvreté provoqué par la crise du Covid-19 leur fait admettre que de profondes réformes sont nécessaires. A commencer par des hausses d'impôts sur les riches et sur les sociétés, notamment aux Etats-Unis.



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A cœur de la ville de Washington, il ne faut que quelques minutes de marche pour passer du Département du Trésor (voisin de la Maison-Blanche) au siège de la Banque mondiale. Laquelle se trouve tout près du Fonds monétaire international (FMI). De là, moins de 10 minutes à pied conduisent au siège de la Federal Reserve (Fed), la banque centrale des Etats-Unis. Les armées d'économistes chevronnés qui y travaillent s'y rendent généralement via les mêmes arrêts de métro (Farragut et McPherson Square, voire Dupont Circle pour ceux qui aiment boire un verre sympa après le travail). Depuis des décennies, leurs analyses convergent pour vanter l'efficacité des marchés et les bienfaits de la concurrence, notamment fiscale. C'est ce que l'on appelle le «consensus de Washington».

Mais ce consensus s'érode. La crise du Covid-19 met si crûment à nu les inégalités sociales face à la pandémie, notamment aux Etats-Unis, qu'il est de plus en plus difficile aux grandes institutions financières internationales de prétendre les atténuer au moyen des recettes habituelles, préconisées depuis quatre décennies et dont les dangers ont été mis à nu lors de la crise financière de 2008-2009, puis lors de la crise grecque, qui a obligé le FMI à ouvrir les yeux sur les conséquences sociale de ses programmes d'assainissement économique.

«Renforcer le filet social»

Mais cette fois-ci, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes qui sont au centre des critiques. D'abord de celles du FMI. Dans leur dernière appréciation annuelle de l'économie de l'Oncle Sam parue ce mois d'août, les spécialistes du Fonds ne font pas que réitérer de vieilles critiques, comme celle de l'absence de TVA (les USA sont le seul pays développé à ne pas l'avoir introduite). Ils en introduisent de nouvelles: le creusement de la pauvreté déstabilise la société et l'effort fiscal n'est pas suffisamment partagé.

«Les dirigeants (du Fonds) prennent acte que la pandémie a affecté de manière disproportionnée les ménages à bas revenu, ce qui exacerbe la pauvreté et les inégalités. Ils recommandent d'orienter la politique fiscale de manière à renforcer le filet social, encourager les gens à travailler, étendre la couverture de santé et élargir l'accès à des formations de qualité», écrivent-ils.

Dans le détail, ils s'attaquent aux conséquences des différents plans d'aide décidés, ou à venir, par le Congrès et la Maison-Blanche. Ces derniers devraient «être conçus de manière à atténuer les défis sociaux et économiques qui continuent d'assaillir le pays». Ils devraient «atténuer les inégalités raciales dans le domaine économique», et permettre d'élargir la prise en charge des dépenses de santé par les personnes qui ont perdu leur emploi, cette tâche étant traditionnellement dévolue aux employeurs.

Enfin, gardons le meilleur pour la fin: le FMI n'est guère heureux de la baisse du taux d'imposition des entreprises à 21% de leurs bénéfices, une mesure voulue par Donald Trump et votée par le Congrès à la fin 2017. Il réclame désormais un relèvement de ce taux et même de le faire «de façon coordonnée» avec les autres pays.

Relever les impôts

Le Fonds s'est trouvé un allié inattendu dans cette revendication: la Fed, gardien de l'ordre monétaire américain et de la toute-puissance du dollar. Dans une étude publiée fin juillet sous le titre «Market Power, Inequality and Financial Instability» et signée par deux économistes maison, Isabel Cairó et Jae Sim, la banque centrale dresse un constat presque impensable: «La croissance des salaires réels a stagné et la part des revenus du travail a chuté ces quatre dernières décennies (...). Simultanément, les bénéfices avant impôt des entreprises américaines a fortement augmenté (...). Il en résulte la hausse des inégalités de revenu (...). Les inégalités de fortune se sont exacerbées». Et quel est le remède pour corriger tous ces maux, selon la Fed? Relever les impôts sur les revenus les plus élevés et sur la fortune. «Si nous avions graduellement relevé le taux d'imposition de zéro à 30% ces 30 dernières années, nous aurions réduit de 50% l'essor des inégalités de revenu», écrit-elle.

La Fed dresse ainsi aujourd'hui, même de manière alambiquée, le même constat que celui que font, depuis des décennies, des armées d'économistes parmi lesquels de fort distingués, comme le nobélisé Paul Krugman ou à succès planétaire tels Thomas Piketty et Gabriel Zucman. Dont les thèses, d'abord très contestées par l'establishment, sont de plus en plus largement partagées dans les meilleurs cercles. Pourquoi donc ce virage de la forteresse du «consensus de Washington»?

La Fed a peur de l'instabilité financière qui résulte de ce creusement des inégalités: plus les gens sont pauvres, plus ils empruntent. Et s'ils ne remboursent pas, ils peuvent créer, de proche en proche, des crises financières telle celle des subprime qui a emporté nombre de banques entre 2007 et 2009.

Renverser les responsabilités

Mais surtout, elle cherche à renvoyer à d'autres une critique qui lui est de plus en plus adressée: celle de souffler sur les braises. Sa politique monétaire ultra-expansive destinée à soutenir l'économie américaine durant la crise du covid a certes empêché cette dernière de s'effondrer. Mais elle a surtout gonflé la bulle boursière, qui gonfle le patrimoine et les revenus des plus riches sans apporter beaucoup d'avantages aux autres!

Une mauvaise langue pourrait aussi prétendre que les armées d'économistes qui débouchent du métro de Washington avant de débuter leurs journées de travail se lassent du spectacle des brelles limousines qu'ils ne pourront jamais s'offrir, surtout au moment où leurs dépenses de santé explosent en raison de la pandémie. Une telle explication serait évidemment bien courte. Mais il n'en reste pas moins que la crainte des grandes institutions est grande de se voir désigner comme les premières responsables des désordres que pourraient générer l'exacerbation des inégalités. Surtout si les milliardaires eux-mêmes, à commencer par l'emblématique Warren Buffett, ironisent en public depuis des années sur le fait qu'ils sont moins taxés que leur secrétaire!

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