Le FMI critique la baisse du taux d'imposition des entreprises américaines à 21% de leurs bénéfices, une mesure voulue par Donald Trump et votée par le Congrès à la fin 2017. © DR
Le FMI et la Fed sont deux grandes institutions qui donnent le ton du politiquement correct en langage économique libéral. L'essor foudroyant de la pauvreté provoqué par la crise du Covid-19 leur fait admettre que de profondes réformes sont nécessaires. A commencer par des hausses d'impôts sur les riches et sur les sociétés, notamment aux Etats-Unis.
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La logique commande d’en tirer les conséquences: les biens gelés doivent servir à financer la reconstruction.</p> <h3>Précédents dans le Golfe</h3> <p>La question de l’utilisation des avoirs gelés est aussi ancienne que les sanctions elles-mêmes. Dès les premiers jours de la guerre, il a semblé clair pour de nombreux experts et décideurs occidentaux que les centaines de milliards de dollars appartenant à la Russie ne seraient jamais retournés au gouvernement responsable de la guerre, et pour cause: en septembre dernier, une estimation conjointe de la Banque mondiale, de la Commission européenne et du gouvernement ukrainien évaluait les coûts de reconstruction des infrastructures à 349 milliards de dollars. Lors de la Conférence de Lugano de l’été dernier, Kiev avait même présenté une facture de 750 milliards, incluant les pertes économiques imputables à la guerre. 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La dynamique créée par la rupture de l'ordre international est de celle qui a le potentiel de se transformer en «game changer», c'est-à-dire de modifier durablement les règles du jeu. Comme celle des attentats du 11-Septembre, qui ont abouti à la criminalisation internationale de l'argent du terrorisme, ou celle de la crise financière de 2008, qui a débouché, comme les banquiers suisses le savent, sur la disparition du secret bancaire pour les questions fiscales.</p> <p>En clair: pour traquer les secrets financiers de Vladimir Poutine et des près de 900 autres personnes ciblées par les sanctions occidentales, il faut commettre ce qui n'avait jamais été sérieusement tenté jusqu'ici: s'enfoncer dans la jungle des sociétés offshore, trusts, fondations, sociétés de domicile, «limited partnerships» et autres. Démêler les cachotteries des avocats, des notaires, des fiduciaires et des hommes et femmes de paille. Amener les banquiers à parler. 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Baptisé REPO, pour Russian Elites, Proxies, and Oligarchs multilateral task force, il a explicitement pour but de «recueillir et partager les informations permettant de déclencher des actions concrètes, dont des sanctions, des gels d'avoirs et des saisies civiles et pénales d'actifs ainsi que des poursuites judiciaires», selon un communiqué du Trésor américain du 17 mars.</p> <p>Depuis lors, le travail avance. A quel rythme? C'est là que les choses se compliquent. Des yachts d'oligarques ont été saisis, certes. Des villas somptueuses ont été confisquées, certes. Des comptes en banques et autres actifs financiers ont été gelés pour un total de quelques milliards de francs, certes. Mais nombre d'autres yachts ont pu fuir et se réfugier qui en Turquie, qui aux Emirats, aux Seychelles ou aux Maldives (voire dans l'enclave russe de Kaliningrad pour l'un des navires personnels de Vladimir Poutine). Et des fortunes considérablement plus élevées continuent d'échapper aux enquêteurs. 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Mais ce consensus s'érode. La crise du Covid-19 met si crûment à nu les inégalités sociales face à la pandémie, notamment aux Etats-Unis, qu'il est de plus en plus difficile aux grandes institutions financières internationales de prétendre les atténuer au moyen des recettes habituelles, préconisées depuis quatre décennies et dont les dangers ont été mis à nu lors de la crise financière de 2008-2009, puis lors de la crise grecque, qui a obligé le FMI à ouvrir les yeux sur les conséquences sociale de ses programmes d'assainissement économique.
«Renforcer le filet social»
Mais cette fois-ci, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes qui sont au centre des critiques. D'abord de celles du FMI. Dans leur dernière appréciation annuelle de l'économie de l'Oncle Sam parue ce mois d'août, les spécialistes du Fonds ne font pas que réitérer de vieilles critiques, comme celle de l'absence de TVA (les USA sont le seul pays développé à ne pas l'avoir introduite). Ils en introduisent de nouvelles: le creusement de la pauvreté déstabilise la société et l'effort fiscal n'est pas suffisamment partagé.
«Les dirigeants (du Fonds) prennent acte que la pandémie a affecté de manière disproportionnée les ménages à bas revenu, ce qui exacerbe la pauvreté et les inégalités. Ils recommandent d'orienter la politique fiscale de manière à renforcer le filet social, encourager les gens à travailler, étendre la couverture de santé et élargir l'accès à des formations de qualité», écrivent-ils.
Dans le détail, ils s'attaquent aux conséquences des différents plans d'aide décidés, ou à venir, par le Congrès et la Maison-Blanche. Ces derniers devraient «être conçus de manière à atténuer les défis sociaux et économiques qui continuent d'assaillir le pays». Ils devraient «atténuer les inégalités raciales dans le domaine économique», et permettre d'élargir la prise en charge des dépenses de santé par les personnes qui ont perdu leur emploi, cette tâche étant traditionnellement dévolue aux employeurs.
Enfin, gardons le meilleur pour la fin: le FMI n'est guère heureux de la baisse du taux d'imposition des entreprises à 21% de leurs bénéfices, une mesure voulue par Donald Trump et votée par le Congrès à la fin 2017. Il réclame désormais un relèvement de ce taux et même de le faire «de façon coordonnée» avec les autres pays.
Relever les impôts
Le Fonds s'est trouvé un allié inattendu dans cette revendication: la Fed, gardien de l'ordre monétaire américain et de la toute-puissance du dollar. Dans une étude publiée fin juillet sous le titre «Market Power, Inequality and Financial Instability» et signée par deux économistes maison, Isabel Cairó et Jae Sim, la banque centrale dresse un constat presque impensable: «La croissance des salaires réels a stagné et la part des revenus du travail a chuté ces quatre dernières décennies (...). Simultanément, les bénéfices avant impôt des entreprises américaines a fortement augmenté (...). Il en résulte la hausse des inégalités de revenu (...). Les inégalités de fortune se sont exacerbées». Et quel est le remède pour corriger tous ces maux, selon la Fed? Relever les impôts sur les revenus les plus élevés et sur la fortune. «Si nous avions graduellement relevé le taux d'imposition de zéro à 30% ces 30 dernières années, nous aurions réduit de 50% l'essor des inégalités de revenu», écrit-elle.
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La Fed a peur de l'instabilité financière qui résulte de ce creusement des inégalités: plus les gens sont pauvres, plus ils empruntent. Et s'ils ne remboursent pas, ils peuvent créer, de proche en proche, des crises financières telle celle des subprime qui a emporté nombre de banques entre 2007 et 2009.
Renverser les responsabilités
Mais surtout, elle cherche à renvoyer à d'autres une critique qui lui est de plus en plus adressée: celle de souffler sur les braises. Sa politique monétaire ultra-expansive destinée à soutenir l'économie américaine durant la crise du covid a certes empêché cette dernière de s'effondrer. Mais elle a surtout gonflé la bulle boursière, qui gonfle le patrimoine et les revenus des plus riches sans apporter beaucoup d'avantages aux autres!
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Plus les fortunes qu'ils devront geler ou saisir seront élevées, plus leur responsabilité implicite dans l'accueil des milliards de Vladimir Poutine et de ses amis sera éclatante. Pas bon pour l'image. Mais il y a pire: l'entreprise de perçage de secrets russes risque fort d'aboutir à des révélations fort désagréables pour les maîtres de l'opacité financière. Les oligarques russes n'ont pas fait des affaires seuls dans leur coin: ils avaient nécessairement d'innombrables partenaires d'autres pays, à commencer par les Occidentaux.</p> <p>Aussi, en révélant les secrets de tel milliardaire russe, ce sont ceux de beaucoup d'autres milliardaires des pays du G7 et de leurs partenaires dans cette traque (dont la Suisse), de leurs banques, de leurs avocats, de leurs fiduciaires, de leurs hommes de paille qui vont être mis au jour. Ce sont des mécanismes entiers de dissimulation qui seront révélés, jetant une lumière crue sur des décennies de construction minutieuse du secret.</p> <h3>Trusts américains, partnerships britanniques</h3> <p>A ce jeu, la Suisse n'est même pas le pays qui a le plus à perdre: c'est déjà fait, avec l'éventement du secret bancaire. Le Royaume-Uni – Londongrad commence à en prendre pour son grade – est beaucoup plus exposé, en incluant ses dépendances que sont ces perles de l'industrie offshore comme les Iles Vierges britanniques (BVI), les Iles Caïman, les Iles Anglo-normandes, l'île de Man, la City, et toutes leurs juridictions faiseuses de secrets comme l'«international business company» des BVI ou encore le «scottish limited partnership». Sans même parler des trusts de certains Etats américains, comme celui, fameux, du Dakota du Sud, ou la société à responsabilité limitée du Delaware. La «chasse aux milliards» risque aussi de jeter un peu trop de clarté, au goût de certains, sur les liens de dépendance financière qui peuvent unir des pays comme les îles Marshall, ancienne colonie américaine dans le Pacifique, les Seychelles ou encore les Emirats arabes unis avec les grandes places de Londres et de New York.</p> <p>Les promoteurs occidentaux de la traque des actifs financiers des amis de Vladimir Poutine risquent donc de se prendre à leur propre piège de la transparence. Par conséquent, si cette quête prend du temps, ce ne sera pas uniquement à cause de l'épaisse couche de secret à percer. Mais aussi, vraisemblablement, en raison du coût élevé que cela aura pour les promoteurs de cette transparence nouvelle, les Etats. A moins, évidemment, que la guerre ne prenne fin avant que toute la lumière puisse être faite sur les zones d'ombre de la finance offshore des milliardaires russes et de leurs innombrables partenaires et amis occidentaux. 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Dire que la Russie est un colosse qui ne se laisse pas facilement impressionner tient du truisme.</p> <h3>Faiblesses structurelles</h3> <p>Un colosse aux pieds d'argile, pour reprendre la vieille image. Une fragilité qui réduit fortement ses chances de soutenir un effort de guerre sur la durée Les marchés financiers en sont bien conscients: les bourses et la monnaie russes ont chuté bien davantage que leurs homologues occidentales lors du premier jour de la guerre. Si le rouble était une monnaie-refuge, cela se saurait!</p> <p>La principale ressource du pays est la vente de pétrole et de gaz. Or, les principaux clients sont ces fameux Européens que l'on présente si dépendants. La Chine pourrait-elle racheter ce gaz que ces mêmes Européens boycotteraient? Certainement, à un problème près: les capacités de transport vers l'Empire du Milieu sont six fois moindres que celles développées depuis des décennies vers l'Ouest, selon le dernier numéro de <em>The Economist</em>.</p> <p>L'activité manufacturière, présentée comme la colonne vertébrale de la puissance économique d'un pays, est faible en Russie: elle ne représente qu'un dixième du PIB, soit une proportion de moitié moindre que celle de la France, un pays qui souffre pourtant de désindustrialisation. Aucun grand groupe industriel russe ne rivalise avec un Volkswagen allemand ou avec un Boeing américain, ni en taille ni en rayonnement international.</p> <p>Ce déséquilibre de la composition économique se reflète dans la composition des grandes entreprises russes: sur les dix plus grandes, quatre sont actives dans l'extraction et la commercialisation de pétrole et de gaz, deux sont des banques, deux sont de grands distributeurs, genre Coop-Migros. L'on y trouve aussi les chemins de fer. Et, enfin, un groupe technologique.</p> <p>Le pays, enfin, est très mal classé pour les question de gouvernance. Cela nuit à l'efficacité de son économie, de son administration et amoindrit la qualité de vie de sa population. L'ONG Transparency International le classe parmi les 25% de plus mauvais élèves à son indice de perception de la corruption. La Banque mondiale le classe certes à un honorable 28ème rang pour la facilité à y faire des affaires, mais tant l'IMD que le World Economic Forum le classent respectivement au 45ème et au 43ème rang en matière de compétitivité.</p> <h3>Deux fois la Suisse</h3> <p>Alors, bien sûr, la Russie est au deuxième rang mondial en matière de production d'armes. Mais le numéro un reste les Etats-Unis. Un pays qui se classe, là encore un truisme, loin devant dans tous les autres, dans les classements énumérés ci-dessus, pour le meilleur comme pour le pire. 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Mais le coût d'une guerre longue pourrait bien être trop élevé pour une économie russe qui n'en a sans doute pas les moyens.</p> <h3>Idéologie et réalité</h3> <p>L'historien français Olivier Wieviorka s'est attelé à comparer les potentiels économiques des belligérants de la Seconde guerre mondiale. Celui de l'Allemagne nazie, on le sait, avait été grandement accru par la politique protectionniste du IIIe Reich et optimisé par l'Organisation Todt. Mais cela n'a pas suffi face à l'immensité des ressources cumulées des Alliés occidentaux et... des Soviétiques.</p> <p>Le seul argument en faveur de Vladimir Poutine est le manque de motivation profonde des Européens et des Américains pour aller au combat pour l'Ukraine, d'où ses tentatives de diviser le camp occidental pour mieux faire valoir ses vues. Mais le maître du Kremlin, comme son intervention télévisée du mardi 21 janvier l'a démontré, se laisse aveugler: il privilégie son idéologie agressive aux réalités macroéconomiques. 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