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'subtitle' => 'La grande ville sicilienne de Palerme s’oppose aux populistes de Rome. Du moins son maire. Leoluca Orlando ne peut faire un pas sans gardes du corps, il garde pourtant sa liberté. Un article original de Nicoletta Cimmino (texte) et Mauro D’Agati (images) parut le 26 octobre 2018 dans «Republik».',
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Certains de ses organes les plus importants se trouvent du côté inverse dans son corps. Le cœur à droite, le foie à gauche. Le pédiatre dit un jour à son père Salvatore, un homme très respecté, très conservateur, juriste très catholique, que son fils ne vivrait sûrement pas son 40<sup>e</sup> anniversaire à cause de ce syndrome.</p><p>Petit garçon, Leoluca n’a déjà pas de temps à perdre. Il fait absolument tout.</p><p>«Enfant, à table, je n’ai jamais laissé le moindre reste dans mon assiette. Jamais. Aujourd’hui encore, je ne le fais jamais. Servez-moi une assiette qui déborde de pâtes à table, je mangerai tout. Je voulais et je veux toujours plus. A 10 ans, je lisais Dostoïevski. <em>Crime et Châtiment</em>. A l’âge de dix ans, c’est quand-même un coup dans le ventre. Mes amis lisaient <em>Cuore</em> de De Amicis, un classique de l’enfance – ou <em>Pinocchio</em> de Collodi. Et moi, je lisais Dostoïevski.»</p><p>Ses parents l’envoient dans une école jésuite de Palerme. Il est un excellent élève, il obtient la meilleure Maturité de toute l’Italie.</p><p>A 18 ans, il voyage à Londres, visite une exposition sur Van Gogh au Tate-Museum et fait la connaissance d’une jeune femme. L’amour de sa vie. Son épouse encore aujourd’hui.</p><p>«Elle était merveilleuse. Et sicilienne, comme moi. Lorsqu’elle m’a abordé, elle me connaissait déjà. Moi pas. Nous passions des heures au Musée et discutions de la <em>Critique de la raison pure </em>d’Emmanuel Kant.»</p><h3>Il vivra</h3><p>Leoluca Orlando (71), maire de Palerme, raconte tout cela dans son bureau au Palazzo delle Aquile. La pièce a la grandeur d’un appartement suisse trois-pièces. De grandes fenêtres, un élégant sol de pierre et un plafond décoré de fresques à travers lequel s’étirent de profondes fissures. Beaucoup de <em>grandezza</em> et un peu de délabrement.</p><p>Cette <em>grandezza</em> d’une autre époque incarne aussi Orlando dans son costume sombre taillé de manière classique, avec chemise blanche et cravate. Une virilité tombée hors du temps, telle celle d’un acteur des années soixante. Vittorio De Sica, Michel Piccoli.</p><p>Orlando est un interlocuteur vif, divertissant – si on veut avant tout écouter, car il ne se laisse pas volontiers interrompre.</p><p>Il raconte. Ses études de droit à Palerme. Son temps à Heidelberg, où il apprend l’allemand. Comment, de retour en Sicile, il enseigne le droit à l’Université publique. Et comment il est engagé par l’ancien président sicilien Piersanti Mattarella comme conseiller juridique. Par le frère de Sergio, l’actuel président italien.</p><p>Persanti Mattarella est assassiné par la mafia le 6 janvier 1980. Il ne sera pas le dernier ami qu’Orlando perd de cette manière.</p><p>A 38 ans, il s’engage lui-même en politique à la demande de la veuve de Mattarella. En 1985, il est élu maire de Palerme.</p><h3>Puis vint le 40<sup>e</sup> anniversaire</h3><p>«J’ai sabré une bouteille de Champagne et j’ai pensé: j’ai gagné, mon pédiatre a perdu. J’ai 40 ans et je vis encore – maintenant, je peux mourir.»</p><p>Voilà, il n’est pas mort. Malgré le syndrome de Kartagener. Il aura 41, 42, 43, 44 ans.</p><p>A 45 ans, au début des années nonante, il est à la troisième place de la liste des personnes à abattre de la mafia. Devant lui, on trouve deux autres noms: Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.</p><p>Falcone, le juge, est supprimé en premier. Le 23 mai 1992, sa voiture est réduite en miettes par une bombe sur l’autoroute de l’aéroport menant à Palerme. La Cosa Nostra a placé pour ce faire 500 kilogrammes d’explosif dans un tube de drainage de la rue. Personne n’a vu quoi que ce soit, personne ne veut avoir vu quoi que ce soit.</p><p>57 jours plus tard meurt aussi Paolo Borsellino, un proche confident et camarade de combat. L’explosif est caché dans une Fiat qui est située à côté de la maison de sa mère.</p><p>Le message de la mafia est clair: ici, c’est nous qui commandons. </p><p>Les Siciliens appellent cette sombre époque du début des années nonante «gli anni delle stragi». Les années de massacres. Et le massacre suivant aurait été en fait l’assassinat du maire Leoluca Orlando. Néanmoins, la mafia attend. Manifestement, la «coupole» de la Cosa Nostra refuse l’allégeance au boss Totò Riina sur cette question-là.</p><p>Orlando ne meurt donc pas. Mais il doit renoncer à quelque chose de précieux, il doit renoncer en effet à la solitude, celle qu’on choisit. Parcourir seul les rues, aller seul dans un bar, aller seul à la plage: jamais plus. Orlando ne peut plus faire un pas devant l’autre sans gardes du corps – jusqu’à aujourd’hui.</p><h3>Résistance contre le ministre de l’Intérieur</h3><p>«Je suis malgré tout un homme libre» raconte Orlando, «Je n’appartiens à personne et ne veux faire partie d’aucun cercle. Il en a toujours été ainsi. Chaque fois, quand je remarque qu’un clan se forme autour de moi, que soudain il y a quelque chose comme "les hommes d’Orlando", je change de côté.»</p><p><strong>Republik: Pourquoi?</strong></p><p><strong>Orlando:</strong> Parce que cette culture de l’appartenance est étouffante. Elle exclut et discrimine. Quand tu n’en fais pas partie, tu n’es personne. Et quand tu en fais partie, tu dois te soumettre à tout le monde. Le Palerme de la mafia est un Palerme du "à qui appartiens-tu?" . Je veux un Palerme du "qui es-tu?"».</p><p><strong>N’est-ce pas une manière trop simple de voir les choses? Vous venez d’une famille respectée. Vous faites de toute façon partie de la société sicilienne consciente de sa classe.</strong></p><p>Connaissez-vous Don Milani? C’était un prêtre italien avec des idées plutôt progressistes (<em>NDLR :Lorenzo Milani</em>). Il était engagé pour la formation scolaire des enfants des couches inférieures. Et il était ami avec un communiste qui s’appelait Pipetta. Prêtre catholique ami d’un communiste! C’était un peu comme Don Camillo et Peppone. Don Milani a écrit une lettre à Pipetta. Une lettre merveilleuse. Il écrivit avec esprit: «Cher Pipetta, je combattrai avec toi pour tes idéaux et tes idées. Jusqu’à ce que tu les aies atteintes. Et tu verras, nous réussirons. Mais je dois maintenant déjà te demander pardon. Quand cela arrivera, je t’embrasserai et puis je changerai à nouveau de côté.» Don Milani ne voulait pas être restreint à son appartenance et de ses origines. Et je ne veux pas l’être non plus.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607437_3.palermo.jpeg">Selfies avec les Saints de la ville: procession avec les reliques de Santa Rosalia, ermite qui aurait habité dans une grotte du mont Pellegrino.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607437_4.palermo.jpeg">(Gelarda) Est automatiquement Palermitain celui qui vient à Palerme? Il ne semble pas en être ainsi: un musulman en prière.</h4><p>Orlando n’aime pas quand on lui dit qui il doit être. Et il ne supporte pas non plus quand on lui dit ce qu’il doit faire.</p><p>Même pas quand c’est le gouvernement de Rome: en juin 2018 le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini lance sur Twitter l’hashtag #chiudiamoiporti («Fermons nos ports»). Salvini voulait empêcher que le bateau de sauvetage Aquarius avec à son bord 629 migrants puisse amarrer dans un port italien. L’hashtag était un ordre.</p><p>Quelques heures plus tard à Palerme, le maire Orlando entre en scène et déclare: <strong>Notre port est ouvert et le restera.</strong></p><h3>L’anti-Salvini</h3><p>Dès qu’il commence à parler de Salvini, il se penche en avant sur son bureau. Avec le plat de sa main, il frappe le pupitre et donne le rythme à ses phrases.</p><p>«Nous sommes à un carrefour historique. Et je ne veux pas prendre la mauvaise direction. Salvini est un populiste. Les populistes ne tiennent pas compte du temps. Ils pensent qu’on peut résoudre les problèmes tout de suite, sans accrocs. Mais on ne résout pas les problèmes en quelques secondes, le temps d’un tweet. On a besoin de temps, de beaucoup de travail, on a besoin de désespoir, de sang et de compromis. Je suis juriste. Je me suis battu contre la mafia et j’ai servi toute ma vie au service de l’état de droit. Je crois au droit. Et malgré tout, vous devez savoir que si un jour on m’arrête parce que j’ai caché chez moi un migrant soi-disant en situation illégale – un de ces migrants que Salvini veut renvoyer dans la misère – ne compatissez pas avec moi. N’envoyez pas de cigarettes ou de chocolat. Ça sera le plus beau jour de ma vie.»</p><p>L’attitude d’Orlando n’est pas nouvelle. Déjà en 2015 il lance la «charte de Palerme». Elle demande la liberté de mouvement pour tous les êtres humains. Le concept d’autorisation de séjour doit être aboli. Au premier paragraphe, on peut lire:</p><blockquote><p><em><strong>Aucun être humain n’a choisi ou ne choisit le lieu où il vient au monde; tous devraient se voir reconnaître le droit de choisir le lieu où vivre, vivre mieux et ne pas mourir.</strong></em></p></blockquote><h4 style="text-align: center;">Orlando le dit ainsi: «Quiconque vient à Palerme est Palermitain.»<img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607436_5.palermo.jpeg"> Se déplacer de manière classique n’est pas un moyen de transport à Palerme: hommes en scooter. <br></h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607437_1.palermo.jpeg">Un lieu présent dans tous les esprits: le port de Palerme doit aussi accueillir des bateaux de migrants, déclare le maire de la ville. En arrière-plan le Monte Pellegrino, le « Mont Pellegrino ».</h4><h3>Désespoir</h3><p>Igor Gelarda travaille à un petit kilomètre du bureau d’Orlando. Au commissariat de police juste à côté de la gare. Sa pause de midi est courte, il se tient là, devant un bar, à une table bancale de plastique blanc.</p><blockquote><p><em><strong>«Orlando délire», dit-il.</strong></em></p></blockquote><p>Gelarda est policier. 44 ans. Historien amateur. Et il désespère de Palerme. C’est en tout cas ce qu’indique sa biographie de Twitter. La raison du désespoir de Gelarda porte un nom: Leoluca Orlando.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607436_6.palermo.jpeg">Le sicilien maintenant à la <em>Ligue du nord</em>: Igor Gelarda, policier.</h4><p>Gelarda regarde avec un peu de méfiance. Pourquoi un média suisse s’intéresse-t-il à ce qu’il pense? Derrière cette question Gelarda en voit une autre: quelqu’un veut-il encore lui faire mauvaise presse?</p><p>Le scepticisme de Gelarda est compréhensible. Les derniers mois ont été durs pour lui. Aux élections de printemps, il a candidaté pour le <em>Mouvement 5 étoiles</em>. Il a été élu au conseil communal. Puis il a quitté le parti et s’est engagé pour la <em>Ligue</em>.</p><p>Pour la <em>Ligue</em>! En tant que Sicilien! Il entend ça en permanence. Pour beaucoup, cela frôle la traîtrise.</p><p>Car l’actuelle <em>Ligue</em> se faisait appeler, il y a encore un an, la <em>Ligue du Nord</em>. Ce n’était pas un hasard si elle contenait le terme «nord», le rêve du parti était la Padanie, un état indépendantiste au nord de l’Italie. Et les <em>terroni</em> (Italiens du sud) étaient les têtes de Turc du Nord. Vauriens, gaspilleurs d’argent, incultes et criminels.</p><p>Et si l’Italien du sud apparaît comme le mal aux yeux des <em>leghisti</em> (sympathisant de la <em>Ligue du Nord</em>), de même l’Italien du sud, le Sicilien, apparaît comme le pire de tous les maux.</p><p>«Tempi passati». C’est le passé, dit Gelarda. Les responsables du parti de l’époque ne sont pas ceux d’aujourd’hui. «Maintenant, la <em>Ligue</em> veut aussi le meilleur pour nous, Italiens du sud. Mon amour propre doit-il m’empêcher de faire une bonne politique pour demain à cause d’hier?»</p><p>Une bonne politique, pense Gelarda, pas comme celle d’Orlando.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607435_7.palermo.jpeg">Procession pour la vierge della Mercede sur la place Sant’Anna.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607435_8.palermo.jpeg">Bâtiment au bord de l’Oreto qui se jette dans la mer non loin d’ici.</h4><p>Le temps du maire est depuis longtemps révolu. «Quiconque vient à Palerme est Palermitain» bla bla bla! Aujourd’hui, beaucoup de jeunes doivent encore quitter l’île, parce qu’il n’y a pas de travail pour eux ici. Notre maire devrait plus se préoccuper d’eux. Et de tout ce qui tourne autour de ce problème» dit-il en montrant la rue devant lui, d’un vague geste. </p><blockquote><p><em><strong>«Pendant des mois, les lampadaires de ce quartier n’ont plus fonctionné. Et l’administration communale manquait d’argent pour les réparer. C’est symptomatique. Orlando ne prend pas les choses en main. Ça ne l’intéresse pas, il préfère rebattre les oreilles avec des phrases pathétiques tirées des gros titres du </strong></em><strong>New York Times</strong><em><strong>.»</strong></em></p></blockquote><p>Gelarda doit partir tout de suite, sa pause de midi est terminée. Mais il veut encore parler de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l’aristocrate et écrivain sicilien.</p><p>«Tomasi di Lampedusa disait: nous, Siciliens, avons vécu beaucoup de moments glorieux dans notre histoire. Mais ces moments nous furent offerts par les envahisseurs, ils furent imposés aux Siciliens en quelque sorte. Il est temps de nous occuper nous-même de cette gloire, de prendre les choses en main de l’intérieur. Il est temps de nous réveiller. Et je crois que la Ligue réussira à le faire.»</p><p>Gerlada laisse ces derniers mots flotter dans les airs et prend amicalement congé de nous.</p><p>Tomasi di Lampedusa est souvent cité en Sicile. Chacun tire de son œuvre ce qui lui est utile. <em>Il Gattopardo</em> est son roman le plus célèbre, il y raconte l’histoire d’une famille d’aristocrates italiens. L’histoire d’un déclin avec en arrière-fond le <em>risorgimento</em>, la réunification italienne du milieu du 19<sup>e</sup> siècle.</p><h3>Les hyènes et Heidegger</h3><p><em>Noi fummo i gattopardi, i leoni. Chi ci sostituirà saranno gli sciacali, le iene.</em> (Nous étions les léopards, les lions. Ceux qui nous remplacent sont les chacals, les hyènes.)</p><p>Une des phrases les plus citées de <em>Il Gattopardo</em> orne en graffiti avec des majuscules un mur de Kalsa. Le quartier arabe fut bombardé massivement pendant la Seconde Guerre mondiale. Il fut négligé et mal famé des dizaines d’années avant d’être assaini. Aujourd’hui, le quartier est le symbole pour la Palerme qui s’est prise en main et qui se réinvente.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_9.palermo.jpeg">Vendeur de ballon dans le quartier arabe de Kalsa, historique, mais avec un regard vers l’avenir.<br></h4><p>A Kalsa, on trouve aussi le Palazzo Butera. Un petit palais du 18<sup>e</sup> siècle avec un aperçu dégagé sur le golfe de Palerme. Pendant longtemps, le Palazzo fut laissé à l’abandon jusqu’à ce que le mécène milanais Massimo Valsecchi l’achète et le rénove. Aujourd’hui, Valsecchi habite ici avec sa femme. En même temps, le palace est un musée d’art et offre un espace à la Manifesta, la biennale de l’art, qui a eu lieu cette année à Palerme.</p><p>Un vendredi soir de septembre. Une soixantaine de jeunes gens se bousculent dans la salle du deuxième étage du Palazzo. Ce sont des étudiantes en art, des architectes, des politologues, des photographes. Ils sont venus pour écouter le maire Orlando.</p><p>Celui-ci prend place et raconte. Pendant plus d’une heure et demie. Un monologue hautement captivant à propos de la politique, de la mafia, de la crise migratoire. L’air dans la pièce est suffocant. Mais personne ne se lève et ne quitte la pièce. Personne ne jette de coups d’œil sur son smartphone. Tous écoutent Orlando attentivement.</p><p>Il sort des phrases traditionnelles à la sauce Orlando: <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je suis l’idiot de Palerme, je souhaite que Palerme n’ait un jour plus besoin d’aucun idiot comme moi.»</strong></em></p></blockquote><p>Ou bien: «Quand j’étais un jeune homme très inexpérimenté, j’estimais qu’une femme ne pouvait pas être à la fois belle et intelligente. Et puis à un moment donné, tu fais la connaissance d’une belle femme, qui est si intelligente, que tu as envie de te tirer une balle.»</p><p>Et il parle de sa grande passion du philosophe Martin Heidegger.</p><p>«Je vivais à Heidelberg et j’ai appris par hasard que Heidegger ferait une apparition dans les parages. Je voulais le voir. Alors j’y suis allé. Mais je n’ai pas eu de chance, je ne l’ai même pas vu de loin. A la place, j’ai par hasard fait connaissance avec son chauffeur. C’était un jeune Américain très excentrique. Nous avons longtemps discuté ensemble, j’étais impressionné, parce que le type, bien que chauffeur, avait plein d’argent.»</p><p>C’est seulement des années plus tard qu’il apprit, raconte Orlando, comment l’homme gagnait son argent. Il vendait de la drogue. «Et j’ai aussi appris comment il s’appelait: Terrence Malick, celui qui a fait plus tard carrière comme réalisateur.»</p><p>Dans les années qui suivirent, il essaya de prendre contact un nombre incalculable de fois avec Malick, toujours sans succès. Orlando interpelle la foule: «Si quelqu’un a son numéro, je lui serais très reconnaissant de me le donner». Et tout le monde rit.</p><h3>Une intuition pour Palerme</h3><p>«Leoluca est le meilleur conteur que je connaisse», dit le jour suivant Tag Dario Nepoti.</p><p>C’est Nepoti qui a invité Orlando au Palazzo Butera.</p><p>Et Nepoti est le fondateur de la <em>Scuola Politica Giebel</em>, une sorte d’Université d’été pour les moins de 35 ans. 6 jours de débats et de <em>workshops</em> avec des politiciens, des artistes, des architectes et des scientifiques. Et aussi, en tant qu’invité d’honneur: Leoluca Orlando.</p><p>Darion Nepoti est moitié Milanais moitié Sicilien. Un trentenaire qui a interrompu ces études de sciences politiques. «Je m’ennuyais à mort à l’Université.»</p><p>Il quitte l’Uni et organise un festival expérimental dans un jardin d’un palais baroque au nord-ouest de Milan. Un festival de trois jours avec de la musique, de l’art et de l’architecture et beaucoup de belles personnes qui écoutent et font de belles choses.</p><p>Ensuite, Nepoti fonde un label de disque. Il voyage régulièrement en Sicile, à Cefalù, où il travaille dans la ferme de sa grand-mère. La Villa Catalfamo s’étend sur plus de 35 hectares, de la mer aux collines. On y trouve olives, citrons et oranges. En 2016, une grande partie du domaine est détruite, le Sirocco balaye tout le pays et le feu se répand avec lui. Depuis, Nepoti travaille à la reconstruction.</p><p>Nepoti parle un italien sans traces de dialecte, il gesticule à peine. Rien de gênant, rien de trop. Un peu comme un David de Michel-Ange ramené à la vie </p><p>Pour notre rencontre, il a apporté deux livres avec lui. Les discours complets de Robert Kennedy. Et un volume d’essais anglais de l’architecte japonais Tadao Ando. On voit que les deux livres ont été souvent lus.</p><p>Il ouvre celui de Ando et montre son passage préféré:</p><blockquote><p><em><strong>Given that we all have a limited time here on earth, I came to the conclusion that I would fight for my own personal goals and beliefs. I made this clear in a willful proclamation to myself, adopting a guerilla mentality and declaring: «I will use my profession to resist deprivation of freedom, and, with belief in myself, will fight against the status quo.</strong></em></p></blockquote><p>Cette explication, que l’architecte mit par écrit à 24 ans, devient le mantra de Nepoti. Défendre la liberté, combattre le statu quo. Avec sa <em>Scuola Politica</em> il veut que sa génération s’éprenne de la politique.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_10.palermo.jpeg">Par-delà des générations, l’Église catholique joue un rôle central: procession de la vierge dell Mercede le dernier dimanche de septembre.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_11.palermo.jpeg">Messages de paix: les colombes sont prêtes pour la fête en l’honneur de la Vierge della Mercede.<br></h4><p>«Beaucoup de jeunes Italiens se détournent de la politique. Nous avons souvent le sentiment que tout cela n’a plus rien à voir avec nous. Mais nous n’avons pas le droit d’abandonner», dit-il, «nous n’avons pas le droit de laisser le pays aux mains de ceux qui crient le plus fort et qui twittent le plus vite.»</p><p>Palerme est la ville adéquate pour son projet. Pas Rome, ni Milan. Ici, il y a quelque chose dans l’air, une intuition, comme peut-être à Berlin il y a 25 ans.</p><p>«Et Palerme a Orlando. Par chance, Palerme a Leoluca Orlando.»</p><p>En mai passé, ce dernier volait avec une délégation en Colombie. Les autorités de la ville de Medellín avaient invité Orlando. Ils voulaient faire un échange d’expériences, les deux villes ayant un passé violent et expérience avec le crime organisé. Dario Nepoti accompagnait Orlando.</p><p>«A Medellín j’ai pu l’observer durant quatre jours. Il était présent à vingt réunions et a raconté vingt histoires sur Palerme, toujours différentes», raconte Nepoti. Lors d’une réunion avec les membres de la police militaire, ceux-ci se seraient levés en plein milieu de son exposé et auraient applaudi pendant de longues minutes.</p><h3>La culture en priorité<br></h3><p>«Bonjour tout le monde!» la voix grave d’Orlando remplit l’air surchauffé de l’église Santa Maria dello Spasimo.</p><p>Il se tient debout sous l’arche à l’entrée et est conscient de l’effet de son apparition. L’énergie emplit la scène lorsqu’Orlando arrive: les femmes, exténuées par la chaleur et à moitié affalées sur leurs chaises, se redressent et croisent leurs jambes. Quelques hommes se lèvent d’un bond, ajustent leur col, se passent la main dans les cheveux et se pressent vers l’invité de marque.</p><p>Celui-ci porte ce qu’il porte toujours comme maire: costume sombre, chemise blanche, cravate. Le soleil brûle l’assistance, car le toit est manquant dans cette maison de Dieu. Orlando transpire. Et malgré cela, il serre des mains, prend dans ses bras et embrasse. Il offre à chacun son entière attention, comme si chacun de ces êtres humains était la personne la plus importante au monde. </p><p>Orlando est là pour annoncer un concert classique devant la presse locale rassemblée. Cent violoncellistes entreront sur scène dans cette église. Cet été, Palerme n’est pas seulement le lieu du déroulement de la Manifesta, mais aussi la capitale italienne de la culture 2018. Le concert est une partie du programme officiel. Une grande manifestation. Et par conséquent: une question prioritaire.</p><p>«Palerme a soif de culture!», annonce-t-il sur une petite scène à l’adresse des personnes présentes. L’organisation acquiesce, les musiciens s’extasient, la presse locale ne pose presque aucune question. Aucune critiques dans tous les cas.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_12.palermo.jpeg">La biennale d’art contemporain, Manifesta, a fait de Palerme la capital italienne de la culture en 2018: <em>II Giardino dei Giusti</em> dans la Via Alloro est la partie du projet <em>The Planetary Garden</em>.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607433_13.palermo.jpeg">Manifesta II: L’installation <em>The soul of Salt</em> de Patricia Kärsenhout au Palazzo Forcella De Seta</h4><p>Pourtant, il y en a eu, quelques critiques. Venant de la sphère culturelle justement. Seulement ces critiques n’étaient pas forcément violentes ou haineuses. Parfois même, elles étaient réfléchies et douces et portaient le doux nom de Luisa Tuttolomondo.</p><h3>Qu’arrivera-t-il quand il ne sera plus là?</h3><p>Luisa Tuttolomondo est une rapatriée. Elle a vécu et étudié quelques années au nord de l’Italie. Comme la plupart des gens qui étaient partis et qui sont ensuite revenus sur la terre qui les a vus naitre, elle a un regard incorruptible sur sa patrie – car elle peut maintenant comparer. </p><p style="text-align: left;">Tuttolomondo est une sociologue, son domaine de spécialisation est la participation citoyenne. Sous Orlando Palerme a entrepris beaucoup de choses dans ce sens, dit la rapatriée. Et malgré cela: «Un malaise s’étend.»</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607433_14.palermo.jpeg">La rapatriée du Nord constate un malaise grandissant dans la ville: Luisa Tuttolomondo, sociologue.</h4><p>Elle montre avec son pouce, derrière son épaule, direction le Teatro Masimo, l’opéra. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Ceux qui n’appartiennent pas à cette culture-là, la "grande culture" ont la vie dure. Mais personne ne se rebiffe, Palerme est une petite ville. Tout le monde se connaît. Alors ils ne disent rien, parce qu’ils voudront peut-être à un jour encore quelque chose les uns des autres. De l’argent, du temps, ou peu importe.»</strong></em></p></blockquote><p>Le temps et l’argent, il y en a toujours moins pour les petites initiatives culturelles dans la ville.</p><p>«Nous avons le sentiment que tous les moyens qui étaient là avant ont passé dans la Manifesta et le programme de la capitale culturelle 2018. Tous pour les grands.» Pour les gros titres dans la presse internationale. «Et nous, nous continuons malgré tout, nous travaillons pratiquement gratuitement. En Sicile, nous avons le gêne de l’autoexploitation.»</p><p>Luisa Tuttolomondo prend une gorgée de limonade et continue. Elle raconte l’histoire d’un petit festival de films qui aurait dû avoir lieu. Peu avant le début du festival, les organisateurs auraient laissé tomber, parce que la ville n’a pas versé le soutien financier nécessaire qu’elle avait promis.</p><p>Ou bien: il y a en ce moment une visite guidée à travers le quartier de Ballarò qui est connu pour son art de rue. Pour sa Première, un gros tamtam avait été installé et des invités prestigieux de la politique et de la scène culturelle avaient été conviés. Toutefois, personne n’avait pensé à tenir au courant les Palermitains normaux, se plaint Tuttolomondo, «pas un seul habitant du quartier n’a été invité».</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607432_15.palermo.jpeg">La diversité culturelle vit au cœur historique de Palerme: marché au quartier Ballarò.</h4><p>Luisa Tuttolomondo s’efforce de ne pas hausser le ton. Elle apprécie le maire, Orlando est charismatique et son attitude envers les migrants la rend fière. Mais elle pense qu’Orlando promet trop, et ne tient pas souvent ses promesses.</p><p>«Il n’est pas possible que tout passe par lui à Palerme: que tout tienne ou tout s’écroule avec lui. Qu’il partage l’argent comme un Roi-Soleil ou qu’il ne le partage pas, qu’est-ce qu’il se passera quand il ne sera plus là?»</p><h3>Le secret</h3><p>Voilà. Il est encore là. Dans son bureau au Palazzo delle Aquile. Un jeune homme en uniforme sert le café. «Dolce o amaro?» - «Avec sucre ou noir?» demande le serveur avant de disparaître à nouveau discrètement.</p><p>Orlando est maire de Palerme depuis 1985 (avec une année d’interruption). Cette année-là, un Allemand de 17 ans nommé Boris Becker gagnait Wimbledon pour la première fois. A Moscou, Michail Gorbatschow était élu comme secrétaire général du comité central du parti communiste de l’Union soviétique.</p><p>Le dernier mandat d’Orlando va durer encore quatre ans. Après quoi il aurait presque marqué quarante ans la politique de Palerme.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607432_16.palermo.jpeg">Visite au beau milieu de la Palerme typique: Taverna Azzura dans la Via Maccherronai.<br></h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607431_17.palermo.jpeg"><em>Un caffè, prego</em>! Voilà ce qui reste de la journée.<br></h4><p>Si cela ne tenait qu’à lui, il ne manquerait pas un jour du reste de son mandat. «Durant toutes ces années, je n’ai pas été absent un seul jour, même pas avec une inflammation pulmonaire» dit Orlando.</p><p>«Ma femme n’a jamais compris cette obsession pour mon travail, il y a quelques années, elle a désespérément essayé de convaincre son psychothérapeute de me prendre comme patient. Ce qui n’est pas possible puisqu’elle est déjà sa patiente. Il lui a ensuite dit – Dieu bénisse cet homme – qu’aussi longtemps que je ferai de la politique, je n’aurais pas besoin d’un psychothérapeute. Et il a parfaitement raison.»</p><p style="text-align: left;">«Le secret se trouve là.» Orlando fait un geste en direction de sa tempe, comme s’il voulait ouvrir quelque chose.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607431_18.palermo.jpeg">Son dernier mandat va durer encore quatre ans, et après? Leoluca Orlando ne se fait aucun souci.<br></h4><p>«Je tourne chaque jour la petite clé et me convaincs que ce que je fais est la chose la plus importante au monde. Vous me rencontreriez un jour, raclant les chewing-gums à la gare de Kinshasa, je vous regarderais dans les yeux et je vous dirais avec conviction: «Gratter les chewing-gums du sol à Kinshasa est le travail le plus important au monde.»</p><p>Orlando, toujours assis là, costume sombre, chemise blanche, cravate, le visage empli de résolutions, une mèche de cheveux noirs sur le front, les deux poings sur la table – on le croit. On le sait bien, la chance est minime de voir cet homme devoir un jour gratter les chewing-gums du sol. Mais à la manière dont il le raconte, on le croit.</p><p>Et c’est peut-être là que se trouve tout son secret. </p><p><hr></p><h4><strong>A propos de l’auteure</strong>: Nicoletta Cimmino, née en 1974 à Bienne, est journaliste. Elle est aussi modératrice dans l’émission <em>Echo der Zeit </em>de la radio <em>SRF</em>. </h4><br>',
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Certains de ses organes les plus importants se trouvent du côté inverse dans son corps. Le cœur à droite, le foie à gauche. Le pédiatre dit un jour à son père Salvatore, un homme très respecté, très conservateur, juriste très catholique, que son fils ne vivrait sûrement pas son 40<sup>e</sup> anniversaire à cause de ce syndrome.</p><p>Petit garçon, Leoluca n’a déjà pas de temps à perdre. Il fait absolument tout.</p><p>«Enfant, à table, je n’ai jamais laissé le moindre reste dans mon assiette. Jamais. Aujourd’hui encore, je ne le fais jamais. Servez-moi une assiette qui déborde de pâtes à table, je mangerai tout. Je voulais et je veux toujours plus. A 10 ans, je lisais Dostoïevski. <em>Crime et Châtiment</em>. A l’âge de dix ans, c’est quand-même un coup dans le ventre. Mes amis lisaient <em>Cuore</em> de De Amicis, un classique de l’enfance – ou <em>Pinocchio</em> de Collodi. Et moi, je lisais Dostoïevski.»</p><p>Ses parents l’envoient dans une école jésuite de Palerme. Il est un excellent élève, il obtient la meilleure Maturité de toute l’Italie.</p><p>A 18 ans, il voyage à Londres, visite une exposition sur Van Gogh au Tate-Museum et fait la connaissance d’une jeune femme. L’amour de sa vie. Son épouse encore aujourd’hui.</p><p>«Elle était merveilleuse. Et sicilienne, comme moi. Lorsqu’elle m’a abordé, elle me connaissait déjà. Moi pas. Nous passions des heures au Musée et discutions de la <em>Critique de la raison pure </em>d’Emmanuel Kant.»</p><h3>Il vivra</h3><p>Leoluca Orlando (71), maire de Palerme, raconte tout cela dans son bureau au Palazzo delle Aquile. La pièce a la grandeur d’un appartement suisse trois-pièces. De grandes fenêtres, un élégant sol de pierre et un plafond décoré de fresques à travers lequel s’étirent de profondes fissures. Beaucoup de <em>grandezza</em> et un peu de délabrement.</p><p>Cette <em>grandezza</em> d’une autre époque incarne aussi Orlando dans son costume sombre taillé de manière classique, avec chemise blanche et cravate. Une virilité tombée hors du temps, telle celle d’un acteur des années soixante. Vittorio De Sica, Michel Piccoli.</p><p>Orlando est un interlocuteur vif, divertissant – si on veut avant tout écouter, car il ne se laisse pas volontiers interrompre.</p><p>Il raconte. Ses études de droit à Palerme. Son temps à Heidelberg, où il apprend l’allemand. Comment, de retour en Sicile, il enseigne le droit à l’Université publique. Et comment il est engagé par l’ancien président sicilien Piersanti Mattarella comme conseiller juridique. Par le frère de Sergio, l’actuel président italien.</p><p>Persanti Mattarella est assassiné par la mafia le 6 janvier 1980. Il ne sera pas le dernier ami qu’Orlando perd de cette manière.</p><p>A 38 ans, il s’engage lui-même en politique à la demande de la veuve de Mattarella. En 1985, il est élu maire de Palerme.</p><h3>Puis vint le 40<sup>e</sup> anniversaire</h3><p>«J’ai sabré une bouteille de Champagne et j’ai pensé: j’ai gagné, mon pédiatre a perdu. J’ai 40 ans et je vis encore – maintenant, je peux mourir.»</p><p>Voilà, il n’est pas mort. Malgré le syndrome de Kartagener. Il aura 41, 42, 43, 44 ans.</p><p>A 45 ans, au début des années nonante, il est à la troisième place de la liste des personnes à abattre de la mafia. Devant lui, on trouve deux autres noms: Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.</p><p>Falcone, le juge, est supprimé en premier. Le 23 mai 1992, sa voiture est réduite en miettes par une bombe sur l’autoroute de l’aéroport menant à Palerme. La Cosa Nostra a placé pour ce faire 500 kilogrammes d’explosif dans un tube de drainage de la rue. Personne n’a vu quoi que ce soit, personne ne veut avoir vu quoi que ce soit.</p><p>57 jours plus tard meurt aussi Paolo Borsellino, un proche confident et camarade de combat. L’explosif est caché dans une Fiat qui est située à côté de la maison de sa mère.</p><p>Le message de la mafia est clair: ici, c’est nous qui commandons. </p><p>Les Siciliens appellent cette sombre époque du début des années nonante «gli anni delle stragi». Les années de massacres. Et le massacre suivant aurait été en fait l’assassinat du maire Leoluca Orlando. Néanmoins, la mafia attend. Manifestement, la «coupole» de la Cosa Nostra refuse l’allégeance au boss Totò Riina sur cette question-là.</p><p>Orlando ne meurt donc pas. Mais il doit renoncer à quelque chose de précieux, il doit renoncer en effet à la solitude, celle qu’on choisit. Parcourir seul les rues, aller seul dans un bar, aller seul à la plage: jamais plus. Orlando ne peut plus faire un pas devant l’autre sans gardes du corps – jusqu’à aujourd’hui.</p><h3>Résistance contre le ministre de l’Intérieur</h3><p>«Je suis malgré tout un homme libre» raconte Orlando, «Je n’appartiens à personne et ne veux faire partie d’aucun cercle. Il en a toujours été ainsi. Chaque fois, quand je remarque qu’un clan se forme autour de moi, que soudain il y a quelque chose comme "les hommes d’Orlando", je change de côté.»</p><p><strong>Republik: Pourquoi?</strong></p><p><strong>Orlando:</strong> Parce que cette culture de l’appartenance est étouffante. Elle exclut et discrimine. Quand tu n’en fais pas partie, tu n’es personne. Et quand tu en fais partie, tu dois te soumettre à tout le monde. Le Palerme de la mafia est un Palerme du "à qui appartiens-tu?" . Je veux un Palerme du "qui es-tu?"».</p><p><strong>N’est-ce pas une manière trop simple de voir les choses? Vous venez d’une famille respectée. Vous faites de toute façon partie de la société sicilienne consciente de sa classe.</strong></p><p>Connaissez-vous Don Milani? C’était un prêtre italien avec des idées plutôt progressistes (<em>NDLR :Lorenzo Milani</em>). Il était engagé pour la formation scolaire des enfants des couches inférieures. Et il était ami avec un communiste qui s’appelait Pipetta. Prêtre catholique ami d’un communiste! C’était un peu comme Don Camillo et Peppone. Don Milani a écrit une lettre à Pipetta. Une lettre merveilleuse. Il écrivit avec esprit: «Cher Pipetta, je combattrai avec toi pour tes idéaux et tes idées. Jusqu’à ce que tu les aies atteintes. Et tu verras, nous réussirons. Mais je dois maintenant déjà te demander pardon. Quand cela arrivera, je t’embrasserai et puis je changerai à nouveau de côté.» Don Milani ne voulait pas être restreint à son appartenance et de ses origines. Et je ne veux pas l’être non plus.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607437_3.palermo.jpeg">Selfies avec les Saints de la ville: procession avec les reliques de Santa Rosalia, ermite qui aurait habité dans une grotte du mont Pellegrino.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607437_4.palermo.jpeg">(Gelarda) Est automatiquement Palermitain celui qui vient à Palerme? Il ne semble pas en être ainsi: un musulman en prière.</h4><p>Orlando n’aime pas quand on lui dit qui il doit être. Et il ne supporte pas non plus quand on lui dit ce qu’il doit faire.</p><p>Même pas quand c’est le gouvernement de Rome: en juin 2018 le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini lance sur Twitter l’hashtag #chiudiamoiporti («Fermons nos ports»). Salvini voulait empêcher que le bateau de sauvetage Aquarius avec à son bord 629 migrants puisse amarrer dans un port italien. L’hashtag était un ordre.</p><p>Quelques heures plus tard à Palerme, le maire Orlando entre en scène et déclare: <strong>Notre port est ouvert et le restera.</strong></p><h3>L’anti-Salvini</h3><p>Dès qu’il commence à parler de Salvini, il se penche en avant sur son bureau. Avec le plat de sa main, il frappe le pupitre et donne le rythme à ses phrases.</p><p>«Nous sommes à un carrefour historique. Et je ne veux pas prendre la mauvaise direction. Salvini est un populiste. Les populistes ne tiennent pas compte du temps. Ils pensent qu’on peut résoudre les problèmes tout de suite, sans accrocs. Mais on ne résout pas les problèmes en quelques secondes, le temps d’un tweet. On a besoin de temps, de beaucoup de travail, on a besoin de désespoir, de sang et de compromis. Je suis juriste. 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Au premier paragraphe, on peut lire:</p><blockquote><p><em><strong>Aucun être humain n’a choisi ou ne choisit le lieu où il vient au monde; tous devraient se voir reconnaître le droit de choisir le lieu où vivre, vivre mieux et ne pas mourir.</strong></em></p></blockquote><h4 style="text-align: center;">Orlando le dit ainsi: «Quiconque vient à Palerme est Palermitain.»<img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607436_5.palermo.jpeg"> Se déplacer de manière classique n’est pas un moyen de transport à Palerme: hommes en scooter. <br></h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607437_1.palermo.jpeg">Un lieu présent dans tous les esprits: le port de Palerme doit aussi accueillir des bateaux de migrants, déclare le maire de la ville. En arrière-plan le Monte Pellegrino, le « Mont Pellegrino ».</h4><h3>Désespoir</h3><p>Igor Gelarda travaille à un petit kilomètre du bureau d’Orlando. Au commissariat de police juste à côté de la gare. Sa pause de midi est courte, il se tient là, devant un bar, à une table bancale de plastique blanc.</p><blockquote><p><em><strong>«Orlando délire», dit-il.</strong></em></p></blockquote><p>Gelarda est policier. 44 ans. Historien amateur. Et il désespère de Palerme. C’est en tout cas ce qu’indique sa biographie de Twitter. La raison du désespoir de Gelarda porte un nom: Leoluca Orlando.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607436_6.palermo.jpeg">Le sicilien maintenant à la <em>Ligue du nord</em>: Igor Gelarda, policier.</h4><p>Gelarda regarde avec un peu de méfiance. Pourquoi un média suisse s’intéresse-t-il à ce qu’il pense? Derrière cette question Gelarda en voit une autre: quelqu’un veut-il encore lui faire mauvaise presse?</p><p>Le scepticisme de Gelarda est compréhensible. Les derniers mois ont été durs pour lui. Aux élections de printemps, il a candidaté pour le <em>Mouvement 5 étoiles</em>. Il a été élu au conseil communal. Puis il a quitté le parti et s’est engagé pour la <em>Ligue</em>.</p><p>Pour la <em>Ligue</em>! En tant que Sicilien! Il entend ça en permanence. Pour beaucoup, cela frôle la traîtrise.</p><p>Car l’actuelle <em>Ligue</em> se faisait appeler, il y a encore un an, la <em>Ligue du Nord</em>. Ce n’était pas un hasard si elle contenait le terme «nord», le rêve du parti était la Padanie, un état indépendantiste au nord de l’Italie. Et les <em>terroni</em> (Italiens du sud) étaient les têtes de Turc du Nord. Vauriens, gaspilleurs d’argent, incultes et criminels.</p><p>Et si l’Italien du sud apparaît comme le mal aux yeux des <em>leghisti</em> (sympathisant de la <em>Ligue du Nord</em>), de même l’Italien du sud, le Sicilien, apparaît comme le pire de tous les maux.</p><p>«Tempi passati». C’est le passé, dit Gelarda. Les responsables du parti de l’époque ne sont pas ceux d’aujourd’hui. «Maintenant, la <em>Ligue</em> veut aussi le meilleur pour nous, Italiens du sud. Mon amour propre doit-il m’empêcher de faire une bonne politique pour demain à cause d’hier?»</p><p>Une bonne politique, pense Gelarda, pas comme celle d’Orlando.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607435_7.palermo.jpeg">Procession pour la vierge della Mercede sur la place Sant’Anna.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607435_8.palermo.jpeg">Bâtiment au bord de l’Oreto qui se jette dans la mer non loin d’ici.</h4><p>Le temps du maire est depuis longtemps révolu. «Quiconque vient à Palerme est Palermitain» bla bla bla! Aujourd’hui, beaucoup de jeunes doivent encore quitter l’île, parce qu’il n’y a pas de travail pour eux ici. Notre maire devrait plus se préoccuper d’eux. Et de tout ce qui tourne autour de ce problème» dit-il en montrant la rue devant lui, d’un vague geste. </p><blockquote><p><em><strong>«Pendant des mois, les lampadaires de ce quartier n’ont plus fonctionné. Et l’administration communale manquait d’argent pour les réparer. C’est symptomatique. Orlando ne prend pas les choses en main. Ça ne l’intéresse pas, il préfère rebattre les oreilles avec des phrases pathétiques tirées des gros titres du </strong></em><strong>New York Times</strong><em><strong>.»</strong></em></p></blockquote><p>Gelarda doit partir tout de suite, sa pause de midi est terminée. Mais il veut encore parler de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l’aristocrate et écrivain sicilien.</p><p>«Tomasi di Lampedusa disait: nous, Siciliens, avons vécu beaucoup de moments glorieux dans notre histoire. Mais ces moments nous furent offerts par les envahisseurs, ils furent imposés aux Siciliens en quelque sorte. Il est temps de nous occuper nous-même de cette gloire, de prendre les choses en main de l’intérieur. Il est temps de nous réveiller. Et je crois que la Ligue réussira à le faire.»</p><p>Gerlada laisse ces derniers mots flotter dans les airs et prend amicalement congé de nous.</p><p>Tomasi di Lampedusa est souvent cité en Sicile. Chacun tire de son œuvre ce qui lui est utile. <em>Il Gattopardo</em> est son roman le plus célèbre, il y raconte l’histoire d’une famille d’aristocrates italiens. L’histoire d’un déclin avec en arrière-fond le <em>risorgimento</em>, la réunification italienne du milieu du 19<sup>e</sup> siècle.</p><h3>Les hyènes et Heidegger</h3><p><em>Noi fummo i gattopardi, i leoni. Chi ci sostituirà saranno gli sciacali, le iene.</em> (Nous étions les léopards, les lions. Ceux qui nous remplacent sont les chacals, les hyènes.)</p><p>Une des phrases les plus citées de <em>Il Gattopardo</em> orne en graffiti avec des majuscules un mur de Kalsa. Le quartier arabe fut bombardé massivement pendant la Seconde Guerre mondiale. Il fut négligé et mal famé des dizaines d’années avant d’être assaini. Aujourd’hui, le quartier est le symbole pour la Palerme qui s’est prise en main et qui se réinvente.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_9.palermo.jpeg">Vendeur de ballon dans le quartier arabe de Kalsa, historique, mais avec un regard vers l’avenir.<br></h4><p>A Kalsa, on trouve aussi le Palazzo Butera. Un petit palais du 18<sup>e</sup> siècle avec un aperçu dégagé sur le golfe de Palerme. Pendant longtemps, le Palazzo fut laissé à l’abandon jusqu’à ce que le mécène milanais Massimo Valsecchi l’achète et le rénove. Aujourd’hui, Valsecchi habite ici avec sa femme. En même temps, le palace est un musée d’art et offre un espace à la Manifesta, la biennale de l’art, qui a eu lieu cette année à Palerme.</p><p>Un vendredi soir de septembre. Une soixantaine de jeunes gens se bousculent dans la salle du deuxième étage du Palazzo. Ce sont des étudiantes en art, des architectes, des politologues, des photographes. Ils sont venus pour écouter le maire Orlando.</p><p>Celui-ci prend place et raconte. Pendant plus d’une heure et demie. Un monologue hautement captivant à propos de la politique, de la mafia, de la crise migratoire. L’air dans la pièce est suffocant. Mais personne ne se lève et ne quitte la pièce. Personne ne jette de coups d’œil sur son smartphone. Tous écoutent Orlando attentivement.</p><p>Il sort des phrases traditionnelles à la sauce Orlando: <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Je suis l’idiot de Palerme, je souhaite que Palerme n’ait un jour plus besoin d’aucun idiot comme moi.»</strong></em></p></blockquote><p>Ou bien: «Quand j’étais un jeune homme très inexpérimenté, j’estimais qu’une femme ne pouvait pas être à la fois belle et intelligente. Et puis à un moment donné, tu fais la connaissance d’une belle femme, qui est si intelligente, que tu as envie de te tirer une balle.»</p><p>Et il parle de sa grande passion du philosophe Martin Heidegger.</p><p>«Je vivais à Heidelberg et j’ai appris par hasard que Heidegger ferait une apparition dans les parages. Je voulais le voir. Alors j’y suis allé. Mais je n’ai pas eu de chance, je ne l’ai même pas vu de loin. A la place, j’ai par hasard fait connaissance avec son chauffeur. C’était un jeune Américain très excentrique. Nous avons longtemps discuté ensemble, j’étais impressionné, parce que le type, bien que chauffeur, avait plein d’argent.»</p><p>C’est seulement des années plus tard qu’il apprit, raconte Orlando, comment l’homme gagnait son argent. Il vendait de la drogue. «Et j’ai aussi appris comment il s’appelait: Terrence Malick, celui qui a fait plus tard carrière comme réalisateur.»</p><p>Dans les années qui suivirent, il essaya de prendre contact un nombre incalculable de fois avec Malick, toujours sans succès. Orlando interpelle la foule: «Si quelqu’un a son numéro, je lui serais très reconnaissant de me le donner». Et tout le monde rit.</p><h3>Une intuition pour Palerme</h3><p>«Leoluca est le meilleur conteur que je connaisse», dit le jour suivant Tag Dario Nepoti.</p><p>C’est Nepoti qui a invité Orlando au Palazzo Butera.</p><p>Et Nepoti est le fondateur de la <em>Scuola Politica Giebel</em>, une sorte d’Université d’été pour les moins de 35 ans. 6 jours de débats et de <em>workshops</em> avec des politiciens, des artistes, des architectes et des scientifiques. Et aussi, en tant qu’invité d’honneur: Leoluca Orlando.</p><p>Darion Nepoti est moitié Milanais moitié Sicilien. Un trentenaire qui a interrompu ces études de sciences politiques. «Je m’ennuyais à mort à l’Université.»</p><p>Il quitte l’Uni et organise un festival expérimental dans un jardin d’un palais baroque au nord-ouest de Milan. Un festival de trois jours avec de la musique, de l’art et de l’architecture et beaucoup de belles personnes qui écoutent et font de belles choses.</p><p>Ensuite, Nepoti fonde un label de disque. Il voyage régulièrement en Sicile, à Cefalù, où il travaille dans la ferme de sa grand-mère. La Villa Catalfamo s’étend sur plus de 35 hectares, de la mer aux collines. On y trouve olives, citrons et oranges. En 2016, une grande partie du domaine est détruite, le Sirocco balaye tout le pays et le feu se répand avec lui. Depuis, Nepoti travaille à la reconstruction.</p><p>Nepoti parle un italien sans traces de dialecte, il gesticule à peine. Rien de gênant, rien de trop. Un peu comme un David de Michel-Ange ramené à la vie </p><p>Pour notre rencontre, il a apporté deux livres avec lui. Les discours complets de Robert Kennedy. Et un volume d’essais anglais de l’architecte japonais Tadao Ando. On voit que les deux livres ont été souvent lus.</p><p>Il ouvre celui de Ando et montre son passage préféré:</p><blockquote><p><em><strong>Given that we all have a limited time here on earth, I came to the conclusion that I would fight for my own personal goals and beliefs. I made this clear in a willful proclamation to myself, adopting a guerilla mentality and declaring: «I will use my profession to resist deprivation of freedom, and, with belief in myself, will fight against the status quo.</strong></em></p></blockquote><p>Cette explication, que l’architecte mit par écrit à 24 ans, devient le mantra de Nepoti. Défendre la liberté, combattre le statu quo. Avec sa <em>Scuola Politica</em> il veut que sa génération s’éprenne de la politique.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_10.palermo.jpeg">Par-delà des générations, l’Église catholique joue un rôle central: procession de la vierge dell Mercede le dernier dimanche de septembre.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_11.palermo.jpeg">Messages de paix: les colombes sont prêtes pour la fête en l’honneur de la Vierge della Mercede.<br></h4><p>«Beaucoup de jeunes Italiens se détournent de la politique. Nous avons souvent le sentiment que tout cela n’a plus rien à voir avec nous. Mais nous n’avons pas le droit d’abandonner», dit-il, «nous n’avons pas le droit de laisser le pays aux mains de ceux qui crient le plus fort et qui twittent le plus vite.»</p><p>Palerme est la ville adéquate pour son projet. Pas Rome, ni Milan. Ici, il y a quelque chose dans l’air, une intuition, comme peut-être à Berlin il y a 25 ans.</p><p>«Et Palerme a Orlando. Par chance, Palerme a Leoluca Orlando.»</p><p>En mai passé, ce dernier volait avec une délégation en Colombie. Les autorités de la ville de Medellín avaient invité Orlando. Ils voulaient faire un échange d’expériences, les deux villes ayant un passé violent et expérience avec le crime organisé. Dario Nepoti accompagnait Orlando.</p><p>«A Medellín j’ai pu l’observer durant quatre jours. Il était présent à vingt réunions et a raconté vingt histoires sur Palerme, toujours différentes», raconte Nepoti. Lors d’une réunion avec les membres de la police militaire, ceux-ci se seraient levés en plein milieu de son exposé et auraient applaudi pendant de longues minutes.</p><h3>La culture en priorité<br></h3><p>«Bonjour tout le monde!» la voix grave d’Orlando remplit l’air surchauffé de l’église Santa Maria dello Spasimo.</p><p>Il se tient debout sous l’arche à l’entrée et est conscient de l’effet de son apparition. L’énergie emplit la scène lorsqu’Orlando arrive: les femmes, exténuées par la chaleur et à moitié affalées sur leurs chaises, se redressent et croisent leurs jambes. Quelques hommes se lèvent d’un bond, ajustent leur col, se passent la main dans les cheveux et se pressent vers l’invité de marque.</p><p>Celui-ci porte ce qu’il porte toujours comme maire: costume sombre, chemise blanche, cravate. Le soleil brûle l’assistance, car le toit est manquant dans cette maison de Dieu. Orlando transpire. Et malgré cela, il serre des mains, prend dans ses bras et embrasse. Il offre à chacun son entière attention, comme si chacun de ces êtres humains était la personne la plus importante au monde. </p><p>Orlando est là pour annoncer un concert classique devant la presse locale rassemblée. Cent violoncellistes entreront sur scène dans cette église. Cet été, Palerme n’est pas seulement le lieu du déroulement de la Manifesta, mais aussi la capitale italienne de la culture 2018. Le concert est une partie du programme officiel. Une grande manifestation. Et par conséquent: une question prioritaire.</p><p>«Palerme a soif de culture!», annonce-t-il sur une petite scène à l’adresse des personnes présentes. L’organisation acquiesce, les musiciens s’extasient, la presse locale ne pose presque aucune question. Aucune critiques dans tous les cas.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607434_12.palermo.jpeg">La biennale d’art contemporain, Manifesta, a fait de Palerme la capital italienne de la culture en 2018: <em>II Giardino dei Giusti</em> dans la Via Alloro est la partie du projet <em>The Planetary Garden</em>.</h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607433_13.palermo.jpeg">Manifesta II: L’installation <em>The soul of Salt</em> de Patricia Kärsenhout au Palazzo Forcella De Seta</h4><p>Pourtant, il y en a eu, quelques critiques. Venant de la sphère culturelle justement. Seulement ces critiques n’étaient pas forcément violentes ou haineuses. Parfois même, elles étaient réfléchies et douces et portaient le doux nom de Luisa Tuttolomondo.</p><h3>Qu’arrivera-t-il quand il ne sera plus là?</h3><p>Luisa Tuttolomondo est une rapatriée. Elle a vécu et étudié quelques années au nord de l’Italie. Comme la plupart des gens qui étaient partis et qui sont ensuite revenus sur la terre qui les a vus naitre, elle a un regard incorruptible sur sa patrie – car elle peut maintenant comparer. </p><p style="text-align: left;">Tuttolomondo est une sociologue, son domaine de spécialisation est la participation citoyenne. Sous Orlando Palerme a entrepris beaucoup de choses dans ce sens, dit la rapatriée. Et malgré cela: «Un malaise s’étend.»</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607433_14.palermo.jpeg">La rapatriée du Nord constate un malaise grandissant dans la ville: Luisa Tuttolomondo, sociologue.</h4><p>Elle montre avec son pouce, derrière son épaule, direction le Teatro Masimo, l’opéra. <em><strong><br></strong></em></p><blockquote><p><em><strong>«Ceux qui n’appartiennent pas à cette culture-là, la "grande culture" ont la vie dure. Mais personne ne se rebiffe, Palerme est une petite ville. Tout le monde se connaît. Alors ils ne disent rien, parce qu’ils voudront peut-être à un jour encore quelque chose les uns des autres. De l’argent, du temps, ou peu importe.»</strong></em></p></blockquote><p>Le temps et l’argent, il y en a toujours moins pour les petites initiatives culturelles dans la ville.</p><p>«Nous avons le sentiment que tous les moyens qui étaient là avant ont passé dans la Manifesta et le programme de la capitale culturelle 2018. Tous pour les grands.» Pour les gros titres dans la presse internationale. «Et nous, nous continuons malgré tout, nous travaillons pratiquement gratuitement. En Sicile, nous avons le gêne de l’autoexploitation.»</p><p>Luisa Tuttolomondo prend une gorgée de limonade et continue. Elle raconte l’histoire d’un petit festival de films qui aurait dû avoir lieu. Peu avant le début du festival, les organisateurs auraient laissé tomber, parce que la ville n’a pas versé le soutien financier nécessaire qu’elle avait promis.</p><p>Ou bien: il y a en ce moment une visite guidée à travers le quartier de Ballarò qui est connu pour son art de rue. Pour sa Première, un gros tamtam avait été installé et des invités prestigieux de la politique et de la scène culturelle avaient été conviés. Toutefois, personne n’avait pensé à tenir au courant les Palermitains normaux, se plaint Tuttolomondo, «pas un seul habitant du quartier n’a été invité».</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607432_15.palermo.jpeg">La diversité culturelle vit au cœur historique de Palerme: marché au quartier Ballarò.</h4><p>Luisa Tuttolomondo s’efforce de ne pas hausser le ton. Elle apprécie le maire, Orlando est charismatique et son attitude envers les migrants la rend fière. Mais elle pense qu’Orlando promet trop, et ne tient pas souvent ses promesses.</p><p>«Il n’est pas possible que tout passe par lui à Palerme: que tout tienne ou tout s’écroule avec lui. Qu’il partage l’argent comme un Roi-Soleil ou qu’il ne le partage pas, qu’est-ce qu’il se passera quand il ne sera plus là?»</p><h3>Le secret</h3><p>Voilà. Il est encore là. Dans son bureau au Palazzo delle Aquile. Un jeune homme en uniforme sert le café. «Dolce o amaro?» - «Avec sucre ou noir?» demande le serveur avant de disparaître à nouveau discrètement.</p><p>Orlando est maire de Palerme depuis 1985 (avec une année d’interruption). Cette année-là, un Allemand de 17 ans nommé Boris Becker gagnait Wimbledon pour la première fois. A Moscou, Michail Gorbatschow était élu comme secrétaire général du comité central du parti communiste de l’Union soviétique.</p><p>Le dernier mandat d’Orlando va durer encore quatre ans. Après quoi il aurait presque marqué quarante ans la politique de Palerme.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607432_16.palermo.jpeg">Visite au beau milieu de la Palerme typique: Taverna Azzura dans la Via Maccherronai.<br></h4><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1005/1541607431_17.palermo.jpeg"><em>Un caffè, prego</em>! Voilà ce qui reste de la journée.<br></h4><p>Si cela ne tenait qu’à lui, il ne manquerait pas un jour du reste de son mandat. «Durant toutes ces années, je n’ai pas été absent un seul jour, même pas avec une inflammation pulmonaire» dit Orlando.</p><p>«Ma femme n’a jamais compris cette obsession pour mon travail, il y a quelques années, elle a désespérément essayé de convaincre son psychothérapeute de me prendre comme patient. Ce qui n’est pas possible puisqu’elle est déjà sa patiente. Il lui a ensuite dit – Dieu bénisse cet homme – qu’aussi longtemps que je ferai de la politique, je n’aurais pas besoin d’un psychothérapeute. Et il a parfaitement raison.»</p><p style="text-align: left;">«Le secret se trouve là.» Orlando fait un geste en direction de sa tempe, comme s’il voulait ouvrir quelque chose.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://bonpourlatete.comhttps://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1541607431_18.palermo.jpeg">Son dernier mandat va durer encore quatre ans, et après? Leoluca Orlando ne se fait aucun souci.<br></h4><p>«Je tourne chaque jour la petite clé et me convaincs que ce que je fais est la chose la plus importante au monde. Vous me rencontreriez un jour, raclant les chewing-gums à la gare de Kinshasa, je vous regarderais dans les yeux et je vous dirais avec conviction: «Gratter les chewing-gums du sol à Kinshasa est le travail le plus important au monde.»</p><p>Orlando, toujours assis là, costume sombre, chemise blanche, cravate, le visage empli de résolutions, une mèche de cheveux noirs sur le front, les deux poings sur la table – on le croit. On le sait bien, la chance est minime de voir cet homme devoir un jour gratter les chewing-gums du sol. Mais à la manière dont il le raconte, on le croit.</p><p>Et c’est peut-être là que se trouve tout son secret. </p><p><hr></p><h4><strong>A propos de l’auteure</strong>: Nicoletta Cimmino, née en 1974 à Bienne, est journaliste. Elle est aussi modératrice dans l’émission <em>Echo der Zeit </em>de la radio <em>SRF</em>. </h4><br>',
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'content' => '<p style="text-align: center;">Dr <strong>Eric Verrecchia</strong>, biogéochimiste</p>
<hr />
<p>Ce solipsisme contribue à la construction d’une illusion de masse encouragée par la substitution de modèles numériques virtuels à la réalité du monde. Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p>
<p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p>
<p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p>
<p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p>
<p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p>
<p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p>
<p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p>
<p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p>
<p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p>
<p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. D’après la Banque Mondiale, les émissions de CO<sub>2</sub> par dollar de parité de pouvoir d’achat de PIB (ce qui ramène tous les pays du monde à une échelle comparable) placent la Suisse au 4ème<sup>.</sup>rang sur 181 pays, démontrant son efficience énergétique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Suède 6ème, la France 28ème, l’Allemagne 74ème (illustrant l’échec de l’<i>Energiewende</i>), les USA 126ème et la Chine 170ème.</p>
<p>Dans le monde réel, si la Suisse devait poursuivre ses émissions de CO<sub>2</sub> au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu’à une élévation de la température mondiale de quelques millièmes de degrés Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.</p>
<p>Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde réel. Elles séjournent dans un univers peuplé d’illusions où seules les impressions du sujet construisent son milieu, où les slogans inconsistants balaient les données factuelles, où la Suisse parviendrait par sa «politique climatique» à influencer la régulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuvé la guerre contre la réalité menée par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes aisées des pays les plus riches.</p>
<hr />
<h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4>
<h4><sup>2</sup>Zhao et al. (2021) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 5, e415-425</h4>',
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'content' => '<p>Le commerce est d<span>irigé par un Cubano-américain, Frank Cuspinera Medina, dans le cadre d’une société enregistrée en Floride avec des capitaux de diverses sources, espagnoles notamment. Les vastes hangars se trouvent à une dizaine de kilomètres du centre, sans desserte de transports publics. Tous les jours, c’est là un défilé de belles voitures. Pas seulement à plaques diplomatiques. L’île en détresse a ses nouveaux riches. </span></p>
<p><span>«La plupart des Cubains seraient capables de faire un infarctus, tant il y a de nourriture et de produits qu’ils n’ont jamais vus de leur vie et qu’ils ne pourront jamais se payer», lâche une pharmacienne venue en side-car avec son mari «pour voir ça». Seuls moyens de paiement, le dollar, l’euro, les cartes Visa et Mastercard dans ces monnaies, non accessibles aux Cubains. Les amateurs de viande veillent à garder le ticket de caisse, car ailleurs il est interdit d’acheter du bœuf hors des restaurants et la police contrôle les voitures. Les caissières sont vêtues de tee-shirts estampillés Saint-Gobain, sans que personne ne sache quel est ici le rôle de cette entreprise. Toutes sont jeunes, blanches, souriantes. «Il n’y a qu’un jeune Noir, sûrement qu’ils s’en servent pour décharger les caisses», raille une cliente mulâtre. </span><span>Le Parti communiste au pouvoir a l’échine souple. Et s’accommode des arrangements les plus douteux.</span></p>
<hr />
<h4><a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/diplomarket-ce-supermarche-americain-qui-fait-fureur-a-cuba-20240414" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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'content' => '<p style="text-align: justify;"><span>Ces derniers temps, la majorité bourgeoise a pris un cap discutable en matière de politique nationale : de plus en plus souvent, elle plie à sa volonté les plébiscites et les décisions démocratiques qui ne lui conviennent pas - au besoin contre les règles de procédure établies, la Constitution fédérale et la volonté du peuple. Oui à la démocratie - mais seulement au cas par cas ? On assiste ici à une dangereuse érosion de l'esprit démocratique.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie ne vit pas seulement d'une constitution fondée sur le principe de la majorité, les droits fondamentaux et les droits de l'homme et des règles de procédure équitables ; la démocratie vit aussi du fait que l'esprit de la constitution est déterminant et guide les acteurs politiques. Les principes démocratiques doivent primer sur l'idéologie et le programme des partis. Si cette attitude fondamentale fait défaut, la démocratie risque de devenir lettre morte.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Mauvais perdants</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que cette attitude fondamentale ne soit pas au mieux en Suisse se manifeste de plus en plus souvent, par exemple récemment après le "oui" à la 13e rente AVS. Bien que plusieurs semaines se soient écoulées entre-temps, les partis bourgeois n'arrivent pas à se résigner à leur défaite, restent en mode combat, se moquent de la décision populaire et la torpillent avec des propositions de financement abracadabrantes. </span></p>
<p style="text-align: justify;"><span>Cela a culminé récemment avec la NZZ, qui a suggéré avec malice d'introduire une réglementation permettant de renoncer volontairement au supplément de rente. On pourrait considérer cette rhétorique comme une manière de surmonter la douleur des perdants de la votation. Mais ce serait sous-estimer le phénomène. Car le discrédit jeté par la majorité bourgeoise sur les plébiscites indésirables fait désormais partie du système. Elle sert à préparer le terrain pour pouvoir attaquer plus tard les verdicts démocratiques au Parlement, à justifier les manœuvres douteuses du point de vue de la politique nationale ainsi que les atermoiements juridiques nécessaires et à leur donner une apparence de légitimité.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Une évolution inquiétante</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Les six décisions prises récemment par le Conseil des États et le Conseil national illustrent ce que l'on entend par là. Il y a un an, le Parlement bourgeois a permis au Conseil fédéral, dans le cadre d'une procédure sans précédent, de signer le contrat d'achat des avions de combat F-35, alors qu'une initiative populaire était en suspens. Une votation a ainsi été empêchée de facto, un droit populaire a été invalidé et les opposants ont été refroidis.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En 2021, le peuple a approuvé l'initiative sur les soins, contre la volonté des bourgeois. Elle est aujourd'hui encore bloquée. C'est précisément ce que les représentants du PLR avaient menacé de faire en cas de "oui" : repousser la décision du peuple aux calendes grecques. Le secteur des soins y voit à juste titre une violation de la Constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Sous la pression de la majorité bourgeoise, le Conseil fédéral a présenté en janvier un projet visant à annuler les salaires minimaux cantonaux existants. Le Conseil fédéral lui-même a mis en garde contre cette intention et l'a qualifiée d'anticonstitutionnelle, car elle bafoue la souveraineté cantonale et le principe de légalité.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars de cette année, la majorité bourgeoise a fait échouer la mise en œuvre de l'initiative populaire contre la publicité pour le tabac, approuvée en 2022, en voulant imposer des règles spéciales qui étaient en retrait par rapport à l'ancienne loi. Même les médias bourgeois ont parlé d'une violation de la volonté populaire.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars également, les bourgeois ont troué la loi sur les résidences secondaires avec des exceptions si larges que le Conseil fédéral a dû constater que la Constitution était ici violée. La loi est issue d'une initiative populaire approuvée en 2012 et combattue par les bourgeois.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Enfin, lors de la dernière session, le Conseil des États a transmis une motion visant à contraindre toutes les communes à maintenir la vitesse maximale à 50 km/h dans les localités. Ce faisant, il a fait fi de deux piliers fondamentaux de notre système politique : l'autonomie communale et le fédéralisme.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En somme, cela montre clairement ce qui se passe dans le camp bourgeois : une profonde réticence à accepter les défaites et à mettre en œuvre les décisions populaires de manière constructive avec l'adversaire politique, conformément à notre démocratie de concordance. Au lieu de cela, il place de plus en plus souvent ses propres objectifs et intérêts au-dessus des principes démocratiques et adapte les règles du jeu dans le processus de décision parlementaire à ce qui sert ses propres intérêts, grâce à de larges majorités.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Un opportunisme dangereux</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>L'attitude de plus en plus opportuniste de la majorité bourgeoise vis-à-vis des principes de la politique étatique est dangereuse. Elle conduit à des décisions à la légitimité douteuse, déforme la législation, dévalorise nos fondements constitutionnels et endommage la confiance de la population dans le processus politique et dans le fonctionnement des institutions démocratiques.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Cette situation est d'autant plus grave que la Suisse ne connaît pas de juridiction constitutionnelle. Le Tribunal fédéral n'est pas habilité à contrôler les lois fédérales. Le gardien suprême de la Constitution est le Parlement lui-même. Il est à la fois législateur et juge et peut, de fait, édicter des lois fédérales non conformes à la Constitution sans avoir à craindre de sanctions. Les membres du Conseil des États et du Conseil national portent donc une grande responsabilité et devraient d'autant plus être un exemple en matière de respect de la Constitution et d'esprit démocratique. Mais beaucoup ne le sont pas !</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que de nombreux représentants bourgeois du peuple se soient détournés de cette attitude fondamentale est probablement dû surtout à l'évolution politique des dernières décennies. Celle-ci est marquée par deux courants profonds : premièrement, une politique économique, fiscale, financière et sociale néolibérale prononcée et, deuxièmement, une radicalisation dans l'éventail des partis de droite avec un effet d'aspiration sur les partis bourgeois. Ces deux phénomènes ont affaibli la conscience de la nécessité du respect de la Constitution et de l'esprit démocratique.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Néolibéraux et droits de l'Homme</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Tout d'abord, le néolibéralisme : il a conduit à un déchaînement du pouvoir économique, avec pour conséquence que l'État démocratique est devenu le serviteur de groupes et de branches et que le lobbying s'est propagé jusque dans les ramifications les plus fines de la politique et de l'administration. Il s'agit de moins en moins de concevoir la démocratie comme un moyen d'établir le bien commun et la justice, mais plutôt de la contourner et de la déformer pour mieux faire valoir des intérêts économiques particuliers.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Ensuite, concernant la radicalisation dans l'éventail politique de droite : elle a rendu les gens vulnérables à une mentalité autoritaire de "maître chez soi". L'importance de valeurs telles que les droits de l'homme et le principe d'égalité ainsi que le respect des principes de la politique d'État s'estompe. Dans ces milieux, la démocratie et la constitution ne sont invoquées que lorsqu'elles servent leur propre idéologie et peuvent être utilisées comme moyen pour atteindre une fin. Car ici aussi, seul compte le fait de s'imposer - avec ou contre la démocratie et la constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La démocratie au cas par cas, en fonction de l'idéologie, des intérêts particuliers et des calculs de pouvoir ? Et ce à une époque où il serait plus que jamais nécessaire de défendre les valeurs et les principes démocratiques ? Sombres perspectives.</span><o:p></o:p></p>
<hr />
<p style="text-align: justify;"><a href="https://www.infosperber.ch/politik/demokratie-ja-aber-nur-wenns-passt/" target="_blank" rel="noopener">L'article original publié sur Infosperber</a></p>',
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<p>La nature de cette menace? Elle n’est pas directement militaire mais plutôt économique. «Si Pékin était en mesure de bloquer les voies commerciales dans la mer de Chine méridionale, la circulation des marchandises en Europe serait en péril».</p>
<p>Autre question qui n’était pas d’actualité il y a 75 ans: la contribution des Etats-Unis. Le <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2024/04/03/europe-must-step-up-to-keep-the-us-in-nato/" target="_blank" rel="noopener"><em>Daily Telegraph</em></a> regrette que l’Europe ne fasse aucun effort pour s’assurer que le plus grand contributeur de l’OTAN ne s’en détache pas. L’heure est grave, puisqu’on parle de «passer à la caisse». La menace qui plane sur l’avenir de l’organisation n’est pas seulement la perspective d’une réélection de Donald Trump et de la ligne isolationniste, c’est celle du mécontentement général des Etats-Unis qui «contribuent bien plus à la défense de l’Europe que le continent ne le fait lui-même... On aurait tort de penser que l’aide américaine coule de source.»</p>
<p>Les dissensions internes sont toujours un péril sous-estimé, comme le confirme <a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">le mensuel lituanien </a><em><a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">IQ</a>. </em>Au cœur de la discorde, le droit de veto. Ce dernier a rendu «complètement inefficace» l’ONU, constate <em>IQ</em>, car le risque est constant de s’en servir pour exercer pressions ou intrigues diplomatiques. «Démocratie, droit international et Etat de droit forment le socle de l'alliance la plus puissante au monde. Mais un certain nombre d'Etats oublieux de ces valeurs tentent depuis longtemps de placer leur intérêts mercantilistes au-dessus des décisions cruciales de l’OTAN.»</p>
<p>Cela revient à poser une question essentielle, dans toute organisation: qu’est-ce qui lie entre eux les Etats membres? Au-delà de la coopération militaire, ce sont des «valeurs», celles mêmes que les pays occidentaux s’emploient à défendre en ce moment en Ukraine. La députée Renaissance Anne Genetet plaide même pour la création d’un centre de l’OTAN chargé de défendre de concert les valeurs occidentales et la «résilience démocratique». Dans <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-otan-a-75-ans-l-age-de-la-resilience-democratique-994366.html" target="_blank" rel="noopener">les colonnes de <em>La Tribune</em></a>, l’élue souligne que l’organisation «doit plus que jamais être notre bouclier face aux ennemis de la liberté».</p>
<p>Un avenir mitigé donc, porté par de beaux discours et une volonté de cohésion, entaché par des divergences internes, car tous les Etats membres ne voient pas toujours leurs intérêts converger. De manière plus pragmatique, le quotidien croate <em>Večernji list</em> remet l’église au centre du village: comment faire face à l’avenir lorsque manque la ressource principale, les soldats? </p>
<p>Le nombre de militaires actifs dans les différentes armées des pays membres est en effet en recul, jusqu’à atteindre un seuil inquiétant. Les solutions habituelles sont évoquées: augmenter les rémunérations, encourager les femmes à s’engager, améliorer les conditions de vie des soldats en proposant un meilleur équilibre entre l’armée et la vie de famille... et enfin, rétablir le service militaire obligatoire. On n’a rien sans rien. </p>',
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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Cesar 19.11.2018 | 22h10
«Merci de parler de ceux qui sont un honneur de la culture sicilienne et de la resistance à la pieuvre!
Grazie Orlando sei un grande !
Un Furlan.»
@stef 22.12.2018 | 23h30
«Très bel article, bravo »