Actuel / J.-F. Colosimo: «Nous n’aurons pas de paix en Europe, tant que nous n’aurons pas réparé la Russie»
La cathédrale de la Transfiguration à Odessa après avoir été frappée par un missile russe dans la nuit du 23 juin dernier. Une personne est morte et 22 ont été blessées dans l'attaque. © Dsns.gov.ua - source officielle
Jean-François Colosimo, intellectuel, théologien et historien des religions est un homme engagé et aussi un homme de foi. De confession orthodoxe, horrifié par l'invasion russe, il écrit, le cœur ému et vibrant, sans rien perdre de sa rigueur intellectuelle, «La crucifixion de l’Ukraine» (2022). C’est pour parler de cet ouvrage, d’histoire, de religion et d’actualité, que nous l’avons rencontré lors de l’un de ses passages en Suisse. Il s’est livré en toute bonhomie, la voix toujours grave cependant au vu de l'importance du sujet, face à une guerre qui continue.
Bon pour la Tête: Vous êtes philosophe et théologien, orthodoxe pour la précision. Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette confession?
Jean-François Colosimo: Je ne suis pas sûr que ce détail biographique soit très important. Il est en tout cas lié à des questions personnelles. Toute ma jeunesse durant, j’ai fréquenté des écoles catholiques. J’étais un enfant qui avait la foi. Lors de mon adolescence, nous étions en pleine réception du Concile Vatican II, et je sentais que l’Eglise perdait de sa verticalité et la dimension du sacré dans ses célébrations. Depuis, heureusement, les choses ont changé, ma perception aussi. J’avais cherché alors dans l’ésotérisme ou dans les religions orientales de quoi me nourrir spirituellement. Resté affamé, je suis revenu vers ma foi chrétienne. J’ai rencontré une ermite orthodoxe, qui vivait un peu comme les pères du désert, dans le dénuement et la prière. L’orthodoxie m’a fasciné, et j’ai voulu m’y plonger pleinement en allant vivre pour un temps au Mont Athos.
En quoi votre foi et votre intérêt pour le phénomène religieux vous guident-ils encore aujourd’hui?
J’ai étudié la théologie à Thessalonique et à New-York, cependant que je continuais mes études en philosophie et en histoire des religions. Mais que faire de ces études? A l’époque, dans les dîners, l’on parlait de politique pour être sérieux, et de religion pour rire. Aujourd’hui la face du monde a changé et c’est plutôt le contraire. Donc, toute cette expérience de jeunesse a édifié ma vision du monde et m’a amené à formuler un projet de géopolitique, à travers l’improprement nommé «retour du religieux». C’est à partir de ce bagage que je regarde le monde, écris mes livres et réalise des documentaires.
Vous, l’orthodoxe, et tous les fidèles de cette confession qui fut martyre sous le communisme, vous sentez-vous trahis par le patriarche Kirill, par ses déclarations fanatiques et sa proximité avec le Kremlin?
Je ne me sens pas du tout trahi par Kirill, mais simplement horrifié. Néanmoins ce dernier n’inquiète pas mon orthodoxie, au contraire il la renforce. Il est précisément ce que je considère ne pas être l’orthodoxie. Pour moi, l’orthodoxie c’est la foi indivise des chrétiens dès le premier millénaire, avant l’implosion qui donne lieu au confessionnalisme. Si l’Eglise a un sens aujourd’hui, c’est en tant qu’elle véhicule cette foi primitive et originelle, qui a donné aux chrétiens des pères, des martyrs et des saints. Quant à Kirill, il semble plutôt se vouer lui-même à la damnation éternelle, puisqu’à l’instar du diable il se jette dans l’imposture. En effet, l’Eglise orthodoxe naît de l’Eglise de Constantinople, faisant partie du monde byzantin. Elle est un bastion de liberté face à l’invasion ottomane. Ensuite, dès 1917 et ce jusqu’à 1991, sous le bolchévisme, elle connaît plus de martyrs que toutes les Eglises réunies, avec pour victimes 600 évêques, 48’000 prêtres, 120’000 moines et moniales et ô combien de laïcs. Cette Eglise, Staline, ancien séminariste, l’a faite sortir du goulag pour trouver du soutien dans sa guerre contre le nazisme, et l’Eglise joue le jeu. Dès 1945, la persécution recommence. Mais après l’arrivée du métropolite Nicodème, dont Kirill est le disciple, le KGB se sert de l’Eglise pour la promotion de l’URSS et l’asservissement du peuple. A la chute du Mur, l’accointance entre l’Eglise et l’URSS a perduré sous un nouveau chef, Alexis II, un Kirill, déjà évêque, qui avait trop d’intérêts personnels à préserver pour tourner le dos au Kremlin. En restant l’allié de Poutine, le patriarche n’a donc rien d’orthodoxe.
En quoi l’Ukraine est-elle un enjeu pour Kirill?
La Russie n’est plus un empire sans l’Ukraine. De même que, sans l’Ukraine, le patriarcat perdrait la moitié de son Eglise. Il en perd aussi l’origine fondatrice, car le baptême de Constantinople est à la source du baptême de Kiev, lequel est à la source du baptême de Moscou. Kirill, pour tenir l’Ukraine en sa possession, est allé jusqu’à déclarer que la patriarche de Constantinople Bartholomée, qui est le chef de toute l’Eglise orthodoxe, était schismatique lorsqu’il a accordé plus d’indépendance à l’Eglise de Kiev vis-à-vis de Moscou. C’est dire combien cet homme est prêt à se mettre à dos le monde entier et toute l’orthodoxie afin de suivre les plans du Kremlin, dont il est l’un des oligarques.
«En restant l'allié de Poutine, le patriarche Kirill n'a rien d'orthodoxe»
Si l’Ukraine orthodoxe se sent oppressée par le patriarcat orthodoxe de Moscou, pourrait-on imaginer qu’en se tournant vers l’Occident, elle devienne catholique?
Pas du tout! D’abord parce que les catholiques ne représentent que 15% de la population et en plus ils sont divisés entre latins et gréco-catholiques. Ensuite parce que la position du Vatican a beaucoup varié à l’égard de l’Ukraine: juste avant que la guerre ne commence, la politique du pape François était plutôt celle de ne froisser ni Kirill ni Poutine, au détriment des revendications d’autocéphalie de l’Eglise de Kiev. François avait en effet besoin de la «bénédiction» des Russes pour accomplir son grand rêve de pape, à savoir celui d’aller à Pékin et de faire de la Chine une nouvelle terre de mission. Les Ukrainiens orthodoxes n’ont donc aucune sympathie à l’égard de l’Eglise catholique.
Vous parlez à la fin de votre livre de «l’illusion des retours» dans l’histoire. Est-ce qu’au fond rien n’a jamais cessé? Est-ce que la Guerre froide n’a jamais cessé? Est-ce que les totalitarismes du siècle dernier n’ont en fait jamais cessé?
Nous avons voulu croire en une nouvelle utopie à la chute du Mur de Berlin: celle de la mondialisation heureuse, où tout le monde allait s’embrasser et vivre en paix. Mais bien sûr, en croyant par-dessus le marché que tout le monde deviendrait démocrate et adopterait les valeurs de l’Europe dite «occidentale». C’est une évidence qu’il n’en est pas ainsi: la guerre en Ukraine en est une énième démonstration. Ceux qui croyaient que les vieilles guerres impériales ne seraient qu’un amer souvenir, du moins en Europe, se sont trompés. L’histoire continue et elle est tragique. Il est d’ailleurs plus chrétien de considérer la dimension tragique de l’histoire, que de croire que l’homme pourrait à lui seul, donc sans Dieu, construire un nouvel Eden. L’homme n’est pas le maître des temps, et encore moins celui de la fin des temps.
En conclusion, face au tragique de l’histoire, quelle est votre prière pour cette Ukraine crucifiée?
Que l’Ukraine ressuscite. Il faut la soutenir pour qu’elle sorte victorieuse de cette guerre criminelle et inique. Mais, même lorsque nous aurons aidé l’Ukraine à se relever, nous n’aurons rien gagné de la paix en Europe tant que nous n’aurons pas réparé mentalement et spirituellement la Russie, car la Russie c’est aussi nous, c’est aussi l’Europe. Et ça c’est une autre paire de manches.
«La crucifixion de l’Ukraine. Mille ans de guerres de religions en Europe», Jean-François Colosimo, Editions Albin Michel, 288 pages.
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Aznavour me rejoint dans ma <a href="https://leregardlibre.com/musique/la-dimension-chretienne-de-loeuvre-daznavour/" target="_blank" rel="noopener">vie spirituelle</a>, dans ma vie sexuelle – ou du moins telle que je la <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-un-chanteur-du-sexe/" target="_blank" rel="noopener">phantasme</a> – et surtout dans ma vie de <a href="https://leregardlibre.com/musique/aznavour-chante-les-loosers/" target="_blank" rel="noopener"><i>loser</i></a>. Aznavour chante les <i>losers</i>. Aznavour est un <i>loser</i>. J’en suis un aussi. <i>Et pourtant, pourtant…</i> le <i>loser</i> n’est pas celui qui a tout raté, loin de là. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
8 Commentaires
@willoft 22.09.2023 | 01h12
«Comment peut-on encore vanter la religiosité en 2021...?
Le sang de toutes les guerres?»
@Apitoyou 22.09.2023 | 07h50
«Nous vivons en Europe, et en Suisse bien sûr, dans des organisations humaines érigées principalement en système économique où règne l’exercice du pouvoir absolu sur les individus. Si l’histoire chrétienne est toujours présente en nous, chacun, par les archétypes qu’elle a créée et déposé dans notre culture inconsciente , la religion séparée fort habilement de l’Etat il y a un siècle n’est plus déterminante avec (ou pour) les conflits armés d’aujourd’hui. On peut entendre la revendication présentée ici, mais sans plus. Nous vivons aujourd’hui dans le chaos des luttes économiques qui se moque bien de l’individu et de sa foi. Espérons qu’il y a un dieu quelque part dans l’univers qui va remettre un jour les pendules à l’heure et précipiter tout ce joli petit monde de salauds dans le néant. Mais là encore ce n’est qu’une résurgence d’un archétype chrétien basé sur l’espoir qu’il existe une justice divine. Espérer, croire , c’est bien ce qui a amené le désordre mental dans lequel on vit.»
@Chan clear 22.09.2023 | 09h15
«On a besoin de spiritualité par les temps qui courent, c’est bien de connaître l’origine des choses, ceci permet d’avoir son propre avis .
On a été fascinés par les Cathédrales orthodoxes de Lettonie bâties dans des lieux improbables, en pleine campagne, dorées à la feuille d’or , tout en ayant conscience du sévère protocole de cette religion»
@Zhdrobert 22.09.2023 | 10h25
«Monsieur n'a rien compris à cette guerre, tout comme d'innombrables soi-disant "intellectuels" donnent leurs avis/expertise à la télévision, à la radio et dans les médias sociaux. Mais ceux qui restent silencieux ne valent pas mieux, car ils soutiennent tacitement les politiques occidentales dans cette guerre et ailleurs. Nous attendons des intellectuels qu'ils fassent preuve d'esprit critique, en premier lieu à l'égard d'eux-mêmes. Mais hélas... En fait, ce sont les intellectuels, avec les politiciens et les marchands d'armes, qui sont responsables de ce qui se passe. »
@Da_S 22.09.2023 | 17h18
«"Nous devons réparer mentalement et spirituellement la Russie pour avoir la paix", nous dit ce monsieur. Qui est-ce, "nous"? Qui décide de ce qui doit être réparé et comment? Les Russes eux-mêmes ne sont pas capables de se prendre en mains, des sous-hommes, en gros? L'idée que l'absence de paix pourrait avoir ses causes aussi (ou surtout?) dans cet Occident si démocratique et moral semble assez loin de l'esprit de ce monsieur.
»
@simone 23.09.2023 | 08h32
«Toute vérité n'est pas bonne à dire! Extrêmement intéressant. »
@Gio 23.09.2023 | 22h26
«De tels propos de la part d'un philosophe - théologien me sidèrent. Ce monsieur œuvre pour la guerre et son utilisation du "nous" directif "lorsque nous aurons aidé l’Ukraine"/ "tant que nous n’aurons pas réparé mentalement et spirituellement la Russie", c'est un discours de dictateur plutôt glaçant. »
@stef 03.12.2023 | 18h35
«La religion n'a plus rien à faire sur Terre, elle qui a causé les plus grands génocides de l'Histoire.
Et avec tout ce qui se passe dans l'église catholique actuellement, avec les prêtres touche-pipi, ça suffit ‼️»