Actuel / Et le Verbe s’est fait chair
"Dieu se révèle par un bébé dans une mangeoire."
Une fois n’est pas coutume, je vous propose une méditation spirituelle. En cette veille de Noël, quelques mots sur une fête chrétienne qui est devenue universelle. Mythe ou réalité, peu importe, le récit de la naissance de Jésus garde un message et il a quelque chose à nous dire aujourd’hui.
«Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.» (Jn 1,1) Le début du Prologue de l’évangéliste Jean a tout du conte philosophique. Quel est ce Verbe, quel est ce Dieu? Le langage est mystérieux… Il y aurait un Verbe, à savoir une Parole, qui était avec Dieu dès le commencement de l’univers, qui était tournée vers Lui et qui en fait était Dieu.
Ce Verbe, nous dit le Prologue, contenait la vie, «et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres» (Jn 1,4-5). Cette lumière du Verbe, nous conte Jean, est venue dans le monde, mais le monde ne l’a pas reconnue. Nombreux sont ceux qui ne l’ont pas accueillie. Pourtant, certains l’ont accueillie, et ceux-là sont devenus enfants de Dieu. «Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous» (Jn 1,14).
Ces quelques versets du Prologue ont été le fruit d’exégèses savantes. Il y aurait tant à analyser, à décortiquer. Restons-en à la simplicité. Ce Verbe qui était avec Dieu depuis toujours, et qui était Lui-même Dieu, c’est Jésus-Christ, le Fils. Dans la tradition chrétienne, le dogme de la trinité affirme qu’il n’y a bien qu’un Dieu, mais en trois personnes. Un Dieu dans le Père, le Fils et l’Esprit Saint, autrement dit l’Esprit de Dieu qui est communiqué aux hommes, et qui agit parmi eux.
Le Verbe est généré par le Père, et le Père crée par le Verbe, par la parole. En effet, pour créer la lumière, Dieu dit: «“Que la lumière soit!” Et la lumière fut » (Gn 1,3). Et ce Verbe généré par le Père est le Fils. Après s’être révélé au peuple d’Israël qu’Il a choisi pour être son peuple élu, Dieu veut se manifester à tous les peuples, et pour cela, pas de grands coups de tonnerre, pas de grande voix qui parle depuis le ciel à toute l’humanité. Le Père envoie son Fils dans la condition d’homme, sur terre. «Et le Verbe s’est fait chair».
Dieu se fait homme pour rejoindre les hommes dans leur plus intime nature. Mais trêve de bavardages théologiques. A y regarder simplement, on voit que Dieu commence par choisir une jeune fille pauvre pour mère. Il aurait pu choisir une grande reine, une femme puissante, non Il a choisi la pauvreté. Une difficulté s’ajoute au choix, la fille est vierge… C’est embêtant. Son ventre grossit et elle n’a plus l’air si vierge que cela. Vous imaginez bien que Joseph, l’homme à qui elle est promise en mariage, se pose des questions. Et il a vite fait le tour de la question. Ce qui a dû se passer s’est passé, mais sans lui.
Le Fils est dans le ventre d’une mère du genre jeune mère célibataire de seize ans d’aujourd’hui. Non seulement Dieu choisit la pauvreté, mais Il choisit aussi les situations les plus délicates de la vie. Joseph veut la répudier, comme le demande la Loi juive, mais en secret, pour ne pas humilier la prétendue vierge.
Un ange apparaît en songe à Joseph et lui dit: «Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus» (Mt 1,20-21). Franchement, j’ai connu des argumentations plus convaincantes… Il reste que Joseph met son courroux et sa peine de côté, et choisit la confiance. Il accepte cette fille et le fils qu’elle porte et qui n’est pas le sien. Voyez donc le modèle de famille bourgeoise et parfaite que Dieu a choisi pour Lui-même…
Je vous passe d’autres détails pour en arriver à la douce crèche. La mère est sur le point d’accoucher, son mari est en panique à côté, et personne pour les accueillir. Vachement sympa! Et Marie se retrouve sans doute couchée dans la paille d’une ferme, au milieu des bêtes pour accoucher. On est bien loin de nos standards dans les maternités des hôpitaux.
Le bébé naît. Il pousse son premier cri. Cet Enfant qui est Dieu pleure, tète le sein, recrache le lait, fait ses besoins. Pour rejoindre l’homme, Dieu se fait homme, Il se fait pauvre, Il se fait tout petit. Ce grand Dieu Tout-puissant qui inspire crainte et soumission est un bébé, dépendant de sa mère et de son père adoptif.
Jamais un dieu d’une autre tradition religieuse ne s’est abaissé à un tel niveau, dans de telles conditions. Cette incarnation, c’est sans doute la plus grande folie de l’histoire de l’humanité. Dieu se révèle par un bébé dans une mangeoire. Et par une étoile du ciel qui les guide, les premiers conviés à Sa naissance sont des bergers, autrement dit des pauvres, des gens simples.
Pour que Dieu puisse tout partager de notre humanité, sauf le péché parce que bien qu’Il soit pleinement homme Il reste pleinement Dieu, Il passe par toute la condition humaine. Un bébé, puis un enfant, puis un adolescent qui apprend le travail de son père adoptif, puis un homme, resté dans la discrétion jusqu’à ses trente ans. Et quand Il commence à se manifester en parlant du Père, de Son amour, du Royaume des Cieux qui nous attend, voilà qu’Il est écouté et aimé par une prostituée, par un collecteur d’impôts, par un pêcheur rustre, mais pas par les plus hauts dignitaires religieux.
Il finit par être insulté, jugé, condamné. Il porte sa croix sous les coups de fouets, sous les moqueries. Il a connu la trahison de plusieurs amis. Alors qu’Il agonisait, qu’Il pleurait, ses amis s’endormaient. Dieu a connu dans sa chair l’humiliation, la torture, jusqu’à la mort la plus atroce, à côté de deux criminels.
Seul un Dieu qui a connu tout cela peut rejoindre les détresses les plus grandes: nos cris du cœur, nos désespoirs, nos suicides. Seul un Dieu qui a porté toute la misère, toute la douleur du monde sur sa croix, qui est mort, et ressuscité trois jours plus tard peut nous donner l’espérance que la mort n’est pas la fin de tout, qu’un grand bonheur nous attend, et que ce grand bonheur commence déjà ici et maintenant. Donnons à ce Dieu fait homme toutes nos peines, toutes nos joies, Il ne nous abandonne jamais, Il nous accompagne dans les épreuves.
Mythe ou réalité? Quoi qu’il en soit, ce récit a bien de la gueule… Il appartient à chacun de le faire sien, de s’en inspirer, de le contempler. Si Dieu existe, alors Il a vraiment un amour infini pour chacun, puisqu’Il s’est fait chair pour moi, pour toi, pour nous.
Joyeux Noël.
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Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'subtitle_edition' => 'Souffle de poésie, d’horreur et de vérité romanesque ayant donné vie à un ouvrage qui aura mis plus de dix ans à la recevoir, cette vie: «Anima» (2012). Dernier roman en date du dramaturge Wajdi Mouawad paru il y a près de douze ans, «Anima» reste plus que jamais d’actualité. Dans ses pièces ou ses romans, il demeure toujours une expérience unique trépidante à vivre. C’est bien le cas ici, près de cinq-cents pages durant. Regard.', 'content' => '<p>Le récit s’ouvre sur la scène d’un roman policier. Un homme rentre chez lui et trouve sa femme morte. S’ensuivrait une enquête policière aux mille-et-un rebondissements qui feraient vivre le suspense, mais il n’en est rien. Pourrait s’ensuivre la traque menée par un époux fou furieux qui va tout franchir, tout casser, pour mettre la main sur celui qui a massacré son épouse. Ce n’est pas cela non plus dans notre roman.</p> <p>Sans entrer forcément en contradiction avec un <i>polar</i> classique, la scène de crime est particulièrement macabre. L’époux en question, Wahhch Debch, retrouve sa femme Léonie morte, après avoir été éventrée et violée. L’enfant qu’elle portait en son sein est évidemment mort aussi. Plus qu’un meurtre, il s’agit là d’une profanation, saignant d’une originalité terriblement créative. Féminicide et infanticide à la fois, qui laisse l’époux et le père meurtri, sans repères, sans voix, sans plus de paroles même, amputé quasiment de toute son humanité: il a perdu son âme. </p> <p>Wahhch, ayant perdu la raison, faculté traditionnellement attribuée à l’homme seul, en vient à se demander si ce n’est pas lui qui a tué. Pour retrouver la raison, il se lance à la recherche de l’assassin. Soutenu par le coroner en charge de l’affaire, Coach, il finit dans une réserve amérindienne, comparable à un animal blessé. Un lieu qui est «vulnérable» et «dangereux» à la fois. (p.136)</p> <p>A la suite de rencontres aventureuses, frôlant l’absurde sans en éviter le tragique, Wahhch se confronte à l’assassin. Mais le labyrinthe dans lequel nous engouffre <i>Anima </i>est encore loin de se terminer, car le but initial ne devient alors qu’une étape dans la quête véritable du personnage principal. Personnage qui doit encore retrouver quelle personne il est, recouvrer son nom en remontant à travers ses origines, pour saisir à nouveau un sens et les paroles, pour sauver ce qui peut être sauvé. Mais, on le sait depuis les traditions religieuses les plus antiques, en passant par le christianisme: tout salut ne se vit qu’à travers un sacrifice. 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Ainsi, l’auteur, en se plongeant lui-même dans la peau d’un animal qui assiste de près ou de loin à la scène où interagissent des humains, nous permet aussi d’y plonger nous-mêmes.</p> <p>Au niveau stylistique, ce procédé permet des variations qui rythment le roman en multipliant des voix auxquelles on ne s’habitue jamais, comme si le narrateur changeait à chaque chapitre et que ce narrateur avait un langage et un regard propres. Tel est le cas avec les animaux, qui ne sont pas considérés en tant qu’entité unique, mais bien dans leur individualité, et j’oserais dire dans leur <i>personnalité</i> respective.</p> <p>La forme parle pour le fond: à travers les récits des animaux, l’auteur n’a nul besoin d’affirmer que chaque animal est doté d’une âme dont les caractéristiques sont traditionnellement attribuées à l’homme seul, nous en dressons le constat en nous laissant porter par le style soumis du chien ou passif du poisson.</p> <p>Au niveau sémantique, le regard de l’animal nous permet de poser un regard nouveau sur l’homme. En effet, la considération de l’animal pour l’homme prend une dimension plus profonde lorsqu’elle n’est pas expliquée par l’homme, mais qu’elle sort de la gueule ou du bec de l’animal lui-même, par ses propres <i>paroles</i>. Certes, on sait bien que dans les paroles du chien il y a celles de l’auteur, et pourtant la littérature permet de créer des possibilités que la science ignore. Scientifiquement, un chien ou toute autre bête, ne peut parler; mais en littérature, oui, si le texte indique que c’est tel chien qui narre, il en est alors réellement ainsi. En effet, la fiction peut dire vrai, même pour des faits qui ne sont pas observables dans la réalité du monde humain.</p> <p>A titre d’exemple, citons un passage vibrant de beauté, qui sonne comme évidence: «L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. […] L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.» (p.149) Il semblerait véritablement que nous entendons la voix d’un chien. Chien dont on découvre qu’il prend en pitié l’homme au vu de sa condition de détresse permanente. Le chien est miséricordieux pour l’homme, comme on dit de Dieu qu’il l’est pour ses créatures. </p> <h3>Le passage de l'âme</h3> <p>Puisque Wahhch perd quasiment la parole suite au drame et qu’il ne lui reste plus que le cri, ce sont les animaux qui racontent. Par le transfert de la parole, s’opère aussi le transfert de l’âme pour les hommes. De façon explicite, lorsque Wahhch est confronté au bourreau Rooney, qui a entre autres violé et tué Léonie, et que ce dernier meurt dans l’affrontement, l’âme de cet infâme est retrouvée à travers son chien, qui devient alors le compagnon de Wahhch lui-même. Plus que son fidèle compagnon, il devient même son sauveur. Comprenons ainsi, qu’à force de se perdre dans les artifices de l’humanité, Rooney a perdu sa candeur de jeunesse, dont témoigne un autre personnage, Humbert, et que par la mort il la retrouve à travers son chien. C’est comme si celui qu’a toujours été Rooney était en fait présent en son chien. Perdant la vie, il retrouve son <i>humanité canine</i>.</p> <p>Le chien cite Wahhch, qui est en train de retrouver ses mots et d’accueillir le chien véritablement comme son compagnon, son frère qui le suivra jusqu’au bout: «Je te donnerai ma voix, je te donnerai ma langue, tu me donneras tes silences, tu me donneras ton présent.» (p.360) Le transfert de la parole est clair. Par le transfert de l’âme, il y a aussi celui de l’intelligence et du discernement. Le chien est un guide. Lorsque son maître et protégé l’oblige à monter dans une voiture qu’il ne <i>sent</i> pas, le chien se retrouve kidnappé, et Wahhch regrette aussitôt de n’avoir pas écouté <i>son</i> discernement, à savoir celui de son chien. Une conversion se vit néanmoins chez l’homme lorsqu’il estime juste de se séparer du chien pour poursuivre son voyage mais qu’il cède finalement au désir éclairé du chien. «C’est ton chien! C’est l’âme retrouvée de Rooney que tu as à tes pieds. 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Ce qui importe réellement pour Wahhch et pour les hommes de façon générale, c’est de laisser mourir la part qui est cassée en soi, pour passer des ténèbres à la lumière. «Passe par les ténèbres et tu trouveras la lumière.» (p.348) Comment notre protagoniste vit-il cette pâque, passant de l’esclavage à la terre promise? Par la douleur. C’est dans les douleurs de l’enfantement que la femme donne la vie. C’est dans les douleurs du retour aux origines mais avant cela de l’abus sexuel qu’il subit, que Wahhch sait qui il est, qu’il casse la malédiction des meurtres et des viols, pour retrouver la raison, son nom et son âme.</p> <p>En quoi est-ce une invitation pour le lecteur à retrouver son âme et par là retrouver l’unité en soi? C’est une invitation, dans la mesure où nous assistons, par le roman, au témoignage de Wahhch mais aussi indirectement à celui de Wajdi Mouawad et en somme à celui de tous ceux qui ont vécu des drames. C’est bien pour cela que Wahhch a besoin que Coach témoigne pour lui. Pour cela aussi que Coach est particulièrement touché par ce témoignage. La nécessité de témoigner des drames et des guérisons, en prononçant son propre témoignage et en se mettant à l’écoute de celui des autres, c’est proprement la quête d’<i>Anima</i>. 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C’est la mission que s’est donnée le Belge Bernard Bellefroid, en toute humilité, pour pleurer les morts et avec les survivants du génocide rwandais. <i>Une des mille collines</i>, un documentaire sobre et poignant qui raconte le martyr de trois enfants dans un village, sur l’une des collines du Rwanda. En choisissant des histoires particulières, le réalisateur veut rejoindre l’universalité du drame en restant dans le témoignage, l’hommage et le concret. Pas de grandes thèses politiques, donc. Pas de déclarations du genre «on aurait dû», «il n’aurait pas fallu», «il aurait suffi». Le documentaire veut par là même redonner vie à ces trois frères et sœurs en enquêtant sur leur assassinat, d’une part, et en offrant par l’image un dessin du visage de chacun de ces trois enfants, d’autre part. Olivier, Fidéline et Fiacre, âgés respectivement de 10, 5 et 4 ans en 1994. Ils sont les fils d’un certain Fidèle, un <i>serpent</i>, comme on l’a considéré au village d’un jour à l’autre. 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5 Commentaires
@freinet 24.12.2021 | 06h15
«Jolie réflexion et pleine d’espérance.»
@marcello 24.12.2021 | 09h51
«Merci pour cette méditation.
Que Noël illumine vos coeurs»
@Shakur13 24.12.2021 | 11h54
«Merci! Cet article, et celui d’Yves Genier la semaine passée que je n’approuve pas mais respecte, prouvent que vous êtes un media intellectuel au sens noble du terme, peut être même le dernier. »
@Pasqui 24.12.2021 | 12h07
«Magnifique. Merci »
@Christode 24.12.2021 | 16h03
«Merci de mettre avec vos mots, si justes me semble-t-il, un peu de... lumière sur cet extraordinaire mystère de la Nativité du Sauveur du monde.
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