Actuel / Eric Zemmour, l’icône des demi-savants
Clio, muse de l'Histoire. Artiste anonyme, XVIIème, musée des Beaux-Arts de Narbonne.
Les demi-savants ont toujours sévi. Pascal décrivait déjà les «demi-habiles» au XVIIème siècle. Mais les réseaux sociaux tissés par les électrobidules ont multiplié leurs propos péremptoires étayés par des colonnes de vent et leur ont donné une audience planétaire. Candidat d’extrême-droite à l’élection présidentielle française, Eric Zemmour est devenu le parangon de ces demi-savants.
Alors que le véritable scientifique doute avec humilité, le demi-savant, lui, ne doute de rien. Surtout pas de lui-même. Il est pire, ô combien, que l’ignorant qui, ne sachant rien et l’avouant, a l’ouverture d’esprit nécessaire pour faire le plein de connaissances.
Le demi-savant, au contraire, a la cervelle bourrée de semi-savoir. Il n’y a plus de place dans cette grosse tête pour ajouter des connaissances complètes et forcément nuancées. Son arrogance est d’autant plus assurée que son savoir est limité.
Grosses caisses et piccolo
Malheureusement, ses bouts de connaissance qu’il brandit comme autant d’épées étincelantes impressionnent les consommateurs de médias. Habituées aux concours de grosses caisses, les oreilles des foules médiatisées n’entendent plus le piccolo du doute scientifique.
Les demi-savants qui vibrionnent sur la Toile ont désormais une icône, Eric Zemmour, qui se voit déjà en haut de l’affiche à l’Elysée.
Le polémiste d’extrême-droite se pique de savoir historique, mieux, d’en être un éminent spécialiste. A l’en croire, il connaît tout de Clovis, de Jeanne d’Arc, des croisades, de la Révolution, des guerres napoléoniennes, du maréchal Pétain, du général de Gaulle. Mais s’il aime à creuser l’histoire, ce serait plutôt façon Sapeur Camember en garnissant son pseudo-savoir de trous aux béances diverses.
Ces demi-vérités transformées en mensonges 100% donnent à son discours l’apparence de renouer avec un passé d’autant plus zénithal que le présent est dénoncé comme déclinant. Il construit son propos sur les fondations de l’histoire. Mais une histoire lacunaire et tordue pour obéir aux impératifs de la propagande. Des fondations qui sont donc bien moins solides qu’il n’y paraît.
Des historiens contre-attaquent
Nombre de politiciens ont usé et abusé de références historiques plus ou moins biaisées. Mais Zemmour, lui, en fait son système rhétorique de base. L’Histoire est devenue sa chose. Face à ce hold-up, seize historiens1 ont dénoncé quelques-unes des énormités que profère le candidat de Reconquête! en publiant un ouvrage de 65 pages diffusé par la collection de Gallimard, «Tracts». Son titre: Zemmour contre l’Histoire.
Constat dressé par les auteurs: «Eric Zemmour se sert de l’histoire pour légitimer la violence et l’exclusion, pour promouvoir une vision raciste et misogyne de l’humanité. Il fait mentir le passé pour mieux faire haïr au présent... et ainsi inventer un futur détestable».
Des demi-vérités aux gros mensonges
Eric Zemmour part d’une demi-vérité qui donne l’apparence d’un fait historique. Ensuite, il développe ce moignon de fait par le truchement de sa phraséologie raciste et nationaliste, voire fascistoïde. Evidemment, tous les éléments constitutifs de ce fait qui pourraient contredire ou même gêner la démonstration partisane sont soigneusement occultés. Les auteurs de Zemmour contre l’Histoire ont bien démonté cette mécanique vieille comme la propagande. En voici deux exemples parmi d’autres.
Les «doutes» de Zemmour sur l’innocence de Dreyfus
Au cours de l’émission «Face à l’info» de Cnews2 – chaîne télévisée de Vincent Bolloré qui a fait la promotion de Zemmour –, celui-ci, sans aucun fondement historique, sème le doute quant à l’innocence du capitaine Dreyfus. Et il accuse les partisans du capitaine juif injustement accusé d’avoir organisé une purge au sein de l’armée qui serait, en partie, cause de la désorganisation de l’armée française en 1914 et responsable des nombreux morts causés par l’offensive allemande.
Voici ci-dessous un extrait de la réponse qu’opposent les seize historiens professionnels aux allégations zemmouriennes.
«En parlant de "purge" des militaires antidreyfusards, Eric Zemmour reprend un des couplets ramassés chez quelques auteurs d’extrême-droite. Mais là où ces derniers se contentent de parler de progressions de carrières ralenties, le polémiste, une nouvelle fois, gravit un degré. Quelle purge? Car enfin, les militaires les plus en vue, épargnés par l’amnistie de 1900, continueront leur carrière, ralentie parfois par la volonté de quelques ministres de républicaniser l’armée – comme la continueront sans heurt les Négrier, Geslin de Bourgogne ou Hardschmidt, auteur en 1899 d’un ordre du jour à son régiment qui était une insulte au président de la République. Loin d’être purgé, ce dernier devient grand officier de la Légion d’honneur en 1904.
Quant à l’idée de "beaucoup de morts" en 1914 en raison du "J’Accuse...!" de Zola, elle relève d’une vision complotiste et ignorante de la Grande Guerre, comme si le succès du plan Schlieffen de l’Allemagne avait pu tenir à quelques colonels en moins côté français. L’armée française n’était pas "désorganisée", ni privée d’officiers antidreyfusards, bien au contraire. Elle avait en revanche des doctrines offensives périmées.»
Au doute qu’instille Zemmour sur l’innocence du capitaine Dreyfus, les historiens rétorquent:
«Ces propos (…) entretiennent la confusion sur un point pourtant parfaitement clair; l’écriture du véritable traître, Esterhazy, est identique à celle du bordereau. Il n’y a en réalité aucun "trouble" qui nécessiterait de refaire le procès. Ce procès, on ne le refera pas parce que l’affaire est limpide et qu’il a été définitivement clos en 1906. On pourra se reporter aux milliers de pages de l’enquête et des débats de la Cour de cassation et, si l’idée de les lire rebute le lecteur impatient ou pressé, à une unique phrase de l’arrêt, celle qui en est la synthèse, [à savoir] "de l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout"».
Zemmour au régime Vichy
«Vichy a protégé les juifs français et donné les juifs étrangers». Cette formule lancée3 par Eric Zemmour fait grand bruit. Il vaut toutefois la peine d’y revenir grâce à l’éclairage apporté par les auteurs de Zemmour contre l’Histoire. Voici un extrait de leurs explications à ce propos.
«Certes, Vichy ne voulait pas déporter les juifs français les plus "enracinés". Son projet était de se débarrasser des étrangers et des naturalisés. Mais, en persécutant l’ensemble des juifs dès 1940 (les lois d’exclusion et la spoliation visent avant tout les [juifs] Français), en jouant pleinement la carte de la victoire d’Hitler à l’été 1942 et en souhaitant la déportation des juifs étrangers "indésirables", Vichy ne s’est absolument pas mis en situation de protéger ses nationaux.
Dès l’été 1942, tous les juifs, français comme étrangers, en zone libre comme en zone occupée, se sentent en danger. Beaucoup tentent de fuir, d’entrer dans la clandestinité, et donc s’exposent à des arrestations individuelles, dans la rue, sur la ligne de démarcation, etc. De fait, sur les 74'150 juifs déportés vers les camps et centres de mise à mort, 24'000, dont plus de 7'000 enfants, avaient la nationalité française...»
Schéma classique des demi-savants. On s’empare d’une demi-vérité: le Vichy de Pétain ne voulait pas déporter les Juifs français. Mais on occulte le fait que par sa politique, le maréchal a sacrifié les enfants juifs nés en France – et donc Français – de parents étrangers et que 24'000 juifs de nationalité française ont été déportés vers les camps de la mort. En fin de course: un gros mensonge.
1Textes écrits par un collectif d’historiennes et d’historiens rassemblant Alya Aglan, Florian Besson, Jean-Luc Chappey, Vincent Denis, Jérémie Foa, Claude Gauvard, Laurent Joly, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, André Loez, Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt, Philippe Oriol, Catherine Rideau-Kikuchi, Virginie Sansico et Sylvie Thénault.
2Diffusions des 29 septembre et 15 octobre 2020.
3Déclaration émise le 26 septembre 2021 sur Europe 1, station de radio également contrôlée par Vincent Bolloré.
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Mais s’il aime à creuser l’histoire, ce serait plutôt façon Sapeur Camember en garnissant son pseudo-savoir de trous aux béances diverses. </p> <p>Ces demi-vérités transformées en mensonges 100% donnent à son discours l’apparence de renouer avec un passé d’autant plus zénithal que le présent est dénoncé comme déclinant. Il construit son propos sur les fondations de l’histoire. Mais une histoire lacunaire et tordue pour obéir aux impératifs de la propagande. Des fondations qui sont donc bien moins solides qu’il n’y paraît.</p> <h3>Des historiens contre-attaquent</h3> <p>Nombre de politiciens ont usé et abusé de références historiques plus ou moins biaisées. Mais Zemmour, lui, en fait son système rhétorique de base. L’Histoire est devenue sa chose. Face à ce hold-up, seize historiens<strong><sup>1</sup></strong> ont dénoncé quelques-unes des énormités que profère le candidat de Reconquête! en publiant un ouvrage de 65 pages diffusé par la collection de Gallimard, «Tracts». 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En voici deux exemples parmi d’autres.</p> <h3>Les «doutes» de Zemmour sur l’innocence de Dreyfus</h3> <p>Au cours de l’émission «Face à l’info» de Cnews<strong><sup>2</sup></strong> – chaîne télévisée de Vincent Bolloré qui a fait la promotion de Zemmour –, celui-ci, sans aucun fondement historique, sème le doute quant à l’innocence du capitaine Dreyfus. Et il accuse les partisans du capitaine juif injustement accusé d’avoir organisé une purge au sein de l’armée qui serait, en partie, cause de la désorganisation de l’armée française en 1914 et responsable des nombreux morts causés par l’offensive allemande.</p> <p>Voici ci-dessous un extrait de la réponse qu’opposent les seize historiens professionnels aux allégations zemmouriennes.</p> <p>«En parlant de "purge" des militaires antidreyfusards, Eric Zemmour reprend un des couplets ramassés chez quelques auteurs d’extrême-droite. 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Cette formule lancée<strong><sup>3</sup></strong> par Eric Zemmour fait grand bruit. Il vaut toutefois la peine d’y revenir grâce à l’éclairage apporté par les auteurs de Zemmour contre l’Histoire. Voici un extrait de leurs explications à ce propos.</p> <p>«Certes, Vichy ne voulait pas déporter les juifs français les plus "enracinés". Son projet était de se débarrasser des étrangers et des naturalisés. Mais, en persécutant l’ensemble des juifs dès 1940 (les lois d’exclusion et la spoliation visent avant tout les [juifs] Français), en jouant pleinement la carte de la victoire d’Hitler à l’été 1942 et en souhaitant la déportation des juifs étrangers "indésirables", Vichy ne s’est absolument pas mis en situation de protéger ses nationaux. </p> <p>Dès l’été 1942, tous les juifs, français comme étrangers, en zone libre comme en zone occupée, se sentent en danger. 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A l’en croire, il connaît tout de Clovis, de Jeanne d’Arc, des croisades, de la Révolution, des guerres napoléoniennes, du maréchal Pétain, du général de Gaulle. Mais s’il aime à creuser l’histoire, ce serait plutôt façon Sapeur Camember en garnissant son pseudo-savoir de trous aux béances diverses. </p> <p>Ces demi-vérités transformées en mensonges 100% donnent à son discours l’apparence de renouer avec un passé d’autant plus zénithal que le présent est dénoncé comme déclinant. Il construit son propos sur les fondations de l’histoire. Mais une histoire lacunaire et tordue pour obéir aux impératifs de la propagande. Des fondations qui sont donc bien moins solides qu’il n’y paraît.</p> <h3>Des historiens contre-attaquent</h3> <p>Nombre de politiciens ont usé et abusé de références historiques plus ou moins biaisées. Mais Zemmour, lui, en fait son système rhétorique de base. L’Histoire est devenue sa chose. Face à ce hold-up, seize historiens<strong><sup>1</sup></strong> ont dénoncé quelques-unes des énormités que profère le candidat de Reconquête! en publiant un ouvrage de 65 pages diffusé par la collection de Gallimard, «Tracts». Son titre: <em>Zemmour contre l’Histoire</em>.</p> <p>Constat dressé par les auteurs: «Eric Zemmour se sert de l’histoire pour légitimer la violence et l’exclusion, pour promouvoir une vision raciste et misogyne de l’humanité. Il fait mentir le passé pour mieux faire haïr au présent... et ainsi inventer un futur détestable».</p> <h3>Des demi-vérités aux gros mensonges</h3> <p>Eric Zemmour part d’une demi-vérité qui donne l’apparence d’un fait historique. Ensuite, il développe ce moignon de fait par le truchement de sa phraséologie raciste et nationaliste, voire fascistoïde. Evidemment, tous les éléments constitutifs de ce fait qui pourraient contredire ou même gêner la démonstration partisane sont soigneusement occultés. Les auteurs de <i>Zemmour contre l’Histoire</i> ont bien démonté cette mécanique vieille comme la propagande. En voici deux exemples parmi d’autres.</p> <h3>Les «doutes» de Zemmour sur l’innocence de Dreyfus</h3> <p>Au cours de l’émission «Face à l’info» de Cnews<strong><sup>2</sup></strong> – chaîne télévisée de Vincent Bolloré qui a fait la promotion de Zemmour –, celui-ci, sans aucun fondement historique, sème le doute quant à l’innocence du capitaine Dreyfus. 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Cette formule lancée<strong><sup>3</sup></strong> par Eric Zemmour fait grand bruit. Il vaut toutefois la peine d’y revenir grâce à l’éclairage apporté par les auteurs de Zemmour contre l’Histoire. Voici un extrait de leurs explications à ce propos.</p> <p>«Certes, Vichy ne voulait pas déporter les juifs français les plus "enracinés". Son projet était de se débarrasser des étrangers et des naturalisés. Mais, en persécutant l’ensemble des juifs dès 1940 (les lois d’exclusion et la spoliation visent avant tout les [juifs] Français), en jouant pleinement la carte de la victoire d’Hitler à l’été 1942 et en souhaitant la déportation des juifs étrangers "indésirables", Vichy ne s’est absolument pas mis en situation de protéger ses nationaux. </p> <p>Dès l’été 1942, tous les juifs, français comme étrangers, en zone libre comme en zone occupée, se sentent en danger. 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En fin de course: un gros mensonge.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Textes écrits par un collectif d’historiennes et d’historiens rassemblant Alya Aglan, Florian Besson, Jean-Luc Chappey, Vincent Denis, Jérémie Foa, Claude Gauvard, Laurent Joly, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, André Loez, Gérard Noiriel, Nicolas Offenstadt, Philippe Oriol, Catherine Rideau-Kikuchi, Virginie Sansico et Sylvie Thénault.</h4> <h4><sup>2</sup>Diffusions des 29 septembre et 15 octobre 2020.</h4> <h4><sup>3</sup>Déclaration émise le 26 septembre 2021 sur Europe 1, station de radio également contrôlée par Vincent Bolloré.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'eric-zemmour-l-icone-des-demi-savants', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 467, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 5, 'person_id' => (int) 2893, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Edition) {} ], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Tag) {}, (int) 2 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4364, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Izïa: la violence politique en chanson, une vieille histoire', 'subtitle' => 'C’est le beuze de ce mois de juillet. 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Entre deux morceaux – histoire de tenir son public sous courant continu et de laisser ses musiciens souffler un brin –, elle entame des monologues plus ou moins délirants.</p> <p>Celui qu’elle a lancé ce soir-là fera son petit effet. Se glissant dans la peau du président Macron, <a href="https://youtu.be/WYWOnk4oyqQ">elle vaticine</a>: «<i>Je pense que ce que le peuple veut, ce dont le peuple a envie, c'est qu'on m'accroche à vingt mètres du sol telle une piñata<strong><sup>1</sup></strong> humaine géante, et qu'on soit tous ici présents munis d'énormes battes avec des clous au bout comme dans </i>Clockwork Orange (<i>titre original du film </i>Orange mécanique)<i>. Et là, on le ferait descendre, mais avec toute la grâce et la gentillesse que les gens du Sud ont.</i> <i>On aurait tous notre batte avec nos petits clous, et dans un feu de Bengale de joie, de chair vive et de sang, on le foutrait à terre, mais gentiment tu vois…»</i></p> <h3>L’objet du délit</h3> <p>Les fans d’Izïa Higelin ont bien rigolé. Mais d’autres spectateurs, sans doute moins habitués aux folies de la scène rock, ont aussitôt alerté la gendarmerie qui a déplacé quelques-uns de ses militaires pour interpeler la rockeuse. En vain, elle avait déjà plié bagage avec ses musicos. Toutefois, le procureur de la République de Nice a diligenté contre Izïa une enquête préalable qu’il a confiée aux gendarmes du lieu. A la suite du scandale, la mairie de Marcq-en-Barœul a décidé d’annuler le concert qu’Izïa Higelin devait donner dans cette ville du nord de la France, la veille du 14-juillet. Aussitôt hérissées sur les réseaux sociaux, les protestations indignées semblaient voir dans ce récitatif lyncheur la marque de notre époque vouée aux incivilités et à la violence.</p> <h3>Les rois de France malmenés en chanson</h3> <p>Pourtant, rien de nouveau sous le soleil de Satan. La chanson fut toujours le véhicule préféré de la provoc’ politique. Sans remonter au Déluge, citons <a href="https://www.periegete.com/sur-lair-du-une-monarchie-absolue-temperee-par-des-chansons-part-2-le-roi-de-france/">les chants pimentés</a> qui enflammèrent les rues de Paris lors de la Fronde. A preuve, cet extrait d’une chanson qui remonte à l’an 1648. Elle exprime une certaine animosité envers Anne d’Autriche, Reine de France et Régente du Royaume: «<i>Mais je voudrais bien étrangler/ Notre putain de Reine.»</i></p> <p>En comparaison, Izïa Higelin ferait presque petite chanteuse du Couvent des Oiseaux.</p> <p>D’aucuns ont d’ailleurs qualifié la France d’Ancien régime de «monarchie absolue tempérée par les chansons», compte tenu de la fréquence des airs irrespectueux envers le Trône et l’Autel.</p> <p>Louis XV, dit «le Bien-Aimé», fut la cible préférée des chansonniers de la rue parisienne. En voici un édifiant extrait: «<i>Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne./ Sans doute on t</i>’<i>avait mal nommé,/ Louis, du nom de Bien-Aimé;/ par ton sceptre on est opprimé,/ Si l</i>’<i>on est traître, fourbe insigne,/ Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne […] Putains, maquereaux ou prélats/ Sont les seuls que ta main caresse.»</i></p> <p>«Tout finit par des chansons» disait Beaumarchais. En France, on serait tenté de paraphraser: tout commence et<i> </i>tout finit par des chansons, même les Rois de droit divin, à l’exemple de cette chanson révolutionnaire qui s’est répandue sur les boulevards à la suite de l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793: «<i>Le vingt et un janvier/ Sept cent quatre vingt treize,/ Capet, tyran dernier,/ Qu</i>’<i>on nommait Louis Seize,/ A reçu ses étrennes/ Pour avoir conspiré./ Ce fuyard de Varennes est donc guillotiné.»</i></p> <p>Et là pas question de le guillotiner façon Izïa «avec toute la grâce et la gentillesse des gens du Sud»!</p> <h3>Brassens et les pandores</h3> <p>Plus récemment, sous la IVème République française, Georges Brassens n’y est pas allé de main morte avec cette incarnation bleu-marine (n’y voyez aucune allusion malsonnante) de l’Etat qu’est la Gendarmerie Nationale. Rafraichissons les mémoires par quelques extraits de <a href="https://youtu.be/KzmnDy7zzDw">cette chanson intitulée <i>Hécatombe</i></a> qui narre la déconvenue de la maréchaussée aux prises avec les harpies du marché de Brive-la-Gaillarde.</p> <p><i>(…)</i></p> <p><i>En voyant ces braves pandores</i></p> <p><i>Etre à deux doigts de succomber,</i></p> <p><i>Moi, j'bichais, car je les adore</i></p> <p><i>Sous la forme de macchabés.</i></p> <p><i>(…)</i></p> <p><i>Jugeant enfin que leurs victimes</i></p> <p><i>Avaient eu leur content de gnons,</i></p> <p><i>Ces furies, comme outrage ultime,</i></p> <p><i>En retournant à leurs oignons,</i></p> <p><i>Ces furies, à peine si j'ose</i></p> <p><i>Le dire, tellement c'est bas,</i></p> <p><i>Leur auraient même coupé les choses:</i></p> <p><i>Par bonheur ils n'en avaient pas!</i></p> <p><i>Leur auraient même coupé les choses:</i></p> <p><i>Par bonheur ils n'en avaient pas!</i></p> <p>Les rappeurs d’aujourd’hui ont-ils été aussi loin dans leurs diatribes antiflics que le père Brassens en 1952, date de la sortie du disque?</p> <h3>L’«Hécatombe» fait scandale 60 ans plus tard!<b></b></h3> <p>A l’époque, cette chanson était, l’on s’en doute, interdite d’antenne. Mais c’est tout. Il est symptomatique de constater qu’elle n’a intéressé la justice qu’à la nôtre, d’époque!</p> <p>Le 27 mai 2011, il s’est trouvé un juge à Toulouse pour <a href="https://www.lepoint.fr/societe/chanter-peut-etre-un-delit-11-06-2011-1341035_23.php">condamner</a> un garçon de 27 ans pour outrage, à 40 heures de travaux d’intérêt général et 100 euros d’amende. Son crime? Avoir chanté <i>Hécatombe</i> au passage de trois policiers. Et ce n’est pas tout. Peu après, 29 choristes de la «Canaille du Midi» ont été interpelés pour avoir chanté la même chanson devant le commissariat central de Toulouse en guise de protestation contre la condamnation du jeune homme.</p> <h3>Le rock et sa «Graine de violence» </h3> <p>Le «récitatif halluciné» d’Izïa Higelin s’inscrit aussi dans la culture rock, imprégnée de violence. Cela dit, ce n’est pas le rock qui est à la source de la violence. Elle sourd de la société étatsunienne où il est né. S’il existait auparavant, c’est à partir du film <i>Graine de violence </i>(titre original<i>: Blackboard Jungle</i>), réalisé par Richard Brooks, que le rock n’roll a commencé à se diffuser grâce au célèbre <i>Rock around the Clock </i>chanté par Bill Haley.</p> <p>Dans les pays de langue française, la violence rock a surgi sur la scène médiatique dès le début des années 1960. L’exemple le plus hirsute nous est offert par le concert de Vince Taylor, dans le contexte d’un festival international du rock, qui s’est tenu – enfin qui a tenté de se tenir! – au Palais des Sports de Paris, le 18 novembre 1961. <a href="https://journals.openedition.org/criminocorpus/4301?lang=de#ftn2%20" target="_blank" rel="noopener">Rappel des faits</a>:</p> <p><i>La salle est dévastée avant que Vince Taylor, en vedette, ne monte sur scène. Dans le public, des jeunes femmes et des jeunes hommes, blousons noirs ou sans blousons apparents, déboulonnent les sièges ou en arrachent quelques morceaux, s</i>’<i>en servent de projectiles, visent la scène et les forces de police. On veut se débarrasser de ces rangées de sièges encombrants, on veut créer de l</i>’<i>espace pour danser, on se bouscule, on se chamaille, on se bagarre, on veut aussi s</i>’<i>approcher des artistes en débordant le service de sécurité, et pourquoi pas braver au passage les forces de police qui commencent à frapper pour éviter que tout dégénère dans un lieu de concert qui devient arène. </i>Bis repetita placent<i>, car la première édition du 24 février avait elle aussi très mal tournée à l</i>’<i>issue de la prestation de Johnny Hallyday. Deux mots sont repris dans les médias: fanatisme et hystérie. Voici ce que l</i>’<i>on entend à la radio le 19 novembre 1961, le lendemain, dans </i>Interactualités<i>: «la police a dû intervenir en masse pour empêcher les fans – si vous préférez les fanatiques – de Monsieur Vince Taylor de tout massacrer; ce ne fut plus du délire, ce fut de l</i>’<i>hystérie».</i></p> <p>Horrifiés, les médias pour croulants (terme qui était utilisé par les vieux de maintenant pour qualifier ceux d’alors) vouent cette «musique de sauvages» aux gémonies. Le préfet de police parisien Maurice Papon, de triste mémoire, souhaite même l’interdiction des concerts de rock en France. Le rock devient le vecteur de la rage de vivre de toute une génération coincée dans des carcans moraux hérités du XIXème siècle. Une rage qui explosera en Mai-68. Vince Taylor payera cher les fauteuils brisés, poursuivant une carrière en dents de scie alors qu’il était promis à la gloire rockeuse. 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La fille de Jacques Higelin a tenté d’expliquer son sulfureux propos lors d’une interview donnée à <i>Ouest-France: </i><i></i></p> <p><i>«C'est une histoire, un liant improvisé et surréaliste entre deux titres, qui parle de tout et de rien et qu'il ne faut surtout pas prendre au premier degré.» </i>C’est ignorer qu’aujourd’hui l’usage intensif des réseaux ainsi, peut-être, qu’une certaine décérébration induite par près de septante ans de télévision à haute dose, ont tué le second degré. Dans un monde où la culture littéraire s’effiloche, on prend tout au pied de la lettre. Un pied qui fait boiter notre sens de l’humour.</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>D’origine mexicaine, la piñata est un objet creux fourré de friandise que les enfants tentent de casser au moyen de bâtons afin de s’emparer de son contenu, une fois à terre. Evidemment, comparer le président de la République à un objet creux plein de friandise, ce n’est pas très gentil. 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Composés de travailleurs étrangers communistes, les FTP-MOI constituent l’un des fers de lance de la guérilla urbaine que mène le PCF (Parti communiste français) contre l’occupant.</p> <h3>Arrêtés par la police parisienne</h3> <p>Manouchian et son groupe sont arrêtés le 16 novembre 1943 par les policiers français de la Brigade Spéciale No.2 chargée de mener la chasse aux résistants au sein de la Préfecture de Police de Paris. Sa femme Mélinée, que «l’Affiche rouge» rendra célèbre, parvient à s’échapper de justesse et sera cachée par la famille Aznavourian dont l’un des enfants est un certain Charles Aznavour.</p> <p>Après avoir été torturé, Missak Manouchian est livré à la <i></i>Geheime Feldpolizei<i> – </i>l’équivalent de la Gestapo pour la Wehrmacht – avec 22 autres membres de son groupe.</p> <p>Après une parodie de procès, les 23 sont condamnés à mort. 22, dont leur chef Missak Manouchian, seront fusillés au Mont-Valérien près de Paris le 21 février 1944. La seule femme du groupe, Olga Bancic, roumaine juive et communiste, sera guillotinée à Stuttgart le 10 mai de la même année, les nazis estimant sans doute qu’une femme n’avait pas droit à «l’honneur» d’être fusillée comme un combattant.</p> <h3>La propagande qui va à fin contraire</h3> <p>Juste avant d’être passés par les armes, Manouchian et dix autres condamnés sont photographiés. Les officiers de la Gestapo militaire les ont choisis en fonction de leurs patronymes aux consonances de toute évidence étrangères ou juives.</p> <p>Les Allemands les utiliseront pour créer une affiche de propagande destinée à séparer les «vrais Français» de ces «métèques» présentés comme des criminels. Elle deviendra la célèbre «Affiche rouge» qui aboutira à l’effet inverse du but recherché par la Geheime Feldpolizei. 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Ces héros faisaient trop d’ombre au patron du PCF, Maurice Thorez, qui avait passé la Seconde guerre mondiale à l’abri du Kremlin.</p> <p>Après la mort de Staline en 1953, le vent tourne. Par l’action des rescapés de la FTP-MOI, notamment les frères Raymond et Claude Lévy, la mémoire des fusillés au Mont-Valérien commence à être reconnue. Une rue du Groupe-Manouchian est inaugurée le 6 mars 1955 dans le XXème arrondissement de Paris. Claude Lévy invite Louis Aragon à cette occasion mais le poète séjourne alors en URSS. A son retour, il fait amende honorable: «Demandez-moi ce que vous voulez».</p> <p>Réponse de Claude Lévy: «Pourquoi pas un poème?» Ce sera chose écrite sous le titre «<a href="https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/louis-aragon/strophes-pour-se-souvenir/" target="_blank" rel="noopener">Strophes pour se souvenir</a>», l’un des poèmes les plus connus du recueil <em>Le Roman inachevé</em> qui paraîtra en 1956.</p> <h3>«Ils étaient vingt et trois»…</h3> <p>«Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent» écrit Aragon, englobant ainsi avec ses frères d’armes la seule femme du groupe, Olga Bancic, décapitée en Allemagne. Il donne aussi la parole à Missak Manouchian en s’inspirant de la dernière lettre du condamné à sa femme Mélinée ainsi que d’autres ultimes missives de résistants.</p> <p>En 1959, Léo Ferré met le poème en musique et change le titre: «L’Affiche rouge». C’est sous cet intitulé que la chanson et le poème d’Aragon seront connus désormais.</p> <h3>La chanson interdite sous de Gaulle</h3> <p>Comme rien n’est simple dans l’histoire de la Résistance, le pouvoir gaulliste a interdit la diffusion de «L’Affiche rouge» dès la sortie du disque en 1961. Ce qui, d’ailleurs, n’a pas manqué de lui assurer une belle publicité puisque les soixante-huitards auront ce chant superbe en tête lors de leurs manifs. Ce n’est qu’à l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée en 1981 que ce bâillon radiophonique a été enlevé.</p> <p>«Onze ans déjà que cela passe vite onze ans» versifie Aragon en 1955. Cela passe d’autant plus vite que le poète communiste n’a pas toujours été prompt à se battre pour la mémoire du Groupe Manouchian. Le journaliste et écrivain Jean-Paul Liégeois, spécialiste de la chanson française, rappelle cette anecdote dans un article paru en juin 1985 dans l’hebdomadaire socialiste <em>L’Unité</em>:</p> <p><i>«En 1953, les frères Claude et Raymond Lévy (…) obtiennent le prix Fénéon pour un manuscrit de dix nouvelles consacré à des histoires vraies de la Résistance. (…) Plusieurs éditeurs se proposent [de le] publier. Communistes, les frères Lévy choisissent les Editeurs français réunis. Patron de la maison, Aragon les reçoit et leur dit: "On ne peut pas laisser croire que la Résistance française a été faite comme ça, par autant d’étrangers. Il faut franciser un peu." Disciplinés, ils ont accepté.»</i></p> <p>Entre 1953 et 1955, l’ombre de Staline avait commencé à se faire un peu moins épaisse…</p> <h3>Quelle est la responsabilité du PCF dans l’arrestation des 23?</h3> <p>Une accusation plus grave a été portée contre la direction du PCF notamment par un témoignage de Mélinée Manouchian. Il figure dans le film de Serge Mosco Boucault, <em>Des terroristes à la retraite</em>, sorti en 1985 par la chaîne télévisée Antenne2. </p> <p>Il s’en est suivi une vive polémique sur l’éventuelle responsabilité du Parti communiste français dans l’arrestation de Missak Manouchian. L’un des passages de la dernière lettre du condamné à sa femme interpelle: </p> <p><i>«Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.»</i></p> <p>Adam Rayski, responsable de la section juive du PCF de 1941 à 1949, donne cet éclairage lors d’<a href="https://www.lhistoire.fr/qui-trahi-manouchian" target="_blank" rel="noopener">une interview</a> qu’il a accordée au mensuel <i>L’Histoire</i> en décembre 1985:</p> <p><i>«En mai 1943, devant le bilan des pertes des organisations juives, j'ai demandé le repli, le transfert de notre direction dans la zone Sud. Le Parti a refusé, qualifiant cette attitude de "capitularde". Le PC voulait continuer à frapper dans la capitale, avec ce qui restait son unique bras séculier: les FTP-MOI. Stratégiquement, la direction, pour affirmer sa suprématie vis-à-vis de Londres et du Conseil national de la Résistance, désirait capitaliser les actions d'éclat de la MOI. La direction nationale juive est partie </i>in extremis <i>pour Lyon, mais les FTP ont continué à lutter sur place avec acharnement. Le Parti a sous-estimé l'impératif de la guérilla urbaine – savoir décrocher – et a tiré un rendement politique maximum des coups d'éclat de la MOI. </i></p> <p><i>A terme, c'était donc bien une grave erreur politique. La part de responsabilité du PC dans les arrestations de résistants – dont les 23 de l'Affiche rouge – est indiscutable. Mais ne parlons pas à propos du Parti de trahison; ne parlons pas non plus d'abandon et encore moins de sacrifice prémédité.»</i></p> <p>Le 21 février 2024, Missak Manouchian ne sera pas seul à entrer eu Panthéon. Mélinée son épouse, résistante comme lui, l’accompagnera<sup><strong>1</strong></sup>. Ainsi que tous ceux qui ont donné «leur cœur avant le temps».</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Elle décède à Paris en 1989 à l’âge de 76 ans. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Stephan 20.02.2022 | 10h48
«Merci pour cet article, il est important de savoir a qui on a affaire.... »