Actuel / En Slovaquie, un populiste chasse l’autre
Le populiste conservateur Igor Matovič (ici avec la Présidente Zuzana Čaputova) remporte les élections législatives contre le populiste de gauche Robert Fico. © DR / OL'aNO
La sanction était annoncée, elle est tombée. Samedi 29 février, aux élections législatives, le parti au pouvoir depuis 14 ans en Slovaquie, le SMER-SD populiste et classé à gauche, a été balayé par OL’aNO, populiste aussi, mais classé à droite. Le SMER, incarné par l’ancien Premier ministre Robert Fico et le Premier ministre sortant Peter Pellegrini, réalise le plus mauvais score de son histoire: 18,2% et 38 sièges sur 150, 11 de moins qu’à l’issue du scrutin de 2016.
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Depuis deux ans, et le double assassinat du jeune journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová dans leur maison à 65 kilomètres de Bratislava, le paysage politique slovaque est en pleine recomposition. De gigantesques manifestations pacifiques et populaires se sont organisées partout dans le pays pour réclamer la démission du gouvernement, mouillé jusqu’au cou dans des affaires de corruption et de trafics en tous genres avec la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta. C’est sur ces affaires qu’enquêtait Ján Kuciak, ce sont ces affaires qui lui ont coûté la vie.
Robert Fico, poussé à la démission par la rue, avait été remplacé par son alter-ego Peter Pellegrini; cela n’a pas suffit à convaincre. Le SMER-SD («direction» - «sociale-démocratie») a payé ses liens avec la mafia et en particulier avec l’homme d’affaires sulfureux Marian Kocner, actuellement en procès, accusé d’être le commanditaire du double meurtre de février 2018, et condamné dans un autre dossier à 19 ans de prison pour fraude.
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Hommages à Ján Kuciak et Martina Kušnírová, Bratislava, mars 2018. © M. Céhère
Grand nettoyage
Les Slovaques votent tous les 4 ans pour renouveler le Parlement monocaméral, appelé Conseil national de la République slovaque, composé de 150 sièges. Le pays, de 5 millions d’habitants, indépendant et séparé de la République tchèque en 1993, membre de l’UE depuis 2004, et seul du groupe de Visegrád (Pologne, Tchéquie, Hongrie, Slovaquie) à avoir adopté la monnaie unique, en 2009, est en plutôt bonne santé économique, mais miné par la corruption des élites politiques et économiques.
Les mots d’ordre de cette campagne étaient donc «nettoyage» et «justice pour tous», sous-entendu, quels que soient le statut social et la fonction politique. Tous les partis d’opposition ont tenté de capitaliser sur ce thème et de récupérer, pour certains, le mouvement populaire du printemps 2018: la Présidente de la République, Zuzana Čaputová, avocate et militante anti corruption, avait été élue en mars 2019 dans cet élan. Il en résulte un paysage politique fragmenté. Avec un chiffre de participation record (65,8%), le scrutin du 29 février a aussi révélé les divisions internes à la société slovaque.
La répartition géographique des votes montre que le centre et surtout l’est du pays ont à nouveau choisi le SMER-SD. L’auteur et journaliste Arpad Soltész a très bien décrit la situation de l’est slovaque, une sorte de far-east obéissant à ses lois propres et sous influence mafieuse, dans le roman inspiré de faits réels Il était une fois dans l’Est (Agullo, 2019).
Plusieurs régions du sud, frontalières de la Hongrie, ont voté en majorité pour le parti de la minorité magyare, Most-Híd, mais ce dernier, totalisant moins de 5% des suffrages, sera cette fois absent du Parlement.
Le Parti Progressiste de la Présidente Čaputová, pourtant engagé en première ligne contre la corruption, rate aussi la marche, malgré le soutien quasi unanime des Slovaques de l’étranger.
Les observateurs craignaient surtout une victoire de l’extrême droite, et particulièrement du parti L’SNS («Notre Slovaquie») de Marian Kotleba, ouvertement anti Roms et s’appuyant sur des références à la Slovaquie fasciste et antisémite des années 1930-40. C’est plutôt le statu-quo. Le L’SNS arrive en troisième position avec un score équivalent à celui des précédents scrutins, près de 8%. L’extrême droite sera aussi représentée par 17 parlementaires élus sous l’étiquette Sme Rodina («Nous sommes une famille»).
Rappelons enfin que le «grand nettoyage» n’est fait qu’en surface. Le SMER-SD termine deuxième et ne quitte pas, loin s’en faut, l’arène politique.
Le millionnaire «ordinaire»
Igor Matovič, 46 ans, a été chargé par la Présidente de former un gouvernement. Son parti, OL’aNO («Les Gens ordinaires»), fondé en 2011, a créé la surprise - surprise renforcée par une nouvelle loi électorale qui interdit les sondages dans les 2 semaines précédant le scrutin - en remportant les élections et 53 sièges au Parlement.
Matovič est décrit par ses soutiens et par ses adversaires comme un champion de la communication capable de transformer un débat parlementaire en one-man-show. La presse slovaque rappelle qu’il est un self-made man millionnaire, ayant fait fortune dans l’édition de journaux de petites annonces, et qu’il a transféré tous ses biens sur les comptes bancaires de sa femme au moment de se lancer en politique.
Il s’est placé volontairement en dernière position de sa liste, en position non éligible, faisant le pari de devenir Premier ministre ou rien: c’est dire combien il feint de faire passer sa cause avant sa personne. «Il dirige OL’aNO comme un dictateur» confie un de ses anciens collaborateurs.
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En 10 ans d’existence, Matovič a fait d’OL’aNO le plus farouche adversaire du SMER. Méthodes de campagne musclées et spectaculaires, diffusion de fausses nouvelles, poursuites pour diffamation, Matovič passe pour un homme d’action et un politicien engagé. On se souvient de la sortie de Robert Fico pendant la campagne: «il donnerait même une interview à une caméra de surveillance».
Un homme décidément peu ordinaire à la tête du parti des gens ordinaires.
Igor Matovič doit en partie sa victoire à ses stratégies médiatiques. © DR / OL'aNO
Pour venir à bout de la corruption en Slovaquie, Matovič entend durcir les peines de prison en cas de condamnation pour ce motif et introduire une responsabilité matérielle personnelle des politiques. Sa dernière trouvaille n’a pourtant pas fait l’unanimité: créer une unité de lutte anti corruption au sein même du nouveau gouvernement, adossée à un fonds pour soutenir le journalisme d’investigation. Le Centre d’Investigation Ján Kuciak, une ONG qui se consacre à la révélation des conflits d’intérêt entre les politiques et la mafia, a annoncé sur les réseaux sociaux qu'il appréciait le geste mais refusait d'y participer, au nom même de l’indépendance de la presse.
Le programme d’OL’aNO, affilié au PPE, la droite européenne, europhile et conservateur, n’était guère plus étoffé.
A ce stade, les analystes politiques slovaques rappellent que la lutte contre la corruption, si louable qu’elle soit, ne fait pas un démocrate. Méfions-nous de nos œillères d’Européens de l’ouest. Le discours de Matovič, une rhétorique anti-système bien rodée («tous pourris»), est très conservateur sur les sujets de société, avec, notamment, le projet d'interdire l’union civile aux couples de même sexe.
D’autant qu’avec 25% des voix, OL’aNO ne dispose pas d’une majorité au Parlement. Les négociations pour former une coalition avancent. Le parti victorieux a fermement refusé la main tendue du SMER («on ne discute pas avec la mafia»). Il devrait faire alliance avec deux partis libéraux conservateurs, et surtout confirmer son orientation droitière en s’associant avec Sme Rodina, une formation proche du Rassemblement National à Strasbourg.
La victoire d’OL’aNO est peut-être le début de la fin de la corruption endémique qui pourrit la Slovaquie. On ne peut que le souhaiter. C’est d’abord, pour le moment, une victoire de circonstance du populisme conservateur, de la communication et de la culture du scandale médiatique.
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Le pays, de 5 millions d’habitants, indépendant et séparé de la République tchèque en 1993, membre de l’UE depuis 2004, et seul du groupe de Visegrád (Pologne, Tchéquie, Hongrie, Slovaquie) à avoir adopté la monnaie unique, en 2009, est en plutôt bonne santé économique, mais miné par la corruption des élites politiques et économiques. </p> <p>Les mots d’ordre de cette campagne étaient donc «nettoyage» et «justice pour tous», sous-entendu, quels que soient le statut social et la fonction politique. Tous les partis d’opposition ont tenté de capitaliser sur ce thème et de récupérer, pour certains, le mouvement populaire du printemps 2018: la Présidente de la République, Zuzana Čaputová, avocate et militante anti corruption, avait été élue en mars 2019 dans cet élan. Il en résulte un paysage politique fragmenté. 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L’auteur et journaliste Arpad Soltész a très bien décrit la situation de l’est slovaque, une sorte de <em>far-east</em> obéissant à ses lois propres et sous influence mafieuse, dans le roman inspiré de faits réels <em>Il était une fois dans l’Est</em> (Agullo, 2019). </p> <p>Plusieurs régions du sud, frontalières de la Hongrie, ont voté en majorité pour le parti de la minorité magyare, Most-Híd, mais ce dernier, totalisant moins de 5% des suffrages, sera cette fois absent du Parlement. </p> <p>Le Parti Progressiste de la Présidente Čaputová, pourtant engagé en première ligne contre la corruption, rate aussi la marche, malgré le soutien quasi unanime des Slovaques de l’étranger. </p> <p>Les observateurs craignaient surtout une victoire de l’extrême droite, et particulièrement du parti L’SNS («Notre Slovaquie») de Marian Kotleba, ouvertement anti Roms et s’appuyant sur des références à la Slovaquie fasciste et antisémite des années 1930-40. C’est plutôt le statu-quo. 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