Actuel

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</p><p>Il est vrai que le sort de cette coupure est pour le moins paradoxal. Elle est toujours plus demandée, comme le montrent les statistiques de circulation des billets de banque de la Banque nationale, qui les émet et est la très attentive gardienne de leur valeur. Il paraît que les gens continuent d'acheter voitures, bijoux, voire de régler leurs factures au guichet de la poste par ce moyen. Et pourtant, les gens ne sont pas plus fortunés qu'avant. C'est même plutôt le contraire: les salaires stagnent, les charges obligatoires augmentent, les fins de mois s'amaigrissent.
</p><h3>Riches et pauvres
</h3><p>Aux abois, les gens cherchent toutes sortes de petites économies. On réduit la facture de téléphone portable en passant de Swisscom à Salt, on multiplie les cartes Cumulus, et on ferme son compte d'épargne, dont les frais grandissants ont dépassé depuis longtemps les maigres intérêts qu'ils rapportent. Le billet de mille devient une réserve de valeur bon marché puis qu'il suffit de le stocker dans un coin bien caché. C'est, en fait, l'épargne du pauvre.
</p><p>Et celle du riche aussi, surtout lorsqu'il ne veut pas trop que le fisc ou la police ne sachent combien il a gagné (et comment), combien il possède et comment il dépense. On peut encore payer jusqu'à 100'000 francs en cash, en Suisse, alors que la limite n'est que de quelques milliers d'euros dans les pays voisins. Cette limite devrait bientôt s'abaisser à 20'000 francs, sous la pression des gendarmes internationaux, mais même là, on pourra encore brandir vingt gros billets pour acheter une belle montre sans que le caissier ne s'émeuve.
</p><h3>Omniprésent téléphone
</h3><p>Mais l'adversaire de la grosse coupure avance sournoisement. Il s'infiltre dans les poches des gens et infecte leurs habitudes de paiement. Pourquoi? Il est encore plus universel que l'usage du gros billet. Son nom? Le téléphone portable. D'abord simple instrument de communication, puis de valorisation de l'ego (<a href="https://bonpourlatete.com/actuel/o-smartphone-dis-moi-qui-est-la-plus-belle">par ses photos, ses vidéos, ses réseaux sociaux</a>), il prend progressivement la place du porte-monnaie. On paye désormais à la caisse du supermarché avec lui. On vire de l'argent avec lui. On stocke, même, parfois, de l'argent dans ses entrailles. Initié par les cryptomonnaies, à commencer par le bitcoin, ce mouvement s'étend aux monnaies classiques, dont le franc.
</p><p>Certes, dans le public, payer par téléphone est encore moins fréquent que de sortir un billet de mille, tant s'en faut. Mais le changement risque d'aller vite. En Suède, l'usage du liquide a presque complètement disparu. Certains commerces scandinaves n'acceptent déjà plus que les paiements électroniques!
</p><h3>Les petits profits
</h3><p>Les commerces, les services, et même l'Etat font tout pour accélérer le mouvement. Il leur en coûte bien moins compliqué, donc plus sûr et moins cher, d'encaisser le produit de leurs ventes ou les impôts de manière scripturales plutôt que de brasser des sommes de pièces et billets! Les banques ont été les premières à initier le mouvement en diffusant à large échelle les cartes de débit. Avec un argument-maître auprès des commerçants qui leur paient des commissions pour chaque utilisation de la petite boîte qui remplace les caisses enregistreuses: moins de manipulations de billets et pièces, égale moins de risques d'erreur, moins de danger de braquage, et donc, au final, moins de frais. Tous les commerçants, cependant, ne semblent pas s'y retrouver. Surtout les plus petits, assommés par les commissions exigées par ces mêmes banques pour l'emploi de ces machines qui remplacent insidieusement les caisses enregistreuses, au risque de se faire marginaliser peu à peu par une clientèle toujours plus adepte d'électronique.
</p><h3>Méfiance, méfiance
</h3><p>L'un des grands gagnants est évidemment l'Etat. Les transactions électroniques sont plus faciles à surveiller, et donc à taxer, que les opérations de caisse et le coulage qui va avec. Il n'est ainsi pas surprenant que le pays où l'argent liquide tend à disparaître est celui dans lequel les citoyens expriment la confiance la plus élevée envers leur administration: la Suède. Et qu'au contraire, lorsque l'on veut payer par carte en Italie, la petite machine tombe mystérieusement en panne...
</p><p>Par son amour de l'électronique, du paiement par mobile, de la généralisation des petites boîtes de paiement par carte qui fonctionnent partout et son avant-gardisme autoproclamé, la Suisse se veut ainsi le pendant de la Suède – du reste, ne confond-on pas les deux pays, dans le reste du monde? – Mais mesurée à son amour du gros billet, elle confirme une évidence géographique: elle est très proche de l'Italie, de la méfiance envers l'Etat et, plus sournoisement, des banques.</p><p></p><hr><p></p><h2>A lire également:</h2><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/le-bitcoin-ne-sera-bientot-plus-une-monnaie-speculative">Le bitcoin ne sera bientôt plus une monnaie spéculative</a></em> - Yves Genier</p><p><em><a href="https://bonpourlatete.com/actuel/la-suisse-en-pointe-sur-la-nebuleuse-des-cryptomonnaies">La Suisse en pointe sur la nébuleuse des cryptomonnaies</a> </em>- Eugénie Rousak</p>',
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<h3>Pr&eacute;c&eacute;dents dans le Golfe</h3>
<p>La question de l&rsquo;utilisation des avoirs gel&eacute;s est aussi ancienne que les sanctions elles-m&ecirc;mes. D&egrave;s les premiers jours de la guerre, il a sembl&eacute; clair pour de nombreux experts et d&eacute;cideurs occidentaux que les centaines de milliards de dollars appartenant &agrave; la Russie ne seraient jamais retourn&eacute;s au gouvernement responsable de la guerre, et pour cause: en septembre dernier, une estimation conjointe de la Banque mondiale, de la Commission europ&eacute;enne et du gouvernement ukrainien &eacute;valuait les co&ucirc;ts de reconstruction des infrastructures &agrave; 349 milliards de dollars. Lors de la Conf&eacute;rence de Lugano de l&rsquo;&eacute;t&eacute; dernier, Kiev avait m&ecirc;me pr&eacute;sent&eacute; une facture de 750 milliards, incluant les pertes &eacute;conomiques imputables &agrave; la guerre. Depuis lors, les missiles et les obus ont continu&eacute; de pleuvoir, faisant exploser la facture.</p>
<p>Parall&egrave;lement, les avoirs publics russes bloqu&eacute;s en Occident d&eacute;passent 300 milliards de dollars, essentiellement sous la forme de r&eacute;serves de change de la banque centrale russe (316 milliards au 31 d&eacute;cembre 2021). En octobre dernier, le <a href="https://fsi.stanford.edu/working-group-sanctions" target="_blank" rel="noopener">Groupe de travail international sur les sanctions russes</a>&nbsp;publiait un papier justifiant leur confiscation en fonction d&rsquo;une interpr&eacute;tation du droit international appliqu&eacute;e pr&eacute;c&eacute;demment lors de la premi&egrave;re guerre du Golfe, lors de la reconstruction du Koweit, sur la r&eacute;solution de l&rsquo;Assembl&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale de l&rsquo;ONU d&rsquo;un retrait imm&eacute;diat de l&rsquo;arm&eacute;e russe d&rsquo;Ukraine et sur un jugement de la Cour internationale de justice exigeant l&rsquo;arr&ecirc;t imm&eacute;diat des op&eacute;rations militaires. Dans plusieurs Etats (pays du G7, Union europ&eacute;enne notamment), des m&eacute;canismes juridiques sont graduellement mis en place pour permettre ces confiscations.</p>
<h3>Proches de Poutine et profiteurs de guerre</h3>
<p>La question des avoirs priv&eacute;s est autrement plus complexe: un citoyen, une entit&eacute; russe ne peut pas &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme responsable de la guerre. Ses avoirs doivent par cons&eacute;quent &ecirc;tre pr&eacute;serv&eacute;s. Il en va diff&eacute;remment pour les personnes dont la responsabilit&eacute; est directement et concr&egrave;tement engag&eacute;e. L&rsquo;on pense au chef des milices Wagner, engag&eacute;es dans les combats sur le front du Donbass, le milliardaire Evgueni Prigojine, du premier cercle autour de Vladimir Poutine.</p>
<p>On peut aussi inclure des exemples moins &eacute;vidents mais sanctionn&eacute;s quand m&ecirc;me comme Alisher Usmanov, qui a &laquo;activement soutenu mat&eacute;riellement et financi&egrave;rement les responsables russes de l&rsquo;annexion de la Crim&eacute;e et de la d&eacute;stabilisation de l&rsquo;Ukraine et qui en a activement soutenu la politique&raquo;, comme l&rsquo;indique sa fiche sur la liste des sanctions publi&eacute;e par le Secr&eacute;tariat d&rsquo;Etat &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie (Seco). C&rsquo;est un des milliardaires russes qui a particuli&egrave;rement appr&eacute;ci&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre bas&eacute; en Suisse, notamment par l&rsquo;utilisation de soci&eacute;t&eacute;s et de trusts et par ses relations avec 27 banques suisses dont Cr&eacute;dit Suisse et Julius Baer.</p>
<h3>Opposition des banques</h3>
<p>Les banques n&rsquo;ont &eacute;videmment aucun int&eacute;r&ecirc;t &agrave; ce que les avoirs de personnes sanctionn&eacute;es soient confisqu&eacute;s. Cela d&eacute;molirait l&rsquo;image s&eacute;culaire d&rsquo;une Suisse coffre-fort de toutes les fortunes mondiales, bien ou mal acquises. L&rsquo;un de leurs meilleurs arguments de vente pour attirer des grandes fortunes du monde entier se verrait d&eacute;cr&eacute;dibilis&eacute; instantan&eacute;ment. D&rsquo;o&ugrave; leur lobbyisme attentif au Palais f&eacute;d&eacute;ral pour &eacute;viter toute saisie d&rsquo;avoirs gel&eacute;s. Et s&rsquo;&eacute;pargner tout effort s&eacute;rieux pour aider les autorit&eacute;s &agrave; identifier les avoirs de leurs clients mis sous sanctions, ce qui a contribu&eacute; &agrave; ce que 7 milliards de francs seulement ont &eacute;t&eacute; trouv&eacute;s.</p>
<p>Le Conseil f&eacute;d&eacute;ral reste n&eacute;anmoins prudent: il sait, depuis la fin du secret bancaire, qu&rsquo;il est moins pire de dire &laquo;non&raquo; aux banques qu&rsquo;aux grands pays voisins. Aussi, il a &laquo;pris note&raquo; du caract&egrave;re illicite, &agrave; la lumi&egrave;re du droit actuel, d&rsquo;une confiscation des avoirs priv&eacute;s, ainsi que le pr&eacute;sentait son groupe de travail. Mais il ne ferme pas la porte &agrave; une &eacute;volution de ce m&ecirc;me droit. Si, par exemple, les Etats-Unis et l&rsquo;Union europ&eacute;enne se d&eacute;cidaient &agrave; quand m&ecirc;me utiliser la fortune personnelle des richissimes Russes sanctionn&eacute;s pour financer la reconstruction de l&rsquo;Ukraine, on n&rsquo;imagine pas qu&rsquo;il attendrait tr&egrave;s longtemps pour faire de m&ecirc;me. Quoi qu&rsquo;en disent les banques.</p>',
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		'content' => '<p>On allait voir ce qu&rsquo;on allait voir: lors de sa nomination comme Premier ministre britannique le 5 septembre dernier, Liz Truss arrivait au 10, Downing Street bard&eacute;e de certitudes ultra-lib&eacute;rales: baisses massives d&rsquo;imp&ocirc;ts, d&eacute;r&eacute;glementations, et d&eacute;penses accrues pour faire face &agrave; la crise de l&rsquo;&eacute;nergie. Et comme on l&rsquo;a vu, en moins d&rsquo;un mois de direction effective du pays, elle a d&ucirc; prendre la porte la queue entre les jambes, d&eacute;faite par la vive r&eacute;action des march&eacute;s financiers qu&rsquo;elle pr&eacute;tendait servir.</p>
<h3>Oups, ce n'&eacute;tait pas pr&eacute;vu</h3>
<p>On allait voir ce qu&rsquo;on allait voir. Lorsqu&rsquo;il a lanc&eacute; ses troupes &agrave; l&rsquo;assaut de l&rsquo;Ukraine le 24 f&eacute;vrier dernier, Vladimir Poutine &eacute;tait certain que l&rsquo;affaire serait r&eacute;gl&eacute;e en trois jours, avec des troupes accueillies en triomphe dans les rues de Kyiv, de Kharkiv et d&rsquo;ailleurs, &eacute;crasant moralement, au passage, ces d&eacute;cadents d&rsquo;Occidentaux. Presque neuf mois plus tard, son arm&eacute;e a essuy&eacute; trois retraites dont une d&eacute;bandade, elle est embourb&eacute;e dans le Donbass, la Russie est au ban des pays riches et son dictateur est m&ecirc;me priv&eacute; de pr&eacute;sence au G20, le club des puissants. Rattrap&eacute; par la faiblesse de son arm&eacute;e et de son pays et par les capacit&eacute;s de mobilisation de ses adversaires pr&eacute;tendument incapables du moindre geste s&eacute;rieux.</p>
<p>On allait voir ce qu&rsquo;on allait voir. Lorsqu&rsquo;il lance ses candidats &agrave; l&rsquo;assaut du Congr&egrave;s et des divers postes &agrave; responsabilit&eacute; dans les Etats lors des &eacute;lections de mi-mandat le 8 novembre aux Etats-Unis, Donald Trump fait dans l&rsquo;emphase qu&rsquo;on lui conna&icirc;t. Il jure qu'une &laquo;vague rouge&raquo; va d&eacute;ferler sur les Etats-Unis. Que cette &laquo;vague&raquo; r&eacute;publicaine sera l'expression de la volont&eacute; du bon peuple am&eacute;ricain de balayer les &eacute;lites corrompues de Washington et d&rsquo;ailleurs. Et que la vraie Am&eacute;rique, la sienne, reviendra au pouvoir, avec lui &agrave; sa t&ecirc;te naturellement. Les &eacute;lecteurs en ont d&eacute;cid&eacute; autrement, se pronon&ccedil;ant au contraire pour un partage du pouvoir entre les deux principales forces politiques du pays et lan&ccedil;ant un appel au consensus et &agrave; l&rsquo;apaisement. Les &eacute;lecteurs n&rsquo;ont de toute &eacute;vidence pas accept&eacute; qu&rsquo;on leur force ainsi la main.</p>
<h3>La fin de l'homme fort?</h3>
<p>Ces trois exemples d&rsquo;&eacute;checs qui ont eu la plan&egrave;te enti&egrave;re pour t&eacute;moin sont les derniers d&eacute;veloppements de l&rsquo;effondrement des visions, des strat&eacute;gies et des croyances lorsqu&rsquo;elles r&eacute;sultent de l&rsquo;aveuglement de leurs initiateurs et non pas de la r&eacute;alit&eacute; des faits. Liz Truss voulait d&eacute;fier les lois de l&rsquo;&eacute;conomie, l&rsquo;&eacute;conomie l&rsquo;a rappel&eacute;e &agrave; l&rsquo;ordre. Vladimir Poutine voulait montrer qu&rsquo;il &eacute;tait le plus fort, et le rapport de force s&rsquo;est r&eacute;v&eacute;l&eacute; &agrave; lui. Donald Trump croyait pouvoir dicter les choix des &eacute;lecteurs am&eacute;ricains. Et ces derniers lui ont rappel&eacute; que ce sont les urnes, et pas lui, qui commandent.</p>
<p>Les trois dirigeants ont cru que l'id&eacute;ologie pouvait supplanter les valeurs d&eacute;mocratiques ou les lois du march&eacute;. Ils ont cru &agrave; l'aphorisme selon lequel les probl&egrave;mes compliqu&eacute;s ne pouvaient &ecirc;tre r&eacute;solus que par des solutions simplistes. Ils ont cru &agrave; leur propres promesses. Ils ne sont &eacute;videmment pas les seuls &agrave; s'&ecirc;tre laiss&eacute;s aveugler par leur propre puissance! Que dire de Ja&iacute;r Bolsonaro, qui a cru qu'il suffisait d'insulter et de menacer ses adversaires sur les r&eacute;seaux sociaux pour remporter une &eacute;lection pr&eacute;sidentielle au Br&eacute;sil? De Sam Bankman-Fried, qui croyait qu'il suffisait d'accabler un concurrent pour sauver sa plateforme de n&eacute;goce des cryptomonnaies FTX de la faillite d&eacute;but novembre? D'Urs Rohner, qui pr&eacute;sumait de la force de Cr&eacute;dit Suisse qu'il a pr&eacute;sid&eacute;, au point de d&eacute;courager les vrais contr&ocirc;les de risque internes, au point de plonger la banque dans une crise profonde en octobre?</p>
<p>Leurs &eacute;checs marquent-ils celui de l'id&eacute;ologie de l'homme fort (ou de la femme aux id&eacute;es fortes)?&nbsp; Rien n'est moins s&ucirc;r. La plan&egrave;te compte de nombreux dictateurs ou dirigeants autoritaires que rien ne semble vouloir faire partir, comme Xi Jinping ou Recep Tayip Erdogan. Mais les revers plan&eacute;taires de Madame Truss et de MM. Poutine et Trump ont montr&eacute; que les peuples, lorsqu'ils ont le choix, ne se laissent pas emporter par leurs arguments simplistes. Les peuples, quand ils peuvent s'exprimer, sont d'abord demandeurs de solutions concr&egrave;tes &agrave; leurs probl&egrave;mes. Ils sont attach&eacute;s &agrave; la pr&eacute;servation de leurs droits d&eacute;mocratiques et &agrave; la paix. Ils ne veulent pas des slogans arrogants et d&eacute;connect&eacute;s des r&eacute;alit&eacute;s de la vie.</p>
<p>Madame Truss, MM. Poutine et Trump, et tous leurs partisans et suiveurs, nous vous souhaitons un retour sur Terre pas trop douloureux.</p>',
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		'content' => '<p>On allait voir ce qu'on allait voir. Le premier samedi soir de la guerre d'agression russe en Ukraine, le 26 f&eacute;vrier, la Maison-Blanche communiquait sa volont&eacute;, et celle de ses alli&eacute;s britanniques, allemands, fran&ccedil;ais, italiens, canadiens et de l'Union europ&eacute;enne, de &laquo;cr&eacute;er un groupe de travail transatlantique charg&eacute; de s'assurer de la bonne application des sanctions financi&egrave;res en identifiant et en gelant les actifs des individus et des entreprises bas&eacute;s dans nos juridictions&raquo;.</p>
<p>Et quelques lignes en-dessous, le communiqu&eacute; pr&eacute;cisait: &laquo;nous allons engager d'autres gouvernements&raquo;. Lisez: ceux des pays qui ont massivement accueilli des fortunes de milliardaires russes, dont, &eacute;videmment, la Suisse, Chypre, les Emirats arabes unis et quelques autres paradis fiscaux.</p>
<h3>Faire parler la carpe</h3>
<p>Chacun a bien compris la port&eacute;e de la charge lanc&eacute;e &agrave; toute vapeur dans la stupeur et la col&egrave;re des premiers jours du conflit. La dynamique cr&eacute;&eacute;e par la rupture de l'ordre international est de celle qui a le potentiel de se transformer en &laquo;game changer&raquo;, c'est-&agrave;-dire de modifier durablement les r&egrave;gles du jeu. Comme celle des attentats du 11-Septembre, qui ont abouti &agrave; la criminalisation internationale de l'argent du terrorisme, ou celle de la crise financi&egrave;re de 2008, qui a d&eacute;bouch&eacute;, comme les banquiers suisses le savent, sur la disparition du secret bancaire pour les questions fiscales.</p>
<p>En clair: pour traquer les secrets financiers de Vladimir Poutine et des pr&egrave;s de 900 autres personnes cibl&eacute;es par les sanctions occidentales, il faut commettre ce qui n'avait jamais &eacute;t&eacute; s&eacute;rieusement tent&eacute; jusqu'ici: s'enfoncer dans la jungle des soci&eacute;t&eacute;s offshore, trusts, fondations, soci&eacute;t&eacute;s de domicile, &laquo;limited partnerships&raquo; et autres. D&eacute;m&ecirc;ler les cachotteries des avocats, des notaires, des fiduciaires et des hommes et femmes de paille. Amener les banquiers &agrave; parler. Et donc, convaincre des professions enti&egrave;res de passer &agrave; table alors qu'elles avaient jusqu'ci fermement tout mis en &oelig;uvre pour surtout ne pas le faire, en employant une arme redoutable: convaincre leurs gouvernements qu'ils avaient plus &agrave; perdre qu'&agrave; gagner en les obligeant &agrave; la transparence. Autant amener une carpe &agrave; parler.</p>
<h3>Des yachts saisis, mais...</h3>
<p>Pourtant, la dynamique de &laquo;per&ccedil;age de coffres&raquo; a &eacute;t&eacute; confirm&eacute;e le 11 mars lorsque le G7 (les m&ecirc;mes pays que ceux ci-dessus, plus le Japon) et l'Australie annon&ccedil;aient avoir &laquo;rendu op&eacute;rationnel&raquo; le groupe de travail annonc&eacute; le 26 f&eacute;vrier. Baptis&eacute; REPO, pour Russian Elites, Proxies, and Oligarchs multilateral task force, il a explicitement pour but de &laquo;recueillir et partager les informations permettant de d&eacute;clencher des actions concr&egrave;tes, dont des sanctions, des gels d'avoirs et des saisies civiles et p&eacute;nales d'actifs ainsi que des poursuites judiciaires&raquo;, selon un communiqu&eacute; du Tr&eacute;sor am&eacute;ricain du 17 mars.</p>
<p>Depuis lors, le travail avance. A quel rythme? C'est l&agrave; que les choses se compliquent. Des yachts d'oligarques ont &eacute;t&eacute; saisis, certes. Des villas somptueuses ont &eacute;t&eacute; confisqu&eacute;es, certes. Des comptes en banques et autres actifs financiers ont &eacute;t&eacute; gel&eacute;s pour un total de quelques milliards de francs, certes. Mais nombre d'autres yachts ont pu fuir et se r&eacute;fugier qui en Turquie, qui aux Emirats, aux Seychelles ou aux Maldives (voire dans l'enclave russe de Kaliningrad pour l'un des navires personnels de Vladimir Poutine). Et des fortunes consid&eacute;rablement plus &eacute;lev&eacute;es continuent d'&eacute;chapper aux enqu&ecirc;teurs. De quelle ampleur? Myst&egrave;re. Les seuls avoirs de Vladimir Poutine ont fait l'objet d'estimations de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars. Pour donner une id&eacute;e: la Suisse a annonc&eacute; le blocage de 5,7 milliards de francs. Or, la fortune d&eacute;tenue par des personnes russes dans les banques suisses est estim&eacute;e entre 150 et 200 milliards.</p>
<h3>Des peines de prison</h3>
<p>La premi&egrave;re difficult&eacute; est de recueillir l'information. Or, celle-ci est dispers&eacute;e &agrave; l'extr&ecirc;me entre des administrations qui ne sont pas forc&eacute;ment outill&eacute;es pour appliquer des sanctions &ndash; comme les registres fonciers &ndash; et qui sont parfois en concurrence les unes avec les autres. Pour recueillir l'information, il faut aussi amener les gens &agrave; parler. Ainsi, la Suisse &ndash; qui a annonc&eacute; sa collaboration &agrave; cette qu&ecirc;te internationale &ndash; pr&eacute;voit, dans ses lois, qu'il est du devoir des banques et autres gardiens d'actifs de signaler aux autorit&eacute;s ceux qui sont susceptibles de tomber sous le coup des sanctions.</p>
<p>Mais comment v&eacute;rifier que toute la v&eacute;rit&eacute; est dite? La Loi sur les embargos pr&eacute;voit des amendes, voire des peines de prison pour les &laquo;cas graves&raquo;, ce qui peut amener plus d'un banquier ou agent fiduciaire &agrave; s'ex&eacute;cuter. Mais les avocats font de la r&eacute;sistance. Certains d'entre eux contestent toute contrainte &agrave; parler et s'abritent derri&egrave;re leur secret professionnel, une disposition instaur&eacute;e pour prot&eacute;ger les droits de la d&eacute;fense lors de proc&egrave;s. En recourant &agrave; cette excuse, ils admettent implicitement que leurs clients sont susceptibles d'&ecirc;tre des criminels!</p>
<h3>R&eacute;v&eacute;lations en cha&icirc;ne</h3>
<p>Le second obstacle vient des gouvernements eux-m&ecirc;mes. Plus les fortunes qu'ils devront geler ou saisir seront &eacute;lev&eacute;es, plus leur responsabilit&eacute; implicite dans l'accueil des milliards de Vladimir Poutine et de ses amis sera &eacute;clatante. Pas bon pour l'image. Mais il y a pire: l'entreprise de per&ccedil;age de secrets russes risque fort d'aboutir &agrave; des r&eacute;v&eacute;lations fort d&eacute;sagr&eacute;ables pour les ma&icirc;tres de l'opacit&eacute; financi&egrave;re. Les oligarques russes n'ont pas fait des affaires seuls dans leur coin: ils avaient n&eacute;cessairement d'innombrables partenaires d'autres pays, &agrave; commencer par les Occidentaux.</p>
<p>Aussi, en r&eacute;v&eacute;lant les secrets de tel milliardaire russe, ce sont ceux de beaucoup d'autres milliardaires des pays du G7 et de leurs partenaires dans cette traque (dont la Suisse), de leurs banques, de leurs avocats, de leurs fiduciaires, de leurs hommes de paille qui vont &ecirc;tre mis au jour. Ce sont des m&eacute;canismes entiers de dissimulation qui seront r&eacute;v&eacute;l&eacute;s, jetant une lumi&egrave;re crue sur des d&eacute;cennies de construction minutieuse du secret.</p>
<h3>Trusts am&eacute;ricains, partnerships britanniques</h3>
<p>A ce jeu, la Suisse n'est m&ecirc;me pas le pays qui a le plus &agrave; perdre: c'est d&eacute;j&agrave; fait, avec l'&eacute;ventement du secret bancaire. Le Royaume-Uni &ndash; Londongrad commence &agrave; en prendre pour son grade &ndash; est beaucoup plus expos&eacute;, en incluant ses d&eacute;pendances que sont ces perles de l'industrie offshore comme les Iles Vierges britanniques (BVI), les Iles Ca&iuml;man, les Iles Anglo-normandes, l'&icirc;le de Man, la City, et toutes leurs juridictions faiseuses de secrets comme l'&laquo;international business company&raquo; des BVI ou encore le &laquo;scottish limited partnership&raquo;. Sans m&ecirc;me parler des trusts de certains Etats am&eacute;ricains, comme celui, fameux, du Dakota du Sud, ou la soci&eacute;t&eacute; &agrave; responsabilit&eacute; limit&eacute;e du Delaware. La &laquo;chasse aux milliards&raquo; risque aussi de jeter un peu trop de clart&eacute;, au go&ucirc;t de certains, sur les liens de d&eacute;pendance financi&egrave;re qui peuvent unir des pays comme les &icirc;les Marshall, ancienne colonie am&eacute;ricaine dans le Pacifique, les Seychelles ou encore les Emirats arabes unis avec les grandes places de Londres et de New York.</p>
<p>Les promoteurs occidentaux de la traque des actifs financiers des amis de Vladimir Poutine risquent donc de se prendre &agrave; leur propre pi&egrave;ge de la transparence. Par cons&eacute;quent, si cette qu&ecirc;te prend du temps, ce ne sera pas uniquement &agrave; cause de l'&eacute;paisse couche de secret &agrave; percer. Mais aussi, vraisemblablement, en raison du co&ucirc;t &eacute;lev&eacute; que cela aura pour les promoteurs de cette transparence nouvelle, les Etats. A moins, &eacute;videmment, que la guerre ne prenne fin avant que toute la lumi&egrave;re puisse &ecirc;tre faite sur les zones d'ombre de la finance offshore des milliardaires russes et de leurs innombrables partenaires et amis occidentaux. Ce qui arrangerait pas mal de monde.</p>',
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		'content' => '<p>Sur le terrain les choses semblent dites: face aux chars, missiles et jets dernier cri de l'arm&eacute;e russe et ses pass&eacute; 130'000 hommes lanc&eacute;s &agrave; l'assaut, l'Ukraine n'a gu&egrave;re de chances de r&eacute;sister. Tous les experts l'accordent. Mais il est un autre terrain o&ugrave; le rapport de force n'est pas aussi favorable &agrave; Moscou, celui de l'&eacute;conomie. Quoiqu'en dise le Kremlin, ses supporters et ses clients.</p>
<p>La Russie est un grand pays, la douzi&egrave;me puissance &eacute;conomique mondiale si on la mesure par le produit int&eacute;rieur brut (PIB), l'indicateur le plus couramment employ&eacute; en d&eacute;pit de ses imperfections. Dans une analyse parue mercredi dans <em>L'Agefi</em>, et <a href="https://bonpourlatete.com/debat/l-ukraine-et-les-precedents-du-golan-et-du-kosovo" target="_blank" rel="noopener">ce jour dans <em>BPLT</em></a>, Guy Mettan a raison d'affiner ce constat en l'ajustant &agrave; la parit&eacute; de pouvoir d'achat, qui rehausse encore la puissance &eacute;conomique du pays, soulign&eacute;e aussi par l'immensit&eacute; de son territoire et de ses ressources technologiques et en mati&egrave;res premi&egrave;res. Le monde l'a bien compris, qui a port&eacute; le baril de brut au-del&agrave; de 100 dollars, et le boisseau de bl&eacute; le niveau record de 9,26 dollars le boisseau (25 kilos), sit&ocirc;t la nouvelle de l'agression de l'arm&eacute;e russe connue jeudi matin.</p>
<p>Qui, plus est, la Russie jouit d'une situation macro&eacute;conomique et financi&egrave;re plus saine que la moyenne des pays d&eacute;velopp&eacute;s. La balance commerciale est b&eacute;n&eacute;ficiaire (26,7 milliards de dollars), la dette publique est extr&ecirc;mement basse par rapport aux pays d&eacute;velopp&eacute;s (17,6% du PIB), les r&eacute;serves de change sont tr&egrave;s &eacute;lev&eacute;es (630,2 milliards de dollars). Les experts s'accordent depuis longtemps &agrave; dire que si le pays &eacute;tait exclu du syst&egrave;me interbancaire SWIFT, comme l'envisagent tr&egrave;s s&eacute;rieussement les Etats-Unis et les Europ&eacute;ens, le syst&egrave;me bancaire domestique pourrait compter sur un syst&egrave;me alternatif, SPFS (System for Transfer of Financial Messages), mis en place depuis 2016. Dire que la Russie est un colosse qui ne se laisse pas facilement impressionner tient du truisme.</p>
<h3>Faiblesses structurelles</h3>
<p>Un colosse aux pieds d'argile, pour reprendre la vieille image. Une fragilit&eacute; qui r&eacute;duit fortement ses chances de soutenir un effort de guerre sur la dur&eacute;e Les march&eacute;s financiers en sont bien conscients: les bourses et la monnaie russes ont chut&eacute; bien davantage que leurs homologues occidentales lors du premier jour de la guerre. Si le rouble &eacute;tait une monnaie-refuge, cela se saurait!</p>
<p>La principale ressource du pays est la vente de p&eacute;trole et de gaz. Or, les principaux clients sont ces fameux Europ&eacute;ens que l'on pr&eacute;sente si d&eacute;pendants. La Chine pourrait-elle racheter ce gaz que ces m&ecirc;mes Europ&eacute;ens boycotteraient? Certainement, &agrave; un probl&egrave;me pr&egrave;s: les capacit&eacute;s de transport vers l'Empire du Milieu sont six fois moindres que celles d&eacute;velopp&eacute;es depuis des d&eacute;cennies vers l'Ouest, selon le dernier num&eacute;ro de <em>The Economist</em>.</p>
<p>L'activit&eacute; manufacturi&egrave;re, pr&eacute;sent&eacute;e comme la colonne vert&eacute;brale de la puissance &eacute;conomique d'un pays, est faible en Russie: elle ne repr&eacute;sente qu'un dixi&egrave;me du PIB, soit une proportion de moiti&eacute; moindre que celle de la France, un pays qui souffre pourtant de d&eacute;sindustrialisation. Aucun grand groupe industriel russe ne rivalise avec un Volkswagen allemand ou avec un Boeing am&eacute;ricain, ni en taille ni en rayonnement international.</p>
<p>Ce d&eacute;s&eacute;quilibre de la composition &eacute;conomique se refl&egrave;te dans la composition des grandes entreprises russes: sur les dix plus grandes, quatre sont actives dans l'extraction et la commercialisation de p&eacute;trole et de gaz, deux sont des banques, deux sont de grands distributeurs, genre Coop-Migros. L'on y trouve aussi les chemins de fer. Et, enfin, un groupe technologique.</p>
<p>Le pays, enfin, est tr&egrave;s mal class&eacute; pour les question de gouvernance. Cela nuit &agrave; l'efficacit&eacute; de son &eacute;conomie, de son administration et amoindrit la qualit&eacute; de vie de sa population. L'ONG Transparency International le classe parmi les 25% de plus mauvais &eacute;l&egrave;ves &agrave; son indice de perception de la corruption. La Banque mondiale le classe certes &agrave; un honorable 28&egrave;me rang pour la facilit&eacute; &agrave; y faire des affaires, mais tant l'IMD que le World Economic Forum le classent respectivement au 45&egrave;me et au 43&egrave;me rang en mati&egrave;re de comp&eacute;titivit&eacute;.</p>
<h3>Deux fois la Suisse</h3>
<p>Alors, bien s&ucirc;r, la Russie est au deuxi&egrave;me rang mondial en mati&egrave;re de production d'armes. Mais le num&eacute;ro un reste les Etats-Unis. Un pays qui se classe, l&agrave; encore un truisme, loin devant dans tous les autres, dans les classements &eacute;num&eacute;r&eacute;s ci-dessus, pour le meilleur comme pour le pire. Enfin, en terme de production de richesses calcul&eacute;e par le PIB, l'addition des &eacute;conomies occidentales d&eacute;termin&eacute;es &agrave; sanctionner la Russie (Etats-Unis, UE, Royaume-Uni, Japon) est... 28 fois sup&eacute;rieure &agrave; celui du pays de Vladimir Poutine.</p>
<p>L'&eacute;conomie russe est certes nettement plus solide, puissante, mieux organis&eacute;e et prot&eacute;g&eacute;e qu'il y a vingt ans. Mais elle ne repr&eacute;sente jamais que deux fois celle de la Suisse, alors que le pays est 16,5 fois plus peupl&eacute;. Tr&egrave;s solidement bas&eacute;e sur des activit&eacute;s dont l'importance strat&eacute;gique n'&eacute;chappe &agrave; personne (&eacute;nergies, armement), elle accuse un retard croissant en mati&egrave;re technologique, qu'un isolement accru du fait de sanctions renforc&eacute;es ne ferait qu'accentuer. Les hackers russes ont d&eacute;montr&eacute; leurs capacit&eacute;s de nuisance. Mais en face, il y a la Silicon Valley et tous ses avatars occidentaux. L'arm&eacute;e russe peut envahir son faible voisin (au PIB comparable &agrave; celui de... la Suisse romande). Mais le co&ucirc;t d'une guerre longue pourrait bien &ecirc;tre trop &eacute;lev&eacute; pour une &eacute;conomie russe qui n'en a sans doute pas les moyens.</p>
<h3>Id&eacute;ologie et r&eacute;alit&eacute;</h3>
<p>L'historien fran&ccedil;ais Olivier Wieviorka s'est attel&eacute; &agrave; comparer les potentiels &eacute;conomiques des bellig&eacute;rants de la Seconde guerre mondiale. Celui de l'Allemagne nazie, on le sait, avait &eacute;t&eacute; grandement accru par la politique protectionniste du IIIe Reich et optimis&eacute; par l'Organisation Todt. Mais cela n'a pas suffi face &agrave; l'immensit&eacute; des ressources cumul&eacute;es des Alli&eacute;s occidentaux et... des Sovi&eacute;tiques.</p>
<p>Le seul argument en faveur de Vladimir Poutine est le manque de motivation profonde des Europ&eacute;ens et des Am&eacute;ricains pour aller au combat pour l'Ukraine, d'o&ugrave; ses tentatives de diviser le camp occidental pour mieux faire valoir ses vues. Mais le ma&icirc;tre du Kremlin, comme son intervention t&eacute;l&eacute;vis&eacute;e du mardi 21 janvier l'a d&eacute;montr&eacute;, se laisse aveugler: il privil&eacute;gie son id&eacute;ologie agressive aux r&eacute;alit&eacute;s macro&eacute;conomiques. Ce sera sa perte.</p>',
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La sortie, début mars dernier, du nouveau billet de mille francs par la Banque nationale a donné le prétexte à une hallucinante célébration nationale, celle de cette grosse coupure. Partout dans le pays, médias et réseaux sociaux ont vibré aux couleurs de la coupure, ont insisté sur sa valeur, la plus élevée au monde (il paraît), et surtout son étonnant succès. La nation a communié dans la représentation la plus valorisée de sa monnaie.

Il est vrai que le sort de cette coupure est pour le moins paradoxal. Elle est toujours plus demandée, comme le montrent les statistiques de circulation des billets de banque de la Banque nationale, qui les émet et est la très attentive gardienne de leur valeur. Il paraît que les gens continuent d'acheter voitures, bijoux, voire de régler leurs factures au guichet de la poste par ce moyen. Et pourtant, les gens ne sont pas plus fortunés qu'avant. C'est même plutôt le contraire: les salaires stagnent, les charges obligatoires augmentent, les fins de mois s'amaigrissent.

Riches et pauvres

Aux abois, les gens cherchent toutes sortes de petites économies. On réduit la facture de téléphone portable en passant de Swisscom à Salt, on multiplie les cartes Cumulus, et on ferme son compte d'épargne, dont les frais grandissants ont dépassé depuis longtemps les maigres intérêts qu'ils rapportent. Le billet de mille devient une réserve de valeur bon marché puis qu'il suffit de le stocker dans un coin bien caché. C'est, en fait, l'épargne du pauvre.

Et celle du riche aussi, surtout lorsqu'il ne veut pas trop que le fisc ou la police ne sachent combien il a gagné (et comment), combien il possède et comment il dépense. On peut encore payer jusqu'à 100'000 francs en cash, en Suisse, alors que la limite n'est que de quelques milliers d'euros dans les pays voisins. Cette limite devrait bientôt s'abaisser à 20'000 francs, sous la pression des gendarmes internationaux, mais même là, on pourra encore brandir vingt gros billets pour acheter une belle montre sans que le caissier ne s'émeuve.

Omniprésent téléphone

Mais l'adversaire de la grosse coupure avance sournoisement. Il s'infiltre dans les poches des gens et infecte leurs habitudes de paiement. Pourquoi? Il est encore plus universel que l'usage du gros billet. Son nom? Le téléphone portable. D'abord simple instrument de communication, puis de valorisation de l'ego (par ses photos, ses vidéos, ses réseaux sociaux), il prend progressivement la place du porte-monnaie. On paye désormais à la caisse du supermarché avec lui. On vire de l'argent avec lui. On stocke, même, parfois, de l'argent dans ses entrailles. Initié par les cryptomonnaies, à commencer par le bitcoin, ce mouvement s'étend aux monnaies classiques, dont le franc.

Certes, dans le public, payer par téléphone est encore moins fréquent que de sortir un billet de mille, tant s'en faut. Mais le changement risque d'aller vite. En Suède, l'usage du liquide a presque complètement disparu. Certains commerces scandinaves n'acceptent déjà plus que les paiements électroniques!

Les petits profits

Les commerces, les services, et même l'Etat font tout pour accélérer le mouvement. Il leur en coûte bien moins compliqué, donc plus sûr et moins cher, d'encaisser le produit de leurs ventes ou les impôts de manière scripturales plutôt que de brasser des sommes de pièces et billets! Les banques ont été les premières à initier le mouvement en diffusant à large échelle les cartes de débit. Avec un argument-maître auprès des commerçants qui leur paient des commissions pour chaque utilisation de la petite boîte qui remplace les caisses enregistreuses: moins de manipulations de billets et pièces, égale moins de risques d'erreur, moins de danger de braquage, et donc, au final, moins de frais. Tous les commerçants, cependant, ne semblent pas s'y retrouver. Surtout les plus petits, assommés par les commissions exigées par ces mêmes banques pour l'emploi de ces machines qui remplacent insidieusement les caisses enregistreuses, au risque de se faire marginaliser peu à peu par une clientèle toujours plus adepte d'électronique.

Méfiance, méfiance

L'un des grands gagnants est évidemment l'Etat. Les transactions électroniques sont plus faciles à surveiller, et donc à taxer, que les opérations de caisse et le coulage qui va avec. Il n'est ainsi pas surprenant que le pays où l'argent liquide tend à disparaître est celui dans lequel les citoyens expriment la confiance la plus élevée envers leur administration: la Suède. Et qu'au contraire, lorsque l'on veut payer par carte en Italie, la petite machine tombe mystérieusement en panne...

Par son amour de l'électronique, du paiement par mobile, de la généralisation des petites boîtes de paiement par carte qui fonctionnent partout et son avant-gardisme autoproclamé, la Suisse se veut ainsi le pendant de la Suède – du reste, ne confond-on pas les deux pays, dans le reste du monde? – Mais mesurée à son amour du gros billet, elle confirme une évidence géographique: elle est très proche de l'Italie, de la méfiance envers l'Etat et, plus sournoisement, des banques.

A lire également:

Le bitcoin ne sera bientôt plus une monnaie spéculative - Yves Genier

La Suisse en pointe sur la nébuleuse des cryptomonnaies - Eugénie Rousak