Actuel / Cent ans après le traité de Trianon, la Hongrie entre nostalgie et aspiration européenne
Lors de la signature du traité de Trianon à Versailles. La délégation hongroise passe devant un piquet d'honneur. L'épisode hante encore la société magyare. © Data BnF
Vécu et perçu comme une tragédie, le traité de paix signé en 1920 par la Hongrie, perdante de la Grande guerre est omniprésent dans les mémoires. Que nous dit cet attachement de la société hongroise d'aujourd'hui?
A 16 heures 30 ce jeudi 4 juin 2020, la Hongrie s’est figée. Une minute de silence observée par tout le pays et par la diaspora magyare, accompagnée par les cloches des églises, a marqué le centenaire exact de la signature du traité de Trianon, point final de la Première guerre mondiale où le pays, encore intégré à l’empire Habsbourg, avait choisi le mauvais camp.
Le «diktat» comme l’on surnommé les Hongrois, est considéré, aujourd’hui encore, par 83% d'entre eux (selon un sondage Publicis en mars 2020) comme l’événement le plus tragique de l’histoire du pays. Au Grand Trianon, à Versailles, la délégation hongroise menée par le diplomate Albert Apponyi a été contrainte de signer un traité de paix qui l’a amputée des deux tiers de sa surface et d’un tiers de sa population, soit 3,3 millions de personnes, citoyennes, du jour au lendemain, d’un nouvel Etat: la Roumanie, la Tchécoslovaquie, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, l’Autriche ou la Pologne selon le découpage d’alors. Des terres arables ou riches en ressources minières, des voies de chemin de fer, l’accès à la mer ainsi que deux grandes villes universitaires, Kolozsvár (Cluj-Napoca, Roumanie) et Kassa (Košice, Slovaquie) ont été retirées à la Hongrie. L’amputation n’a pas été seulement symbolique, elle fut aussi une sanction économique.
Des contemporains de la signature du traité l’admettaient déjà, le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», principe des traités de paix d’après 1918, n’a pas été accordé aux Hongrois.
Mémorial consacré à la Hongrie historique, appellation plus neutre que celle de Grande Hongrie, dans le sud du pays. Il en existe des dizaines dans toute la Hongrie. © DR
La Hongrie avant et après le Traité. hársévike - CC BY-SA 4.0
«Traumatisée», «dépecée», la Hongrie a fait de la révision du traité de Trianon l’un des axes de sa politique dans l’entre-deux-guerres et un prétexte à son alliance avec l’Allemagne nazie, récompensée par deux arbitrages qui lui restituent, en 1938 et 1940, une partie des territoires perdus.
Nouvelle défaite, nouvelle sanction: occupée par l’Armée rouge et intégrée au Bloc de l'Est, la Hongrie doit mettre en sourdine ses velléités irrédentistes jusqu’à la fin du XXème siècle.
On aurait pu croire l’histoire digérée et les Hongrois passés à autre chose. En réalité, cet événement fait partie intégrante de l’ADN, de la culture hongroise d’aujourd’hui.
Depuis 2010, le Premier ministre Viktor Orbán, qu’on ne présente plus, entretient le souvenir douloureux de 1920 et multiplie les symboles et les provocations, imité par le Président roumain Klaus Iohannis.
Photo postée le 16 décembre dernier sur le compte Instagram de Viktor Orbán. En arrière-plan, une carte de la Hongrie d'avant 1920.
Depuis l’intégration de la Hongrie, de la Slovaquie (2004) et de la Roumanie (2007) à l’Union européenne, les frontières sont techniquement ouvertes, et la «Grande Hongrie», dans sa quasi totalité, à l’exception de la Ruthénie transcarpatique située en Ukraine, est «restaurée», si l’on veut, sans faire de tort à ses voisins.
2,4 millions de Hongrois vivent aujourd’hui dans les territoires perdus lors du traité de Trianon, la majorité près des frontières. Seule la minorité Sicule, ou Széklers, d’environ 850’000 personnes, implantée en Roumanie et coupée de la frontière hongroise, réclame son autonomie et est l’objet de débats et d’accrochages diplomatiques récurrents entre les deux Etats.
Présence des minorités hongroises hors des frontières.
Carte de la Roumanie, en rouge au centre, les Sicules, minorité magyarophone.
Mais Viktor Orbán a fait de la question des minorités hongroises d’outre frontières son cheval de bataille, distribuant, sauf en Ukraine où la Constitution ne le permet pas, passeports, droits de vote et subsides (dernièrement, des masques chirurgicaux) vers les communautés magyares du sud de la Slovaquie et de la Transylvanie roumaine, qui représentent respectivement 500’000 et 1,5 millions de personnes. De l’autre côté de la frontière, la Roumanie, pour qui la date du 4 juin est heureuse, a décidé de la consacrer fête nationale, une «provocation gratuite» pour les observateurs, même les plus modérés.
D’autres Etats optent pour l’apaisement. La présidente slovaque, Zuzana Čaputová, a déclaré «comprendre» le traumatisme de Trianon pour la communauté hongroise de Slovaquie et avait tendu la main à Budapest pour organiser des célébrations communes.
Le président serbe Aleksandar Vučić s’affiche quant à lui aux côtés de Viktor Orbán lors de rencontres fréquentes et amicales. La minorité hongroise de Serbie, installée principalement en Voïvodine, autour de Novi Sad, ne représente que 3% de la population.
Autocollants, nostalgie et instrumentalisation
L’institut Publicis a conduit un sondage début 2020 pour connaître le poids du souvenir de Trianon sur la société hongroise contemporaine. Pour 54% des personnes interrogées, des Hongrois vivant en Hongrie, le traité de Trianon n’aurait jamais dû et ne doit jamais être accepté. Et cette proportion est en hausse. On peut interpréter cela de plusieurs manières. La résurgence du nationalisme, depuis l’indépendance de la Hongrie après l’effondrement de l’Union soviétique, rend la société particulièrement perméable à ce genre de préoccupations, par effet de balancier. La propagande gouvernementale autour de cette question semble aussi efficace, même si les partis et les organes de presse d’opposition font entendre un autre son de cloche. 58% des sondés sont conscients de la récupération politique, par Viktor Orbán et son gouvernement, de cet épisode de leur histoire.
Le site internet du quotidien Magyar Nemzet le mercredi 3 juin. (Traduction française automatique).
Pour l’historien Balázs Ablonczy, membre du comité scientifique responsable de l’organisation des festivités du centenaire, interrogé par Corentin Léotard pour le Courrier d’Europe Centrale, il faut tempérer ce phénomène. Oui, les Hongrois ont été marqués, dans leur mémoire collective et souvent dans leur histoire familiale, par l’éclatement de la Hongrie historique. Depuis 1989, la société hongroise redécouvre et se réapproprie son histoire, son identité. L’angoisse de la disparition et, parfois, un sentiment tragique de persécution, en est le cœur. Les Hongrois, peuple non slave et parlant une langue qui n'est parlée nulle part ailleurs, avouent facilement se sentir isolés. Mais l’attachement à cet épisode passé est plutôt une affaire affective, symbolique.
L’imagerie de la «Grande Hongrie» est de moins en moins présente dans l’espace public. Les célèbres autocollants à l’arrière des voitures figurant l’ancien découpage sont de moins en moins fréquents. Certains groupes nationalistes continuent de pétitionner, comme ici, dans le métro de Budapest en octobre 2019, pour la révision des frontières. Mais cela demeure marginal. 46% des sondés par l’institut Publicis concèdent que Trianon relève du passé. «Personne n’est prêt à prendre les armes pour restaurer la Hongrie historique», souligne Balázs Ablonczy.
Métro de Budapest, octobre 2019. "Justice pour la Hongrie" © B. Lebrun
Non! Non! Jamais! Affiche de propagande de 1920 en réaction au traité de Trianon.
La persistance du thème de la décadence de la Hongrie à partir de 1920, le ressentiment envers ce qui est perçu comme une punition inique, voire une agression, occupent une telle place dans le paysage hongrois d’aujourd’hui pour des raisons politiques. C’est, d’abord, un prétexte pour détourner l’opinion publique des questions actuelles (la manière dont la Hongrie traite les minorités sur son propre territoire, par exemple), de détourner les critiques, les revendications, la colère, vers un passé qu’on ne peut, de toute façon, pas changer. Ce décorum entretient l’immobilisme.
Pour Viktor Orbán, c’est aussi une bonne opération électorale. Son clientélisme auprès des minorités hongroises des pays frontaliers est payant. En 2014, son parti, Fidesz, a remporté sa large majorité au Parlement en partie grâce au vote des Hongrois de l’étranger.
Il y a enfin une stratégie de noyautage des revendications nationalistes, pour éviter que celles-ci ne soient exploitées par des partis explicitement d’extrême-droite et xénophobes. Le maire de Budapest, l’élu d’opposition Gergely Karacsony, l’a compris: il a pris l’initiative d’instaurer une minute de silence dans sa ville le 4 juin, et a été félicité en personne par le Premier ministre.
«La nation hongroise vivra»
En dehors de cette fameuse minute où Budapest et la Hongrie se sont tus et immobilisés, les célébrations du centenaire ont été discrètes. Un monument, long de cent mètres et sur lequel sont gravés les noms des 12’000 localités «perdues» devait être inauguré pour l’occasion, mais les travaux ont pris du retard. Les festivités, perturbées par la situation sanitaire, sont ajournées, probablement au 20 août, jour de la Fête nationale.
Plusieurs commentateurs évoquent aussi la probabilité selon laquelle Viktor Orbán, soucieux de réunir autour de lui ses voisins centre-européens pour faire entendre et peser sa voix à Bruxelles, aurait préféré ne pas les froisser davantage.
Observer ces événements de loin, à défaut de pouvoir, pour le moment, par une amusante ironie de l’Histoire, passer la frontière hongroise, a l’avantage d’attirer l’attention sur le discours et les mots choisis par les différents acteurs. Un élément a été mis très en avant par la droite: la résilience. «La nation hongroise n’a pas seulement vécu, elle vivra» a déclaré jeudi après-midi le Président Janos Ader. Une tribune parue dans le quotidien conservateur Magyar Nemzet titre: «Mi maradunk», «Nous restons» et souligne le fait que, confrontées à la même punition, nombre de nations se seraient effondrées. Le curseur semble glisser vers une émulation nationale, un élan vers l’avenir, plutôt qu’à l’évocation de passes d’armes rétrogrades.
«Nous étions unis et nous le restons. Diminués mais toujours debout.» Le 4 juin a été décrété Jour de l'Unité nationale.
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Il en existe des dizaines dans toute la Hongrie. © DR</h4> <h4 style="text-align: center;"><a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hungarymaptrianon.gif#/media/Fichier:Hungarymaptrianon.gif"><img src="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Hungarymaptrianon.gif" alt="Hungarymaptrianon.gif" /></a><br />La Hongrie avant et après le Traité. hársévike - CC BY-SA 4.0</h4> <p>«Traumatisée», «dépecée», la Hongrie a fait de la révision du traité de Trianon l’un des axes de sa politique dans l’entre-deux-guerres et un prétexte à son alliance avec l’Allemagne nazie, récompensée par deux arbitrages qui lui restituent, en 1938 et 1940, une partie des territoires perdus. </p> <p>Nouvelle défaite, nouvelle sanction: occupée par l’Armée rouge et intégrée au Bloc de l'Est, la Hongrie doit mettre en sourdine ses velléités irrédentistes jusqu’à la fin du XXème siècle. </p> <p>On aurait pu croire l’histoire digérée et les Hongrois passés à autre chose. 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De l’autre côté de la frontière, la Roumanie, pour qui la date du 4 juin est heureuse, a décidé de la consacrer fête nationale, une «provocation gratuite» pour les observateurs, même les plus modérés. </p> <p>D’autres Etats optent pour l’apaisement. La présidente slovaque, Zuzana Čaputová, a déclaré «comprendre» le traumatisme de Trianon pour la communauté hongroise de Slovaquie et avait tendu la main à Budapest pour organiser des célébrations communes. </p> <p>Le président serbe Aleksandar Vučić s’affiche quant à lui aux côtés de Viktor Orbán lors de rencontres fréquentes et amicales. La minorité hongroise de Serbie, installée principalement en Voïvodine, autour de Novi Sad, ne représente que 3% de la population. </p> <h3>Autocollants, nostalgie et instrumentalisation</h3> <p>L’institut Publicis a conduit un sondage début 2020 pour connaître le poids du souvenir de Trianon sur la société hongroise contemporaine. 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Jamais!</em> Affiche de propagande de 1920 en réaction au traité de Trianon.</h4> <p>La persistance du thème de la décadence de la Hongrie à partir de 1920, le ressentiment envers ce qui est perçu comme une punition inique, voire une agression, occupent une telle place dans le paysage hongrois d’aujourd’hui pour des raisons politiques. C’est, d’abord, un prétexte pour détourner l’opinion publique des questions actuelles (la manière dont la Hongrie traite les minorités sur son propre territoire, par exemple), de détourner les critiques, les revendications, la colère, vers un passé qu’on ne peut, de toute façon, pas changer. Ce décorum entretient l’immobilisme. </p> <p>Pour Viktor Orbán, c’est aussi une bonne opération électorale. Son clientélisme auprès des minorités hongroises des pays frontaliers est payant. 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Au Grand Trianon, à Versailles, la délégation hongroise menée par le diplomate Albert Apponyi a été contrainte de signer un traité de paix qui l’a amputée des deux tiers de sa surface et d’un tiers de sa population, soit 3,3 millions de personnes, citoyennes, du jour au lendemain, d’un nouvel Etat: la Roumanie, la Tchécoslovaquie, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, l’Autriche ou la Pologne selon le découpage d’alors. Des terres arables ou riches en ressources minières, des voies de chemin de fer, l’accès à la mer ainsi que deux grandes villes universitaires, Kolozsvár (Cluj-Napoca, Roumanie) et Kassa (Košice, Slovaquie) ont été retirées à la Hongrie. L’amputation n’a pas été seulement symbolique, elle fut aussi une sanction économique. </p> <p>Des contemporains de la signature du traité l’admettaient déjà, le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», principe des traités de paix d’après 1918, n’a pas été accordé aux Hongrois. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591302258_trianon_memorial_2013.__tamsi_hungary.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Mémorial consacré à la Hongrie historique, appellation plus neutre que celle de Grande Hongrie, dans le sud du pays. Il en existe des dizaines dans toute la Hongrie. © DR</h4> <h4 style="text-align: center;"><a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hungarymaptrianon.gif#/media/Fichier:Hungarymaptrianon.gif"><img src="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Hungarymaptrianon.gif" alt="Hungarymaptrianon.gif" /></a><br />La Hongrie avant et après le Traité. hársévike - CC BY-SA 4.0</h4> <p>«Traumatisée», «dépecée», la Hongrie a fait de la révision du traité de Trianon l’un des axes de sa politique dans l’entre-deux-guerres et un prétexte à son alliance avec l’Allemagne nazie, récompensée par deux arbitrages qui lui restituent, en 1938 et 1940, une partie des territoires perdus. </p> <p>Nouvelle défaite, nouvelle sanction: occupée par l’Armée rouge et intégrée au Bloc de l'Est, la Hongrie doit mettre en sourdine ses velléités irrédentistes jusqu’à la fin du XXème siècle. </p> <p>On aurait pu croire l’histoire digérée et les Hongrois passés à autre chose. En réalité, cet événement fait partie intégrante de l’ADN, de la culture hongroise d’aujourd’hui. </p> <p>Depuis 2010, le Premier ministre Viktor Orbán, qu’on ne présente plus, entretient le souvenir douloureux de 1920 et multiplie les symboles et les provocations, imité par le Président roumain Klaus Iohannis.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591303902_img_1201.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Photo postée le 16 décembre dernier sur le compte Instagram de Viktor Orbán. 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Seule la minorité Sicule, ou Széklers, d’environ 850’000 personnes, implantée en Roumanie et coupée de la frontière hongroise, réclame son autonomie et est l’objet de débats et d’accrochages diplomatiques récurrents entre les deux Etats.</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591303055_magyarsoutsidehungary.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Présence des minorités hongroises hors des frontières. </h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591303093_szkelyfld.png" class="img-responsive img-fluid center " width="445" height="330" /></p> <h4 style="text-align: center;">Carte de la Roumanie, en rouge au centre, les Sicules, minorité magyarophone.</h4> <p>Mais Viktor Orbán a fait de la question des minorités hongroises d’outre frontières son cheval de bataille, distribuant, sauf en Ukraine où la Constitution ne le permet pas, passeports, droits de vote et subsides (dernièrement, des masques chirurgicaux) vers les communautés magyares du sud de la Slovaquie et de la Transylvanie roumaine, qui représentent respectivement 500’000 et 1,5 millions de personnes. De l’autre côté de la frontière, la Roumanie, pour qui la date du 4 juin est heureuse, a décidé de la consacrer fête nationale, une «provocation gratuite» pour les observateurs, même les plus modérés. </p> <p>D’autres Etats optent pour l’apaisement. La présidente slovaque, Zuzana Čaputová, a déclaré «comprendre» le traumatisme de Trianon pour la communauté hongroise de Slovaquie et avait tendu la main à Budapest pour organiser des célébrations communes. </p> <p>Le président serbe Aleksandar Vučić s’affiche quant à lui aux côtés de Viktor Orbán lors de rencontres fréquentes et amicales. La minorité hongroise de Serbie, installée principalement en Voïvodine, autour de Novi Sad, ne représente que 3% de la population. </p> <h3>Autocollants, nostalgie et instrumentalisation</h3> <p>L’institut Publicis a conduit un sondage début 2020 pour connaître le poids du souvenir de Trianon sur la société hongroise contemporaine. Pour 54% des personnes interrogées, des Hongrois vivant en Hongrie, le traité de Trianon n’aurait jamais dû et ne doit jamais être accepté. Et cette proportion est en hausse. On peut interpréter cela de plusieurs manières. La résurgence du nationalisme, depuis l’indépendance de la Hongrie après l’effondrement de l’Union soviétique, rend la société particulièrement perméable à ce genre de préoccupations, par effet de balancier. La propagande gouvernementale autour de cette question semble aussi efficace, même si les partis et les organes de presse d’opposition font entendre un autre son de cloche. 58% des sondés sont conscients de la récupération politique, par Viktor Orbán et son gouvernement, de cet épisode de leur histoire. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591303191_capturedcran2020060320.10.38.png" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">Le site internet du quotidien Magyar Nemzet le mercredi 3 juin. (Traduction française automatique).</h4> <p>Pour l’historien Balázs Ablonczy, membre du comité scientifique responsable de l’organisation des festivités du centenaire, interrogé par Corentin Léotard pour le <em>Courrier d’Europe Centrale</em>, il faut tempérer ce phénomène. Oui, les Hongrois ont été marqués, dans leur mémoire collective et souvent dans leur histoire familiale, par l’éclatement de la Hongrie historique. Depuis 1989, la société hongroise redécouvre et se réapproprie son histoire, son identité. L’angoisse de la disparition et, parfois, un sentiment tragique de persécution, en est le cœur. Les Hongrois, peuple non slave et parlant une langue qui n'est parlée nulle part ailleurs, avouent facilement se sentir isolés. Mais l’attachement à cet épisode passé est plutôt une affaire affective, symbolique. </p> <p>L’imagerie de la «Grande Hongrie» est de moins en moins présente dans l’espace public. Les célèbres autocollants à l’arrière des voitures figurant l’ancien découpage sont de moins en moins fréquents. Certains groupes nationalistes continuent de pétitionner, comme ici, dans le métro de Budapest en octobre 2019, pour la révision des frontières. Mais cela demeure marginal. 46% des sondés par l’institut Publicis concèdent que Trianon relève du passé. «Personne n’est prêt à prendre les armes pour restaurer la Hongrie historique», souligne Balázs Ablonczy. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591305336_capturedcran2020060423.09.22.png" class="img-responsive img-fluid center " width="332" height="440" /></p> <h4 style="text-align: center;">Métro de Budapest, octobre 2019. "Justice pour la Hongrie" © B. Lebrun</h4> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591303449_23076_nem_nem_soha.jpg" class="img-responsive img-fluid center " width="251" height="378" /></p> <h4 style="text-align: center;"><em>Non! Non! Jamais!</em> Affiche de propagande de 1920 en réaction au traité de Trianon.</h4> <p>La persistance du thème de la décadence de la Hongrie à partir de 1920, le ressentiment envers ce qui est perçu comme une punition inique, voire une agression, occupent une telle place dans le paysage hongrois d’aujourd’hui pour des raisons politiques. C’est, d’abord, un prétexte pour détourner l’opinion publique des questions actuelles (la manière dont la Hongrie traite les minorités sur son propre territoire, par exemple), de détourner les critiques, les revendications, la colère, vers un passé qu’on ne peut, de toute façon, pas changer. Ce décorum entretient l’immobilisme. </p> <p>Pour Viktor Orbán, c’est aussi une bonne opération électorale. Son clientélisme auprès des minorités hongroises des pays frontaliers est payant. En 2014, son parti, Fidesz, a remporté sa large majorité au Parlement en partie grâce au vote des Hongrois de l’étranger. </p> <p>Il y a enfin une stratégie de noyautage des revendications nationalistes, pour éviter que celles-ci ne soient exploitées par des partis explicitement d’extrême-droite et xénophobes. Le maire de Budapest, l’élu d’opposition Gergely Karacsony, l’a compris: il a pris l’initiative d’instaurer une minute de silence dans sa ville le 4 juin, et a été félicité en personne par le Premier ministre. </p> <h3>«La nation hongroise vivra»</h3> <p>En dehors de cette fameuse minute où Budapest et la Hongrie se sont tus et immobilisés, les célébrations du centenaire ont été discrètes. Un monument, long de cent mètres et sur lequel sont gravés les noms des 12’000 localités «perdues» devait être inauguré pour l’occasion, mais les travaux ont pris du retard. Les festivités, perturbées par la situation sanitaire, sont ajournées, probablement au 20 août, jour de la Fête nationale. </p> <p>Plusieurs commentateurs évoquent aussi la probabilité selon laquelle Viktor Orbán, soucieux de réunir autour de lui ses voisins centre-européens pour faire entendre et peser sa voix à Bruxelles, aurait préféré ne pas les froisser davantage. </p> <p>Observer ces événements de loin, à défaut de pouvoir, pour le moment, par une amusante ironie de l’Histoire, passer la frontière hongroise, a l’avantage d’attirer l’attention sur le discours et les mots choisis par les différents acteurs. Un élément a été mis très en avant par la droite: la résilience. «<em>La nation hongroise n’a pas seulement vécu, elle vivra</em>» a déclaré jeudi après-midi le Président Janos Ader. Une tribune parue dans le quotidien conservateur <em>Magyar Nemzet</em> titre: «<em>Mi maradunk</em>», «Nous restons» et souligne le fait que, confrontées à la même punition, nombre de nations se seraient effondrées. Le curseur semble glisser vers une émulation nationale, un élan vers l’avenir, plutôt qu’à l’évocation de passes d’armes rétrogrades. </p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1591302845_unnamed768x576.jpg" class="img-responsive img-fluid center " /></p> <h4 style="text-align: center;">«Nous étions unis et nous le restons. Diminués mais toujours debout.» Le 4 juin a été décrété Jour de l'Unité nationale.</h4> <p>Cent ans après la «tragédie», peut-on croire que la société hongroise ait envie de tourner la page? 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Même avec un salaire décent comme celui de Carlos, il est devenu quasi-impossible de louer un appartement en centre-ville, à moins de décrocher une place dans une colocation de 3 ou 4 personnes. Les loyers ont augmenté de 68% en dix ans et l’accession à la propriété est devenue une chimère inatteignable pour les jeunes actifs.</p> <p>Comme ailleurs dans le sud de l’Europe, la population double durant les vacances d’été, une situation invivable pour les résidents. «Il y a de plus en plus de monde» déplore Carlos. En plus de porter des t-shirts qu’on ne risque pas de manquer en déambulant sur les <em>R</em><i>amblas</i>, les habitants des régions concernées redoublent d’imagination pour faire entendre leur voix. Aux îles Canaries, c’est une grève de la faim qui a été décidée dès le mois d’avril. A Barcelone toujours, des locaux excédés s’amusent à viser les touristes au pistolet à eau. Les températures avoisinent les 40 degrés, rien de bien méchant. Ils étaient également près de 3’000 Barcelonais à se réunir devant la mairie début juillet pour tâcher d’attirer l’attention médiatique sur la question.</p> <p>La mairie, <span>quant à elle, e</span><span>nvisage d’augmenter le montant de la taxe de séjour pour les visiteurs qui débarquent des bateaux de croisière. Cette taxe rapporte actuellement une centaine de millions d’euros, soit la troisième ressource économique de la ville. 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Voire contre-productive pour les associations de résidents qui craignent que leur ville ne se transforme en «Venise-land», le droit de péage constituant le ticket d'entrée pour ce parc d'attraction. «Nous avons atteint un point de non-retour» déplorent les Vénitiens. «Notre ville se meurt pour le profit de quelques uns». Des services de santé ont en effet dû fermer leurs portes, les boutiques de souvenirs kitsch remplacent les enseignes locales: la vie quotidienne devient impossible.</p> <p>De fait, le pari de Carlos Ramirez et de ses voisins a réussi: plusieurs agences de voyages et compagnies aériennes avertissent désormais leurs clients. Il règne en Catalogne un «climat hostile» à leur venue. «Barcelone a à présent mauvaise réputation. De plus en plus de visiteurs ont peur de s’y rendre», explique Antje Martins, spécialiste du tourisme à l’université du Queensland. D’autres professionnels craignent même que la ville ne se retrouve «isolée» et que l’attitude des résidents n’entache la réputation de toute l’Espagne.</p> <p>Car cette révolte s'inscrit dans un paradoxe économique. Barcelone vit largement du tourisme, comme de nombreuses autres régions européennes. Comment concilier prospérité et tranquillité? L’exaspération des habitants ne se dirige d’ailleurs pas vers les touristes eux-mêmes, mais plutôt vers les autorités qui n’ont pas engagé de réflexion profonde – et politique – sur un modèle touristique durable à adopter pour atteindre une forme de consensus entre visiteurs et habitants, un équilibre vivable à long terme. Il s’agit d’un problème structurel. </p> <p>En sus des logements confisqués et de la dévitalisation des centres-villes, la question du respect de l’environnement et des habitants par les visiteurs commence à être abordée et regardée en face. La manne financière du tourisme ne justifie plus tous les excès et toutes les indulgences. A Florence, une touriste mimant une scène sexuelle avec une statue représentant Bacchus a fait scandale. La dégradation d’une fontaine du XVIème siècle par un autre visiteur l’été dernier a soulevé l'indignation des Florentins.</p> <p>Carlos a lui aussi constaté que les touristes se «lâchaient» une fois sur leur lieu de villégiature, s’autorisaient «ici ce qu’ils ne se permettent pas chez eux». «Nous nous sentons véritablement insultés». </p> <p>Amsterdam, la ville du «quartier rouge» et des coffee-shops, a décidé de répliquer: une campagne de «non promotion» lancée en 2023 visait spécialement les jeunes hommes, principaux responsables des nuisances selon les habitants. 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En pleine pandémie, les organisateurs avaient pris des précautions maximales: masques obligatoires, bulles sanitaires pour protéger les athlètes, public contraint de regarder la majeure partie des festivités à la télévision... Sur certains tronçons du parcours de la flamme, rappelle l’article des <em>Echos</em>, il était même défendu au public de pousser des cris d’enthousiasme, afin d’éviter les contaminations. </p> <p>Un cas d’école, en somme: pour l’historien du sport Robert Withing, cité par le quotidien, «l’opinion publique n’aura pas pu vivre les émotions qui permettent normalement d’effacer toutes les polémiques qui précèdent traditionnellement les JO.» C’est ainsi que les Japonais ont pu découvrir la facture finale de 1’700 milliards de yens (environ 13 milliards de dollars), c’est-à-dire le double des dépenses prévues. Les infrastructures construites pour l’occasion, en particulier le Stade national de Tokyo, dont les gradins sont demeurés vides pendant les Jeux, coûtent aujourd’hui des sommes considérables.</p> <p>Des entreprises privées se proposent d’exploiter le stade d’ici quelques mois, afin d’éponger quelque peu les coûts faramineux: presque jamais utilisé, le stade conçu par l’architecte Kengo Kuma, une harmonieuse structure hybride de bois, d’acier et de béton, coûte près de 50’000 euros par jour aux contribuables.</p> <p>Avec prudence, on évoque la possibilité d’employer cette arène à l’organisation d’une prochaine coupe du monde de football. Mais d’une manière générale, les autorités japonaises comptent patienter avant d’envisager d’accueillir d’autres grands événements internationaux. La candidature de Sapporo pour les Jeux d’hiver 2030 a par exemple été retirée. Selon les dernières études d’opinion, 60% de la population de l’île d’Hokkaido, qui aurait dû accueillir les épreuves, s’opposait à ce projet. Ce sont les Alpes françaises qui auront <em>a priori</em> la charge et le plaisir de les organiser.</p> <p>La population réclame désormais des comptes. Les procès, très médiatisés, se multiplient: «après avoir déjà prononcé plus d’une dizaine de condamnations, les tribunaux de Tokyo continuent de juger de multiples malversations allant de l’attribution même des Jeux à la distribution des contrats de sponsoring. Des entreprises, des cadres, des hauts fonctionnaires sont punis...»</p> <p>«Du pain et des jeux» afin de distraire le peuple des rouages peu reluisants du pouvoir: cette méthode vieille comme l’Antiquité s’est enrayée à Tokyo. Par la faute d’un invisible virus, c’est toute la structure du pouvoir politique et économique qui s’est retrouvée nue aux yeux des citoyens. Comme le concède Keiko Momii, membre du comité olympique japonais: «Il va falloir plus de temps pour expliquer ces projets et essayer de regagner le soutien du public».</p> <hr /> <h4><a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/jo-de-tokyo-la-grande-frustration-des-jeux-fantomes-2109005" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'les-ameres-retombees-des-jeux-de-tokyo-2020', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 153, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 4, 'person_id' => (int) 4670, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [ [maximum depth reached] ], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 5057, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'L’invariable haine de l’autre', 'subtitle' => '«Le sel de la colère», Une histoire particulière, Marie Chartron, réalisé par François Teste, sur France Culture, 2 épisodes de 28 minutes.', 'subtitle_edition' => '«Le sel de la colère», Une histoire particulière, Marie Chartron, réalisé par François Teste, sur France Culture, 2 épisodes de 28 minutes.', 'content' => '<p>A Aigues-Mortes, dans le sud de la France, l’économie tourne depuis des siècles autour des salines. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@Encfer 07.06.2020 | 14h51
«Merci pour cet article, qui décrit en effet bien le climat actuel en Hongrie. Je dois rajouter, pour être d'origine hongroise (je retourne tous les deux ans au pays depuis 50 ans), que le traité de Trianon est évoqué en permanence et depuis toujours, dans toutes les couches de la société, comme une perte identitaire et une injustice majeure; ce n'est donc pas de prime abord le fait d'Orbán ni de l'extrême droite, qui instrumentalisent simplement quelque chose qui existe profondément dans la conscience des Hongrois, toutes générations confondues. Il ne faut pas oublier non plus les nombreuses brimades et discriminations linguistiques qu'ont subies les populations magyares hors des frontières, surtout pendant la période communiste, tout spécialement dans la Roumanie de Ceaușescu. Aujourd'hui, si les signes extérieurs de ce traumatisme ont tendance à s'estomper, c'est tout simplement parce qu'une grande partie des jeunes Hongrois sont plus orientés vers la survie économique de leurs familles, ils émigrent pour trouver du travail et regardent davantage vers l'avenir. Mais la blessure symbolique (et réelle) reste la même.»
@Eggi 07.06.2020 | 18h40
«Il est intéressant et important que certains événements politiques, dont les effets continuent à se faire sentir, soient rappelés dans les médias; rares sont ceux qui l'ont fait, bravo à BPLT! Pourtant, il aurait été utile, pour bien comprendre, d'évoquer en résumé le moment historique, notamment les raisons de la "punition" de la Hongrie. La "Realpolitik" n'est pas une invention récente: malheur aux vaincus!»