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Actuel / C’est la rentrée: les Papis à l’école!


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Il a bossé dur toute sa vie, il pourrait se contenter de tailler ses rosiers, mais il a décidé de rempiler; Platon, Socrate, et surtout Épicure – ben voyons! – le passionnent. Il veut s’y confronter. Elle a trimé toute sa vie et pourrait enfin se reposer, mais non, l’appel de l’Histoire de l’Art est trop fort. Elle réalise un rêve d’enfant, elle veut étudier l’Avant-garde, le surréalisme.



Ils sont atypiques ces nouveaux retraités à tenter une nouvelle aventure dans les couloirs du savoir. Modestes auditeurs ou pleinement étudiants, mais quelle mouche les a donc piqués ? Le phénomène reste marginal, mais néanmoins intéressant. Amusant même à certains égards, avec un peu de recul et d’humour.

Auditeurs inscrits à la faculté des Lettres, une petite centaine sur deux mille étudiants. Pas négligeable selon les sections, quand on sait qu’ils sont nettement plus concentrés ici que là, plus avides d’Histoire de l’Art que de Latin, de Philo que d’Archéologie. En revanche, les étudiants à temps plein (comprendre astreints à un vrai labeur de travaux pratiques avec rendu de mémoires, exposés et examens), c’est plus rare. Là, on compte en unités, pas en dizaines.

Alors, nouvelle mode? Phénomène sociétal?

La présence du cheveu rare et de la fine ride est bien présente ici ou là sur le campus. Comment vivent-ils l'aventure de cette deuxième vie à laquelle ils se confrontent, comment sont-ils vus pas leurs jeunes «collègues» de 20 ans, un âge où celui qui en a 25 est déjà ringard? Bulles ou boulets?

Les codes et l'intégration intergénérationnelle

La majorité des seniors sont auditeurs, de audire, verbe latin signifiant écouter. Les auditeurs, par définition, ne sont pas censés la ramener. Bien sûr, une question de type «Je n’ai pas bien compris ce qu’Aristote entend par le terme de vertu» sera toujours bien accueillie, alors qu’une déclaration prosélyte défendant des convictions personnelles du type «l’avortement est un scandale» fait grincer les jeunes dents. Mais ça, c’est au prof de gérer. Un p’tit coup de règle sur les doigts de «mamy verbose», une petite remontée de bretelles de «papy ramène sa science» et le problème est réglé. Si tout va bien.

Quant au papy plein-étudiant, c'est plus délicat. Une participation active est requise. Le code est simple à exprimer, le curseur difficile à placer. Ne pas se mettre trop en avant, ne pas rester muet au fond de la classe. Je ne vous dis pas le trac du premier jour! Mais, au fil des séances qui s’égrenaient, j’ai réalisé d'abord l'étonnement des juniors, puis leur bienveillance, puis par un étrange retournement, ce sont eux qui prennent soin de nous, qui nous guident, tel des parents dans un monde connu par eux, moins par nous. «J’ai vu que t’étais pas là lundi, tu veux que je te passe mes notes…» «Dis, si t'as besoin d'un coup de main sur ce nouveau logiciel, fais-moi signe, je peux t'aider…»

Des jeunes au début presque aussi intimidés que nous, les millésimés. Mais tels des chats qui se partagent la même écuelle, nous nous sommes observés, frottés, avons osé, parfois ronronné. Au fur et à mesure qu’ils s'habituaient à notre présence, nous sentions fondre notre gêne. On faisait des exposés ensemble, on rendait des mémoires communs. Un ou deux compliments sincères devant une prestation réussie, un café pris ici ou là avec l’un ou l’autre et nous voilà admis, nous voilà amis. Presque au rang de mascotte. Après, c'est selon. Selon les situations, on peut se sentir parfois bien seul, d'autres fois parfaitement intégré.


Sentiment occasionnel de solitude, d'isolement…


…ou de pleine intégration?

Interview d’un senior pas comme les autres

Mais assez parlé de moi, je cède le bâton de parole à un autre étudiant «à temps plein».

Luc-Antoine Baehni, directeur-général de la CGN pendant 18 ans, a lui aussi eu cette idée saugrenue de revenir sur les bancs d’école.


Du management de haut vol…


…à la bohème étudiante retrouvée.

Luc, vous avez eu une vie professionnelle comblée, des responsabilités enviées par beaucoup, et vous voilà transpirant à côté d’ex-gymnasiens pour rendre votre copie. Mais qu'est ce qui vous a amené après de si éminents succès professionnels à l'envie de recommencer des études?

A 20 ans, j'hésitais entre l'ingénierie, l'économie et les lettres. Renoncer aux lettres s'est accompagné parfois de regrets. Aujourd'hui, c'est un grand rêve qui se réalise. Ça ne fut pas simple, mais j'ai pu me lancer grâce aux encouragements d’Ariane, mon épouse, qui furent décisifs.

Le résultat est-il à la hauteur de vos attentes?

Oui, complètement. Au-delà de mes attentes! Par rapport à la vision que j'avais de moi aussi: j'avais des appréhensions, «Suis-je encore à la hauteur? Ai-je encore cette forme d'intelligence? Cela sert-il à quelques chose?»

Pourquoi vous inscrire comme étudiant à temps plein plutôt que comme auditeur, statut plus léger, sans doute plus confortable, moins astreignant?

J'ai hésité. Puis je me suis dit autant faire les choses à fond. J'ai le goût d’affronter la difficulté, la sanction. La note valorise la réussite. Peut-être une envie de me prouver à moi-même − et à mes enfants (sourire) − que j'en étais vraiment capable. Et puis, comme étudiant à part entière, l'intégration au groupe va de soi… et le travail se fait en profondeur.

Un commentaire sur l'Uni?

Nous avons une chance formidable avec notre université. Une qualité exceptionnelle offerte à toutes et à tous, pour un prix très raisonnable en comparaison avec certains pays.

Alors, l'impression de profiter du système?

Quelle idée! Nous (moi aussi, note de MF) avons modestement contribué à l’existence de cette université avec les impôts de toute notre vie. C'est un «retour sur investissement» plutôt délicieux à engranger.

Un commentaire sur les étudiants?

Très agréablement surpris par l’accueil positif et généreux de ces jeunes gens qui nous acceptent presque comme un des leurs, sans exclusion. Très belle surprise. Stimulant intellectuellement aussi de se confronter à leurs points de vue.

Quelque chose à ajouter?

Etudier Proust à l'Uni a suffi à mon bonheur, tout le reste c'est du bonus.

Les amis auxquels Luc et moi parlons de notre nouvelle aventure nous regardent parfois avec stupeur, souvent avec envie. Des salariés, des indépendants, au sommet de leur art souvent. Un jour, lors d’une visite de contrôle, ma dermato en pleine force de l’âge me déclare: «Ah bravo! Je crois bien que je ferai comme vous quand j’en aurai fini avec mon cabinet… et peut-être même avant ! Vous étudiez quoi en philo?...»

Le mot de la fin aux jeunes

La question qui leur est posée est «Que pensez-vous de la présence des papis/mamies (terme non péjoratif qui relève de l'autodérision, je précise à tout hasard) à l’uni?»:

Alia: «Je trouve qu'au premier abord, c'est déroutant, car on ne sait pas si cette personne d'un âge avancé est notre enseignant/e ou alors l'un ou l'une de nos camarades. Passé la première surprise, j'éprouve beaucoup de respect envers l'audace de ces papis/mamies qui se lancent dans une telle aventure.»

Camille: «Je pense que l'université est un lieu pour apprendre et qu'il n'y a pas d'âge pour apprendre. En plus, la différence et la mixité assurent une certaine divergence d'opinions qui, à terme, ouvre forcément l'esprit des étudiants. Une université avec des étudiants de tout âge et de tous horizons ne peut être qu'un lieu enrichissant.»

Maurane: «Je me suis toujours demandé quelles étaient leurs motivations d’entreprendre un bachelor après avoir travaillé des années et des années dans le monde professionnel. Mais en soi, peu importe les raisons, je reste admirative de leur démarche et de leur courage de reprendre les études.»

Marine: «Je suis admirative de ces personnes dans la fleur de l'âge, qui ont cette curiosité, cette force de vouloir retourner dans un contexte académique après une vie déjà bien remplie. Je trouve cette démarche courageuse et entraînante, cela montre que la retraite n'est pas la fin et qu'on a toujours l'opportunité d'apprendre et de se renouveler. Le mot de la fin serait plus (+) de papis et mamies à l'uni!»

Bon, après ça, on peut laisser la conclusion à un philosophe qui ne contredira pas ce que la jeunesse vient de nous exprimer: «Nous restons toujours de vieux étudiants à l’école de l’existence, et cette volonté de s’instruire signe précisément la fraîcheur de l’esprit. L’initiation durera jusqu’à la tombe.» Pascal Bruckner, in Une Brève éternité.

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