Culture / Paul Senn, reporter humanitaire
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Le photographe suisse Paul Senn (1901-1953) a travaillé sur et au milieu de ce chaos, sur les théâtres d’opérations et dans les camps de réfugiés, qui porte les noms tristement célèbres de Rivesaltes, Elne, Banyuls-sur-Mer... Une exposition lui est consacrée jusqu’au 30 septembre au Mémorial du camp de Rivesaltes. Car son témoignage est plus rare, plus précieux. Les camps, construits à la hâte, sur les plages balayées par un vent glacial, deviennent, devant l’objectif de Paul Senn, des images universelles de la misère, de la peur, de la solitude, sont voilées par la mort et la maladie qui rôdent. Vues d’ici, elles sont le terrifiant premier acte des atrocités de la Seconde guerre mondiale. Ces camps serviront, après 1940, à interner les Juifs étrangers et les Tsiganes, dont beaucoup seront ensuite envoyés à Drancy. Les visages amaigris par la faim racontent tous la même histoire, celle du déracinement, de la fin de l’espoir que constitua la République espagnole.
Rétrospective...
Né dans le canton d’Argovie, Paul Senn est méconnu hors de Suisse. Il voyage en France, Italie, dans les Balkans, aux États-Unis..., il est aussi le premier à aborder le sujet des enfants placés, dans les années 1930 et 1940. Il est ce que l’on appelle un «concerned photographer», un photographe engagé, un «reporter humanitaire», selon les mots de Michel Lefebvre, commissaire de l’exposition. Son style s’apparente à celui de David Seymour, pour son attention particulière aux enfants, la tendresse avec laquelle il capte leurs regards, les lave d’un pathétisme qu’engendrerait trop facilement la misère de leur situation, leur rend une innocence universelle. Avatar suisse de Robert Capa, car le tropisme espagnol les rapproche indéniablement, Senn, reporter pour la presse suisse alémanique, ne photographie et ne raconte pas seulement une guerre, un exode, des événements, mais des micro événements humains: une distribution de cigarettes par la garde mobile française à un poste frontière, en 1939, lors du passage des réfugiés, la vaccination massive des Madrilènes, la convalescence d’un groupe d’aviateurs russes à l’hôpital militaire de Valence...
Sur la touche particulière de Paul Senn, Markus Schürpf, archiviste du fonds Paul Senn à Berne, ajoute qu’il «avait pour habitude de se mêler aux gens dans le hall des gares et d’attendre patiemment pour photographier le moment où ils sont plongés dans leurs pensées et ne peuvent percevoir ni sa présence ni leur environnement». Une définition qui se vérifie devant les clichés des camps de réfugiés espagnols. Les légendes, rédigées par le photographe, indiquent parfois quels drames ont traversé les sujets de ses portraits. Une jeune veuve, des orphelins, des familles ayant perdu leurs biens dans des bombardements... Mais ils sont abstraits de la matière historique dans laquelle le commentaire a posteriori pourrait les enfermer, comme ce jeune garçon, photographié à Perthus enveloppé d’une couverture et qui tend timidement la main vers le Rolleiflex du reporter. Être non pas sujets de l’Histoire mais sujets de leur histoire, c’est ce que leur rendent les photographies de Paul Senn. «La beauté des images ne vient pas cacher la réalité du drame qui se joue; elle la révèle» écrit l’historien Denis Peschanski.
Dans le chaos des camps, une organisation suisse, préfiguratrice de l’humanitaire moderne, l’Ayuda Suiza para Niños Españoles s’est illustrée et rendue indispensable. Composée de treize entités, sa mission officielle consistait à évacuer les enfants des zones de combat (en tout, seize mille enfants évacués de Madrid); elle fournissait aussi une indispensable aide sanitaire aux réfugiés: fournitures de vivres, d’habits, home d’enfants, cantines, maternités, pouponnières, mobiles ou installés dans les baraques.
Ouverte en décembre 1939 par l’Ayuda Suiza, la maternité d’Elne est dirigée par l’infirmière zurichoise Elisabeth Eidenbenz. Jusqu’à sa fermeture, en avril 1944, après avoir aussi porté secours aux Juifs et Tsiganes persécutés, 603 enfants de quinze nationalités différentes y sont nés. Paul Senn y photographie des sage-femmes et volontaires, toutes originaires de Suisse, prodiguant les premiers soins et un soutien matériel et moral, assuré par l’aide suisse, aux jeunes mères. Pour le Schweizer Illustrierte Zeitung, il légende: «En France, il n’existe aujourd’hui nulle part ailleurs autant de berceaux et de nouveaux-nés dans le besoin.» À Banyuls-sur-Mer, dans la pouponnière installée par Elisabeth Eidenbenz, une infirmière promène une dizaine d’enfants en bord de mer. Des mères confectionnent la layette, allaitent les nouveaux-nés, les puéricultrices prennent en charge les enfants très dénutris, le tout à base de «bon lait suisse».
Les photographies de Paul Senn, trésor pour la mémoire, bien nécessaire pour penser le présent et envisager l’avenir, sont aussi des trésors d’humanité et de délicatesse, à l’aube de la barbarie du siècle.
Paul Senn, un photographe suisse dans la guerre d’Espagne et dans les camps français,
Exposition au Mémorial du camp de Rivesaltes, jusqu’au 30 septembre 2019
Catalogue de Michel Lefebvre et Markus Schürpf, éditions Tohu-Bohu
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Les camps, construits à la hâte, sur les plages balayées par un vent glacial, deviennent, devant l’objectif de Paul Senn, des images universelles de la misère, de la peur, de la solitude, sont voilées par la mort et la maladie qui rôdent. Vues d’ici, elles sont le terrifiant premier acte des atrocités de la Seconde guerre mondiale. Ces camps serviront, après 1940, à interner les Juifs étrangers et les Tsiganes, dont beaucoup seront ensuite envoyés à Drancy. Les visages amaigris par la faim racontent tous la même histoire, celle du déracinement, de la fin de l’espoir que constitua la République espagnole.</p> <h3>Rétrospective...</h3> <p>Né dans le canton d’Argovie, Paul Senn est méconnu hors de Suisse. Il voyage en France, Italie, dans les Balkans, aux États-Unis..., il est aussi le premier à aborder le sujet des enfants placés, dans les années 1930 et 1940. Il est ce que l’on appelle un «concerned photographer», un photographe engagé, un «reporter humanitaire», selon les mots de Michel Lefebvre, commissaire de l’exposition. Son style s’apparente à celui de David Seymour, pour son attention particulière aux enfants, la tendresse avec laquelle il capte leurs regards, les lave d’un pathétisme qu’engendrerait trop facilement la misère de leur situation, leur rend une innocence universelle. 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Payerne, en avril 1942, le marchand de bétail juif Arthur Bloch, d’origine bernoise, est assassiné lors de la foire. Quatre jeunes gens, sympathisants du MNS, le Mouvement national suisse, se montent le bourrichon, croient être aux ordres de personnalités haut placées de l’Allemagne hitlérienne, et décident de tuer un Juif, «pour l’exemple». La mécanique inexorable est effroyablement reconstituée dans ce podcast qui s’attarde avec soin et détails dans la tête des protagonistes. Mus par le ressentiment, par la peur du déclassement social, par une forme de complexe d’infériorité, piégés par la crise économique, cherchant reconnaissance et pouvoir, les assassins s’y prendront tout de même à quatre fois, hésitant, renonçant, puis frappant à mort et découpant le corps d’Arthur Bloch. Notre confrère Jacques Pilet travaille sur cette affaire depuis les années 1970. A la fin de la terrible démonstration, il revient sur sa rencontre avec l’un des acteurs du meurtre. 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