Culture / Le polar américain, une tentative d’émancipation
The Asphalte Jungle, un film de John Huston, sorti en 1950 et tiré du roman éponyme de William R. Burnett. © DR
Pour la première fois, une histoire du polar américain est écrite. On y découvre comment ce genre parfois mal considéré et souvent sous-évalué met en scène des enjeux qui vont bien au-delà des intrigues policières. Comment il incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord-américain.
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Comment il incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord-américain.', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Une foultitude de dictionnaires et d’encyclopédies, de livres pour les fans et les collectionneurs, existent dans le domaine du polar. Avec<em> Front criminel</em>, qui vient de paraître aux Editions PUF, il s’agit de tout autre chose, d’une ambition infiniment plus grande: démontrer en quoi et comment l’histoire de la littérature policière américaine du vingtième siècle fut celle d’une suite de luttes de libération. </p><p>Il s’agit de rien de moins, pour Benoît Tadié, l’auteur de cette somme, que de raconter l’histoire d’une tentative d’émancipation, plus ou moins réussie selon les moments, de l’Amérique contre l’Europe, des dominés contre les dominants, des minorités raciales ou sexuelles contre les majorités et de nous donner à voir comment le genre le plus méprisé de tous, en un remarquable retournement dialectique, incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord américain. </p> <h3>La chronologie </h3><p>Elle est fondamentale et en France, la vision de l’ancrage historique des romans noirs américains a été totalement faussée parce que la plupart des auteurs ont été publiés à la même époque − entre 1945 et 1960, ceux des années 20 comme ceux des années 50. Ce qui a eu pour effet d’amalgamer des livres qui avaient des origines et des ambitions très différentes. </p><p>Du coup, l’opposition très marquée entre la partie sombre et la partie émancipatrice de ces récits a complètement échappé aux lecteurs européens. En France, on s’est toujours uniquement intéressé à l’aspect sombre, le côté «la vie est dégueulasse, le soleil n’est pas pour nous» et jamais à l’aspect «espoir», alors que le genre s’est construit sur une tension entre ses deux pôles. </p> <h3>L’émancipation </h3><p>D’un côté, nous avons un roman noir qui décrit une société impitoyable dans laquelle l’effort individuel est toujours confronté à des puissances occultes qui ont tendance à l’écraser mais, d’un autre côté, et en parallèle, nous avons aussi le récit de la montée en puissance d’une affirmation démocratique qui passe à la fois par l’origine sociale de ceux qui écrivent et, dans la forme du récit et de la narration, par l’affirmation d’une langue qui s’émancipe de l’anglais d’Angleterre et du parlé des classes sociales dominantes indigènes, ceci avec une expressivité virile et une parole irrévérencieuse qui décapent tous les faux semblants et toutes les hypocrisies d’usage. </p> <h3>Les pulps </h3><p>Très mal considérés, les<em> pulps</em> constituent pendant un demi-siècle l’authentique littérature du prolétariat américain. Ces histoires offrent à leurs lecteurs des héros aux mœurs façonnés par la rue et des modèles de langage et de comportements égalitaires et démocratiques. Ils sont destinés aux classes populaires et non pas aux lettrés. Les récits qui paraissent sous la forme de <em>pulps</em>, ressemblent à leurs lecteurs et décrivent un mode de vie et des préoccupations qui leur sont familières. C’est une littérature faite par et pour le peuple. C’est en cela qu’elle reflète une visée émancipatrice. </p><p>La fiction dur-à-cuire −<em> hard boiled </em>− naît dans le magazine <em>Black Mask</em> entre 1922 et 1926, et le genre devient une entreprise consciente et concertée à partir de 1927. Les premières histoires publiées sont celles de Caroll John Daly et de Dashiell Hammett. <em>La Moisson rouge</em> d’Hammet est de 1929. Récit violent, explosif, témoignant d’une extraordinaire énergie verbale, il use d’une langue neuve, sèche, violente et surtout monosyllabique. </p> <h3>Raymond Chandler et Philip Marlowe </h3><p>Chandler est né à Chicago mais a fait ses études et a grandi en Angleterre. Pour écrire dans des <em>pulps</em>, à l’âge de 45 ans, il doit se familiariser avec la langue vernaculaire locale, idiome qu’il ne pratiquait pas. Il apprend cet anglais si différent du sien comme on apprend une langue étrangère! Et c’est cela qui le rend si inventif au niveau du langage. L’argot qu’il utilise n’est pas celui de la rue mais sa propre création. </p><p>Là où le récit de Hammett, concentré sur des points d’intensité maximum, marque les temps forts en une sorte de sténographie de l’action, celui de Chandler, plus descriptif, met en valeur les temps morts, le silence, l’immobilité, l’atonie; de l’action rapide, on passe à un ralenti extrême, de la maîtrise de soi à la peur panique, de l’engagement violent à la souffrance impuissante; d’un monde hyperréaliste, stylisé, à un espace flou; d’une langue énergique et efficace à d’impuissantes répétitions, litanie de résignations et de sursauts brutaux d’instincts primaire et d’aspiration à survivre à tous prix. Philip Marlowe, le héros de Chandler, ce redresseur de torts, est à la recherche d’un sens absent et est souvent à deux doigts de tomber dans une pure paranoïa fascistoïde et, paradoxalement car on le lit en général comme un auteur progressiste, chacun des romans de Chandler peut être lu comme mettant en scène l’une des cibles de son aversion. Cela peut être tout autant les Noirs, que les Asiatiques, les Mexicains ou encore, cliché de l’époque, les homosexuels, et bien entendu, de façon systématique, les femmes. </p> <h3>Les gangsters </h3><p>Le roman de gangsters apparaît quelques années après les premières histoires de détectives dur-à-cuire. Le <em>Little Caesar</em> (1929) de W. R. Burnett impose ce genre de pur récit absolument dépouillé de tous propos moralisateurs. Il ne s’agit plus d’un combat entre les bons et les méchants mais d’une âpre concurrence des gangsters entre eux. Burnett est aussi l’auteur de <em>High Sierra</em> et d’<em>Asphalt Jungle</em>. Ces ouvrages et les versions cinématographiques qui en furent tirés, toutes exceptionnelles, imposèrent les trois scénarios-type du roman/film de gangsters: ascension et chute, évasion et cavale, casse malheureux. Soit <em>Little Caesar</em> de Mervyn Le Roy (1930), <em>Public Enemy</em> de William A. Wellman (1931), <em>Scarface</em> de Howard Hawks (1932), <em>High Sierra</em> de Raoul Walsh (1941) et<em> Asphalt Jungle</em> de John Huston (1950). </p> <h3>Hollywood </h3><p>Vers 1930, le polar entre dans le champ de force hollywoodien qui va élever son contenu jusqu’à la force intemporelle du mythe. Le centre de gravité du polar bascule de l’Est vers l’Ouest, de Chicago vers Los Angeles, de Hammett vers Chandler, des <em>pulps</em> vers les studios. Chandler commence à écrire des histoires criminelles à la fin de 1933, l’année où paraît le dernier roman de Hammett et où s’achève la Prohibition, cette interdiction de vendre des boissons alcoolisées qui dura de 1919 à 1933. Le maître dont il s’inspire est Paul Cain, qui décrit des rackets, chantages et ventes de drogue dans les studios de cinéma. Chez Cain, les mœurs hollywoodiennes sont suggérés avec humour comme <em>Death Song</em>, roman dans lequel une actrice est assassinée d’un puissant coup sur son crâne donné à l’aide d’un vibromasseur surdimensionné, objet avec lequel, écrit l’auteur, elle se soignait lors de ses crises d’hystérie. </p><p>Hollywood n’est pas que le centre du cinéma, il est aussi celui de la fiction. Les studios deviennent une puissance qui standardise, pour un temps, toute la culture américaine. C’est une industrie gigantesque. Fin 1931, il y avait 354 auteurs employés à temps plein et 435 à temps partiels dans les studios hollywoodiens pour un coût global de 7 millions de dollars. </p> <h3>Cols bleus et vagabonds </h3><p>Avec la crise, dans les années 30, apparaissent des personnages de marginaux à la dérive, des individus pulsionnels cherchant à prendre tous les raccourcis possibles pour réaliser leurs désirs et qui, du coup, tombent dans le crime et dans la tragédie. L’archétype en étant le personnage de James M. Cain dans <em>Le Facteur sonne toujours deux fois</em>. </p><p>Jim Thompson a été hobo dans sa jeunesse et membre du syndicat des Industrial Workers, comme les personnages du premier grand roman du genre, <em>La Moisson rouge </em>de Hammett. Dans la culture contestataire du hobo la criminalité apparaît comme une forme de contestation, de redistribution des richesses dans un monde totalement inégalitaire. Ce sont des histoires racontées avec un langage teinté d’expressions dialectales, de tournures reprises dans les différents argots locaux, de mœurs toujours habité d’envie, de bassesse et d’une libido tellurique. </p><p>Tous décrivent leur époque. En 1936, par exemple, un ex-hobo, ami de Jim Thompson, George Milburn, publie un roman satirique intitulé<em> Catalogue</em>, racontant l’arrivée de l’un de ces objets dans une petite ville et la façon dont il va bouleverser la vie de ses habitants… </p><p>Après, il y a eu une période de politisation correspondant à l’époque du Front populaire en France, de la lutte antifasciste. Cette période court jusqu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un militantisme recrudescent qui s’affirme à tous les niveaux de la culture américaine et qu’on perçoit très bien dans les récits d’outlaw à la Dillinger, ce bandit au grand cœur qui braqua deux douzaines de banques et attaqua quatre commissariats de police. Ces gangsters sont porteurs d’une revendication de classe assez forte contre l’univers de la finance et des magnats capitalistes. La grande majorité des auteurs de polar se sont tous, à un titre ou à un autre, engagé dans le combat antifasciste. Et pendant la guerre, dans leurs récits, certains gangsters se retrouve muté en agents nazis ou proto-fascistes. </p> <h3>La mise au format </h3><p>Il a des moments où le genre est très codifié et d’autres où il éclate complètement, par exemple lors de la révolution que représente le livre de poche dans les années 50, ou bien plus tard avec des séries comme <em>The Wire</em>, <em>The Soprano</em> et<em> Breaking bad</em> dans le domaine des séries actuelles. Là, on a une interpénétration hyper impressionnante des genres. Avec, par exemple, le western noir et ses hors–la-loi des années 1870 qui se comportent comme des tueurs de la mafia de 1950 et dans lesquels les rapports entre les sexes n’ont plus ce côté puritain si caractéristique des westerns mais la crudité de mise sous le règne du capitalisme triomphant. </p> <h3>David Goodis versus les justiciers solitaires </h3><p>Le changement d’époque entre l’avant et l’après guerre est radical. Tout ce qui a été publié avant 1945 sera pendant un temps oublié et refoulé. La vigilance antifasciste va se transformer en <em>vigilantism</em> paranoïaque et les romans de Mickey Spillane, mettant en scène le monologuant Mike Hammer, battront tous les records de vente. </p><p>Le roman noir de l’époque se peuple de déserteurs, d’amnésiques, de fuyards, de criminels, de débris d’une communauté dissoute. </p><p>C’est exactement ce qui fascine Goodis: le déclassement, l’amnésie et la solitude. Son <em>Cassidy’s Girl</em>, (1951), par exemple, qui sera vendu à plus d’un million d’exemplaires, raconte l’histoire d’un ancien pilote qui végète sur le <em>waterfront</em> de Philadelphie. </p><p>Puis arrive le Maccarthisme. Là, il y a un décrochage politique d’auteurs qui avaient été militants, chez qui quelque chose se casse, qui perdent leurs illusions. Eux qui étaient très politisés, comme Thompson ou Goodis, virent au noir absolu. Dorénavant, nous aurons affaire à des personnages encore plus marginaux, plus sombres, plus désaffiliés de tout groupe et de toute communauté. </p><p>Chez Thompson, par exemple, ses héros, Lou Ford et Nick Corey, plutôt que libérer les pauvres comme les héros thompsoniens le faisaient avant-guerre, les éliminent froidement. Les masses étant devenues passives, jugent-ils, elles méritent d’être violemment châtiées pour cela. </p> <h3>Les paperbacks </h3><p>La guerre a éveillé des aspirations démocratiques et le livre de poche, son ambition première étant de démocratiser l’accès à la culture, est l’une des réponses à ses aspirations. Il est vendu partout, dans tous les kiosques, dans tous les drugstores et dans toutes les gares. Il coûte 25 cents et met la culture à la disposition des hommes, des femmes et des adolescents ordinaires. Il est impersonnel, amical, égalitaire et il ne hiérarchise pas entre eux les livres qu’il publie. On peut, séduit par la femme nue qui se pavane sur la couverture, se retrouver avec un livre de Jean-Paul Sartre tout comme avec un <em>Heidi</em> ou un<em> Ben-Hur</em>. Sur les présentoirs, tous les ouvrages s’offrent de façon égale. Aucun vendeur ne vous aide à choisir et personne n’est là pour vous empêcher de prendre le livre que bon vous semble. </p> <h3>Gentrification, embourgeoisement du genre </h3><p>Dans les livres de poche originaux les personnages principaux sont des hors castes: monde de personnage de foire, de stripteaseuses, d’hipsters, de parieurs, de junkies, de fugitifs. Les deux auteurs les plus vendus sont le mal pensant Mickey Spillane et le bien-pensant, Erskine Caldwell. Toute une démocratie de parias underground apparaît en une discrète apologie de formes rebelles à l’ordre social et des adeptes de pratiques sexuelles non-formatées. </p> <h3>Races et genres </h3><p>En juillet 1948 est publié une nouvelle dont un policier Noir est le héros. C’est une première! L’auteur est Chester Himes, ancien taulard afro-américain, né en 1909 et autodidacte, exilé à Paris à partir de 1953. Il est le créateur d’une série de neuf romans mettant en scène Ed Cercueil et Fossoyeur Jones et qui décriront, avec truculence et une bonne dose de désespoir, la vie quotidienne des noirs d’Harlem. </p><p>L’émergence de la scène gay et lesbienne dans le polar, au début des années 50, suit une dynamique parallèle et comparable à celle du polar afro-américain. Pendant l’entre-deux-guerres, on ne trouve que des représentations de l’homosexualité caricaturales ou phobiques: mignons sadiques, criminels efféminés et minaudant, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos porno et maître chanteur gluants et abjects. </p><p>Le tournant s’opère en 1948 avec la publication du rapport d’Alfred Kinsey, <em>Sexual Behavior in the Human Male</em>, qui révèle que 37% de la population masculine américaine a connu des expériences homosexuelles. <em>L’Inconnu du Nord-Express</em> est l’histoire de la rencontre entre deux hommes… Eh oui! Dans les années 50, Patricia Highsmith et Vin Packer infléchissent l’ethos dur-à-cuire, en déstabilisant la posture du héros viril et l’économie libidinale du récit, en déconstruisant une culture patriarcale et hétéronormée, en affichant des protagonistes gays et lesbiens, aucunement caricaturaux, et en menant ainsi une lutte émancipatrice dans et par le polar </p><p>En 1952, Marijanne Meaker publie en livre de poche original, <em>Spring Fire</em>, une commande de l’éditeur qui imaginait que le sujet de l’homosexualité féminine allait titiller son public, masculin à 98,5%, mais après la sortie du livre, à sa grande stupéfaction, elle reçoit des centaines de lettres, vraiment par cartons entiers, qui toutes proviennent de femmes, de femmes gays… </p> <h3>Le polar actuel: de la série archi normée et super calibrée </h3><p>A la fin des années 60, la télévision s’empare du public des livres de poche. Tout le monde se met à travailler pour les séries de télé. Aujourd’hui encore, des auteurs à succès comme Michel Connelly ou Dennis Lehane vivent surtout des séries télévisuelles. Leur succès mondial s’accompagne d’un alignement sur les nouvelles normes du marché: un allongement de la longueur des romans, passée de 160 à 400/500 pages et une standardisation de leurs titres. </p> <h3>Le dernier des modernes </h3><p>James Ellroy étant un des rares auteurs qui pendant 20 ans a associé à un imaginaire tout à fait foisonnant une volonté d’écriture d’avant-garde mais jamais gratuite, qui n’est ni jeu ni pastiche et qui semble vraiment motivée par ses obsessions. Il a ainsi réussi une synthèse entre la basse et la haute littérature, et ceci sans même le chercher. Le fait divers est chez lui le moteur même de l’histoire. Il empoigne à pleines brassées les sources éphémères, presse quotidienne, rapports de police, magazines à scandale, pour les rendre légendaires. Son obsession pour les mutilations, liée à son traumatisme d’origine, aboutit à un style heurté, survolté, éliminant les propositions sujet-verbe-compléments, brisant les syntagmes pour se perdre dans le magma d’une unique image répétée et variée à l’infini. Il ne lie plus, il accumule. Il n’est plus dans l’image, la description, il est dans le son, dans la pulsion, des battements cardiaques qui s’accélèrent, s’accélèrent, s’accélèrent… </p> <h3>Pour conclure </h3><p>Littérature vivace et à tendances démocratiques et révolutionnaires très marquées, la littérature policière américaine fut certainement le genre le plus fécond du vingtième siècle. Par ailleurs, il s’avère que les genres populaires connaissent des cycles: dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, ils sont divertissement, ensuite, des nouveaux venus, auteurs et éditeurs, s’en emparent et en font un support d’émancipation, de revendication, de classe ou identitaire ou de genre, et ceci jusqu’à ce que le système parvienne à nouveau à juguler l’élan libertaire que les nouveaux cycles contiennent et les transforment en insipides produits courants. </p><p>Il faut le répéter: en soi, la culture de masse n’a rien abêtissant et elle crée des œuvres magnifiques. Ce n’est certainement pas vrai partout et tout le temps, mais peu importe, occasionnellement, cela le fut, l’a été, l’est encore et le sera sans doute aussi longtemps qu’il y aura encore des dominés et des dominants! </p><p></p><hr><p></p> <h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w187/1521679873_1517452248_9782130633877_v100.jpg">Benoît Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, P.U.F. Éditions. </h4><p></p><hr><p></p> <p>L’auteur sur <em><a href="http://aligrefm.org/programmes/les-emissions/la-vie-est-un-roman/la-vie-est-roman-06-fevrier-2018.html">Aligre FM</a><br></em></p><p></p><hr><p></p><p><em> </em></p> <h2>Auteurs de polars</h2> <p><strong>Dashiell Hammett, 1894–1961 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w202/1521398367_hammet.jpeg"></strong></p><p>Six ans détective privé à l’agence Pinkerton, considéré comme le fondateur du roman noir. Ses premières nouvelles paraissent en 1922 et il est l’auteur, entre autres, de <em>La Moisson rouge</em>, <em>Le Faucon maltais </em>et de <em>La Clé de verre</em>. Sa carrière d’écrivain prend fin en 1934. Dans <em>La Moisson rouge</em>, récit violent, explosif, d’une extraordinaire énergie verbale, il met le récit en résonance avec les traumatismes et la crise morale que le pays traverse après la première guerre mondiale et avec l’arrivée du fordisme. Il continue une activité de scénariste, boit beaucoup et est arrêté pour appartenance au parti communiste et condamné à une peine de prison du temps du maccarthysme. La tuberculose l’emporte en 1961. </p><p><strong>Raymond Chandler, 1888-1959 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w225/1521679874_chandler.jpeg"></strong></p><p>Vice-président du Dabney Oil Syndicate, place qu’il perd à cause de son alcoolisme, c’est le génie absolu du genre. Sa première nouvelle est publiée en 1933 et son premier roman, Le grand sommeil, en 1939. Il meurt d’une pneumonie en 1959. </p> <p><strong>William Riley Burnett, 1899-1982 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w218/1521679876_william.jpeg"></strong></p><p>Commence à écrire très tôt, remporte un prix de la nouvelle à l’âge de 13 ans, passe un diplôme de journaliste, lit Mérimée, Flaubert, Balzac et Maupassant. A 28 ans, il a déjà écrit une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des centaines de nouvelles, tout cela sans arriver à trouver d'éditeur. En 1927, il s’installe à Chicago, la ville des gangsters. Gardien de nuit dans un petit hôtel de quartier où il côtoie des personnages des bas-fonds, boxeurs, hooligans, chômeurs, il y trouve le sujet de son premier roman noir, lequel va révolutionner le genre, sera vendu à 100 000 exemplaires et marquera l’irruption du genre dans la littérature mainstream:<em> Little Caesar</em>. La vieillesse l’emporte à l’âge de 83 ans. </p> <p><strong>James M. Cain, 1892-1977 </strong></p><p>Prof de math et d’anglais, il est envoyé en France en 1918, y devient rédacteur du journal de sa division. Il a été directeur du<em> New Yorker</em>, il publie sa première nouvelle à l’âge de 42 ans. Son Le Facteur sonne toujours deux fois aura de fortes répercussion sur le genre du polar. </p> <p><strong>Jim Thompson, 1906-1977 <img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w400/1521679875_jimthompsonm344236.jpg"></strong></p><p>Fils d’un sheriff, il part chercher fortune dans l’industrie pétrolière. Il se forme à l’écriture en écrivant pour des journaux à scandales. En 1942, il publie son premier roman, <em>Ici et maintenant</em>. Il en écrira 29 au total. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des géants du genre. Il mourra inconnu, dans la misère, emporté par une cirrhose du foie. </p> <p><strong>Mickey Spillane, 1918-2006 </strong></p><p>Commence sa carrière dans des magazines de mode, puis écrit pour Marvel des histoires de super héros, dont <em>Capitain Americ</em>a. Pendant la deuxième guerre mondiale, il entraîne des pilotes de chasse. Son premier roman, publié en 1946, <em>I, the Jury</em>, lui vaut une gloire immédiate. Les critiques bien-pensants le haïssent. Il devient riche, célèbre et fait des apparitions dans une série de publicités vantant les mérites d'une bière, la Miller Lite. Il meurt d’un cancer en 2006. </p> <p><strong>David Goodis, 1917-1967 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w188/1521679874_goodis.jpeg"></strong></p><p>Ecrivain mercenaire de l'industrie du divertissement, à Hollywood ou ailleurs. C’est un mélancolique qui vit la plupart du temps avec sa mère. C’est lui qui assure avec La Nuit tombe le changement de vision du monde entre l’avant et l’après-guerre, le passage de relais entre des mecs passablement virils et des paumés à moitié clochardisé. Il publie son premier livre <em>Retour à la vie</em> en 1938, et s'installe à New York. Il obtient le succès en 1946 avec son <em>Cauchemar</em>. L'adaptation de ce livre en 1947, sous le titre <em>Les Passagers de la nuit</em> avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui vaut d'être engagé par la Warner Bros comme scénariste à Hollywood. Il meurt oublié de tous et ce sont les français qui vont le réhabiliter. François Truffaut, par exemple, avec son deuxième long métrage, <em>Tirez sur le pianiste</em>. </p> <p><strong>Chester Himes, 1909-1984 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w216/1521679875_himes.jpeg"></strong></p><p>Issu d’une famille d’enseignants afro-américains, devenu jeune délinquant, il est condamné à 20 ans de prison. Il s’y cultive et y apprend à écrire, est libéré pour bonne conduite. Son premier roman, publié en 1945, parle de racisme. Il s’exile en France où sa rencontre en 1957 avec Marcel Duhamel se révèle décisive. Le fondateur de la Série Noire le convainc d'écrire des récits policiers. Son écriture se signale par sa puissance explosive, l’emballement du récit, sa prose toujours chargée d’électricité. Le succès vient rapidement, et Himes, avec ses deux héros noirs, à son tour, révolutionne le genre. Une très longue maladie l’emporte en 1984. </p> <p><strong>Patricia Highsmith, 1921-1995 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w220/1521679873_220pxpathighsmith.jpg"></strong></p><p>Elle est élevée par sa grand-mère à New York où elle fait ses études (diplômée en anglais, latin et grec). En 1938, elle s'inscrit à l'université Columbia qu'elle quitte diplômée en 1942. Elle s'intéresse à l'écriture dès l'adolescence et publie sa première nouvelle,<em> L'Héroïne</em>, dans le magazine <em>Harper's Bazaar</em> en 1944. Son premier roman, <em>L’Inconnu du Nord-Express</em>, est publié avec succès en 1950. Il a été adapté trois fois au cinéma, notamment par Alfred Hitchcock en 1951. En 1952, elle publie un roman, <em>Carol</em>, sous le pseudonyme de Claire Morgan en raison de la description de relations lesbiennes. L'édition de poche se vendra à plus d'un million d'exemplaires. Son œuvre se compose d'une vingtaine de romans, d'un grand nombre de nouvelles et d'un formidable essai, <em>L'Art du suspense</em>, 1981. Une leucémie l’emporte à l’âge de 74 ans,. </p> <p><strong>Vin Packer, 1927- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w130/1521679873_avt_marijanemeaker_9192.jpeg"></strong></p><p>De son vrai nom Marijane Meaker, elle publie vingt nouvelles entre 1952 et 1969 sous le nom de plume Vin Packer. C’est la romancière lesbienne par excellence. Elle va multiplier les pseudonymes et publier dans tous les genres. Elle est toujours vivante. </p> <p><strong>James Ellroy, 1948- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w185/1521679874_ellroy.jpeg"></strong></p><p>Sa mère a été assassinée par un tueur en série. Il écrit comme un dieu. Il a une force obsessionnelle qui emporte tout sur son passage. Il n’est jamais parodique et toujours puissamment habité par une invraisemblable volonté de dire et de raconter encore et encore toutes les turpitudes angelos. S'affirmant comme conservateur et réac, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption, fil conducteur de nombre de ses ouvrages. Il n’écrit qu’un écoutant en boucle les 9 symphonies de Beethoven et n’est pas loin de se considérer comme le Tolstoï américain du début du XXIe siècle. </p><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 polars américains favoris </h2><h4>Dashiell Hammett, <em>La Clef de verre</em>, 1931.<br>Raymond Chandler, <em>The Long Goodbye</em>, 1953.<br>David Goodis, <em>La Lune dans le caniveau</em>, 1953.<br>Charles Williams, <em>Fantasia chez les ploucs</em>, 1956.<br>Chester Himes, <em>La Reine des pommes</em>, 1957.<br>Jim Thompson, <em>Pottsville, 1 280 habitants</em>, 1964.<br>G. V. Higgins, <em>Les Copains d’Eddie Coyle</em>, 1971.<br>Edward Bunker, <em>Aucune bête aussi féroce</em>, 1973.<br>James Crumley, <em>Putes</em>, 1990.<br>James Ellroy, <em>White Jazz</em>, 1991. </h4><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 films noirs favoris </h2><h4><em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=cZ7C-Mim37g">Asphalt Jungle</a></em> de John Huston, 1950. Adapté du roman éponyme de W. R. Burnett, 1949.<em><a href="https://www.dailymotion.com/video/x2epe4o"><br>L’Inconnu du Nord Express</a></em> d’Alfred Hitchcock, 1951. Inspiré du roman éponyme de P. Highsmith, 1950.<em></em><br><em></em><em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=OluhKRjewnI">La Nuit du chasseur</a></em> de Charles Laughton, 1955. Tiré du roman éponyme de D. Grubb, 1953.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=NG3-GlvKPcg"><br>Psychose</a></em> d’Alfred Hitchcock, 1960. Inspiré du roman <em>Psycho</em> de R. Bloch, 1959.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=2UT8y5JKq7Y"><br>Guet-apens</a> </em>de Sam Peckinpah, 1972. Adapté du roman<em> Le Lien conjugal</em> de J. Thompson, 1958.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=YuF_E3Bdnrs"><br>Le Privé</a></em> de Robert Altman, 1973. Basé sur le roman <em>The Long Goodbye</em> de R. Chandler, 1953.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=3aifeXlnoqY"><br>Chinatown</a></em> de Roman Polanski, 1974. Scénario original de R. Towne.<em><a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19448738&cfilm=3962.html"><br>Série noire</a> </em>d’Alain Corneau, 1979. Adapté du roman <em>Des Cliques et des cloaques</em> de J. Thompson, 1954.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=DPBNaxHlt5Y"><br>Les Arnaqueurs</a></em> de Stephan Frears, 1991. Adapté du roman éponyme de J. Thompson, 1963.<em><a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19352279&cfilm=6641.html"><br>Le Silence des agneaux</a></em> de Jonathan Demme, 1991. 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Avec<em> Front criminel</em>, qui vient de paraître aux Editions PUF, il s’agit de tout autre chose, d’une ambition infiniment plus grande: démontrer en quoi et comment l’histoire de la littérature policière américaine du vingtième siècle fut celle d’une suite de luttes de libération. </p><p>Il s’agit de rien de moins, pour Benoît Tadié, l’auteur de cette somme, que de raconter l’histoire d’une tentative d’émancipation, plus ou moins réussie selon les moments, de l’Amérique contre l’Europe, des dominés contre les dominants, des minorités raciales ou sexuelles contre les majorités et de nous donner à voir comment le genre le plus méprisé de tous, en un remarquable retournement dialectique, incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord américain. </p> <h3>La chronologie </h3><p>Elle est fondamentale et en France, la vision de l’ancrage historique des romans noirs américains a été totalement faussée parce que la plupart des auteurs ont été publiés à la même époque − entre 1945 et 1960, ceux des années 20 comme ceux des années 50. Ce qui a eu pour effet d’amalgamer des livres qui avaient des origines et des ambitions très différentes. </p><p>Du coup, l’opposition très marquée entre la partie sombre et la partie émancipatrice de ces récits a complètement échappé aux lecteurs européens. En France, on s’est toujours uniquement intéressé à l’aspect sombre, le côté «la vie est dégueulasse, le soleil n’est pas pour nous» et jamais à l’aspect «espoir», alors que le genre s’est construit sur une tension entre ses deux pôles. </p> <h3>L’émancipation </h3><p>D’un côté, nous avons un roman noir qui décrit une société impitoyable dans laquelle l’effort individuel est toujours confronté à des puissances occultes qui ont tendance à l’écraser mais, d’un autre côté, et en parallèle, nous avons aussi le récit de la montée en puissance d’une affirmation démocratique qui passe à la fois par l’origine sociale de ceux qui écrivent et, dans la forme du récit et de la narration, par l’affirmation d’une langue qui s’émancipe de l’anglais d’Angleterre et du parlé des classes sociales dominantes indigènes, ceci avec une expressivité virile et une parole irrévérencieuse qui décapent tous les faux semblants et toutes les hypocrisies d’usage. </p> <h3>Les pulps </h3><p>Très mal considérés, les<em> pulps</em> constituent pendant un demi-siècle l’authentique littérature du prolétariat américain. Ces histoires offrent à leurs lecteurs des héros aux mœurs façonnés par la rue et des modèles de langage et de comportements égalitaires et démocratiques. Ils sont destinés aux classes populaires et non pas aux lettrés. Les récits qui paraissent sous la forme de <em>pulps</em>, ressemblent à leurs lecteurs et décrivent un mode de vie et des préoccupations qui leur sont familières. C’est une littérature faite par et pour le peuple. C’est en cela qu’elle reflète une visée émancipatrice. </p><p>La fiction dur-à-cuire −<em> hard boiled </em>− naît dans le magazine <em>Black Mask</em> entre 1922 et 1926, et le genre devient une entreprise consciente et concertée à partir de 1927. Les premières histoires publiées sont celles de Caroll John Daly et de Dashiell Hammett. <em>La Moisson rouge</em> d’Hammet est de 1929. Récit violent, explosif, témoignant d’une extraordinaire énergie verbale, il use d’une langue neuve, sèche, violente et surtout monosyllabique. </p> <h3>Raymond Chandler et Philip Marlowe </h3><p>Chandler est né à Chicago mais a fait ses études et a grandi en Angleterre. Pour écrire dans des <em>pulps</em>, à l’âge de 45 ans, il doit se familiariser avec la langue vernaculaire locale, idiome qu’il ne pratiquait pas. Il apprend cet anglais si différent du sien comme on apprend une langue étrangère! Et c’est cela qui le rend si inventif au niveau du langage. L’argot qu’il utilise n’est pas celui de la rue mais sa propre création. </p><p>Là où le récit de Hammett, concentré sur des points d’intensité maximum, marque les temps forts en une sorte de sténographie de l’action, celui de Chandler, plus descriptif, met en valeur les temps morts, le silence, l’immobilité, l’atonie; de l’action rapide, on passe à un ralenti extrême, de la maîtrise de soi à la peur panique, de l’engagement violent à la souffrance impuissante; d’un monde hyperréaliste, stylisé, à un espace flou; d’une langue énergique et efficace à d’impuissantes répétitions, litanie de résignations et de sursauts brutaux d’instincts primaire et d’aspiration à survivre à tous prix. Philip Marlowe, le héros de Chandler, ce redresseur de torts, est à la recherche d’un sens absent et est souvent à deux doigts de tomber dans une pure paranoïa fascistoïde et, paradoxalement car on le lit en général comme un auteur progressiste, chacun des romans de Chandler peut être lu comme mettant en scène l’une des cibles de son aversion. Cela peut être tout autant les Noirs, que les Asiatiques, les Mexicains ou encore, cliché de l’époque, les homosexuels, et bien entendu, de façon systématique, les femmes. </p> <h3>Les gangsters </h3><p>Le roman de gangsters apparaît quelques années après les premières histoires de détectives dur-à-cuire. Le <em>Little Caesar</em> (1929) de W. R. Burnett impose ce genre de pur récit absolument dépouillé de tous propos moralisateurs. Il ne s’agit plus d’un combat entre les bons et les méchants mais d’une âpre concurrence des gangsters entre eux. Burnett est aussi l’auteur de <em>High Sierra</em> et d’<em>Asphalt Jungle</em>. Ces ouvrages et les versions cinématographiques qui en furent tirés, toutes exceptionnelles, imposèrent les trois scénarios-type du roman/film de gangsters: ascension et chute, évasion et cavale, casse malheureux. Soit <em>Little Caesar</em> de Mervyn Le Roy (1930), <em>Public Enemy</em> de William A. Wellman (1931), <em>Scarface</em> de Howard Hawks (1932), <em>High Sierra</em> de Raoul Walsh (1941) et<em> Asphalt Jungle</em> de John Huston (1950). </p> <h3>Hollywood </h3><p>Vers 1930, le polar entre dans le champ de force hollywoodien qui va élever son contenu jusqu’à la force intemporelle du mythe. Le centre de gravité du polar bascule de l’Est vers l’Ouest, de Chicago vers Los Angeles, de Hammett vers Chandler, des <em>pulps</em> vers les studios. Chandler commence à écrire des histoires criminelles à la fin de 1933, l’année où paraît le dernier roman de Hammett et où s’achève la Prohibition, cette interdiction de vendre des boissons alcoolisées qui dura de 1919 à 1933. Le maître dont il s’inspire est Paul Cain, qui décrit des rackets, chantages et ventes de drogue dans les studios de cinéma. Chez Cain, les mœurs hollywoodiennes sont suggérés avec humour comme <em>Death Song</em>, roman dans lequel une actrice est assassinée d’un puissant coup sur son crâne donné à l’aide d’un vibromasseur surdimensionné, objet avec lequel, écrit l’auteur, elle se soignait lors de ses crises d’hystérie. </p><p>Hollywood n’est pas que le centre du cinéma, il est aussi celui de la fiction. Les studios deviennent une puissance qui standardise, pour un temps, toute la culture américaine. C’est une industrie gigantesque. Fin 1931, il y avait 354 auteurs employés à temps plein et 435 à temps partiels dans les studios hollywoodiens pour un coût global de 7 millions de dollars. </p> <h3>Cols bleus et vagabonds </h3><p>Avec la crise, dans les années 30, apparaissent des personnages de marginaux à la dérive, des individus pulsionnels cherchant à prendre tous les raccourcis possibles pour réaliser leurs désirs et qui, du coup, tombent dans le crime et dans la tragédie. L’archétype en étant le personnage de James M. Cain dans <em>Le Facteur sonne toujours deux fois</em>. </p><p>Jim Thompson a été hobo dans sa jeunesse et membre du syndicat des Industrial Workers, comme les personnages du premier grand roman du genre, <em>La Moisson rouge </em>de Hammett. Dans la culture contestataire du hobo la criminalité apparaît comme une forme de contestation, de redistribution des richesses dans un monde totalement inégalitaire. Ce sont des histoires racontées avec un langage teinté d’expressions dialectales, de tournures reprises dans les différents argots locaux, de mœurs toujours habité d’envie, de bassesse et d’une libido tellurique. </p><p>Tous décrivent leur époque. En 1936, par exemple, un ex-hobo, ami de Jim Thompson, George Milburn, publie un roman satirique intitulé<em> Catalogue</em>, racontant l’arrivée de l’un de ces objets dans une petite ville et la façon dont il va bouleverser la vie de ses habitants… </p><p>Après, il y a eu une période de politisation correspondant à l’époque du Front populaire en France, de la lutte antifasciste. Cette période court jusqu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un militantisme recrudescent qui s’affirme à tous les niveaux de la culture américaine et qu’on perçoit très bien dans les récits d’outlaw à la Dillinger, ce bandit au grand cœur qui braqua deux douzaines de banques et attaqua quatre commissariats de police. Ces gangsters sont porteurs d’une revendication de classe assez forte contre l’univers de la finance et des magnats capitalistes. La grande majorité des auteurs de polar se sont tous, à un titre ou à un autre, engagé dans le combat antifasciste. Et pendant la guerre, dans leurs récits, certains gangsters se retrouve muté en agents nazis ou proto-fascistes. </p> <h3>La mise au format </h3><p>Il a des moments où le genre est très codifié et d’autres où il éclate complètement, par exemple lors de la révolution que représente le livre de poche dans les années 50, ou bien plus tard avec des séries comme <em>The Wire</em>, <em>The Soprano</em> et<em> Breaking bad</em> dans le domaine des séries actuelles. Là, on a une interpénétration hyper impressionnante des genres. Avec, par exemple, le western noir et ses hors–la-loi des années 1870 qui se comportent comme des tueurs de la mafia de 1950 et dans lesquels les rapports entre les sexes n’ont plus ce côté puritain si caractéristique des westerns mais la crudité de mise sous le règne du capitalisme triomphant. </p> <h3>David Goodis versus les justiciers solitaires </h3><p>Le changement d’époque entre l’avant et l’après guerre est radical. Tout ce qui a été publié avant 1945 sera pendant un temps oublié et refoulé. La vigilance antifasciste va se transformer en <em>vigilantism</em> paranoïaque et les romans de Mickey Spillane, mettant en scène le monologuant Mike Hammer, battront tous les records de vente. </p><p>Le roman noir de l’époque se peuple de déserteurs, d’amnésiques, de fuyards, de criminels, de débris d’une communauté dissoute. </p><p>C’est exactement ce qui fascine Goodis: le déclassement, l’amnésie et la solitude. Son <em>Cassidy’s Girl</em>, (1951), par exemple, qui sera vendu à plus d’un million d’exemplaires, raconte l’histoire d’un ancien pilote qui végète sur le <em>waterfront</em> de Philadelphie. </p><p>Puis arrive le Maccarthisme. Là, il y a un décrochage politique d’auteurs qui avaient été militants, chez qui quelque chose se casse, qui perdent leurs illusions. Eux qui étaient très politisés, comme Thompson ou Goodis, virent au noir absolu. Dorénavant, nous aurons affaire à des personnages encore plus marginaux, plus sombres, plus désaffiliés de tout groupe et de toute communauté. </p><p>Chez Thompson, par exemple, ses héros, Lou Ford et Nick Corey, plutôt que libérer les pauvres comme les héros thompsoniens le faisaient avant-guerre, les éliminent froidement. Les masses étant devenues passives, jugent-ils, elles méritent d’être violemment châtiées pour cela. </p> <h3>Les paperbacks </h3><p>La guerre a éveillé des aspirations démocratiques et le livre de poche, son ambition première étant de démocratiser l’accès à la culture, est l’une des réponses à ses aspirations. Il est vendu partout, dans tous les kiosques, dans tous les drugstores et dans toutes les gares. Il coûte 25 cents et met la culture à la disposition des hommes, des femmes et des adolescents ordinaires. Il est impersonnel, amical, égalitaire et il ne hiérarchise pas entre eux les livres qu’il publie. On peut, séduit par la femme nue qui se pavane sur la couverture, se retrouver avec un livre de Jean-Paul Sartre tout comme avec un <em>Heidi</em> ou un<em> Ben-Hur</em>. Sur les présentoirs, tous les ouvrages s’offrent de façon égale. Aucun vendeur ne vous aide à choisir et personne n’est là pour vous empêcher de prendre le livre que bon vous semble. </p> <h3>Gentrification, embourgeoisement du genre </h3><p>Dans les livres de poche originaux les personnages principaux sont des hors castes: monde de personnage de foire, de stripteaseuses, d’hipsters, de parieurs, de junkies, de fugitifs. Les deux auteurs les plus vendus sont le mal pensant Mickey Spillane et le bien-pensant, Erskine Caldwell. Toute une démocratie de parias underground apparaît en une discrète apologie de formes rebelles à l’ordre social et des adeptes de pratiques sexuelles non-formatées. </p> <h3>Races et genres </h3><p>En juillet 1948 est publié une nouvelle dont un policier Noir est le héros. C’est une première! L’auteur est Chester Himes, ancien taulard afro-américain, né en 1909 et autodidacte, exilé à Paris à partir de 1953. Il est le créateur d’une série de neuf romans mettant en scène Ed Cercueil et Fossoyeur Jones et qui décriront, avec truculence et une bonne dose de désespoir, la vie quotidienne des noirs d’Harlem. </p><p>L’émergence de la scène gay et lesbienne dans le polar, au début des années 50, suit une dynamique parallèle et comparable à celle du polar afro-américain. Pendant l’entre-deux-guerres, on ne trouve que des représentations de l’homosexualité caricaturales ou phobiques: mignons sadiques, criminels efféminés et minaudant, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos porno et maître chanteur gluants et abjects. </p><p>Le tournant s’opère en 1948 avec la publication du rapport d’Alfred Kinsey, <em>Sexual Behavior in the Human Male</em>, qui révèle que 37% de la population masculine américaine a connu des expériences homosexuelles. <em>L’Inconnu du Nord-Express</em> est l’histoire de la rencontre entre deux hommes… Eh oui! Dans les années 50, Patricia Highsmith et Vin Packer infléchissent l’ethos dur-à-cuire, en déstabilisant la posture du héros viril et l’économie libidinale du récit, en déconstruisant une culture patriarcale et hétéronormée, en affichant des protagonistes gays et lesbiens, aucunement caricaturaux, et en menant ainsi une lutte émancipatrice dans et par le polar </p><p>En 1952, Marijanne Meaker publie en livre de poche original, <em>Spring Fire</em>, une commande de l’éditeur qui imaginait que le sujet de l’homosexualité féminine allait titiller son public, masculin à 98,5%, mais après la sortie du livre, à sa grande stupéfaction, elle reçoit des centaines de lettres, vraiment par cartons entiers, qui toutes proviennent de femmes, de femmes gays… </p> <h3>Le polar actuel: de la série archi normée et super calibrée </h3><p>A la fin des années 60, la télévision s’empare du public des livres de poche. Tout le monde se met à travailler pour les séries de télé. Aujourd’hui encore, des auteurs à succès comme Michel Connelly ou Dennis Lehane vivent surtout des séries télévisuelles. Leur succès mondial s’accompagne d’un alignement sur les nouvelles normes du marché: un allongement de la longueur des romans, passée de 160 à 400/500 pages et une standardisation de leurs titres. </p> <h3>Le dernier des modernes </h3><p>James Ellroy étant un des rares auteurs qui pendant 20 ans a associé à un imaginaire tout à fait foisonnant une volonté d’écriture d’avant-garde mais jamais gratuite, qui n’est ni jeu ni pastiche et qui semble vraiment motivée par ses obsessions. Il a ainsi réussi une synthèse entre la basse et la haute littérature, et ceci sans même le chercher. Le fait divers est chez lui le moteur même de l’histoire. Il empoigne à pleines brassées les sources éphémères, presse quotidienne, rapports de police, magazines à scandale, pour les rendre légendaires. Son obsession pour les mutilations, liée à son traumatisme d’origine, aboutit à un style heurté, survolté, éliminant les propositions sujet-verbe-compléments, brisant les syntagmes pour se perdre dans le magma d’une unique image répétée et variée à l’infini. Il ne lie plus, il accumule. Il n’est plus dans l’image, la description, il est dans le son, dans la pulsion, des battements cardiaques qui s’accélèrent, s’accélèrent, s’accélèrent… </p> <h3>Pour conclure </h3><p>Littérature vivace et à tendances démocratiques et révolutionnaires très marquées, la littérature policière américaine fut certainement le genre le plus fécond du vingtième siècle. Par ailleurs, il s’avère que les genres populaires connaissent des cycles: dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, ils sont divertissement, ensuite, des nouveaux venus, auteurs et éditeurs, s’en emparent et en font un support d’émancipation, de revendication, de classe ou identitaire ou de genre, et ceci jusqu’à ce que le système parvienne à nouveau à juguler l’élan libertaire que les nouveaux cycles contiennent et les transforment en insipides produits courants. </p><p>Il faut le répéter: en soi, la culture de masse n’a rien abêtissant et elle crée des œuvres magnifiques. Ce n’est certainement pas vrai partout et tout le temps, mais peu importe, occasionnellement, cela le fut, l’a été, l’est encore et le sera sans doute aussi longtemps qu’il y aura encore des dominés et des dominants! </p><p></p><hr><p></p> <h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w187/1521679873_1517452248_9782130633877_v100.jpg">Benoît Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, P.U.F. Éditions. </h4><p></p><hr><p></p> <p>L’auteur sur <em><a href="http://aligrefm.org/programmes/les-emissions/la-vie-est-un-roman/la-vie-est-roman-06-fevrier-2018.html">Aligre FM</a><br></em></p><p></p><hr><p></p><p><em> </em></p> <h2>Auteurs de polars</h2> <p><strong>Dashiell Hammett, 1894–1961 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w202/1521398367_hammet.jpeg"></strong></p><p>Six ans détective privé à l’agence Pinkerton, considéré comme le fondateur du roman noir. Ses premières nouvelles paraissent en 1922 et il est l’auteur, entre autres, de <em>La Moisson rouge</em>, <em>Le Faucon maltais </em>et de <em>La Clé de verre</em>. Sa carrière d’écrivain prend fin en 1934. Dans <em>La Moisson rouge</em>, récit violent, explosif, d’une extraordinaire énergie verbale, il met le récit en résonance avec les traumatismes et la crise morale que le pays traverse après la première guerre mondiale et avec l’arrivée du fordisme. Il continue une activité de scénariste, boit beaucoup et est arrêté pour appartenance au parti communiste et condamné à une peine de prison du temps du maccarthysme. La tuberculose l’emporte en 1961. </p><p><strong>Raymond Chandler, 1888-1959 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w225/1521679874_chandler.jpeg"></strong></p><p>Vice-président du Dabney Oil Syndicate, place qu’il perd à cause de son alcoolisme, c’est le génie absolu du genre. Sa première nouvelle est publiée en 1933 et son premier roman, Le grand sommeil, en 1939. Il meurt d’une pneumonie en 1959. </p> <p><strong>William Riley Burnett, 1899-1982 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w218/1521679876_william.jpeg"></strong></p><p>Commence à écrire très tôt, remporte un prix de la nouvelle à l’âge de 13 ans, passe un diplôme de journaliste, lit Mérimée, Flaubert, Balzac et Maupassant. A 28 ans, il a déjà écrit une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des centaines de nouvelles, tout cela sans arriver à trouver d'éditeur. En 1927, il s’installe à Chicago, la ville des gangsters. Gardien de nuit dans un petit hôtel de quartier où il côtoie des personnages des bas-fonds, boxeurs, hooligans, chômeurs, il y trouve le sujet de son premier roman noir, lequel va révolutionner le genre, sera vendu à 100 000 exemplaires et marquera l’irruption du genre dans la littérature mainstream:<em> Little Caesar</em>. La vieillesse l’emporte à l’âge de 83 ans. </p> <p><strong>James M. Cain, 1892-1977 </strong></p><p>Prof de math et d’anglais, il est envoyé en France en 1918, y devient rédacteur du journal de sa division. Il a été directeur du<em> New Yorker</em>, il publie sa première nouvelle à l’âge de 42 ans. Son Le Facteur sonne toujours deux fois aura de fortes répercussion sur le genre du polar. </p> <p><strong>Jim Thompson, 1906-1977 <img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w400/1521679875_jimthompsonm344236.jpg"></strong></p><p>Fils d’un sheriff, il part chercher fortune dans l’industrie pétrolière. Il se forme à l’écriture en écrivant pour des journaux à scandales. En 1942, il publie son premier roman, <em>Ici et maintenant</em>. Il en écrira 29 au total. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des géants du genre. Il mourra inconnu, dans la misère, emporté par une cirrhose du foie. </p> <p><strong>Mickey Spillane, 1918-2006 </strong></p><p>Commence sa carrière dans des magazines de mode, puis écrit pour Marvel des histoires de super héros, dont <em>Capitain Americ</em>a. Pendant la deuxième guerre mondiale, il entraîne des pilotes de chasse. Son premier roman, publié en 1946, <em>I, the Jury</em>, lui vaut une gloire immédiate. Les critiques bien-pensants le haïssent. Il devient riche, célèbre et fait des apparitions dans une série de publicités vantant les mérites d'une bière, la Miller Lite. Il meurt d’un cancer en 2006. </p> <p><strong>David Goodis, 1917-1967 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w188/1521679874_goodis.jpeg"></strong></p><p>Ecrivain mercenaire de l'industrie du divertissement, à Hollywood ou ailleurs. C’est un mélancolique qui vit la plupart du temps avec sa mère. C’est lui qui assure avec La Nuit tombe le changement de vision du monde entre l’avant et l’après-guerre, le passage de relais entre des mecs passablement virils et des paumés à moitié clochardisé. Il publie son premier livre <em>Retour à la vie</em> en 1938, et s'installe à New York. Il obtient le succès en 1946 avec son <em>Cauchemar</em>. L'adaptation de ce livre en 1947, sous le titre <em>Les Passagers de la nuit</em> avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui vaut d'être engagé par la Warner Bros comme scénariste à Hollywood. Il meurt oublié de tous et ce sont les français qui vont le réhabiliter. 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Son œuvre se compose d'une vingtaine de romans, d'un grand nombre de nouvelles et d'un formidable essai, <em>L'Art du suspense</em>, 1981. Une leucémie l’emporte à l’âge de 74 ans,. </p> <p><strong>Vin Packer, 1927- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w130/1521679873_avt_marijanemeaker_9192.jpeg"></strong></p><p>De son vrai nom Marijane Meaker, elle publie vingt nouvelles entre 1952 et 1969 sous le nom de plume Vin Packer. C’est la romancière lesbienne par excellence. Elle va multiplier les pseudonymes et publier dans tous les genres. Elle est toujours vivante. </p> <p><strong>James Ellroy, 1948- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w185/1521679874_ellroy.jpeg"></strong></p><p>Sa mère a été assassinée par un tueur en série. Il écrit comme un dieu. Il a une force obsessionnelle qui emporte tout sur son passage. Il n’est jamais parodique et toujours puissamment habité par une invraisemblable volonté de dire et de raconter encore et encore toutes les turpitudes angelos. S'affirmant comme conservateur et réac, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption, fil conducteur de nombre de ses ouvrages. Il n’écrit qu’un écoutant en boucle les 9 symphonies de Beethoven et n’est pas loin de se considérer comme le Tolstoï américain du début du XXIe siècle. </p><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 polars américains favoris </h2><h4>Dashiell Hammett, <em>La Clef de verre</em>, 1931.<br>Raymond Chandler, <em>The Long Goodbye</em>, 1953.<br>David Goodis, <em>La Lune dans le caniveau</em>, 1953.<br>Charles Williams, <em>Fantasia chez les ploucs</em>, 1956.<br>Chester Himes, <em>La Reine des pommes</em>, 1957.<br>Jim Thompson, <em>Pottsville, 1 280 habitants</em>, 1964.<br>G. V. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. Nous avons aussi un code couleur, blanc, noir, vert, dans une multitude de dégradés, vingt maisons, vingt trous, quarante vases, vingt bols, dix assiettes, des sexes en érection, des sexes au repos, des larmes, beaucoup de visages d’hommes en larmes, un jardin enchanté et bouleversant de quotidienneté sublimée, une gifle, des enlacements de substitution entre hommes, une femme seule entre deux âges, un site de rencontre, un semblant d’ordre monastique avec ses règles propres, un monde fantasmatique avec sa trivialité d’une infinité de possibles et elle en maîtresse de ce grand jeu érotique, donc deux récits parallèles, le sien, le leur, ni libertinage, ni misère sexuelle, juste la langue du désir, avec ses lourdeurs, ses légèretés, ses lapsus, ses aveux, ses refoulements, ses grossièretés, ses finesses.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1710927703_jardin_couverture_rgbbassedef.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="262" /></p> <h4>«Le Jardin des Candidats», Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, Editions FRMK, 256 pages.</h4> <h4>Le livre accompagne la <a href="https://cartoonmuseum.ch/ausstellungen/dominique-goblet" target="_blank" rel="noopener">rétrospective Dominique Goblet</a> au Cartoonmuseum à Bâle qui a lieu du 2 mars au 26 mai.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'dominique-goblet-un-livre-envoutant-et-une-exposition-a-bale', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 23, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 1 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4791, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Le roman noir en France, incarnations diverses', 'subtitle' => 'Roman gothique anglais, roman-feuilleton, roman à énigme, roman prolétarien, fait divers criminel, «hardboiled» américain, roman réaliste, Série noire, néo-polar, les racines du roman policier français sont multiples et chaque génération a les siennes. «Le roman noir: une histoire française» de Natacha Levet retrace, avec une constante acuité critique et une érudition consciencieuse, l’histoire plus que centenaire du roman policier français.', 'subtitle_edition' => 'Roman gothique anglais, roman-feuilleton, roman à énigme, roman prolétarien, fait divers criminel, «hardboiled» américain, roman réaliste, Série noire, néo-polar, les racines du roman policier français sont multiples et chaque génération a les siennes. «Le roman noir: une histoire française» de Natacha Levet retrace, avec une constante acuité critique et une érudition consciencieuse, l’histoire plus que centenaire du roman policier français.', 'content' => '<h3>Réalisme et naturalisme</h3> <p>Emile Gaboriau et Gaston Leroux sont les chroniqueurs judiciaires tout autant des petites transgressions des normes sociales que des moments de brusque déséquilibre dans l’ordre des choses. La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Pas mal de vitres cassées remplacées par des morceaux de carton, des tuyaux de poêle pointant par diverses ouvertures, du linge étendu sur des barres d’appuis. On dirait une enquête de Zola, mais lui, Malet, a tout inventé et en ne s’inspirant non pas de Dashiell Hammett ou de <i>Scarface</i>, mais d’Arsène Lupin, Fantômas et Fu Manchu d’où est tiré le patronyme Burma; et en usant de nombreux emprunts à l’anglais: trench-coats, cop, docks, drugstore, building, policemen, barmaid ou knock-out.</p> <h3>La Série noire</h3> <p>En 1964, Sartre, dans son autobiographie, <i>Les Mots</i>, déclare qu’il lit plus volontiers un <i>Série</i> <i>noire</i> que Wittgenstein. Cette nouvelle collection a été lancée par Gallimard en 1945, pour publier des romans <i>hardboiled</i>. Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. Auguste le Breton renouvelle ensuite l’exploit avec <i>Du rififi chez les hommes</i>.</p> <h3>Le roman noir à la française</h3> <p>La classe moyenne, tout en se consolidant dans les années 50 et 60, aura son Homère en la personne de Georges Simenon et ses 75 romans mettant en scène le commissaire <i>Maigret.</i> Cette épopée d’une société rurale et ouvrière mutant vers le tertiaire rencontrera un succès planétaire et, en nombre d’exemplaires vendus, sera en concurrence avec la Bible. Auscultant inlassablement le capitalisme moderne, le Liégeois captera ses heurts, ses changements, ses frictions et pour lui, comme pour le roman noir en général, le cinéma sera fondamental. Une adaptation d’un de ses livres avec Jean Gabin dans le rôle-titre, c’est la certitude d’atteindre des tirages phénoménaux.</p> <p>Pour le reste, Manchette le notera dans l’une de ses chronique, les truands du roman noir sont réac et ne cessent de se plaindre du temps qui passe. Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. 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Qu’ont-elles à voir entre elles? C’est simple. 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Et on a affaire aussi bien à l’amitié franche et virile qui existe entre Asger Jorn et Christian Dotremont qu’à l’amitié décharnée et ascétique entre Samuel Beckett et Bram van Velde, à l’amitié sensuelle et libertine entre Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché qu’à l’amitié tendre et fidèle entre Pier Paolo Pasolini et Silvana Mauri.</p> <h3>L'amitié entre femmes</h3> <p>Rachel Carson et Dorothy Freeman, l’une théoricienne de l’écologie, biologiste, auteur du <i>Printemps silencieux</i> qui aboutit à l’interdiction du DDT aux Etats-Unis, l’autre, enseignante dans un institut d’agriculture, ont dans les 45 ans quand elles se rencontrent, un été, sur une île, et sont ravies d’avoir enfin trouvé quelqu’un à qui parler, quelqu’un avec qui partager ses intérêts et sentiments. Après deux années d’échanges, Rachel signe ses lettres d’un <i>ILY</i> (I Love You). C’est chaud. Elle lui écrit tous les jours. Le soir, de son lit. Le matin, avant d’aller travailler. 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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Un parcours, la reconstitution d’un paysage avec ses hauts, ses bas, ses impressions sonores, visuelles, tactiles, ses zones de brouillard. La laiterie, les ponts de grange typiques de son «petit coin de terre vaudoise», le tas de fumier avec sa planche en bois qui permet à la brouette de passer dessus, la remorque à lisier, la fosse à purin, le convoyeur, tapis roulant, avec au centre du village, solide et massive, une grande fontaine de campagne à deux bassins.</p> <h3>Le sol</h3> <p>Cela commence par le sol parce que l’on passe beaucoup de temps au sol lorsqu’on est un petit enfant. On ne sait pas encore marcher, on se fatigue vite, on tombe, et la vue est plus courte. Il y a cette myopie enfantine, on regarde le proche, ce qu’on trouve sous la main, ce qu’on tâte, et puis à partir de ce point de vue, petit à petit la vue se développe et on voit l’environnement de manière un peu plus large mais toujours à partir d’un point très précis du sol. Au début donc, pour l'auteur, tout est sol et rien que sol, sol de l’enfance, sol socle. Il commence par décrire ce sol là où il est le plus dur, la route goudronnée, goudron et gravillons mêlés, son odeur forte, puis il passe au sable, à l’herbe, à la terre sèche ou boueuse, au gravier, au parquet, aux dalles, au tapis, aux couvertures. Oui, il s’agit d’arpenter ce territoire, et ce défilement va se retrouver dans l’écriture et avec le mouvement, ce détachement, cette impression de glisser sur les choses. Il s’agit aussi de prendre conscience de l’immensité de ce qui nous entoure, de la distance entre deux poteaux d’un but de football. </p> <h3>Son style</h3> <p>Plus intéressé par la vérité des sensations, des impressions, des sens, des perceptions que par celle des souvenirs, Alain Freudiger effeuille, effleure, prend son temps, ne brûle pas les étapes et use d’une grande précision dans l’usage du vocabulaire, et de peu de qualificatifs. C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. Nanti d’une très bonne mémoire, il remonte donc le fleuve de cette enfance pour décrire précisément ce moment où pour lui, entre ses quatre et sept ans, tout était neuf.</p> <p>Temps où chaque paysage, chaque situation, chaque personnage, animal, plante, tout était l’objet d’un étonnement, d’une impression plus ou moins forte. </p> <h3>Le père</h3> <p>Un grand l’ennuie, son père lui dit qu’il se venge parce qu’il n’aime pas le catéchisme car, oui, son père est pasteur. Ce père explique aussi qu’on ne peut dire ni «nom de Dieu», ni «j’adore le chocolat», qu’on ne doit pas jurer et qu’il n’y a que Dieu qu’on adore. Ce père qui regardait toujours ses fils avec bienveillance et qui leur lit chaque soir un chapitre de l’<i>Iliade </i>ou de l’<i>Odyssée</i>. Néanmoins, le soir, avant d’aller dormir, tout est agité, alors, tous ensemble, ils chantent d’une voix très douce une chanson au pouvoir apaisant:</p> <p><em>Demeure par ta grâce, Avec nous Dieu sauveur!</em></p> <p><em>Quoi que l’Ennemi fasse, Protège notre cœur</em> </p> <h3>Le corps, les mouvements, les seuils</h3> <p>Le corps est bien là et les blessures font partie de la vie de tous les jours. A un moment, il y a la morsure par un chien, la blessure qui pourrit et les croûtes, qui peu à peu se détachent, les ecchymoses, les entailles, le corps griffé par les ronces, le corps qui change de forme après avoir été piqué par un insecte ou par la pointe en silice des orties se plantant comme une aiguille dans l'épiderme. </p> <p>Rien d’aérien ou d’évaporé, il y a incarnation. La dynamique de l’écriture est mouvement car l’auteur est très sensible à l’oralité, au rythme, au côté marcheur. Il accorde une grande importance aussi aux seuils, au fait de les franchir, de passer d’un lieu à l’autre, d’un extérieur à un intérieur, d’un chemin à une route, d’un bois à un pré, de toutes les perceptions et des effets de surprise. </p> <h3>Les animaux et les plantes</h3> <p>Il insiste également sur l’importance des animaux, les abeilles, les chiens, les corneilles, les taupes, les hérissons écrasés au bord de la route, les oies, le dindon qui fait peur, les vaches qui traversent le village, les coccinelles, les chenilles, les vertes et les brunes, les poux, les chevaux, les chèvres, les moutons.</p> <p>Et le champ de maïs avec ses innombrables couloirs qui avancent à l’infini et qui cachent les enfants de tous les regards. Les bottes de paille, le seigle, le blé, l’orge. Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.</p> <h3>Le côté pop</h3> <p>Le chewing-gum, les Lego, les cigarettes filtres, les jeux électroniques avec leur écran à cristaux liquides, une maquette d’avion. L'auteur, enfant, reconnaît très bien les voitures, sait différencier très tôt une Mini Cooper d’une Alfa Roméo, et il est admiré par les adultes pour cela. Une petite poignée de dessinateurs, cinéastes ou groupes, Agnès Rosenstiehl, Yves Yersin, Etienne Delessert, Jörg Müller, les Forbans ou Téléphone, la télévision – où on la place dans la maison, dans quelle position on se met pour la regarder, son premier film: <i>La Grande Vadrouille</i>. </p> <h3>Les autres enfants</h3> <p>Chacun a son caractère. Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.</p> <h3>Le bonheur</h3> <p>Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique. </p> <p>Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. Oui, s’il y a une mélodie dans ce livre, c’est celle du bonheur, d’un bonheur calme, tendre et paisible.</p> <p>Le moulin du village, l’endroit le plus paradisiaque de sa prime enfance, dit-il – un bassin en pierre plein d’eau dans lequel les enfants peuvent se baigner en jouant avec des chambres à air. </p> <p>Au soir tombant, en rentrant au crépuscule, après le portail toujours ouvert, être accueilli par les lumières jaunes aux fenêtres, par une chaleureuse image d’un foyer chaud et lumineux, oui, accueilli par le père ou la mère. Heureux les pacifiques. Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.</p> <p>Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local. </p> <h3>Le paradis d'avant la Chute</h3> <p>Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.</p> <p>Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. Aux uns, une pente douce, aux autres, des montagnes russes, peu ont eu un rapport aussi harmonieux à leur fratries, peu ont été aussi aimés par leurs parents et moins encore se sentaient les égaux de tous. C’est bien là qu’est le tour de force d’Alain Freudiger. Avec lui, nous sommes dans le paradis de Jérôme Bosch, chez le Breughel de La Chute d’Icare. Mais l’enfer et l’occupation espagnole, cela sera pour une autre fois. Nous sommes dans la campagne romande au début des années 80 et dans les derniers temps heureux de l’histoire de l’humanité. Juste avant l’arrivée massive de la microinformatique, des séries HBO et du réchauffement climatique.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1705961015_arpente2.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="300" /></p> <h4>«Arpenté», Alain Freudiger, Editions La Baconnière, 152 pages.</h4>', 'content_edition' => '', 'slug' => 'une-enfance-heureuse-a-la-cure-de-pailly-dans-le-gros-de-vaud', 'headline' => null, 'homepage' => null, 'like' => (int) 51, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1, 'homepage_order' => (int) 1, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' } ] $embeds = [] $images = [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) { 'id' => (int) 3346, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'name' => 'polar.jpg', 'type' => 'image', 'subtype' => 'jpeg', 'size' => (int) 101536, 'md5' => '31f93a8c5e01a65ed9ebad9263f5a096', 'width' => (int) 1000, 'height' => (int) 736, 'date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'title' => '', 'description' => 'The Asphalte Jungle, un film de John Huston, sorti en 1950 et tiré du roman éponyme de William R. 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Une foultitude de dictionnaires et d’encyclopédies, de livres pour les fans et les collectionneurs, existent dans le domaine du polar. Avec Front criminel, qui vient de paraître aux Editions PUF, il s’agit de tout autre chose, d’une ambition infiniment plus grande: démontrer en quoi et comment l’histoire de la littérature policière américaine du vingtième siècle fut celle d’une suite de luttes de libération.
Il s’agit de rien de moins, pour Benoît Tadié, l’auteur de cette somme, que de raconter l’histoire d’une tentative d’émancipation, plus ou moins réussie selon les moments, de l’Amérique contre l’Europe, des dominés contre les dominants, des minorités raciales ou sexuelles contre les majorités et de nous donner à voir comment le genre le plus méprisé de tous, en un remarquable retournement dialectique, incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord américain.
La chronologie
Elle est fondamentale et en France, la vision de l’ancrage historique des romans noirs américains a été totalement faussée parce que la plupart des auteurs ont été publiés à la même époque − entre 1945 et 1960, ceux des années 20 comme ceux des années 50. Ce qui a eu pour effet d’amalgamer des livres qui avaient des origines et des ambitions très différentes.
Du coup, l’opposition très marquée entre la partie sombre et la partie émancipatrice de ces récits a complètement échappé aux lecteurs européens. En France, on s’est toujours uniquement intéressé à l’aspect sombre, le côté «la vie est dégueulasse, le soleil n’est pas pour nous» et jamais à l’aspect «espoir», alors que le genre s’est construit sur une tension entre ses deux pôles.
L’émancipation
D’un côté, nous avons un roman noir qui décrit une société impitoyable dans laquelle l’effort individuel est toujours confronté à des puissances occultes qui ont tendance à l’écraser mais, d’un autre côté, et en parallèle, nous avons aussi le récit de la montée en puissance d’une affirmation démocratique qui passe à la fois par l’origine sociale de ceux qui écrivent et, dans la forme du récit et de la narration, par l’affirmation d’une langue qui s’émancipe de l’anglais d’Angleterre et du parlé des classes sociales dominantes indigènes, ceci avec une expressivité virile et une parole irrévérencieuse qui décapent tous les faux semblants et toutes les hypocrisies d’usage.
Les pulps
Très mal considérés, les pulps constituent pendant un demi-siècle l’authentique littérature du prolétariat américain. Ces histoires offrent à leurs lecteurs des héros aux mœurs façonnés par la rue et des modèles de langage et de comportements égalitaires et démocratiques. Ils sont destinés aux classes populaires et non pas aux lettrés. Les récits qui paraissent sous la forme de pulps, ressemblent à leurs lecteurs et décrivent un mode de vie et des préoccupations qui leur sont familières. C’est une littérature faite par et pour le peuple. C’est en cela qu’elle reflète une visée émancipatrice.
La fiction dur-à-cuire − hard boiled − naît dans le magazine Black Mask entre 1922 et 1926, et le genre devient une entreprise consciente et concertée à partir de 1927. Les premières histoires publiées sont celles de Caroll John Daly et de Dashiell Hammett. La Moisson rouge d’Hammet est de 1929. Récit violent, explosif, témoignant d’une extraordinaire énergie verbale, il use d’une langue neuve, sèche, violente et surtout monosyllabique.
Raymond Chandler et Philip Marlowe
Chandler est né à Chicago mais a fait ses études et a grandi en Angleterre. Pour écrire dans des pulps, à l’âge de 45 ans, il doit se familiariser avec la langue vernaculaire locale, idiome qu’il ne pratiquait pas. Il apprend cet anglais si différent du sien comme on apprend une langue étrangère! Et c’est cela qui le rend si inventif au niveau du langage. L’argot qu’il utilise n’est pas celui de la rue mais sa propre création.
Là où le récit de Hammett, concentré sur des points d’intensité maximum, marque les temps forts en une sorte de sténographie de l’action, celui de Chandler, plus descriptif, met en valeur les temps morts, le silence, l’immobilité, l’atonie; de l’action rapide, on passe à un ralenti extrême, de la maîtrise de soi à la peur panique, de l’engagement violent à la souffrance impuissante; d’un monde hyperréaliste, stylisé, à un espace flou; d’une langue énergique et efficace à d’impuissantes répétitions, litanie de résignations et de sursauts brutaux d’instincts primaire et d’aspiration à survivre à tous prix. Philip Marlowe, le héros de Chandler, ce redresseur de torts, est à la recherche d’un sens absent et est souvent à deux doigts de tomber dans une pure paranoïa fascistoïde et, paradoxalement car on le lit en général comme un auteur progressiste, chacun des romans de Chandler peut être lu comme mettant en scène l’une des cibles de son aversion. Cela peut être tout autant les Noirs, que les Asiatiques, les Mexicains ou encore, cliché de l’époque, les homosexuels, et bien entendu, de façon systématique, les femmes.
Les gangsters
Le roman de gangsters apparaît quelques années après les premières histoires de détectives dur-à-cuire. Le Little Caesar (1929) de W. R. Burnett impose ce genre de pur récit absolument dépouillé de tous propos moralisateurs. Il ne s’agit plus d’un combat entre les bons et les méchants mais d’une âpre concurrence des gangsters entre eux. Burnett est aussi l’auteur de High Sierra et d’Asphalt Jungle. Ces ouvrages et les versions cinématographiques qui en furent tirés, toutes exceptionnelles, imposèrent les trois scénarios-type du roman/film de gangsters: ascension et chute, évasion et cavale, casse malheureux. Soit Little Caesar de Mervyn Le Roy (1930), Public Enemy de William A. Wellman (1931), Scarface de Howard Hawks (1932), High Sierra de Raoul Walsh (1941) et Asphalt Jungle de John Huston (1950).
Hollywood
Vers 1930, le polar entre dans le champ de force hollywoodien qui va élever son contenu jusqu’à la force intemporelle du mythe. Le centre de gravité du polar bascule de l’Est vers l’Ouest, de Chicago vers Los Angeles, de Hammett vers Chandler, des pulps vers les studios. Chandler commence à écrire des histoires criminelles à la fin de 1933, l’année où paraît le dernier roman de Hammett et où s’achève la Prohibition, cette interdiction de vendre des boissons alcoolisées qui dura de 1919 à 1933. Le maître dont il s’inspire est Paul Cain, qui décrit des rackets, chantages et ventes de drogue dans les studios de cinéma. Chez Cain, les mœurs hollywoodiennes sont suggérés avec humour comme Death Song, roman dans lequel une actrice est assassinée d’un puissant coup sur son crâne donné à l’aide d’un vibromasseur surdimensionné, objet avec lequel, écrit l’auteur, elle se soignait lors de ses crises d’hystérie.
Hollywood n’est pas que le centre du cinéma, il est aussi celui de la fiction. Les studios deviennent une puissance qui standardise, pour un temps, toute la culture américaine. C’est une industrie gigantesque. Fin 1931, il y avait 354 auteurs employés à temps plein et 435 à temps partiels dans les studios hollywoodiens pour un coût global de 7 millions de dollars.
Cols bleus et vagabonds
Avec la crise, dans les années 30, apparaissent des personnages de marginaux à la dérive, des individus pulsionnels cherchant à prendre tous les raccourcis possibles pour réaliser leurs désirs et qui, du coup, tombent dans le crime et dans la tragédie. L’archétype en étant le personnage de James M. Cain dans Le Facteur sonne toujours deux fois.
Jim Thompson a été hobo dans sa jeunesse et membre du syndicat des Industrial Workers, comme les personnages du premier grand roman du genre, La Moisson rouge de Hammett. Dans la culture contestataire du hobo la criminalité apparaît comme une forme de contestation, de redistribution des richesses dans un monde totalement inégalitaire. Ce sont des histoires racontées avec un langage teinté d’expressions dialectales, de tournures reprises dans les différents argots locaux, de mœurs toujours habité d’envie, de bassesse et d’une libido tellurique.
Tous décrivent leur époque. En 1936, par exemple, un ex-hobo, ami de Jim Thompson, George Milburn, publie un roman satirique intitulé Catalogue, racontant l’arrivée de l’un de ces objets dans une petite ville et la façon dont il va bouleverser la vie de ses habitants…
Après, il y a eu une période de politisation correspondant à l’époque du Front populaire en France, de la lutte antifasciste. Cette période court jusqu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un militantisme recrudescent qui s’affirme à tous les niveaux de la culture américaine et qu’on perçoit très bien dans les récits d’outlaw à la Dillinger, ce bandit au grand cœur qui braqua deux douzaines de banques et attaqua quatre commissariats de police. Ces gangsters sont porteurs d’une revendication de classe assez forte contre l’univers de la finance et des magnats capitalistes. La grande majorité des auteurs de polar se sont tous, à un titre ou à un autre, engagé dans le combat antifasciste. Et pendant la guerre, dans leurs récits, certains gangsters se retrouve muté en agents nazis ou proto-fascistes.
La mise au format
Il a des moments où le genre est très codifié et d’autres où il éclate complètement, par exemple lors de la révolution que représente le livre de poche dans les années 50, ou bien plus tard avec des séries comme The Wire, The Soprano et Breaking bad dans le domaine des séries actuelles. Là, on a une interpénétration hyper impressionnante des genres. Avec, par exemple, le western noir et ses hors–la-loi des années 1870 qui se comportent comme des tueurs de la mafia de 1950 et dans lesquels les rapports entre les sexes n’ont plus ce côté puritain si caractéristique des westerns mais la crudité de mise sous le règne du capitalisme triomphant.
David Goodis versus les justiciers solitaires
Le changement d’époque entre l’avant et l’après guerre est radical. Tout ce qui a été publié avant 1945 sera pendant un temps oublié et refoulé. La vigilance antifasciste va se transformer en vigilantism paranoïaque et les romans de Mickey Spillane, mettant en scène le monologuant Mike Hammer, battront tous les records de vente.
Le roman noir de l’époque se peuple de déserteurs, d’amnésiques, de fuyards, de criminels, de débris d’une communauté dissoute.
C’est exactement ce qui fascine Goodis: le déclassement, l’amnésie et la solitude. Son Cassidy’s Girl, (1951), par exemple, qui sera vendu à plus d’un million d’exemplaires, raconte l’histoire d’un ancien pilote qui végète sur le waterfront de Philadelphie.
Puis arrive le Maccarthisme. Là, il y a un décrochage politique d’auteurs qui avaient été militants, chez qui quelque chose se casse, qui perdent leurs illusions. Eux qui étaient très politisés, comme Thompson ou Goodis, virent au noir absolu. Dorénavant, nous aurons affaire à des personnages encore plus marginaux, plus sombres, plus désaffiliés de tout groupe et de toute communauté.
Chez Thompson, par exemple, ses héros, Lou Ford et Nick Corey, plutôt que libérer les pauvres comme les héros thompsoniens le faisaient avant-guerre, les éliminent froidement. Les masses étant devenues passives, jugent-ils, elles méritent d’être violemment châtiées pour cela.
Les paperbacks
La guerre a éveillé des aspirations démocratiques et le livre de poche, son ambition première étant de démocratiser l’accès à la culture, est l’une des réponses à ses aspirations. Il est vendu partout, dans tous les kiosques, dans tous les drugstores et dans toutes les gares. Il coûte 25 cents et met la culture à la disposition des hommes, des femmes et des adolescents ordinaires. Il est impersonnel, amical, égalitaire et il ne hiérarchise pas entre eux les livres qu’il publie. On peut, séduit par la femme nue qui se pavane sur la couverture, se retrouver avec un livre de Jean-Paul Sartre tout comme avec un Heidi ou un Ben-Hur. Sur les présentoirs, tous les ouvrages s’offrent de façon égale. Aucun vendeur ne vous aide à choisir et personne n’est là pour vous empêcher de prendre le livre que bon vous semble.
Gentrification, embourgeoisement du genre
Dans les livres de poche originaux les personnages principaux sont des hors castes: monde de personnage de foire, de stripteaseuses, d’hipsters, de parieurs, de junkies, de fugitifs. Les deux auteurs les plus vendus sont le mal pensant Mickey Spillane et le bien-pensant, Erskine Caldwell. Toute une démocratie de parias underground apparaît en une discrète apologie de formes rebelles à l’ordre social et des adeptes de pratiques sexuelles non-formatées.
Races et genres
En juillet 1948 est publié une nouvelle dont un policier Noir est le héros. C’est une première! L’auteur est Chester Himes, ancien taulard afro-américain, né en 1909 et autodidacte, exilé à Paris à partir de 1953. Il est le créateur d’une série de neuf romans mettant en scène Ed Cercueil et Fossoyeur Jones et qui décriront, avec truculence et une bonne dose de désespoir, la vie quotidienne des noirs d’Harlem.
L’émergence de la scène gay et lesbienne dans le polar, au début des années 50, suit une dynamique parallèle et comparable à celle du polar afro-américain. Pendant l’entre-deux-guerres, on ne trouve que des représentations de l’homosexualité caricaturales ou phobiques: mignons sadiques, criminels efféminés et minaudant, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos porno et maître chanteur gluants et abjects.
Le tournant s’opère en 1948 avec la publication du rapport d’Alfred Kinsey, Sexual Behavior in the Human Male, qui révèle que 37% de la population masculine américaine a connu des expériences homosexuelles. L’Inconnu du Nord-Express est l’histoire de la rencontre entre deux hommes… Eh oui! Dans les années 50, Patricia Highsmith et Vin Packer infléchissent l’ethos dur-à-cuire, en déstabilisant la posture du héros viril et l’économie libidinale du récit, en déconstruisant une culture patriarcale et hétéronormée, en affichant des protagonistes gays et lesbiens, aucunement caricaturaux, et en menant ainsi une lutte émancipatrice dans et par le polar
En 1952, Marijanne Meaker publie en livre de poche original, Spring Fire, une commande de l’éditeur qui imaginait que le sujet de l’homosexualité féminine allait titiller son public, masculin à 98,5%, mais après la sortie du livre, à sa grande stupéfaction, elle reçoit des centaines de lettres, vraiment par cartons entiers, qui toutes proviennent de femmes, de femmes gays…
Le polar actuel: de la série archi normée et super calibrée
A la fin des années 60, la télévision s’empare du public des livres de poche. Tout le monde se met à travailler pour les séries de télé. Aujourd’hui encore, des auteurs à succès comme Michel Connelly ou Dennis Lehane vivent surtout des séries télévisuelles. Leur succès mondial s’accompagne d’un alignement sur les nouvelles normes du marché: un allongement de la longueur des romans, passée de 160 à 400/500 pages et une standardisation de leurs titres.
Le dernier des modernes
James Ellroy étant un des rares auteurs qui pendant 20 ans a associé à un imaginaire tout à fait foisonnant une volonté d’écriture d’avant-garde mais jamais gratuite, qui n’est ni jeu ni pastiche et qui semble vraiment motivée par ses obsessions. Il a ainsi réussi une synthèse entre la basse et la haute littérature, et ceci sans même le chercher. Le fait divers est chez lui le moteur même de l’histoire. Il empoigne à pleines brassées les sources éphémères, presse quotidienne, rapports de police, magazines à scandale, pour les rendre légendaires. Son obsession pour les mutilations, liée à son traumatisme d’origine, aboutit à un style heurté, survolté, éliminant les propositions sujet-verbe-compléments, brisant les syntagmes pour se perdre dans le magma d’une unique image répétée et variée à l’infini. Il ne lie plus, il accumule. Il n’est plus dans l’image, la description, il est dans le son, dans la pulsion, des battements cardiaques qui s’accélèrent, s’accélèrent, s’accélèrent…
Pour conclure
Littérature vivace et à tendances démocratiques et révolutionnaires très marquées, la littérature policière américaine fut certainement le genre le plus fécond du vingtième siècle. Par ailleurs, il s’avère que les genres populaires connaissent des cycles: dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, ils sont divertissement, ensuite, des nouveaux venus, auteurs et éditeurs, s’en emparent et en font un support d’émancipation, de revendication, de classe ou identitaire ou de genre, et ceci jusqu’à ce que le système parvienne à nouveau à juguler l’élan libertaire que les nouveaux cycles contiennent et les transforment en insipides produits courants.
Il faut le répéter: en soi, la culture de masse n’a rien abêtissant et elle crée des œuvres magnifiques. Ce n’est certainement pas vrai partout et tout le temps, mais peu importe, occasionnellement, cela le fut, l’a été, l’est encore et le sera sans doute aussi longtemps qu’il y aura encore des dominés et des dominants!
Benoît Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, P.U.F. Éditions.
L’auteur sur Aligre FM
Auteurs de polars
Dashiell Hammett, 1894–1961
Six ans détective privé à l’agence Pinkerton, considéré comme le fondateur du roman noir. Ses premières nouvelles paraissent en 1922 et il est l’auteur, entre autres, de La Moisson rouge, Le Faucon maltais et de La Clé de verre. Sa carrière d’écrivain prend fin en 1934. Dans La Moisson rouge, récit violent, explosif, d’une extraordinaire énergie verbale, il met le récit en résonance avec les traumatismes et la crise morale que le pays traverse après la première guerre mondiale et avec l’arrivée du fordisme. Il continue une activité de scénariste, boit beaucoup et est arrêté pour appartenance au parti communiste et condamné à une peine de prison du temps du maccarthysme. La tuberculose l’emporte en 1961.
Raymond Chandler, 1888-1959
Vice-président du Dabney Oil Syndicate, place qu’il perd à cause de son alcoolisme, c’est le génie absolu du genre. Sa première nouvelle est publiée en 1933 et son premier roman, Le grand sommeil, en 1939. Il meurt d’une pneumonie en 1959.
William Riley Burnett, 1899-1982
Commence à écrire très tôt, remporte un prix de la nouvelle à l’âge de 13 ans, passe un diplôme de journaliste, lit Mérimée, Flaubert, Balzac et Maupassant. A 28 ans, il a déjà écrit une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des centaines de nouvelles, tout cela sans arriver à trouver d'éditeur. En 1927, il s’installe à Chicago, la ville des gangsters. Gardien de nuit dans un petit hôtel de quartier où il côtoie des personnages des bas-fonds, boxeurs, hooligans, chômeurs, il y trouve le sujet de son premier roman noir, lequel va révolutionner le genre, sera vendu à 100 000 exemplaires et marquera l’irruption du genre dans la littérature mainstream: Little Caesar. La vieillesse l’emporte à l’âge de 83 ans.
James M. Cain, 1892-1977
Prof de math et d’anglais, il est envoyé en France en 1918, y devient rédacteur du journal de sa division. Il a été directeur du New Yorker, il publie sa première nouvelle à l’âge de 42 ans. Son Le Facteur sonne toujours deux fois aura de fortes répercussion sur le genre du polar.
Jim Thompson, 1906-1977
Fils d’un sheriff, il part chercher fortune dans l’industrie pétrolière. Il se forme à l’écriture en écrivant pour des journaux à scandales. En 1942, il publie son premier roman, Ici et maintenant. Il en écrira 29 au total. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des géants du genre. Il mourra inconnu, dans la misère, emporté par une cirrhose du foie.
Mickey Spillane, 1918-2006
Commence sa carrière dans des magazines de mode, puis écrit pour Marvel des histoires de super héros, dont Capitain America. Pendant la deuxième guerre mondiale, il entraîne des pilotes de chasse. Son premier roman, publié en 1946, I, the Jury, lui vaut une gloire immédiate. Les critiques bien-pensants le haïssent. Il devient riche, célèbre et fait des apparitions dans une série de publicités vantant les mérites d'une bière, la Miller Lite. Il meurt d’un cancer en 2006.
David Goodis, 1917-1967
Ecrivain mercenaire de l'industrie du divertissement, à Hollywood ou ailleurs. C’est un mélancolique qui vit la plupart du temps avec sa mère. C’est lui qui assure avec La Nuit tombe le changement de vision du monde entre l’avant et l’après-guerre, le passage de relais entre des mecs passablement virils et des paumés à moitié clochardisé. Il publie son premier livre Retour à la vie en 1938, et s'installe à New York. Il obtient le succès en 1946 avec son Cauchemar. L'adaptation de ce livre en 1947, sous le titre Les Passagers de la nuit avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui vaut d'être engagé par la Warner Bros comme scénariste à Hollywood. Il meurt oublié de tous et ce sont les français qui vont le réhabiliter. François Truffaut, par exemple, avec son deuxième long métrage, Tirez sur le pianiste.
Chester Himes, 1909-1984
Issu d’une famille d’enseignants afro-américains, devenu jeune délinquant, il est condamné à 20 ans de prison. Il s’y cultive et y apprend à écrire, est libéré pour bonne conduite. Son premier roman, publié en 1945, parle de racisme. Il s’exile en France où sa rencontre en 1957 avec Marcel Duhamel se révèle décisive. Le fondateur de la Série Noire le convainc d'écrire des récits policiers. Son écriture se signale par sa puissance explosive, l’emballement du récit, sa prose toujours chargée d’électricité. Le succès vient rapidement, et Himes, avec ses deux héros noirs, à son tour, révolutionne le genre. Une très longue maladie l’emporte en 1984.
Patricia Highsmith, 1921-1995
Elle est élevée par sa grand-mère à New York où elle fait ses études (diplômée en anglais, latin et grec). En 1938, elle s'inscrit à l'université Columbia qu'elle quitte diplômée en 1942. Elle s'intéresse à l'écriture dès l'adolescence et publie sa première nouvelle, L'Héroïne, dans le magazine Harper's Bazaar en 1944. Son premier roman, L’Inconnu du Nord-Express, est publié avec succès en 1950. Il a été adapté trois fois au cinéma, notamment par Alfred Hitchcock en 1951. En 1952, elle publie un roman, Carol, sous le pseudonyme de Claire Morgan en raison de la description de relations lesbiennes. L'édition de poche se vendra à plus d'un million d'exemplaires. Son œuvre se compose d'une vingtaine de romans, d'un grand nombre de nouvelles et d'un formidable essai, L'Art du suspense, 1981. Une leucémie l’emporte à l’âge de 74 ans,.
Vin Packer, 1927-
De son vrai nom Marijane Meaker, elle publie vingt nouvelles entre 1952 et 1969 sous le nom de plume Vin Packer. C’est la romancière lesbienne par excellence. Elle va multiplier les pseudonymes et publier dans tous les genres. Elle est toujours vivante.
James Ellroy, 1948-
Sa mère a été assassinée par un tueur en série. Il écrit comme un dieu. Il a une force obsessionnelle qui emporte tout sur son passage. Il n’est jamais parodique et toujours puissamment habité par une invraisemblable volonté de dire et de raconter encore et encore toutes les turpitudes angelos. S'affirmant comme conservateur et réac, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption, fil conducteur de nombre de ses ouvrages. Il n’écrit qu’un écoutant en boucle les 9 symphonies de Beethoven et n’est pas loin de se considérer comme le Tolstoï américain du début du XXIe siècle.
Mes 10 polars américains favoris
Dashiell Hammett, La Clef de verre, 1931.
Raymond Chandler, The Long Goodbye, 1953.
David Goodis, La Lune dans le caniveau, 1953.
Charles Williams, Fantasia chez les ploucs, 1956.
Chester Himes, La Reine des pommes, 1957.
Jim Thompson, Pottsville, 1 280 habitants, 1964.
G. V. Higgins, Les Copains d’Eddie Coyle, 1971.
Edward Bunker, Aucune bête aussi féroce, 1973.
James Crumley, Putes, 1990.
James Ellroy, White Jazz, 1991.
Mes 10 films noirs favoris
Asphalt Jungle de John Huston, 1950. Adapté du roman éponyme de W. R. Burnett, 1949.
L’Inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock, 1951. Inspiré du roman éponyme de P. Highsmith, 1950.
La Nuit du chasseur de Charles Laughton, 1955. Tiré du roman éponyme de D. Grubb, 1953.
Psychose d’Alfred Hitchcock, 1960. Inspiré du roman Psycho de R. Bloch, 1959.
Guet-apens de Sam Peckinpah, 1972. Adapté du roman Le Lien conjugal de J. Thompson, 1958.
Le Privé de Robert Altman, 1973. Basé sur le roman The Long Goodbye de R. Chandler, 1953.
Chinatown de Roman Polanski, 1974. Scénario original de R. Towne.
Série noire d’Alain Corneau, 1979. Adapté du roman Des Cliques et des cloaques de J. Thompson, 1954.
Les Arnaqueurs de Stephan Frears, 1991. Adapté du roman éponyme de J. Thompson, 1963.
Le Silence des agneaux de Jonathan Demme, 1991. Adapté du roman éponyme de T. Harris, 1988.
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Avec<em> Front criminel</em>, qui vient de paraître aux Editions PUF, il s’agit de tout autre chose, d’une ambition infiniment plus grande: démontrer en quoi et comment l’histoire de la littérature policière américaine du vingtième siècle fut celle d’une suite de luttes de libération. </p><p>Il s’agit de rien de moins, pour Benoît Tadié, l’auteur de cette somme, que de raconter l’histoire d’une tentative d’émancipation, plus ou moins réussie selon les moments, de l’Amérique contre l’Europe, des dominés contre les dominants, des minorités raciales ou sexuelles contre les majorités et de nous donner à voir comment le genre le plus méprisé de tous, en un remarquable retournement dialectique, incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord américain. </p> <h3>La chronologie </h3><p>Elle est fondamentale et en France, la vision de l’ancrage historique des romans noirs américains a été totalement faussée parce que la plupart des auteurs ont été publiés à la même époque − entre 1945 et 1960, ceux des années 20 comme ceux des années 50. Ce qui a eu pour effet d’amalgamer des livres qui avaient des origines et des ambitions très différentes. </p><p>Du coup, l’opposition très marquée entre la partie sombre et la partie émancipatrice de ces récits a complètement échappé aux lecteurs européens. En France, on s’est toujours uniquement intéressé à l’aspect sombre, le côté «la vie est dégueulasse, le soleil n’est pas pour nous» et jamais à l’aspect «espoir», alors que le genre s’est construit sur une tension entre ses deux pôles. </p> <h3>L’émancipation </h3><p>D’un côté, nous avons un roman noir qui décrit une société impitoyable dans laquelle l’effort individuel est toujours confronté à des puissances occultes qui ont tendance à l’écraser mais, d’un autre côté, et en parallèle, nous avons aussi le récit de la montée en puissance d’une affirmation démocratique qui passe à la fois par l’origine sociale de ceux qui écrivent et, dans la forme du récit et de la narration, par l’affirmation d’une langue qui s’émancipe de l’anglais d’Angleterre et du parlé des classes sociales dominantes indigènes, ceci avec une expressivité virile et une parole irrévérencieuse qui décapent tous les faux semblants et toutes les hypocrisies d’usage. </p> <h3>Les pulps </h3><p>Très mal considérés, les<em> pulps</em> constituent pendant un demi-siècle l’authentique littérature du prolétariat américain. Ces histoires offrent à leurs lecteurs des héros aux mœurs façonnés par la rue et des modèles de langage et de comportements égalitaires et démocratiques. Ils sont destinés aux classes populaires et non pas aux lettrés. Les récits qui paraissent sous la forme de <em>pulps</em>, ressemblent à leurs lecteurs et décrivent un mode de vie et des préoccupations qui leur sont familières. C’est une littérature faite par et pour le peuple. C’est en cela qu’elle reflète une visée émancipatrice. </p><p>La fiction dur-à-cuire −<em> hard boiled </em>− naît dans le magazine <em>Black Mask</em> entre 1922 et 1926, et le genre devient une entreprise consciente et concertée à partir de 1927. Les premières histoires publiées sont celles de Caroll John Daly et de Dashiell Hammett. <em>La Moisson rouge</em> d’Hammet est de 1929. Récit violent, explosif, témoignant d’une extraordinaire énergie verbale, il use d’une langue neuve, sèche, violente et surtout monosyllabique. </p> <h3>Raymond Chandler et Philip Marlowe </h3><p>Chandler est né à Chicago mais a fait ses études et a grandi en Angleterre. Pour écrire dans des <em>pulps</em>, à l’âge de 45 ans, il doit se familiariser avec la langue vernaculaire locale, idiome qu’il ne pratiquait pas. Il apprend cet anglais si différent du sien comme on apprend une langue étrangère! Et c’est cela qui le rend si inventif au niveau du langage. L’argot qu’il utilise n’est pas celui de la rue mais sa propre création. </p><p>Là où le récit de Hammett, concentré sur des points d’intensité maximum, marque les temps forts en une sorte de sténographie de l’action, celui de Chandler, plus descriptif, met en valeur les temps morts, le silence, l’immobilité, l’atonie; de l’action rapide, on passe à un ralenti extrême, de la maîtrise de soi à la peur panique, de l’engagement violent à la souffrance impuissante; d’un monde hyperréaliste, stylisé, à un espace flou; d’une langue énergique et efficace à d’impuissantes répétitions, litanie de résignations et de sursauts brutaux d’instincts primaire et d’aspiration à survivre à tous prix. Philip Marlowe, le héros de Chandler, ce redresseur de torts, est à la recherche d’un sens absent et est souvent à deux doigts de tomber dans une pure paranoïa fascistoïde et, paradoxalement car on le lit en général comme un auteur progressiste, chacun des romans de Chandler peut être lu comme mettant en scène l’une des cibles de son aversion. Cela peut être tout autant les Noirs, que les Asiatiques, les Mexicains ou encore, cliché de l’époque, les homosexuels, et bien entendu, de façon systématique, les femmes. </p> <h3>Les gangsters </h3><p>Le roman de gangsters apparaît quelques années après les premières histoires de détectives dur-à-cuire. Le <em>Little Caesar</em> (1929) de W. R. Burnett impose ce genre de pur récit absolument dépouillé de tous propos moralisateurs. Il ne s’agit plus d’un combat entre les bons et les méchants mais d’une âpre concurrence des gangsters entre eux. Burnett est aussi l’auteur de <em>High Sierra</em> et d’<em>Asphalt Jungle</em>. Ces ouvrages et les versions cinématographiques qui en furent tirés, toutes exceptionnelles, imposèrent les trois scénarios-type du roman/film de gangsters: ascension et chute, évasion et cavale, casse malheureux. Soit <em>Little Caesar</em> de Mervyn Le Roy (1930), <em>Public Enemy</em> de William A. Wellman (1931), <em>Scarface</em> de Howard Hawks (1932), <em>High Sierra</em> de Raoul Walsh (1941) et<em> Asphalt Jungle</em> de John Huston (1950). </p> <h3>Hollywood </h3><p>Vers 1930, le polar entre dans le champ de force hollywoodien qui va élever son contenu jusqu’à la force intemporelle du mythe. Le centre de gravité du polar bascule de l’Est vers l’Ouest, de Chicago vers Los Angeles, de Hammett vers Chandler, des <em>pulps</em> vers les studios. Chandler commence à écrire des histoires criminelles à la fin de 1933, l’année où paraît le dernier roman de Hammett et où s’achève la Prohibition, cette interdiction de vendre des boissons alcoolisées qui dura de 1919 à 1933. Le maître dont il s’inspire est Paul Cain, qui décrit des rackets, chantages et ventes de drogue dans les studios de cinéma. Chez Cain, les mœurs hollywoodiennes sont suggérés avec humour comme <em>Death Song</em>, roman dans lequel une actrice est assassinée d’un puissant coup sur son crâne donné à l’aide d’un vibromasseur surdimensionné, objet avec lequel, écrit l’auteur, elle se soignait lors de ses crises d’hystérie. </p><p>Hollywood n’est pas que le centre du cinéma, il est aussi celui de la fiction. Les studios deviennent une puissance qui standardise, pour un temps, toute la culture américaine. C’est une industrie gigantesque. Fin 1931, il y avait 354 auteurs employés à temps plein et 435 à temps partiels dans les studios hollywoodiens pour un coût global de 7 millions de dollars. </p> <h3>Cols bleus et vagabonds </h3><p>Avec la crise, dans les années 30, apparaissent des personnages de marginaux à la dérive, des individus pulsionnels cherchant à prendre tous les raccourcis possibles pour réaliser leurs désirs et qui, du coup, tombent dans le crime et dans la tragédie. L’archétype en étant le personnage de James M. Cain dans <em>Le Facteur sonne toujours deux fois</em>. </p><p>Jim Thompson a été hobo dans sa jeunesse et membre du syndicat des Industrial Workers, comme les personnages du premier grand roman du genre, <em>La Moisson rouge </em>de Hammett. Dans la culture contestataire du hobo la criminalité apparaît comme une forme de contestation, de redistribution des richesses dans un monde totalement inégalitaire. Ce sont des histoires racontées avec un langage teinté d’expressions dialectales, de tournures reprises dans les différents argots locaux, de mœurs toujours habité d’envie, de bassesse et d’une libido tellurique. </p><p>Tous décrivent leur époque. En 1936, par exemple, un ex-hobo, ami de Jim Thompson, George Milburn, publie un roman satirique intitulé<em> Catalogue</em>, racontant l’arrivée de l’un de ces objets dans une petite ville et la façon dont il va bouleverser la vie de ses habitants… </p><p>Après, il y a eu une période de politisation correspondant à l’époque du Front populaire en France, de la lutte antifasciste. Cette période court jusqu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un militantisme recrudescent qui s’affirme à tous les niveaux de la culture américaine et qu’on perçoit très bien dans les récits d’outlaw à la Dillinger, ce bandit au grand cœur qui braqua deux douzaines de banques et attaqua quatre commissariats de police. Ces gangsters sont porteurs d’une revendication de classe assez forte contre l’univers de la finance et des magnats capitalistes. La grande majorité des auteurs de polar se sont tous, à un titre ou à un autre, engagé dans le combat antifasciste. Et pendant la guerre, dans leurs récits, certains gangsters se retrouve muté en agents nazis ou proto-fascistes. </p> <h3>La mise au format </h3><p>Il a des moments où le genre est très codifié et d’autres où il éclate complètement, par exemple lors de la révolution que représente le livre de poche dans les années 50, ou bien plus tard avec des séries comme <em>The Wire</em>, <em>The Soprano</em> et<em> Breaking bad</em> dans le domaine des séries actuelles. Là, on a une interpénétration hyper impressionnante des genres. Avec, par exemple, le western noir et ses hors–la-loi des années 1870 qui se comportent comme des tueurs de la mafia de 1950 et dans lesquels les rapports entre les sexes n’ont plus ce côté puritain si caractéristique des westerns mais la crudité de mise sous le règne du capitalisme triomphant. </p> <h3>David Goodis versus les justiciers solitaires </h3><p>Le changement d’époque entre l’avant et l’après guerre est radical. Tout ce qui a été publié avant 1945 sera pendant un temps oublié et refoulé. La vigilance antifasciste va se transformer en <em>vigilantism</em> paranoïaque et les romans de Mickey Spillane, mettant en scène le monologuant Mike Hammer, battront tous les records de vente. </p><p>Le roman noir de l’époque se peuple de déserteurs, d’amnésiques, de fuyards, de criminels, de débris d’une communauté dissoute. </p><p>C’est exactement ce qui fascine Goodis: le déclassement, l’amnésie et la solitude. Son <em>Cassidy’s Girl</em>, (1951), par exemple, qui sera vendu à plus d’un million d’exemplaires, raconte l’histoire d’un ancien pilote qui végète sur le <em>waterfront</em> de Philadelphie. </p><p>Puis arrive le Maccarthisme. Là, il y a un décrochage politique d’auteurs qui avaient été militants, chez qui quelque chose se casse, qui perdent leurs illusions. Eux qui étaient très politisés, comme Thompson ou Goodis, virent au noir absolu. Dorénavant, nous aurons affaire à des personnages encore plus marginaux, plus sombres, plus désaffiliés de tout groupe et de toute communauté. </p><p>Chez Thompson, par exemple, ses héros, Lou Ford et Nick Corey, plutôt que libérer les pauvres comme les héros thompsoniens le faisaient avant-guerre, les éliminent froidement. Les masses étant devenues passives, jugent-ils, elles méritent d’être violemment châtiées pour cela. </p> <h3>Les paperbacks </h3><p>La guerre a éveillé des aspirations démocratiques et le livre de poche, son ambition première étant de démocratiser l’accès à la culture, est l’une des réponses à ses aspirations. Il est vendu partout, dans tous les kiosques, dans tous les drugstores et dans toutes les gares. Il coûte 25 cents et met la culture à la disposition des hommes, des femmes et des adolescents ordinaires. Il est impersonnel, amical, égalitaire et il ne hiérarchise pas entre eux les livres qu’il publie. On peut, séduit par la femme nue qui se pavane sur la couverture, se retrouver avec un livre de Jean-Paul Sartre tout comme avec un <em>Heidi</em> ou un<em> Ben-Hur</em>. Sur les présentoirs, tous les ouvrages s’offrent de façon égale. Aucun vendeur ne vous aide à choisir et personne n’est là pour vous empêcher de prendre le livre que bon vous semble. </p> <h3>Gentrification, embourgeoisement du genre </h3><p>Dans les livres de poche originaux les personnages principaux sont des hors castes: monde de personnage de foire, de stripteaseuses, d’hipsters, de parieurs, de junkies, de fugitifs. Les deux auteurs les plus vendus sont le mal pensant Mickey Spillane et le bien-pensant, Erskine Caldwell. Toute une démocratie de parias underground apparaît en une discrète apologie de formes rebelles à l’ordre social et des adeptes de pratiques sexuelles non-formatées. </p> <h3>Races et genres </h3><p>En juillet 1948 est publié une nouvelle dont un policier Noir est le héros. C’est une première! L’auteur est Chester Himes, ancien taulard afro-américain, né en 1909 et autodidacte, exilé à Paris à partir de 1953. Il est le créateur d’une série de neuf romans mettant en scène Ed Cercueil et Fossoyeur Jones et qui décriront, avec truculence et une bonne dose de désespoir, la vie quotidienne des noirs d’Harlem. </p><p>L’émergence de la scène gay et lesbienne dans le polar, au début des années 50, suit une dynamique parallèle et comparable à celle du polar afro-américain. Pendant l’entre-deux-guerres, on ne trouve que des représentations de l’homosexualité caricaturales ou phobiques: mignons sadiques, criminels efféminés et minaudant, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos porno et maître chanteur gluants et abjects. </p><p>Le tournant s’opère en 1948 avec la publication du rapport d’Alfred Kinsey, <em>Sexual Behavior in the Human Male</em>, qui révèle que 37% de la population masculine américaine a connu des expériences homosexuelles. <em>L’Inconnu du Nord-Express</em> est l’histoire de la rencontre entre deux hommes… Eh oui! Dans les années 50, Patricia Highsmith et Vin Packer infléchissent l’ethos dur-à-cuire, en déstabilisant la posture du héros viril et l’économie libidinale du récit, en déconstruisant une culture patriarcale et hétéronormée, en affichant des protagonistes gays et lesbiens, aucunement caricaturaux, et en menant ainsi une lutte émancipatrice dans et par le polar </p><p>En 1952, Marijanne Meaker publie en livre de poche original, <em>Spring Fire</em>, une commande de l’éditeur qui imaginait que le sujet de l’homosexualité féminine allait titiller son public, masculin à 98,5%, mais après la sortie du livre, à sa grande stupéfaction, elle reçoit des centaines de lettres, vraiment par cartons entiers, qui toutes proviennent de femmes, de femmes gays… </p> <h3>Le polar actuel: de la série archi normée et super calibrée </h3><p>A la fin des années 60, la télévision s’empare du public des livres de poche. Tout le monde se met à travailler pour les séries de télé. Aujourd’hui encore, des auteurs à succès comme Michel Connelly ou Dennis Lehane vivent surtout des séries télévisuelles. Leur succès mondial s’accompagne d’un alignement sur les nouvelles normes du marché: un allongement de la longueur des romans, passée de 160 à 400/500 pages et une standardisation de leurs titres. </p> <h3>Le dernier des modernes </h3><p>James Ellroy étant un des rares auteurs qui pendant 20 ans a associé à un imaginaire tout à fait foisonnant une volonté d’écriture d’avant-garde mais jamais gratuite, qui n’est ni jeu ni pastiche et qui semble vraiment motivée par ses obsessions. Il a ainsi réussi une synthèse entre la basse et la haute littérature, et ceci sans même le chercher. Le fait divers est chez lui le moteur même de l’histoire. Il empoigne à pleines brassées les sources éphémères, presse quotidienne, rapports de police, magazines à scandale, pour les rendre légendaires. Son obsession pour les mutilations, liée à son traumatisme d’origine, aboutit à un style heurté, survolté, éliminant les propositions sujet-verbe-compléments, brisant les syntagmes pour se perdre dans le magma d’une unique image répétée et variée à l’infini. Il ne lie plus, il accumule. Il n’est plus dans l’image, la description, il est dans le son, dans la pulsion, des battements cardiaques qui s’accélèrent, s’accélèrent, s’accélèrent… </p> <h3>Pour conclure </h3><p>Littérature vivace et à tendances démocratiques et révolutionnaires très marquées, la littérature policière américaine fut certainement le genre le plus fécond du vingtième siècle. Par ailleurs, il s’avère que les genres populaires connaissent des cycles: dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, ils sont divertissement, ensuite, des nouveaux venus, auteurs et éditeurs, s’en emparent et en font un support d’émancipation, de revendication, de classe ou identitaire ou de genre, et ceci jusqu’à ce que le système parvienne à nouveau à juguler l’élan libertaire que les nouveaux cycles contiennent et les transforment en insipides produits courants. </p><p>Il faut le répéter: en soi, la culture de masse n’a rien abêtissant et elle crée des œuvres magnifiques. Ce n’est certainement pas vrai partout et tout le temps, mais peu importe, occasionnellement, cela le fut, l’a été, l’est encore et le sera sans doute aussi longtemps qu’il y aura encore des dominés et des dominants! </p><p></p><hr><p></p> <h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w187/1521679873_1517452248_9782130633877_v100.jpg">Benoît Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, P.U.F. Éditions. </h4><p></p><hr><p></p> <p>L’auteur sur <em><a href="http://aligrefm.org/programmes/les-emissions/la-vie-est-un-roman/la-vie-est-roman-06-fevrier-2018.html">Aligre FM</a><br></em></p><p></p><hr><p></p><p><em> </em></p> <h2>Auteurs de polars</h2> <p><strong>Dashiell Hammett, 1894–1961 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w202/1521398367_hammet.jpeg"></strong></p><p>Six ans détective privé à l’agence Pinkerton, considéré comme le fondateur du roman noir. Ses premières nouvelles paraissent en 1922 et il est l’auteur, entre autres, de <em>La Moisson rouge</em>, <em>Le Faucon maltais </em>et de <em>La Clé de verre</em>. Sa carrière d’écrivain prend fin en 1934. Dans <em>La Moisson rouge</em>, récit violent, explosif, d’une extraordinaire énergie verbale, il met le récit en résonance avec les traumatismes et la crise morale que le pays traverse après la première guerre mondiale et avec l’arrivée du fordisme. Il continue une activité de scénariste, boit beaucoup et est arrêté pour appartenance au parti communiste et condamné à une peine de prison du temps du maccarthysme. La tuberculose l’emporte en 1961. </p><p><strong>Raymond Chandler, 1888-1959 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w225/1521679874_chandler.jpeg"></strong></p><p>Vice-président du Dabney Oil Syndicate, place qu’il perd à cause de son alcoolisme, c’est le génie absolu du genre. Sa première nouvelle est publiée en 1933 et son premier roman, Le grand sommeil, en 1939. Il meurt d’une pneumonie en 1959. </p> <p><strong>William Riley Burnett, 1899-1982 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w218/1521679876_william.jpeg"></strong></p><p>Commence à écrire très tôt, remporte un prix de la nouvelle à l’âge de 13 ans, passe un diplôme de journaliste, lit Mérimée, Flaubert, Balzac et Maupassant. A 28 ans, il a déjà écrit une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des centaines de nouvelles, tout cela sans arriver à trouver d'éditeur. En 1927, il s’installe à Chicago, la ville des gangsters. Gardien de nuit dans un petit hôtel de quartier où il côtoie des personnages des bas-fonds, boxeurs, hooligans, chômeurs, il y trouve le sujet de son premier roman noir, lequel va révolutionner le genre, sera vendu à 100 000 exemplaires et marquera l’irruption du genre dans la littérature mainstream:<em> Little Caesar</em>. La vieillesse l’emporte à l’âge de 83 ans. </p> <p><strong>James M. Cain, 1892-1977 </strong></p><p>Prof de math et d’anglais, il est envoyé en France en 1918, y devient rédacteur du journal de sa division. Il a été directeur du<em> New Yorker</em>, il publie sa première nouvelle à l’âge de 42 ans. Son Le Facteur sonne toujours deux fois aura de fortes répercussion sur le genre du polar. </p> <p><strong>Jim Thompson, 1906-1977 <img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w400/1521679875_jimthompsonm344236.jpg"></strong></p><p>Fils d’un sheriff, il part chercher fortune dans l’industrie pétrolière. Il se forme à l’écriture en écrivant pour des journaux à scandales. En 1942, il publie son premier roman, <em>Ici et maintenant</em>. Il en écrira 29 au total. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des géants du genre. Il mourra inconnu, dans la misère, emporté par une cirrhose du foie. </p> <p><strong>Mickey Spillane, 1918-2006 </strong></p><p>Commence sa carrière dans des magazines de mode, puis écrit pour Marvel des histoires de super héros, dont <em>Capitain Americ</em>a. Pendant la deuxième guerre mondiale, il entraîne des pilotes de chasse. Son premier roman, publié en 1946, <em>I, the Jury</em>, lui vaut une gloire immédiate. Les critiques bien-pensants le haïssent. Il devient riche, célèbre et fait des apparitions dans une série de publicités vantant les mérites d'une bière, la Miller Lite. Il meurt d’un cancer en 2006. </p> <p><strong>David Goodis, 1917-1967 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w188/1521679874_goodis.jpeg"></strong></p><p>Ecrivain mercenaire de l'industrie du divertissement, à Hollywood ou ailleurs. C’est un mélancolique qui vit la plupart du temps avec sa mère. C’est lui qui assure avec La Nuit tombe le changement de vision du monde entre l’avant et l’après-guerre, le passage de relais entre des mecs passablement virils et des paumés à moitié clochardisé. Il publie son premier livre <em>Retour à la vie</em> en 1938, et s'installe à New York. Il obtient le succès en 1946 avec son <em>Cauchemar</em>. L'adaptation de ce livre en 1947, sous le titre <em>Les Passagers de la nuit</em> avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui vaut d'être engagé par la Warner Bros comme scénariste à Hollywood. Il meurt oublié de tous et ce sont les français qui vont le réhabiliter. François Truffaut, par exemple, avec son deuxième long métrage, <em>Tirez sur le pianiste</em>. </p> <p><strong>Chester Himes, 1909-1984 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w216/1521679875_himes.jpeg"></strong></p><p>Issu d’une famille d’enseignants afro-américains, devenu jeune délinquant, il est condamné à 20 ans de prison. Il s’y cultive et y apprend à écrire, est libéré pour bonne conduite. Son premier roman, publié en 1945, parle de racisme. Il s’exile en France où sa rencontre en 1957 avec Marcel Duhamel se révèle décisive. Le fondateur de la Série Noire le convainc d'écrire des récits policiers. Son écriture se signale par sa puissance explosive, l’emballement du récit, sa prose toujours chargée d’électricité. Le succès vient rapidement, et Himes, avec ses deux héros noirs, à son tour, révolutionne le genre. Une très longue maladie l’emporte en 1984. </p> <p><strong>Patricia Highsmith, 1921-1995 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w220/1521679873_220pxpathighsmith.jpg"></strong></p><p>Elle est élevée par sa grand-mère à New York où elle fait ses études (diplômée en anglais, latin et grec). En 1938, elle s'inscrit à l'université Columbia qu'elle quitte diplômée en 1942. Elle s'intéresse à l'écriture dès l'adolescence et publie sa première nouvelle,<em> L'Héroïne</em>, dans le magazine <em>Harper's Bazaar</em> en 1944. Son premier roman, <em>L’Inconnu du Nord-Express</em>, est publié avec succès en 1950. Il a été adapté trois fois au cinéma, notamment par Alfred Hitchcock en 1951. En 1952, elle publie un roman, <em>Carol</em>, sous le pseudonyme de Claire Morgan en raison de la description de relations lesbiennes. L'édition de poche se vendra à plus d'un million d'exemplaires. Son œuvre se compose d'une vingtaine de romans, d'un grand nombre de nouvelles et d'un formidable essai, <em>L'Art du suspense</em>, 1981. Une leucémie l’emporte à l’âge de 74 ans,. </p> <p><strong>Vin Packer, 1927- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w130/1521679873_avt_marijanemeaker_9192.jpeg"></strong></p><p>De son vrai nom Marijane Meaker, elle publie vingt nouvelles entre 1952 et 1969 sous le nom de plume Vin Packer. C’est la romancière lesbienne par excellence. Elle va multiplier les pseudonymes et publier dans tous les genres. Elle est toujours vivante. </p> <p><strong>James Ellroy, 1948- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w185/1521679874_ellroy.jpeg"></strong></p><p>Sa mère a été assassinée par un tueur en série. Il écrit comme un dieu. Il a une force obsessionnelle qui emporte tout sur son passage. Il n’est jamais parodique et toujours puissamment habité par une invraisemblable volonté de dire et de raconter encore et encore toutes les turpitudes angelos. S'affirmant comme conservateur et réac, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption, fil conducteur de nombre de ses ouvrages. Il n’écrit qu’un écoutant en boucle les 9 symphonies de Beethoven et n’est pas loin de se considérer comme le Tolstoï américain du début du XXIe siècle. </p><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 polars américains favoris </h2><h4>Dashiell Hammett, <em>La Clef de verre</em>, 1931.<br>Raymond Chandler, <em>The Long Goodbye</em>, 1953.<br>David Goodis, <em>La Lune dans le caniveau</em>, 1953.<br>Charles Williams, <em>Fantasia chez les ploucs</em>, 1956.<br>Chester Himes, <em>La Reine des pommes</em>, 1957.<br>Jim Thompson, <em>Pottsville, 1 280 habitants</em>, 1964.<br>G. V. Higgins, <em>Les Copains d’Eddie Coyle</em>, 1971.<br>Edward Bunker, <em>Aucune bête aussi féroce</em>, 1973.<br>James Crumley, <em>Putes</em>, 1990.<br>James Ellroy, <em>White Jazz</em>, 1991. </h4><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 films noirs favoris </h2><h4><em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=cZ7C-Mim37g">Asphalt Jungle</a></em> de John Huston, 1950. Adapté du roman éponyme de W. R. Burnett, 1949.<em><a href="https://www.dailymotion.com/video/x2epe4o"><br>L’Inconnu du Nord Express</a></em> d’Alfred Hitchcock, 1951. Inspiré du roman éponyme de P. Highsmith, 1950.<em></em><br><em></em><em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=OluhKRjewnI">La Nuit du chasseur</a></em> de Charles Laughton, 1955. Tiré du roman éponyme de D. Grubb, 1953.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=NG3-GlvKPcg"><br>Psychose</a></em> d’Alfred Hitchcock, 1960. Inspiré du roman <em>Psycho</em> de R. Bloch, 1959.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=2UT8y5JKq7Y"><br>Guet-apens</a> </em>de Sam Peckinpah, 1972. Adapté du roman<em> Le Lien conjugal</em> de J. Thompson, 1958.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=YuF_E3Bdnrs"><br>Le Privé</a></em> de Robert Altman, 1973. Basé sur le roman <em>The Long Goodbye</em> de R. Chandler, 1953.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=3aifeXlnoqY"><br>Chinatown</a></em> de Roman Polanski, 1974. Scénario original de R. Towne.<em><a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19448738&cfilm=3962.html"><br>Série noire</a> </em>d’Alain Corneau, 1979. Adapté du roman <em>Des Cliques et des cloaques</em> de J. Thompson, 1954.<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=DPBNaxHlt5Y"><br>Les Arnaqueurs</a></em> de Stephan Frears, 1991. Adapté du roman éponyme de J. Thompson, 1963.<em><a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19352279&cfilm=6641.html"><br>Le Silence des agneaux</a></em> de Jonathan Demme, 1991. 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Avec<em> Front criminel</em>, qui vient de paraître aux Editions PUF, il s’agit de tout autre chose, d’une ambition infiniment plus grande: démontrer en quoi et comment l’histoire de la littérature policière américaine du vingtième siècle fut celle d’une suite de luttes de libération. </p><p>Il s’agit de rien de moins, pour Benoît Tadié, l’auteur de cette somme, que de raconter l’histoire d’une tentative d’émancipation, plus ou moins réussie selon les moments, de l’Amérique contre l’Europe, des dominés contre les dominants, des minorités raciales ou sexuelles contre les majorités et de nous donner à voir comment le genre le plus méprisé de tous, en un remarquable retournement dialectique, incarna l’honneur et la révolte au siècle passé sur le continent nord américain. </p> <h3>La chronologie </h3><p>Elle est fondamentale et en France, la vision de l’ancrage historique des romans noirs américains a été totalement faussée parce que la plupart des auteurs ont été publiés à la même époque − entre 1945 et 1960, ceux des années 20 comme ceux des années 50. Ce qui a eu pour effet d’amalgamer des livres qui avaient des origines et des ambitions très différentes. </p><p>Du coup, l’opposition très marquée entre la partie sombre et la partie émancipatrice de ces récits a complètement échappé aux lecteurs européens. En France, on s’est toujours uniquement intéressé à l’aspect sombre, le côté «la vie est dégueulasse, le soleil n’est pas pour nous» et jamais à l’aspect «espoir», alors que le genre s’est construit sur une tension entre ses deux pôles. </p> <h3>L’émancipation </h3><p>D’un côté, nous avons un roman noir qui décrit une société impitoyable dans laquelle l’effort individuel est toujours confronté à des puissances occultes qui ont tendance à l’écraser mais, d’un autre côté, et en parallèle, nous avons aussi le récit de la montée en puissance d’une affirmation démocratique qui passe à la fois par l’origine sociale de ceux qui écrivent et, dans la forme du récit et de la narration, par l’affirmation d’une langue qui s’émancipe de l’anglais d’Angleterre et du parlé des classes sociales dominantes indigènes, ceci avec une expressivité virile et une parole irrévérencieuse qui décapent tous les faux semblants et toutes les hypocrisies d’usage. </p> <h3>Les pulps </h3><p>Très mal considérés, les<em> pulps</em> constituent pendant un demi-siècle l’authentique littérature du prolétariat américain. Ces histoires offrent à leurs lecteurs des héros aux mœurs façonnés par la rue et des modèles de langage et de comportements égalitaires et démocratiques. Ils sont destinés aux classes populaires et non pas aux lettrés. Les récits qui paraissent sous la forme de <em>pulps</em>, ressemblent à leurs lecteurs et décrivent un mode de vie et des préoccupations qui leur sont familières. C’est une littérature faite par et pour le peuple. C’est en cela qu’elle reflète une visée émancipatrice. </p><p>La fiction dur-à-cuire −<em> hard boiled </em>− naît dans le magazine <em>Black Mask</em> entre 1922 et 1926, et le genre devient une entreprise consciente et concertée à partir de 1927. Les premières histoires publiées sont celles de Caroll John Daly et de Dashiell Hammett. <em>La Moisson rouge</em> d’Hammet est de 1929. Récit violent, explosif, témoignant d’une extraordinaire énergie verbale, il use d’une langue neuve, sèche, violente et surtout monosyllabique. </p> <h3>Raymond Chandler et Philip Marlowe </h3><p>Chandler est né à Chicago mais a fait ses études et a grandi en Angleterre. Pour écrire dans des <em>pulps</em>, à l’âge de 45 ans, il doit se familiariser avec la langue vernaculaire locale, idiome qu’il ne pratiquait pas. Il apprend cet anglais si différent du sien comme on apprend une langue étrangère! Et c’est cela qui le rend si inventif au niveau du langage. L’argot qu’il utilise n’est pas celui de la rue mais sa propre création. </p><p>Là où le récit de Hammett, concentré sur des points d’intensité maximum, marque les temps forts en une sorte de sténographie de l’action, celui de Chandler, plus descriptif, met en valeur les temps morts, le silence, l’immobilité, l’atonie; de l’action rapide, on passe à un ralenti extrême, de la maîtrise de soi à la peur panique, de l’engagement violent à la souffrance impuissante; d’un monde hyperréaliste, stylisé, à un espace flou; d’une langue énergique et efficace à d’impuissantes répétitions, litanie de résignations et de sursauts brutaux d’instincts primaire et d’aspiration à survivre à tous prix. Philip Marlowe, le héros de Chandler, ce redresseur de torts, est à la recherche d’un sens absent et est souvent à deux doigts de tomber dans une pure paranoïa fascistoïde et, paradoxalement car on le lit en général comme un auteur progressiste, chacun des romans de Chandler peut être lu comme mettant en scène l’une des cibles de son aversion. Cela peut être tout autant les Noirs, que les Asiatiques, les Mexicains ou encore, cliché de l’époque, les homosexuels, et bien entendu, de façon systématique, les femmes. </p> <h3>Les gangsters </h3><p>Le roman de gangsters apparaît quelques années après les premières histoires de détectives dur-à-cuire. Le <em>Little Caesar</em> (1929) de W. R. Burnett impose ce genre de pur récit absolument dépouillé de tous propos moralisateurs. Il ne s’agit plus d’un combat entre les bons et les méchants mais d’une âpre concurrence des gangsters entre eux. Burnett est aussi l’auteur de <em>High Sierra</em> et d’<em>Asphalt Jungle</em>. Ces ouvrages et les versions cinématographiques qui en furent tirés, toutes exceptionnelles, imposèrent les trois scénarios-type du roman/film de gangsters: ascension et chute, évasion et cavale, casse malheureux. Soit <em>Little Caesar</em> de Mervyn Le Roy (1930), <em>Public Enemy</em> de William A. Wellman (1931), <em>Scarface</em> de Howard Hawks (1932), <em>High Sierra</em> de Raoul Walsh (1941) et<em> Asphalt Jungle</em> de John Huston (1950). </p> <h3>Hollywood </h3><p>Vers 1930, le polar entre dans le champ de force hollywoodien qui va élever son contenu jusqu’à la force intemporelle du mythe. Le centre de gravité du polar bascule de l’Est vers l’Ouest, de Chicago vers Los Angeles, de Hammett vers Chandler, des <em>pulps</em> vers les studios. Chandler commence à écrire des histoires criminelles à la fin de 1933, l’année où paraît le dernier roman de Hammett et où s’achève la Prohibition, cette interdiction de vendre des boissons alcoolisées qui dura de 1919 à 1933. Le maître dont il s’inspire est Paul Cain, qui décrit des rackets, chantages et ventes de drogue dans les studios de cinéma. Chez Cain, les mœurs hollywoodiennes sont suggérés avec humour comme <em>Death Song</em>, roman dans lequel une actrice est assassinée d’un puissant coup sur son crâne donné à l’aide d’un vibromasseur surdimensionné, objet avec lequel, écrit l’auteur, elle se soignait lors de ses crises d’hystérie. </p><p>Hollywood n’est pas que le centre du cinéma, il est aussi celui de la fiction. Les studios deviennent une puissance qui standardise, pour un temps, toute la culture américaine. C’est une industrie gigantesque. Fin 1931, il y avait 354 auteurs employés à temps plein et 435 à temps partiels dans les studios hollywoodiens pour un coût global de 7 millions de dollars. </p> <h3>Cols bleus et vagabonds </h3><p>Avec la crise, dans les années 30, apparaissent des personnages de marginaux à la dérive, des individus pulsionnels cherchant à prendre tous les raccourcis possibles pour réaliser leurs désirs et qui, du coup, tombent dans le crime et dans la tragédie. L’archétype en étant le personnage de James M. Cain dans <em>Le Facteur sonne toujours deux fois</em>. </p><p>Jim Thompson a été hobo dans sa jeunesse et membre du syndicat des Industrial Workers, comme les personnages du premier grand roman du genre, <em>La Moisson rouge </em>de Hammett. Dans la culture contestataire du hobo la criminalité apparaît comme une forme de contestation, de redistribution des richesses dans un monde totalement inégalitaire. Ce sont des histoires racontées avec un langage teinté d’expressions dialectales, de tournures reprises dans les différents argots locaux, de mœurs toujours habité d’envie, de bassesse et d’une libido tellurique. </p><p>Tous décrivent leur époque. En 1936, par exemple, un ex-hobo, ami de Jim Thompson, George Milburn, publie un roman satirique intitulé<em> Catalogue</em>, racontant l’arrivée de l’un de ces objets dans une petite ville et la façon dont il va bouleverser la vie de ses habitants… </p><p>Après, il y a eu une période de politisation correspondant à l’époque du Front populaire en France, de la lutte antifasciste. Cette période court jusqu’aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un militantisme recrudescent qui s’affirme à tous les niveaux de la culture américaine et qu’on perçoit très bien dans les récits d’outlaw à la Dillinger, ce bandit au grand cœur qui braqua deux douzaines de banques et attaqua quatre commissariats de police. Ces gangsters sont porteurs d’une revendication de classe assez forte contre l’univers de la finance et des magnats capitalistes. La grande majorité des auteurs de polar se sont tous, à un titre ou à un autre, engagé dans le combat antifasciste. Et pendant la guerre, dans leurs récits, certains gangsters se retrouve muté en agents nazis ou proto-fascistes. </p> <h3>La mise au format </h3><p>Il a des moments où le genre est très codifié et d’autres où il éclate complètement, par exemple lors de la révolution que représente le livre de poche dans les années 50, ou bien plus tard avec des séries comme <em>The Wire</em>, <em>The Soprano</em> et<em> Breaking bad</em> dans le domaine des séries actuelles. Là, on a une interpénétration hyper impressionnante des genres. Avec, par exemple, le western noir et ses hors–la-loi des années 1870 qui se comportent comme des tueurs de la mafia de 1950 et dans lesquels les rapports entre les sexes n’ont plus ce côté puritain si caractéristique des westerns mais la crudité de mise sous le règne du capitalisme triomphant. </p> <h3>David Goodis versus les justiciers solitaires </h3><p>Le changement d’époque entre l’avant et l’après guerre est radical. Tout ce qui a été publié avant 1945 sera pendant un temps oublié et refoulé. La vigilance antifasciste va se transformer en <em>vigilantism</em> paranoïaque et les romans de Mickey Spillane, mettant en scène le monologuant Mike Hammer, battront tous les records de vente. </p><p>Le roman noir de l’époque se peuple de déserteurs, d’amnésiques, de fuyards, de criminels, de débris d’une communauté dissoute. </p><p>C’est exactement ce qui fascine Goodis: le déclassement, l’amnésie et la solitude. Son <em>Cassidy’s Girl</em>, (1951), par exemple, qui sera vendu à plus d’un million d’exemplaires, raconte l’histoire d’un ancien pilote qui végète sur le <em>waterfront</em> de Philadelphie. </p><p>Puis arrive le Maccarthisme. Là, il y a un décrochage politique d’auteurs qui avaient été militants, chez qui quelque chose se casse, qui perdent leurs illusions. Eux qui étaient très politisés, comme Thompson ou Goodis, virent au noir absolu. Dorénavant, nous aurons affaire à des personnages encore plus marginaux, plus sombres, plus désaffiliés de tout groupe et de toute communauté. </p><p>Chez Thompson, par exemple, ses héros, Lou Ford et Nick Corey, plutôt que libérer les pauvres comme les héros thompsoniens le faisaient avant-guerre, les éliminent froidement. Les masses étant devenues passives, jugent-ils, elles méritent d’être violemment châtiées pour cela. </p> <h3>Les paperbacks </h3><p>La guerre a éveillé des aspirations démocratiques et le livre de poche, son ambition première étant de démocratiser l’accès à la culture, est l’une des réponses à ses aspirations. Il est vendu partout, dans tous les kiosques, dans tous les drugstores et dans toutes les gares. Il coûte 25 cents et met la culture à la disposition des hommes, des femmes et des adolescents ordinaires. Il est impersonnel, amical, égalitaire et il ne hiérarchise pas entre eux les livres qu’il publie. On peut, séduit par la femme nue qui se pavane sur la couverture, se retrouver avec un livre de Jean-Paul Sartre tout comme avec un <em>Heidi</em> ou un<em> Ben-Hur</em>. Sur les présentoirs, tous les ouvrages s’offrent de façon égale. Aucun vendeur ne vous aide à choisir et personne n’est là pour vous empêcher de prendre le livre que bon vous semble. </p> <h3>Gentrification, embourgeoisement du genre </h3><p>Dans les livres de poche originaux les personnages principaux sont des hors castes: monde de personnage de foire, de stripteaseuses, d’hipsters, de parieurs, de junkies, de fugitifs. Les deux auteurs les plus vendus sont le mal pensant Mickey Spillane et le bien-pensant, Erskine Caldwell. Toute une démocratie de parias underground apparaît en une discrète apologie de formes rebelles à l’ordre social et des adeptes de pratiques sexuelles non-formatées. </p> <h3>Races et genres </h3><p>En juillet 1948 est publié une nouvelle dont un policier Noir est le héros. C’est une première! L’auteur est Chester Himes, ancien taulard afro-américain, né en 1909 et autodidacte, exilé à Paris à partir de 1953. Il est le créateur d’une série de neuf romans mettant en scène Ed Cercueil et Fossoyeur Jones et qui décriront, avec truculence et une bonne dose de désespoir, la vie quotidienne des noirs d’Harlem. </p><p>L’émergence de la scène gay et lesbienne dans le polar, au début des années 50, suit une dynamique parallèle et comparable à celle du polar afro-américain. Pendant l’entre-deux-guerres, on ne trouve que des représentations de l’homosexualité caricaturales ou phobiques: mignons sadiques, criminels efféminés et minaudant, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos porno et maître chanteur gluants et abjects. </p><p>Le tournant s’opère en 1948 avec la publication du rapport d’Alfred Kinsey, <em>Sexual Behavior in the Human Male</em>, qui révèle que 37% de la population masculine américaine a connu des expériences homosexuelles. <em>L’Inconnu du Nord-Express</em> est l’histoire de la rencontre entre deux hommes… Eh oui! Dans les années 50, Patricia Highsmith et Vin Packer infléchissent l’ethos dur-à-cuire, en déstabilisant la posture du héros viril et l’économie libidinale du récit, en déconstruisant une culture patriarcale et hétéronormée, en affichant des protagonistes gays et lesbiens, aucunement caricaturaux, et en menant ainsi une lutte émancipatrice dans et par le polar </p><p>En 1952, Marijanne Meaker publie en livre de poche original, <em>Spring Fire</em>, une commande de l’éditeur qui imaginait que le sujet de l’homosexualité féminine allait titiller son public, masculin à 98,5%, mais après la sortie du livre, à sa grande stupéfaction, elle reçoit des centaines de lettres, vraiment par cartons entiers, qui toutes proviennent de femmes, de femmes gays… </p> <h3>Le polar actuel: de la série archi normée et super calibrée </h3><p>A la fin des années 60, la télévision s’empare du public des livres de poche. Tout le monde se met à travailler pour les séries de télé. Aujourd’hui encore, des auteurs à succès comme Michel Connelly ou Dennis Lehane vivent surtout des séries télévisuelles. Leur succès mondial s’accompagne d’un alignement sur les nouvelles normes du marché: un allongement de la longueur des romans, passée de 160 à 400/500 pages et une standardisation de leurs titres. </p> <h3>Le dernier des modernes </h3><p>James Ellroy étant un des rares auteurs qui pendant 20 ans a associé à un imaginaire tout à fait foisonnant une volonté d’écriture d’avant-garde mais jamais gratuite, qui n’est ni jeu ni pastiche et qui semble vraiment motivée par ses obsessions. Il a ainsi réussi une synthèse entre la basse et la haute littérature, et ceci sans même le chercher. Le fait divers est chez lui le moteur même de l’histoire. Il empoigne à pleines brassées les sources éphémères, presse quotidienne, rapports de police, magazines à scandale, pour les rendre légendaires. Son obsession pour les mutilations, liée à son traumatisme d’origine, aboutit à un style heurté, survolté, éliminant les propositions sujet-verbe-compléments, brisant les syntagmes pour se perdre dans le magma d’une unique image répétée et variée à l’infini. Il ne lie plus, il accumule. Il n’est plus dans l’image, la description, il est dans le son, dans la pulsion, des battements cardiaques qui s’accélèrent, s’accélèrent, s’accélèrent… </p> <h3>Pour conclure </h3><p>Littérature vivace et à tendances démocratiques et révolutionnaires très marquées, la littérature policière américaine fut certainement le genre le plus fécond du vingtième siècle. Par ailleurs, il s’avère que les genres populaires connaissent des cycles: dans un premier temps, pour le meilleur et pour le pire, ils sont divertissement, ensuite, des nouveaux venus, auteurs et éditeurs, s’en emparent et en font un support d’émancipation, de revendication, de classe ou identitaire ou de genre, et ceci jusqu’à ce que le système parvienne à nouveau à juguler l’élan libertaire que les nouveaux cycles contiennent et les transforment en insipides produits courants. </p><p>Il faut le répéter: en soi, la culture de masse n’a rien abêtissant et elle crée des œuvres magnifiques. Ce n’est certainement pas vrai partout et tout le temps, mais peu importe, occasionnellement, cela le fut, l’a été, l’est encore et le sera sans doute aussi longtemps qu’il y aura encore des dominés et des dominants! </p><p></p><hr><p></p> <h4><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w187/1521679873_1517452248_9782130633877_v100.jpg">Benoît Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, P.U.F. Éditions. </h4><p></p><hr><p></p> <p>L’auteur sur <em><a href="http://aligrefm.org/programmes/les-emissions/la-vie-est-un-roman/la-vie-est-roman-06-fevrier-2018.html">Aligre FM</a><br></em></p><p></p><hr><p></p><p><em> </em></p> <h2>Auteurs de polars</h2> <p><strong>Dashiell Hammett, 1894–1961 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w202/1521398367_hammet.jpeg"></strong></p><p>Six ans détective privé à l’agence Pinkerton, considéré comme le fondateur du roman noir. Ses premières nouvelles paraissent en 1922 et il est l’auteur, entre autres, de <em>La Moisson rouge</em>, <em>Le Faucon maltais </em>et de <em>La Clé de verre</em>. Sa carrière d’écrivain prend fin en 1934. Dans <em>La Moisson rouge</em>, récit violent, explosif, d’une extraordinaire énergie verbale, il met le récit en résonance avec les traumatismes et la crise morale que le pays traverse après la première guerre mondiale et avec l’arrivée du fordisme. Il continue une activité de scénariste, boit beaucoup et est arrêté pour appartenance au parti communiste et condamné à une peine de prison du temps du maccarthysme. La tuberculose l’emporte en 1961. </p><p><strong>Raymond Chandler, 1888-1959 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w225/1521679874_chandler.jpeg"></strong></p><p>Vice-président du Dabney Oil Syndicate, place qu’il perd à cause de son alcoolisme, c’est le génie absolu du genre. Sa première nouvelle est publiée en 1933 et son premier roman, Le grand sommeil, en 1939. Il meurt d’une pneumonie en 1959. </p> <p><strong>William Riley Burnett, 1899-1982 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w218/1521679876_william.jpeg"></strong></p><p>Commence à écrire très tôt, remporte un prix de la nouvelle à l’âge de 13 ans, passe un diplôme de journaliste, lit Mérimée, Flaubert, Balzac et Maupassant. A 28 ans, il a déjà écrit une dizaine de romans, des pièces de théâtre et des centaines de nouvelles, tout cela sans arriver à trouver d'éditeur. En 1927, il s’installe à Chicago, la ville des gangsters. Gardien de nuit dans un petit hôtel de quartier où il côtoie des personnages des bas-fonds, boxeurs, hooligans, chômeurs, il y trouve le sujet de son premier roman noir, lequel va révolutionner le genre, sera vendu à 100 000 exemplaires et marquera l’irruption du genre dans la littérature mainstream:<em> Little Caesar</em>. La vieillesse l’emporte à l’âge de 83 ans. </p> <p><strong>James M. Cain, 1892-1977 </strong></p><p>Prof de math et d’anglais, il est envoyé en France en 1918, y devient rédacteur du journal de sa division. Il a été directeur du<em> New Yorker</em>, il publie sa première nouvelle à l’âge de 42 ans. Son Le Facteur sonne toujours deux fois aura de fortes répercussion sur le genre du polar. </p> <p><strong>Jim Thompson, 1906-1977 <img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w400/1521679875_jimthompsonm344236.jpg"></strong></p><p>Fils d’un sheriff, il part chercher fortune dans l’industrie pétrolière. Il se forme à l’écriture en écrivant pour des journaux à scandales. En 1942, il publie son premier roman, <em>Ici et maintenant</em>. Il en écrira 29 au total. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des géants du genre. Il mourra inconnu, dans la misère, emporté par une cirrhose du foie. </p> <p><strong>Mickey Spillane, 1918-2006 </strong></p><p>Commence sa carrière dans des magazines de mode, puis écrit pour Marvel des histoires de super héros, dont <em>Capitain Americ</em>a. Pendant la deuxième guerre mondiale, il entraîne des pilotes de chasse. Son premier roman, publié en 1946, <em>I, the Jury</em>, lui vaut une gloire immédiate. Les critiques bien-pensants le haïssent. Il devient riche, célèbre et fait des apparitions dans une série de publicités vantant les mérites d'une bière, la Miller Lite. Il meurt d’un cancer en 2006. </p> <p><strong>David Goodis, 1917-1967 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w188/1521679874_goodis.jpeg"></strong></p><p>Ecrivain mercenaire de l'industrie du divertissement, à Hollywood ou ailleurs. C’est un mélancolique qui vit la plupart du temps avec sa mère. C’est lui qui assure avec La Nuit tombe le changement de vision du monde entre l’avant et l’après-guerre, le passage de relais entre des mecs passablement virils et des paumés à moitié clochardisé. Il publie son premier livre <em>Retour à la vie</em> en 1938, et s'installe à New York. Il obtient le succès en 1946 avec son <em>Cauchemar</em>. L'adaptation de ce livre en 1947, sous le titre <em>Les Passagers de la nuit</em> avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, lui vaut d'être engagé par la Warner Bros comme scénariste à Hollywood. Il meurt oublié de tous et ce sont les français qui vont le réhabiliter. François Truffaut, par exemple, avec son deuxième long métrage, <em>Tirez sur le pianiste</em>. </p> <p><strong>Chester Himes, 1909-1984 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w216/1521679875_himes.jpeg"></strong></p><p>Issu d’une famille d’enseignants afro-américains, devenu jeune délinquant, il est condamné à 20 ans de prison. Il s’y cultive et y apprend à écrire, est libéré pour bonne conduite. Son premier roman, publié en 1945, parle de racisme. Il s’exile en France où sa rencontre en 1957 avec Marcel Duhamel se révèle décisive. Le fondateur de la Série Noire le convainc d'écrire des récits policiers. Son écriture se signale par sa puissance explosive, l’emballement du récit, sa prose toujours chargée d’électricité. Le succès vient rapidement, et Himes, avec ses deux héros noirs, à son tour, révolutionne le genre. Une très longue maladie l’emporte en 1984. </p> <p><strong>Patricia Highsmith, 1921-1995 <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w220/1521679873_220pxpathighsmith.jpg"></strong></p><p>Elle est élevée par sa grand-mère à New York où elle fait ses études (diplômée en anglais, latin et grec). En 1938, elle s'inscrit à l'université Columbia qu'elle quitte diplômée en 1942. Elle s'intéresse à l'écriture dès l'adolescence et publie sa première nouvelle,<em> L'Héroïne</em>, dans le magazine <em>Harper's Bazaar</em> en 1944. Son premier roman, <em>L’Inconnu du Nord-Express</em>, est publié avec succès en 1950. Il a été adapté trois fois au cinéma, notamment par Alfred Hitchcock en 1951. En 1952, elle publie un roman, <em>Carol</em>, sous le pseudonyme de Claire Morgan en raison de la description de relations lesbiennes. L'édition de poche se vendra à plus d'un million d'exemplaires. Son œuvre se compose d'une vingtaine de romans, d'un grand nombre de nouvelles et d'un formidable essai, <em>L'Art du suspense</em>, 1981. Une leucémie l’emporte à l’âge de 74 ans,. </p> <p><strong>Vin Packer, 1927- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w130/1521679873_avt_marijanemeaker_9192.jpeg"></strong></p><p>De son vrai nom Marijane Meaker, elle publie vingt nouvelles entre 1952 et 1969 sous le nom de plume Vin Packer. C’est la romancière lesbienne par excellence. Elle va multiplier les pseudonymes et publier dans tous les genres. Elle est toujours vivante. </p> <p><strong>James Ellroy, 1948- <br></strong></p><p><strong><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w185/1521679874_ellroy.jpeg"></strong></p><p>Sa mère a été assassinée par un tueur en série. Il écrit comme un dieu. Il a une force obsessionnelle qui emporte tout sur son passage. Il n’est jamais parodique et toujours puissamment habité par une invraisemblable volonté de dire et de raconter encore et encore toutes les turpitudes angelos. S'affirmant comme conservateur et réac, il dépeint dans son œuvre un monde particulièrement pessimiste et corrompu, dans lequel perce néanmoins la notion de rédemption, fil conducteur de nombre de ses ouvrages. Il n’écrit qu’un écoutant en boucle les 9 symphonies de Beethoven et n’est pas loin de se considérer comme le Tolstoï américain du début du XXIe siècle. </p><p></p><hr><p></p> <h2>Mes 10 polars américains favoris </h2><h4>Dashiell Hammett, <em>La Clef de verre</em>, 1931.<br>Raymond Chandler, <em>The Long Goodbye</em>, 1953.<br>David Goodis, <em>La Lune dans le caniveau</em>, 1953.<br>Charles Williams, <em>Fantasia chez les ploucs</em>, 1956.<br>Chester Himes, <em>La Reine des pommes</em>, 1957.<br>Jim Thompson, <em>Pottsville, 1 280 habitants</em>, 1964.<br>G. V. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. L’époque est aux positions tranchées mais c’est A.D.G., sympathisant du Front national, qui brosse avec tendresse des portraits de hippies contestataires, et Manchette qui endosse dans ses livres le point de vue des fascistes.</p> <p>Sur les seize auteurs pratiquant ce nouveau genre, dix ont un passé de militants de gauche, dans des organisations telles que les Jeunesses communistes, le PCF, la Gauche prolétarienne ou Lutte ouvrière, tous, nés après 1945, sont des <i>baby-boomers</i>, ayant fait des études supérieures, et ayant des bac +4, ou +5. Ils sont journalistes, scénaristes, traducteurs, éditeurs ou cinéastes. Manchette se définira d’ailleurs lui-même comme étant un indécrottable intello pas honteux de l’être.</p> <h3>La reconnaissance du genre</h3> <p>Pendant que la contre-culture se dote de ses propres outils de communication, journaux satiriques, BD, fanzines, l’éditeur Plon réagit et crée des collections qui rencontrent un succès phénoménal comme <i>SAS</i> de Gérard de Villiers, avec ses romans d’espionnage racistes et sexistes, homophobes et anticommunistes. De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. La plus célèbre de toutes, Virginie Despentes, décrit des personnages qui n’ont rien de victimes soumises, ni de douceur féminine et retourne, avec brio, la violence contre les hommes dans des récits urbains, violents, crus et nihilistes.</p> <h3>Auteurs enquêteurs, profs, journalistes et policiers</h3> <p>Le polar du XXIème siècle marque l’avènement d’une prise de parole qui n’est ni le fruit d’un engagement ni le résultat d’une déception militante.</p> <p>Chercheurs, enseignants-chercheurs, journalistes, documentaristes, médecins, psychanalystes, avocats pénalistes, policiers, ils sont très nombreux à exercer ou avoir exercé des professions qui relèvent du paradigme indiciaire. Beaucoup d’auteurs travaillent dans l’audiovisuel, sont profs ou policiers – généralement des officiers. D’autres sont journalistes, donc précarisés ou en voie de l’être, et trouvent dans le polar une liberté dont ne disposent plus les médias d’information. Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. Castelnuovo rapproche cette méthode à celle de Sherlock Holmes découvrant l’auteur d’un délit sur la base d’indices imperceptibles pour la plupart des gens.</p> <h3>Extension du domaine de la lutte</h3> <p>De nos jours, le roman noir affronte le post-moderne, les <i>fake news</i> et la post-vérité. Dans de nombreux romans, le dénouement est ouvert. Le texte se clôt sur un assaut, sur une poursuite, sur une disparition non expliquée, sur la recherche non aboutie d’un meurtrier. Il n’y a plus de point de vue surplombant, unifié, de narration organisatrice, il ne reste que dissensus et brouillard narratif. </p> <p>Bref, comme le disait le sociologue Luc Boltanski: que s’est-il passé pour qu’au début du XXème siècle surgisse cette littérature entièrement consacrée à l’énigme? L’émergence du roman policier ne coïncide-t-elle pas à la fois avec la construction de l’Etat-nation, la naissance de la sociologie et avec une nouvelle pathologie décrite par la psychiatrie, la paranoïa? Qu’ont-elles à voir entre elles? C’est simple. 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Et on a affaire aussi bien à l’amitié franche et virile qui existe entre Asger Jorn et Christian Dotremont qu’à l’amitié décharnée et ascétique entre Samuel Beckett et Bram van Velde, à l’amitié sensuelle et libertine entre Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché qu’à l’amitié tendre et fidèle entre Pier Paolo Pasolini et Silvana Mauri.</p> <h3>L'amitié entre femmes</h3> <p>Rachel Carson et Dorothy Freeman, l’une théoricienne de l’écologie, biologiste, auteur du <i>Printemps silencieux</i> qui aboutit à l’interdiction du DDT aux Etats-Unis, l’autre, enseignante dans un institut d’agriculture, ont dans les 45 ans quand elles se rencontrent, un été, sur une île, et sont ravies d’avoir enfin trouvé quelqu’un à qui parler, quelqu’un avec qui partager ses intérêts et sentiments. Après deux années d’échanges, Rachel signe ses lettres d’un <i>ILY</i> (I Love You). C’est chaud. Elle lui écrit tous les jours. Le soir, de son lit. Le matin, avant d’aller travailler. 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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Au début donc, pour l'auteur, tout est sol et rien que sol, sol de l’enfance, sol socle. Il commence par décrire ce sol là où il est le plus dur, la route goudronnée, goudron et gravillons mêlés, son odeur forte, puis il passe au sable, à l’herbe, à la terre sèche ou boueuse, au gravier, au parquet, aux dalles, au tapis, aux couvertures. Oui, il s’agit d’arpenter ce territoire, et ce défilement va se retrouver dans l’écriture et avec le mouvement, ce détachement, cette impression de glisser sur les choses. Il s’agit aussi de prendre conscience de l’immensité de ce qui nous entoure, de la distance entre deux poteaux d’un but de football. </p> <h3>Son style</h3> <p>Plus intéressé par la vérité des sensations, des impressions, des sens, des perceptions que par celle des souvenirs, Alain Freudiger effeuille, effleure, prend son temps, ne brûle pas les étapes et use d’une grande précision dans l’usage du vocabulaire, et de peu de qualificatifs. C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. 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Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.</p> <h3>Le côté pop</h3> <p>Le chewing-gum, les Lego, les cigarettes filtres, les jeux électroniques avec leur écran à cristaux liquides, une maquette d’avion. L'auteur, enfant, reconnaît très bien les voitures, sait différencier très tôt une Mini Cooper d’une Alfa Roméo, et il est admiré par les adultes pour cela. Une petite poignée de dessinateurs, cinéastes ou groupes, Agnès Rosenstiehl, Yves Yersin, Etienne Delessert, Jörg Müller, les Forbans ou Téléphone, la télévision – où on la place dans la maison, dans quelle position on se met pour la regarder, son premier film: <i>La Grande Vadrouille</i>. </p> <h3>Les autres enfants</h3> <p>Chacun a son caractère. Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.</p> <h3>Le bonheur</h3> <p>Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique. </p> <p>Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. 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Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.</p> <p>Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local. </p> <h3>Le paradis d'avant la Chute</h3> <p>Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.</p> <p>Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
4 Commentaires
@Lagom 22.03.2018 | 15h11
«Magnifique coup de projecteur ! Merci»
@Pyrrhus 23.03.2018 | 09h33
«woaw.... vous nous donnez le desir de lire ces "polars" americain.....»
@YvesT 30.04.2018 | 10h10
«Merci à vous Genevoisy et Pyrrhus pour vos commentaires.
»
@gindrat 14.08.2018 | 17h17
«Néanmoins, la qualité première de ces auteurs reste pour moi leur modeste nombre de pages. Comment ne pas se
lasser quand on a lu de tout comme moi à passé 80 ans, de toute ces dialectiques psychologiques de 700 pages.»