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Dans son dernier roman, Daniel de Roulet a choisi de raconter «par le bas» l’épopée des régiments de mercenaires suisses qui, en 1789, étaient au service de la monarchie française. Entraînés dans le tourbillon de la Révolution, ses héros aux vues rousseauistes, partis de Genève, écrivent une histoire signée du bonnet rouge des bagnards, devenu symbole de liberté et d’égalité.



Des mercenaires suisses enrôlés dans le régiment Châteauvieux, il ne reste que le bonnet rouge, devenu la coiffe de Marianne sur les emblèmes de la République française, et le slogan, «Liberté, Egalité». Le prolifique Daniel de Roulet poursuit son travail sur l’histoire des oubliés, et sacrément oubliés étaient les huit Suisses dont il a fait les personnages de ce roman en vers libres, qui se lit comme une Odyssée où Genève est une Ithaque. Huit hommes dont les archives lui ont donné le nom, la date de naissance, la profession et le motif de condamnation au bagne ou à mort: sédition.

Il faut pour comprendre remonter à 1782, à Genève. Sous la figure tutélaire de Rousseau, Samuel grandit auprès de son père, lorsqu’une insurrection contre le gouvernement des patriciens et pour l’instauration de la République éclate. Réprimés, les insurgés sont poussés à l’exil. C’est à Rolle qu’on retrouve le jeune héros, où il s’éprend de Virginie, qui elle, est éprise du Léman. Il faudra compter le lac au nombre des personnages.

«Samuel avait fait remarquer que cinq Etats,

Y compris la France et le Valais à l’arrivée du Rhône,

se partageaient le Léman.

Il le considérait comme une vaste place publique

où tous les riverains devraient pouvoir

se rencontrer librement,

sans être à la merci

des douaniers, des gabelous et des sbires

de cinq Etats différents.»

Après avoir tué, pense-t-il, son rival auprès de Virginie, Samuel est forcé de fuir et s'engage comme mercenaire dans un régiment de Suisses, au service du roi de France Louis XVI. Tel est le destin des Suisses, dans une patrie qui n’a jamais eu de roi: s’entretuer des siècles durant au nom des autres monarques. Deux millions d’entre eux au total ont servi dans toute l’Europe.

André, les deux François, Jacques,... tous des compatriotes, appartenant, comme de petits soldats de plomb, au régiment du marquis de Châteauvieux, apprennent à se connaitre. Le soir, ils jouent à nommer chacun un vent qui souffle sur le Léman. Samuel a le mal du pays, une peine de cœur immense, et surtout soif d’égalité.

Quel déchirement a dû être celui des «Châteauvieux» lorsqu’ils furent appelés à la rescousse à Paris, en juillet 1789, pour défendre notamment la Bastille. Mais puisque, le 14, la foule et la révolution sont les plus fortes, les Suisses sont redirigés vers l'est: leur présence «irrite le désespoir du peuple».

C’est à Nancy, l’année suivante, qu’éclate une mutinerie contre les officiers. Acte de révolte désespérée, au cours duquel Samuel refusera de faire couler le sang des oppresseurs, et qui vaudra aux survivants de la répression des condamnations plus ou moins cruelles. La pendaison publique pour certains, le supplice de la roue pour le sage André Soret, dernier condamné en France à cette exécution épouvantable, 30 ans de bagne à Brest pour les autres, dont Samuel. Lui qui rêvait de voir la prise de la Bastille enfanter un mouvement de révolution qui dépasserait les frontières et atteindrait Genève doit retraverser la France dans les chaines.

Qu’importe, il s’accroche. Le soir, il apprend par cœur des passages de La Nouvelle Héloïse qu’il se récite pendant le travail. 

La révolution faisant son œuvre à Paris, les Châteauvieux sont finalement libérés après dix-huit mois. Lorsqu’ils quittent le bagne, c’est coiffés de leurs bonnets rouges, signe distinctif des condamnés: un bonnet vert pour la perpétuité, rouge pour les peines laissant l’espoir de sortir un jour. Et ils sont fêtés en héros. La foule les acclame et veut s'affubler aussi de leur tenue de bagnards. C’est de là que vient le fameux bonnet rouge, le bonnet phrygien de Marianne, des timbres-poste et accessoirement, la mascotte des Jeux de Paris 2024. De même que la devise, que Samuel, pris d’un élan d’éloquence, lance à la tribune de tous les défilés: «Liberté, Egalité!»

La révolution a tout renversé, à commencer par les valeurs. Et ce récit renverse aussi la grande narration de l’histoire. Il rend hommage à la «chair à canon», devenue citoyens. Daniel de Roulet revendique de raconter l’histoire «par le bas». Illustration foudroyante, ces paroles prêtées à Samuel, rencontrant un grand bourgeois qui se dit passé du côté du peuple:

«la Révolution française a été initiée dans notre patrie

il y a dix ans.

Avant de nous donner des leçons, 

la France devra encore se passer de la Cour et d’un roi,

quel que soit son nom.»

Enfin, en plus d’offrir un monument aux morts aux gardes Suisses de toute l’Europe, et particulièrement à ceux qui ont, pour un temps, renoncé à l’idéal de Rousseau, Daniel de Roulet solde son propre héritage. Lui qui connaissait l’histoire «par le haut», par sa famille parente du marquis de Châteauvieux, cruel propriétaire de mercenaires, a voulu réhabiliter les «petits», à la manière de Nathaniel Hawthorne dans La Lettre écarlate qu’il cite à la fin du roman.

Lors de la prise des Tuileries, le 10 août 1792, des centaines de Suisses sont envoyés à la mort pour tenter de garder coûte que coûte le palais. Bonaparte, le futur empereur, présent lors de cet épisode, racontera n’avoir jamais vu tant de cadavres sur un champ de bataille. Le bonnet rouge des bagnards leur reste comme sanglante épitaphe au fronton de la République.


«Le bonnet rouge», Daniel de Roulet, Editions Héros-Limite, 160 pages. 

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Chan clear 29.09.2023 | 17h46

«Super, merci du conseil de lecture !Quel plaisir de lire Daniel de Roulet.»