Culture / Daniel Spoerri, une vie toute entière vouée à l’art
Les Editions Buchet-Chastel publie un livre d'entretiens avec Daniel Spoerri, un des prodiges de l'art contemporain, né en 1930 en Roumanie et, notamment, inventeur du tableau-piège, mais aussi créateur du «Eat Art», de galeries, de jardins, de restaurants et de musées.
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L’homme vient du ver, l’humain n’a besoin que de la bouche et de l’anus, pour moi, tous les sens se sont développés pour apporter à la bouche ce qu’elle doit absorber, tout est organisé autour du tube digestif».</p><p></p><hr><p></p><img class="img-responsive " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1544427996_978228303164353132.jpg" width="404" height="448"><h4>Daniel Spoerri, L’instinct de conservation: Entretiens avec Alexandre Devaux, Buchet-Chastel, 160 pages; 20,5 x 18,5 cm; broché. <br></h4><br>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'daniel-spoerri-une-vie-toute-entiere-vouee-a-l-art', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-6', 'like' => (int) 807, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 1410, 'homepage_order' => (int) 1675, 'original_url' => null, 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 6, 'person_id' => (int) 2107, 'post_type_id' => (int) 1, 'poster_attachment' => null, 'editions' => [], 'tags' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Tag) {} ], 'locations' => [], 'attachment_images' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'attachments' => [ (int) 0 => object(Cake\ORM\Entity) {}, (int) 1 => object(Cake\ORM\Entity) {} ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'comments' => [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Comment) {} ], 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ '*' => true, 'id' => false ], '[dirty]' => [], '[original]' => [], '[virtual]' => [], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [], '[invalid]' => [], '[repository]' => 'Posts' } $relatives = [ (int) 0 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 4818, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => false, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => null, 'readed' => null, 'subhead' => null, 'title' => 'Dominique Goblet, un livre envoûtant et une exposition à Bâle', 'subtitle' => '«Le Jardin des Candidats» de Dominique Goblet et Kai Pfeiffer est un livre grand format où se croisent bande dessinée et art contemporain, céramiques, sculptures, ready-mades, aquarelles et strips narratifs, dans une totale liberté de ton. 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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Des métiers demandant un grand engagement physique comme maître-nageur, guide chasse et pêche, sauveteur, interprète en langue des signes, souffleur, voix off, choriste, professeur de yoga. Et du côté col blanc, nous avons un game designer, un ministre du culte, un greffier, un fiscaliste, un échevin, un architecte de jardin, un humoriste, un acarologue, un acousticien, un fiscaliste, un diamantaire, un médecin légiste, un dénicheur de talent et un très utile dermatologue, l’un possédant une webcam et un autre avouant que cela suffit à son bonheur.</p> <h3>Les objets, les animaux, les décors, la Mère</h3> <p>On l’appelle «La Mère» et elle est «La Grande Absence». Sa maison est envahie par des amas de livres détrempés et son jardin contient une piscine inachevée. Mais tout en étant l’Unique Divin Problème, elle n’a pas de problème. Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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De même, la série Brigade spéciale associe toujours l’acte sexuel à des coups et de la torture, d’un racisme appuyé, elle use de termes comme «bougnoule», «négresse» et est riche en descriptions de traitements dégradants. </p> <p>Les années 1980 voient l’entrée en scène de l’amateur érudit et naissent des almanachs, des chroniques, des fanzines, des revues spécialisées vendues en kiosque, comme <i>Gang</i>, <i>Polar</i> ou <i>813</i>, un Festival du roman et du film policier, une exposition au Centre Pompidou, l’ouverture en 1983 de la Bilipo, Bibliothèque des littératures policières à Paris, des thèses sur le sujet sont soutenues et en 1994 paraissent 471 nouveaux titres, en 1995, 700, en 2001, 1'709. </p> <p>Lors du cinquantième anniversaire de la <i>Série noire</i>, Patrick Raynal en devient directeur. <i>Œdipe roi</i> de Sophocle y est publié, Jean-Claude Izzo et Maurice G. Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. 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Par le polar, ils peuvent raconter tout ce qu’ils ne peuvent plus dire par le journalisme. Ils utilisent dans l’écriture leur méthodologie d’investigation: collecte de données, recueil de témoignages, enquête de terrain, étude d’archives.</p> <p>Carlos Ginsburg dans <i>Signes, traces et pistes,</i> son article paru en 1980, article faisant lui-même référence à l’article <i>Attribution</i> d’Enrico Castelnuovo paru en 1968 dans l’Encyclopédie Universalis: en 1876, il y a beaucoup de fausses attributions dans les musées, G. Morelli postule que pour distinguer les originaux des copies, il ne faut pas se baser sur les caractères les plus apparents et, par conséquent, les plus faciles à imiter mais examiner les détails les plus négligeables: les lobes des oreilles, les ongles, la forme des doigts des mains et des pieds. 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Et on a affaire aussi bien à l’amitié franche et virile qui existe entre Asger Jorn et Christian Dotremont qu’à l’amitié décharnée et ascétique entre Samuel Beckett et Bram van Velde, à l’amitié sensuelle et libertine entre Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché qu’à l’amitié tendre et fidèle entre Pier Paolo Pasolini et Silvana Mauri.</p> <h3>L'amitié entre femmes</h3> <p>Rachel Carson et Dorothy Freeman, l’une théoricienne de l’écologie, biologiste, auteur du <i>Printemps silencieux</i> qui aboutit à l’interdiction du DDT aux Etats-Unis, l’autre, enseignante dans un institut d’agriculture, ont dans les 45 ans quand elles se rencontrent, un été, sur une île, et sont ravies d’avoir enfin trouvé quelqu’un à qui parler, quelqu’un avec qui partager ses intérêts et sentiments. Après deux années d’échanges, Rachel signe ses lettres d’un <i>ILY</i> (I Love You). C’est chaud. Elle lui écrit tous les jours. Le soir, de son lit. Le matin, avant d’aller travailler. 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Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. 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C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. 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Et dans les bois, surgit un ruisseau, des branches moussues, le bruit de l’écoulement, doux, calme, léger, persistant, les pissenlits, les marguerites, les pâquerettes, le bouton d’or – simplicité, le platane, le sureau, les peupliers sur la place centrale, le cyprès.</p> <h3>Le côté pop</h3> <p>Le chewing-gum, les Lego, les cigarettes filtres, les jeux électroniques avec leur écran à cristaux liquides, une maquette d’avion. L'auteur, enfant, reconnaît très bien les voitures, sait différencier très tôt une Mini Cooper d’une Alfa Roméo, et il est admiré par les adultes pour cela. Une petite poignée de dessinateurs, cinéastes ou groupes, Agnès Rosenstiehl, Yves Yersin, Etienne Delessert, Jörg Müller, les Forbans ou Téléphone, la télévision – où on la place dans la maison, dans quelle position on se met pour la regarder, son premier film: <i>La Grande Vadrouille</i>. </p> <h3>Les autres enfants</h3> <p>Chacun a son caractère. Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.</p> <h3>Le bonheur</h3> <p>Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique. </p> <p>Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. 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Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.</p> <p>Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local. </p> <h3>Le paradis d'avant la Chute</h3> <p>Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.</p> <p>Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. 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Jeunesse helvétique – danse et théâtre
Daniel Spoerri, né en 1930, à Galatji, en Roumanie, est l’aîné d’une fratrie de six enfants. Leur père, Isaac Feinstein, un libraire juif roumain converti au protestantisme, est assassiné lors d’un pogrom en 1941. Leur mère, Lydia Spoerri, une évangéliste baptiste suisse réussit à les faire émigrer tous en Suisse, où les enfants sont placés auprès de différents membres de la famille. Daniel l’est, à Zurich, chez son oncle maternel, le professeur Theophil Spoerri, protestant militant, très croyant, et prof de littérature, qui s’intéresse très modérément à ce garçon inculte qui ne parle bien ni le français ni l’allemand.
Ayant grandi dans ce milieu mortifère et puritain, l’adolescent Spoerri a été à deux doigts de devenir un voyou. Son oncle, devenu recteur de l’université de Zurich, ne lui donne pas un sou. Pour survivre, Daniel danse dans des boîtes de nuit où un maître de ballet, Max Terpis, le remarque. Cet homme va l’aider à entrer dans l’école de danse de l’opéra de Zurich où il a obtient une bourse et reste deux ans.
En 1949, il part à Bâle où il rencontre Jean Tinguely, qui à l’époque est décorateur de vitrine et qui deviendra, au fil du temps, l’artiste suisse le plus connu de sa génération. En 1952, départ pour Paris. Tinguely et Eva, son amie, l’y rejoignent deux mois plus tard. Comme il parle plusieurs langues, le roumain, l’allemand, le français, l’italien et le yiddish, il accompagne des visites guidées de la ville tout en suivant le cours de danse d’Olga Preobrajenska.
Ensuite, il revient en Suisse, à Berne, où il commence une carrière de à l’Opéra dont il devient le premier danseur, avant de se consacrer au théâtre comme metteur en scène.
Poésie concrète et multiple
Parallèlement, il compose de la poésie concrète et il pratique donc une écriture sans aucun état d’âme, c’est-à-dire sans lyrisme, ni aucune expression de soi, mais un jeu formaliste à programmes et à principes qui aboutit à des calligrammes, à des systèmes de permutation, d’astuces phonétiques et d’idéogrammes et qui surtout vise à transformer le lecteur en joueur plutôt qu’à le maintenir dans l’état de consommateur passif. De même son «Autothéâtre» a pour ambition de transformer le spectateur de public en acteur.
En 1959, de retour à Paris, il rencontre l’adorable et ludique Robert Fillioud, artiste, écrivain et poète, qui a conçu la fameuse trilogie conceptuelle: travail bien, pas fait, mal fait. Avec Dieter Roth et Emmett Williams, ce seront les meilleurs amis de Daniel Spoerri. «Filliou est mon grand frère mais moi je suis sa mère», dira-t-il plus tard.
En 1959, toujours dans l’idée de désacraliser l’image de l’artiste et de l’œuvre unique, il crée la maison d’édition de multiples MAT (Multiplicateur d’Art Transformable), et pour la financer il obtient une œuvre de Soto, célèbre pour ses peintures et constructions géométriques, jouant avec les effets d’optique, et une de Tinguely. Des œuvres qu’il vend à un musée allemand.
La première exposition de MAT a eu lieu fin 1959 à la galerie Edouard Loeb, rue de Rennes, à Paris. C’est une tentative révolutionnaire de multiplication d’œuvres d’art en dehors des procédés habituels (lithographie, gravure, bronze, tapisserie etc.), limitée à 100 exemplaires numérotés et signés par l’artiste et tous ont été évalués à 20'000 francs français (environ 400 € d’aujourd’hui). Les artistes contributeurs sont Agam, Pol Bury, Marcel Duchamp, Dieter Roth, Soto, Tinguely, Vasarely, Hans Arp, Christo, Enrico Baj… Le principe n’était pas de faire des reproductions dans le sens habituel, mais de faire de multiples originaux, principalement des objets cinétiques, encourageant souvent l’intervention du spectateur.
Dans le catalogue de cette expo, il est écrit: «100 exemplaires signés, sauf pour Duchamp». Dès qu’il l’apprend, Marcel Duchamp lui envoie une boîte contenant 40 signatures «originales». Il a signé sur des étiquettes en tissu thermocollant du type de celles qu’on utilisait alors pour marquer de son nom les vêtements qu’on confiait à la laverie.
Spoerri n’ayant jamais vendu 40 exemplaires des rotoreliefs de Marcel Duchamp a offert les nombreuses signatures restantes à son ami Fillioud qui à l’époque possédait une boutique à Villefranche-sur-Mer dans laquelle il vendait des objets à fortes connotations artistiques, et c’est Arman qui les a rachetés pour en faire une œuvre à sa façon, une «accumulation de signatures de Marcel Duchamp».
Par ailleurs, dans les entretiens avec Pierre Cabanne, en 1967, Marcel Duchamp, devenu le maître absolu de tous les artistes contemporains qui ont compté, après avoir répondu qu’il ne s’intéressait pas du tout aux jeunes artistes, se rétracte et précise qu’il y en a quand même deux qu’il apprécie: Arman et Spoerri.
Tableaux-Pièges
Ce sont eux qui rendront Spoerri célèbre. A Paris, en 1959, alors qu’il aidait Tinguely dans sa tournée des ferrailleurs, apercevant différents objets métalliques posés sur une plaque rectangulaire, il s’est exclamé: «- Tiens! On dirait tout à fait un tableau». Tinguely a soudé les pièces et c’est devenu sa première œuvre composée d’objets «piégés», et, ce fut donc ainsi, par un changement de plan – de l’horizontale de l’expérience commune, une table, un repas, à la verticale sacralisante du mur, une peinture, une sculpture, un objet d’art – que Spoerri affirma le caractère d’œuvre d’art de ses objets piégés. On peut remarquer également que si dans la poésie concrète, l’impasse était faite sur les sentiments, dans les tableaux-pièges, la dimension émotionnelle revient en force. Le tableau-piège est avant tout un objet hyper affectif.
A vrai dire, c’est en 1960 précisément qu’il invente ses premiers vrais «tableaux-pièges» en collant sur des planches des objets quotidiens, bouteilles vides, couteaux, fourchettes, cendriers pleins de mégots, assiettes sales, reliefs de nourriture, ramassés dans sa chambre d’hôtel, objets qui acquièrent par cela même une présence neuve et percutante. Et dès sa fondation la même année, ce travail le conduit à rejoindre le groupe des Nouveaux réalistes.
Toute cette génération très active au début des années soixante va se ressourcer à l’origine même des avant-gardes. Contre un modernisme édulcoré et une peinture abstraite de plus en plus dégoulinante, elle est à la recherche d’une pureté et d’un radicalisme des origines, elle renoue avec Dada et même avec les Arts incohérents du 19e siècle. Potacheries, mômeries et geste radical, c’est tout elle. Nicky de Saint-Phalle tire au fusil sur ses œuvres cibles, Tingely expose des œuvres qui s’autodétruisent, Arman accumule des mêmes, César compresse des bagnoles, Klein peint en servant du corps de femmes nues, Spoerry colle des restes de repas sur des planches et les affiche aux murs.
L’air du temps est à la désacralisation de l’art et tous, comme les situationnistes et Henri Lefebvre, se réclament de la vie quotidienne et toute cette génération également ne désire plus ni ne veut plus de lecteur ou de spectateur passif.
Peu après, Spoerri crée la Section des Musées sentimentaux, exposant le lit de Van Gogh, une clef de la Bastille, le feutre d’Artiste Bruant, un dessin de Topor représentant le vrai, l’unique violon d’Ingres… Puis il y a la Boutique Aberrante où il vend des reliques d’artistes vivants: une chemise rose de Rrose Sélavy, des fils de Soto, des moteurs brûlés de Tinguely, des paires de chaussures à talonnettes de César, une boîte de cirage de Soulage, des bonbons sucés pour Topor par… Comme il y a une vingtaine d’artistes, tous célèbres, c’est surtout le catalogue, des photocopies reliées par deux vis boulonnées, qui s’est bien vendu car les objets paraissaient trop chers aux gens. Sauf les bonbons de Topor qui eux, sont vendus 2 francs avec marqués sur les étiquettes sucés par Charlie Chaplin ou Brigitte Bardot pour Topor…
Eat-art
En 1963, il demande à P. Schneider, un critique d’art proche des surréalistes, s’il accepterait de servir des repas lors d’un événement organisé par lui car ce sont eux, les critiques, qui doivent apporter l’art au public. Schneider le gifle! Mais Michel Ragon, Jouffroy, Restany et d’autres acceptent…
En 1967, avec Kichka, sa compagne de l’époque, ils partent vivre un an à Symi, une île grecque de mille habitants, à deux heures de bateau de Rhodes, sans route ni voiture, rien que des bergers et des pêcheurs, et aucun touriste. Spoerri emmène avec lui un Larousse gastronomique de 5 kg. Il veut tout apprendre et tout connaître sur la cuisine.
Le Larousse assimilé, Spoerri s’installe en 1968 à Düsseldorf où il ouvre un restaurant sur la Burgplatz, non loin de la Kunsthalle, puis, à l’étage, une Eat-Art Gallery, où il invite clients et artistes à confectionner des œuvres comestibles comme les personnages en pain d’épices de Richard Lindner ou les sucres d’orge de César.
La bouche et l’anus
L’une des choses qui ressort fortement de ce long entretien, c’est l’absolue prééminence du règne de la bouche car elle domine chez lui, à la fois dans son œuvre et dans ses propos, oui, manger, boire, fumer, rire, tout autant que l’analité.
A l’instar de son cher ami Topor qui réalise des lithographies très soignées représentant des étrons, Spoerri, suivant en cela l’expression française «couler un bronze», coule en métal un coprolithe couvert de feuilles d’or qu’il intitule Petit monument à la merde.
Et quand on l’interroge sur ce que pourrait être sa philosophie de la vie, il répond: «Il n’y a que la survie qui m’intéresse. L’homme vient du ver, l’humain n’a besoin que de la bouche et de l’anus, pour moi, tous les sens se sont développés pour apporter à la bouche ce qu’elle doit absorber, tout est organisé autour du tube digestif».
Daniel Spoerri, L’instinct de conservation: Entretiens avec Alexandre Devaux, Buchet-Chastel, 160 pages; 20,5 x 18,5 cm; broché.
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Les salles suivantes retracent l'ensemble de son parcours artistique, des carnets y côtoyant des planches dessinées et de grands formats peints, mêlant fantasmes et plongées dans l'intime. Dans les dernières salles, partant d’annonces de sites de rencontre, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer, les deux auteurs du <i>Jardin des candidats</i>, imbriquent leurs dessins, décloisonnent les disciplines et incluent dans leur scénographie installations et fresques murales.</p> <p>Par ailleurs, dans une vidéo qui figure sur le site du musée, on peut entrapercevoir Dominique Goblet pleine de vie et d’énergie pétillante bloquant un tram à Bâle pour laisser passer la fanfare invitée en l’honneur de son show.</p> <h3>Le livre</h3> <p><i>Le</i> <i>Jardin des Candidats</i> est totalement convaincant et on ne peut qu’en vanter l’indéniable réussite plastique. Toutes les expérimentations formelles y sont au service d'une écriture et tout y est rendu comme étant nécessaire et parfait.</p> <p>En ouverture, un paon déclare dans une bulle: «cherche relation suivie pour moments câlins dans le jardin». <i>Aléa jacta es</i>, les dés sont jetés, toutes les citations sont issues de véritables textes de profils sur des sites de rencontre, apprend-t-on ensuite. Il y a ainsi de la végétation et une voix, celle de la Mère, figure mythique de l’adoration. Elle est «La Grande Absence». Elle possède un amas de livres détrempés et une piscine inachevée. Elle est l’Unique Divin Problème et quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’elle en a besoin. Les candidats repérés sur internet sont rassemblés dans le parc parmi des buissons, des vases, des paons, des trous et un barbecue. Ils y errent, ils y besognent, jardinent ou se délassent. 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Quand il fait soleil ou quand il pleut, c’est parce qu’Elle en a besoin.</p> <p>Des hommes en manque comme s’il en pleuvait, se soumettent avec docilité à tous ses caprices, elle leur demande de creuser, ils creusent. Des hommes avec des cheveux frisés, des cheveux raides, chauves, des casquettes, des lunettes, des cravates, des hommes nus, des hommes en pierre, en terre, assis, couchés, debout, enlacés entre eux, sur un banc, en tablier devant un barbecue, des paons, une centaine de candidats corvéables à merci. 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La majeure partie des faits divers relatés par la presse du XIXème siècle ne sont pas des crimes spectaculaires, de grandes affaires retentissantes, mais de minuscules incidents de la vie quotidienne, des crimes sans éclats.</p> <p>Le roman réaliste et naturaliste, Dostoïevski, Flaubert et Balzac, ce sont eux, l’héritage revendiqué du roman noir. Il s’agit de représenter la réalité sociale et, comme le disait Zola dans la préface de <i>L’Assommoir</i>, de rédiger une œuvre de vérité qui ait la vitalité et l’odeur du peuple.</p> <h3>Prolétaires et classes moyennes</h3> <p>Le roman dit prolétarien ne sera pas grand-chose et, contrairement à Céline, n’usant pas de la vraie langue du peuple, il ne rencontrera jamais son public. 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Peu de titres au début mais dès 1948 la collection entre dans l’ère fordiste des littératures de genre, standardisation et mode de fabrication contraints aussi bien dans la matérialité des volumes que dans l’identité des textes, avec imprimé sur les rabats de la jaquette. Donnés comme les traits principaux des ces ouvrages: l’immoralité, l’anticonformisme, l’action, la violence, la tension, l’humour et l’angoisse.</p> <p>En 1953, six titres français paraissent. Albert Simonin avec <i>Touchez pas au grisbi!</i> remporte un énorme succès, <i></i>100'000 exemplaires vendus. 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Leur contre-société est pour eux la seule communauté qui existe. Ils nomment leur milieu le Milieu et ils se nomment eux-mêmes les Hommes. Le reste de la société n’étant qu’un ramassis de pue-la-sueur soumis aux politiciens et craignant les flics.</p> <h3>Ultragauche, le néo-polar</h3> <p>Après Mai 68, le roman noir français reconvertit le genre en acte critique, en radiographie politique de la société et de ses institutions, en instrument d’intervention sociale. Le néo-polar intègre dans ses récits les banlieues, les grands ensembles, les HLM, et décrit de nouveaux espaces tels les caves, les terrains vagues, les cages d’escaliers. La violence sociale n’y est plus un écart mais la norme et toute révolte individuelle y est, par nature, vouée à échouer. Paranoïa et haine de soi y dominent.</p> <p>Jean-Patrick Manchette, invité à l'émission <i>Apostrophes</i> par Bernard Pivot, en utilisant le terme de néo-polar devant des millions de spectateurs, rend son usage universel. 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Dantec sont recrutés, les ventes repartent à la hausse.</p> <h3>Féminisation du roman noir</h3> <p>Dans les années 1990, on assiste à une entrée progressive d’auteurs femmes et ensuite, au siècle suivant, massive, à la fois comme productrices d’ouvrages et comme lectrices de ceux-ci, la lecture de roman devenant une activité de plus en plus essentiellement féminine.</p> <p>En 2024, 60% des acheteurs et du lectorat de romans policiers sont des acheteuses et des lectrices. Il paraît beaucoup d’articles sur les femmes auteures de polars dont certaines avaient néanmoins choisi un pseudonyme androgyne, telles Fred Vargras, Dominique Manotti ou Claude Amoz. 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Duchamp, qui ne conserve rien, gardera néanmoins celles de Roché postérieures à 1953 – date à laquelle celui-ci publie son roman <i>Jules et Jim.</i> Leurs échanges sont continus, vifs, drôles, affectueux et cela jusqu'à la disparition de Henri-Pierre Roché en 1959.</p> <h3>Amitié et antisémitisme</h3> <p>L’amitié entre Vassily Kandinsky et Arnold Schoenberg va buter sur l’antisémitisme, le premier écrivant au second, suite à une demande d’être engagé au Bauhaus, qu’il le rejette en tant que Juif mais qu’il l’apprécie en tant qu’homme: «… je vous rejette en tant que Juif, mais néanmoins je vous écris une bonne lettre et vous assure que j’aimerais tellement<i> vous</i> avoir ici pour que nous travaillions<i> ensemble!</i>»</p> <p>A quoi le second répond: «Et vous vous joignez à cela et "me rejetez en tant que Juif". Me suis-je donc offert à vous? Croyez-vous que quelqu’un comme moi se laisse rejeter! Pensez-vous qu’un homme qui connait sa valeur accorde à quiconque le droit de critiquer ne serait-ce que ses traits de caractère les plus insignifiants? Qui serait-il donc, celui qui aurait ce droit? En quoi serait-il meilleur? Oui, me critiquer derrière mon dos, il y a là beaucoup de place, c’est loisible à chacun. Mais si je l’apprends, il est alors à ma merci, livré à mes représailles.»</p> <h3>En Belgique dans les années 20</h3> <p>En 1922, le jeune Henri Michaux, complètement paumé, se cherche un parrain littéraire et en Belgique, ça ne court pas vraiment les rues. Il tombe sur Franz Hellens, de 20 ans son ainé, auteur d’un récit onirique, <i>Mélusine</i>, récit qu’il l’a ébloui. Loin de l’homme sans concession qu’il deviendra, à ce moment-là, Michaux manquant de tout, même de livres, aspire à des mondanités, a le souci de parvenir, de trouver une place et de réussir dans la milieu littéraire parisien. Et ça marche, Hellens le prend dans sa revue<i> Le Disque vert</i>. Ils s’écriront pendant vingt ans. Plus tard, l’auteur d’un <i>Barbare en Asie</i> souhaitera voir détruite cette correspondance preuve de ses peu glorieuses errances de jeunesse. </p> <h3>En Suisse dans les années 40</h3> <p>Deux êtres aux antipodes l’un de l’autre, excès contre réserve, volubilité contre frugalité du langage, débordements contre nuances, improbables amis mais nourrissant quand même un généreux dialogue et partageant leurs doutes pendant 60 ans! Maurice Chappaz bouillonne et insuffle de sa tonicité à Philippe Jaccottet qui en manque mais qui, par contre, est attentif, fidèle et patient. Au départ, il y a une note de lecture du second qui a alors 20 ans, à propos de <i>Verdure de la nuit</i> du premier, cantique célébrant la femme, le désir, le Valais. Pendant que le Vaudois Jaccottet déprime et se ronge, Chappaz, le Valaisan, chante l’amour, la vie vagabonde, la bohême. Jaccottet, rongé par les soucis d’argent, ses tâches de traducteur et de critique littéraire, ses inhibitions devant le devoir d’écrire, s’exile à Paris puis à Grignan et même si tout les oppose, une amitié désintéressée et au long cours va se développer et se fortifier, entre l’austère Jaccottet et l’explosif globe-trotteur et contempteur des remonte-pentes.</p> <h3>En guise de conclusion, une merveille merveilleuse</h3> <p>Entre Robert Walser et Frieda Mermet, pendant vingt ans, de 1913 à 1923, s’échange une correspondance joueuse, ludique et facétieuse. Liberté de ton, ferveur, badinage, relation amoureuse à distance, orgueil, sincérité et rétention, tous les sortilèges de la prose walsérienne sont ici à l’œuvre. Quand ils font connaissance, il a 35 ans et elle, 36. Il revient de Berlin où il a passé sept ans à fréquenter les avant-gardes artistiques et a beaucoup publié. Walser vit maintenant chez sa sœur, institutrice puis, en 1920, déménage à Berne. Frieda qui est divorcée et lingère dans une clinique psychiatrique lui sert aussi d’archiviste et de bibliothécaire car Walser n’a jamais possédé de bibliothèque ni conservé quoi que ce soit. Elle satisfait fidèlement ses nombreuses demandes de vivres – fromage, beurre, saucisson, thé. Leur relation épistolaire est entrecoupée de rencontres épisodiques. Walser effectue souvent à pied le trajet entre Bienne et l’asile de Bellelay. Il donne toujours du «vous» à sa «chère Madame Mermet» tout en embrassant l’ourlet de sa ravissante petite culotte et parfois, il joue avec l'idée de l'épouser: «J'aimerais être dès demain matin votre mari, serviable, sage en tout temps, économe, solide, fidèle, toujours, bien sûr», lui écrit-il.</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1707986152_correspondancescouverture1046x1536.jpg" class="img-responsive img-fluid left " width="200" height="294" /></p> <h4>«L’amitié dans tous ses états. 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Un parcours, la reconstitution d’un paysage avec ses hauts, ses bas, ses impressions sonores, visuelles, tactiles, ses zones de brouillard. La laiterie, les ponts de grange typiques de son «petit coin de terre vaudoise», le tas de fumier avec sa planche en bois qui permet à la brouette de passer dessus, la remorque à lisier, la fosse à purin, le convoyeur, tapis roulant, avec au centre du village, solide et massive, une grande fontaine de campagne à deux bassins.</p> <h3>Le sol</h3> <p>Cela commence par le sol parce que l’on passe beaucoup de temps au sol lorsqu’on est un petit enfant. On ne sait pas encore marcher, on se fatigue vite, on tombe, et la vue est plus courte. Il y a cette myopie enfantine, on regarde le proche, ce qu’on trouve sous la main, ce qu’on tâte, et puis à partir de ce point de vue, petit à petit la vue se développe et on voit l’environnement de manière un peu plus large mais toujours à partir d’un point très précis du sol. Au début donc, pour l'auteur, tout est sol et rien que sol, sol de l’enfance, sol socle. Il commence par décrire ce sol là où il est le plus dur, la route goudronnée, goudron et gravillons mêlés, son odeur forte, puis il passe au sable, à l’herbe, à la terre sèche ou boueuse, au gravier, au parquet, aux dalles, au tapis, aux couvertures. Oui, il s’agit d’arpenter ce territoire, et ce défilement va se retrouver dans l’écriture et avec le mouvement, ce détachement, cette impression de glisser sur les choses. Il s’agit aussi de prendre conscience de l’immensité de ce qui nous entoure, de la distance entre deux poteaux d’un but de football. </p> <h3>Son style</h3> <p>Plus intéressé par la vérité des sensations, des impressions, des sens, des perceptions que par celle des souvenirs, Alain Freudiger effeuille, effleure, prend son temps, ne brûle pas les étapes et use d’une grande précision dans l’usage du vocabulaire, et de peu de qualificatifs. C’est très fluide et pour ce faire, il n’y a pas de chapitres. Son travail est triple: il parcourt mentalement sa propre mémoire par l’écriture: tous ses lieux, ses maisons, ses chemins, ses bois, ses champs. Ensuite après ce premier jet, il consulte un certain nombre de photographies, non seulement de son enfance mais aussi de la région à cette époque-là, et a quelques discussions avec des proches et des gens qui ont vécu là-bas, non pour vérifier tel ou tel détail mais pour faire sauter des verrous mémoriels, pour s’ouvrir à de nouvelles choses. </p> <h3>Le vocabulaire</h3> <p>L’un des enjeux du livre était d’arriver à une grande précision dans le vocabulaire, pour retrouver ces sensations d’enfant, ces finesses tactiles, olfactives, ces perceptions, ces émotions. 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Chez Yves, les tracteurs, chez les Lenz, l’atelier de réparation de voitures, chez Stéphane, après avoir passé le rideau de lamelles plastiques jaune-verte-rose-brune-orange-turquoise, le tapis doux et la table basse.</p> <h3>Le bonheur</h3> <p>Partout où il y a un chemin à deux sillons, à l’orée d’une forêt, il est chez lui, dit-il. La question du paradis, du bonheur, n’est pas liée à des événements, à une exaltation. C’est un bonheur animiste qui est décrit en termes de lumières, de sons, de sensations, et qui n’a pas vocation à durer, qui ne s’appesantit pas. Un rai de lumière, ses millions de grains de poussière, apportant une vague idée cosmique. </p> <p>Ce bonheur est à l’échelle des choses et des événements, petit. Ce n’est pas le paradis perdu. 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Un jour, il dit à son petit frère de manger une feuille d’ortie, celui-ci le fait, il ne se passe rien mais l’auteur, ébranlé par cette obéissance aveugle, ne lui fera plus jamais de semblable sale coup.</p> <p>Il écrit aussi qu’au village, il y a peu de classes sociales, que les enfants sont sur une même ligne d’égalité, qu’il n’y a pas de différence entre fils de paysan et fils de notable local. </p> <h3>Le paradis d'avant la Chute</h3> <p>Ce qui importe, c’est de grandir, de bouger, de découvrir, d’aimer, bref de vivre. Oui, en un étonnant coup de maître, Alain Freudiger nous décrit tout simplement sa jouissance à être.</p> <p>Nous ne sommes pas sur le chemin de Damas, il n’y a pas de rédemption, il n’y a pas eu de Chute mais au contraire, conquête de la station verticale. Ce n’est pas l’enfance de tout un chacun. Aux uns, une pente douce, aux autres, des montagnes russes, peu ont eu un rapport aussi harmonieux à leur fratries, peu ont été aussi aimés par leurs parents et moins encore se sentaient les égaux de tous. C’est bien là qu’est le tour de force d’Alain Freudiger. Avec lui, nous sommes dans le paradis de Jérôme Bosch, chez le Breughel de La Chute d’Icare. Mais l’enfer et l’occupation espagnole, cela sera pour une autre fois. Nous sommes dans la campagne romande au début des années 80 et dans les derniers temps heureux de l’histoire de l’humanité. 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1 Commentaire
@Culturieuse 30.07.2019 | 19h58
«Super articl, merci!»