Chronique / Les jeunes filles en fleurs de Proust sont des centenaires connectées
© 2019 Bon pour la tête / Matthias Rihs
Cent ans après avoir accédé au «grand public», avec l’attribution du prix Goncourt en décembre 1919, Marcel Proust reste l’immortel architecte d’une cathédrale littéraire sans pareille. Deux nouveaux livres posthumes du regretté Bernard de Fallois, qui découvrit et édita deux de ses écrits majeurs, ont double valeur d’aperçu général et de pénétrante analyse: «Introduction à la Recherche du temps perdu» et «Sept conférences sur Marcel Proust».
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Je n’en sais rien et je m’en contrefiche. Ce que je sais, que savent tous les enfants, c’est que la lecture s’apprend et s’aime, ou pas. Ce que je sais est qu’un enfant qui attend un geste de tendresse de sa mère parle un langage accessible à tous, même en chinois. Ce que je sais est que la peinture d’une société, actuelle ou inactuelle, recèle des enseignements sans nombre. Ce que je sais est que l’analyse fine des sentiments, après la mort d’un être cher ou a la naissance d’un amour, est traduisible dans toutes les langues, alors que les stéréotypes mondialisés font de tous des automates spermatiques ou sentimentaux. Ce que je sais est que les livres importants nous parlent, ou pas, étant entendu qu’il y a mille façons de lire le monde ou de se le cacher. </p><p>La cathédrale de Proust n’exclut pas les temples hindous ou égyptiens: elle nous fait lire en nous-mêmes et nous pousse à voir ailleurs: «En réalité», lit-on dans <em>Le Temps retrouvé,</em> «chaque lecteur est, quand il lit, le lecteur de soi-même. 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Ainsi, dans la foulée proche d’une Aude Seigne (née en 1985) et de ses <em>Chroniques d’un Occident nomade</em>, Guillaume Gagnière trouve-t-il aussitôt son ton, pimenté d’humour, et son rythme allant, ses formules propres et la juste distance d’une écriture ni jetée comme dans un carnet de notes brutes ni trop fioriturée.</p> <p>Cela commence par un <em>Soliloque du corps </em>marqué par une première crise d’urticaire, entre la Malaisie et la Thaïlande, et qui subira plus tard force cloques et autres claquages de muscles, jusqu’à «une sorte de lupus» au fil de marches de plus de mille kilomètres, sans parler d’un épisode de pénible yoga soumis aux contorsions du caméléon écartelé ou du chameau asthmatique, entre autres coups de blues et de déprimes qui rappellent aussi celles du cher Nicolas à Ceylan… Cependant le corps exultera aussi en sa juvénile ardeur, de parties de surf en étreintes passagères, etc.</p> <h3><strong>Le cycle bouddhiste du pèlerinage, avec un grain de sel…</strong></h3> <p>Sans la candeur plus ou moins naïve, voire parfois jobarde, des routards des années 60-70 découvrant les spiritualités orientales, le pèlerin Guillaume, après s’être efforcé de ne penser à rien dans un centre de méditation thaïlandais proche de Chiang Mai (épisode comique finissant par « ça me gratte, qu’est-ce que c’est… un moustique, merde, concentre-toi, NE PENSEPAS! (…) Oh, une mésange !»), s’impose bel et bien les rigueurs de la longue marche japonaise, qu’il distingue clairement des chemins de Compostelle: «Dans le bouddhisme, le nirvana n’est pas l’équivalent de notre paradis: c’est le grand rien, la fin de tout désir. Le circuit des 88 temples de Shikoku, un cercle, se distingue des pèlerinages chrétiens qui tracent une droite. On ne marche pas du point A au point B en remportant à l’arrivée un prix de tombola spirituelle, on parcourt un cycle, partant de A pour revenir à A, puis l’on remet son ticket en jeu, encore et encore, jusqu’à ce que le concept de but ou de récompense s’épuise de lui-même».</p> <p>Or son livre reproduit pour ainsi dire le même tracé cyclique partant de la rue Indigo sri lankaise évoquée par Nicolas Bouvier, pour y revenir, non sans une pointe de mélancolie («la rue du récit, <em>sa </em>rue a sombré», avec une affectueuse lettre posthume du jeune homme à son modèle tutélaire. Rien pour autant de platement imitatif dans le récit du trentenaire, dont la poésie et la plasticité ont leur propre fraîcheur. Comme Bashô et Bouvier dans leur voyages respectifs, il multiplie ainsi les brèves notations, mais dans son langage à lui: «C’est alors qu’apparaissent les nuages, de larges masses d’un jaune de mégot froid», ou ceci: «Le soir, plat de curry en solitaire sous la Grande Ourse, les étoiles scintillent dans la casserole»…</p> <p>Parvenant au dernier des 88 temples, enfin, c’est avec un éclat de rire final qu’il fait ce constat: «Deux mois d’efforts sur plus de mille kilomètres, et à l’arrivée, un sommet baignant dans une épaisse purée de pois», ajoutant en sage mal rasé et puant sûrement le bouc: «Serait-ce un peu ça, le but: s’effacer à tel point que la notion de mort en devient naturelle». Et pour dépasser toute morosité nihiliste: «Finalement c’est peut-être ça, le «secret»: des montées, des descentes, des remontées et tout en haut, un grand calme: l’ataraxie. 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En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission. 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J’y viens!</p> <h3><strong>Quand Rose de Pinsec disait de la télé: «Pas besoin!»</strong></h3> <p>La télévision - fenêtre sur le monde ou fabrique d’abrutis -, comme l’ordinateur - merveilleux instrument de connaissance et de communication ou puits sans fond de l’imbécillité -, ne seront jamais que ce que chacune et chacun en fait, comme il en va de notre «gestion» du confinement.</p> <p>Avant l’apparition de l’ordinateur et du smartphone dans nos vies, en 1977, Rose Monnet, solide paysanne de Pinsec répondait au réalisateur de la télévision romande Jacques Thévoz qui lui demandait, dans un reportage documentaire mémorable, si elle envisageait elle-même d’installer un jour la télévision dans son modeste mayen, d’un vigoureux et spontané «Pas besoin!»<strong>, </strong> réaction qui pourrait être interprétée comme l’expression d’une mentalité bornée, ou au contraire pleine de sagesse: j’ai la santé et mon parchet, j’ai ma vie et c’est tout bon…</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589526010_images4.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="371" /></p> <p>Or je ne sais pourquoi ce «pas besoin!» me poursuit, moi qui ai toujours été curieux de tout, non comme un frein ni comme une résignation piteuse mais comme un rappel de notre chance d’être au monde et un signe d’humilité et de reconnaissance. Ce «pas besoin!» s’enracine dans notre culture séculaire auto-suffisante et je le retrouve, exprimé de façon plus subtilement lyrique, dans cette page de <em>L’Institut Benjamenta</em> de Robert Walser: «Si j’étais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait déjà pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant à connaître l’étranger au vol. Je me refuserais à enrichir mes connaissances, comme on dit. Plutôt que l’espace et la distance, c’est la profondeur, l’âme qui m’attirerait.</p> <p>Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D’ailleurs je ne m’achèterais rien du tout. Je n’acquerrais pas de propriétés. Des vêtements élégants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait à peu près tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (…) Et je pourrais partir. J’irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. 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Chacune et chacun sait que le Panopticon est ce dispositif précis, dans une prison, qui permet au gardien de voir d’un même point central tous les prisonniers soumis à sa surveillance, mais c’est sans cet aspect disciplinaire que je l’entends: comme une observation simultanée et aussi tourbillonnante que le sont les idées et les figures de certaines peintures de Leonardo, à commencer par son incroyable esquisse de <em>L’Adoration des mages</em>, magnifiqueement analysée par Issacson, et comme en témoignent les milliers de pages de ses carnets aux mêmes observations kaléidoscopiques.</p> <p>La singularité de l’enquêteur Patrick Jane, à part sa mémoire phénoménale, tient à sa façon de relier les traits physiques et moraux, les tics et les pensées, les moindres frémissements expressifs et les émotions d’un personnages, exactement de la même façon que Leonardo puise, dans sa connaissance approfondie de l’anatomie humaine, les liens entre tel muscle et tel mouvement, tel trait et telle expression, non point de façon platement mécanique ou linéaire mais avec les nuances de la lumière sur la chair et le jeu des transparences. 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Je sais bien que ça fait un peu vieux jeu de défendre le Bien contre le Mal, mais le choix n’a rien d’abstrait ou d’idéologique: question de survie, autant que de style, même si la comparaison des deux personnages relève,une fois encore, du grand écart apparemment loufoque. Cependant, le virus se fiche des partis et des appartenances de classes ou de races autant que des niveaux de culture: il est égalitaire au contraire de la médecine trop humaine, et s’il est exagéré de prétendre que le héros blondin d’une série américaine est égal par son mérite à l’un des plus grands génies de notre chère espèce, il est prouvé en période de crise que la lutte contre le Mal relève décidément de la ressemblance humaine, amen.</p> <p>Bref nous avons vaincu la peste et, en attendant, par delà d’autres défis viraux, la panacée transhumaniste que nous promettent les nouveaux prophètes de Dieu sait quelle ennuyeuse immortalité, la quarantaine nous a permis de lire de beaux livres et de voir ou revoir des tas de bons films et quelques séries qui valent peut-être les feuilletons que Rose de Pinsec lisait le soir avant de s’endormir sans somnifères - pas besoin!</p> <hr /> <h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589482331_unknown.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="259" height="389" />Walter Isaacson. Léonard de Vinci – La biographie. Traduit de l’anglais (USA) par Anne-Sophie De Clercq et Jérémie Gerlier. Quanto / Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019.</strong></h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589485311_1923857_18977019860_6515_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="258" height="206" /><strong><em>Le Mentaliste.</em></strong><strong> Série télévisée de Bruno Heller en 151 épisodes et 7 saisons (2008-2013), reprise sur Prime Video.</strong></h4> <p> </p> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'quand-leonard-de-vinci-luttait-contre-le-virus-du-mal', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 648, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2348, 'homepage_order' => (int) 2588, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 94, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2293, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'La chronique de JL K', 'title' => 'Voici le bon, le beau moment venu d’apprendre à parler à une pierre', 'subtitle' => 'Deux petits livres immenses signés Annie Dillard, géniale auteure américaine, nous rappellent cette évidence que la merveille du monde fut infectée de tout temps, que le Dieu parfait tolère la naissance d’enfants malformés et de massacres en son nom, enfin que nous vivons la plupart du temps aveuglés par des paupières de plomb, faute de nous éveiller comme ces gosses se levant tôt pour explorer notre terre qui, parfois, reste si jolie… ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Le moment que nous vivons est extraordinaire, mais ce n’est rien de le dire: il n’est que de le vivre et de mille façons diverses qui procèdent du même éveil et du même bond les yeux ouverts devant la merveille.</p> <p>«Merveille des merveilles sous le lilas fleuri, merveille: je m’éveille», écrivait le poète Jean-Pierre Schlunegger qui finit, désespéré, par se jeter d’un pont, non loin d’où nous vivons, pour se fracasser sur les rochers de la rivière, tout en bas.</p> <p>Or nous vivons tous ces jours sous la double instance de telle merveille et de son envers mortel, et ce n’est pas d’hier, nous l’oublions trop souvent, mais quelque temps nous voici comme au pied d’un mur et c’est le bon moment - le beau moment d’apprendre à voir le monde les yeux ouverts et d’apprendre à parler à une pierre.</p> <p>La merveille des merveilles est à la portée de chacune et chacun , et ma conviction s’en est trouvée confortée, l’autre jour, en notre quarantaine à tous, lorsque tel cher ami m’apprit au téléphone que tous les matins il conduisait son petit lascar Luca de dix ans et son compère Arthur de trois ans son aîné familier par son père argentin des colibris de la jungle de son pays, à la lisière des bois vaudois où ils s’enfoncent tout appareillés d’instruments d’observation et autres chasses subtiles - toute la journée rien qu’à eux, fous de ferveur curieuse et de joyeuse adulation des multiples espèces de végétaux ou d’animaux divers tels les castors d’un soir passé - en somme prédisposés à apprendre un jour a parler aux pierres à l’imitation de ce jeune Américain dans la trentaine exercant, dans sa cabane perdue en pleine nature, le rituel censé faire parler une «pierre à souhaits»…</p> <h3><strong>En osmose intime avec le cosmos</strong></h3> <p>Certains livres sont des départs et d'autres des arrivées. 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Si vous n’avez, de Proust, que la morne image d’une vieille lune au triste halo poussiéreux, éclairant un univers de snobs décatis, de marquises médisantes et de barons dépravés, entre autres écrivains ou artistes décadents, jeunes gens plus ou moins pervers et domestiques à l’ancienne, sur fond de parisianisme frelaté ou de villégiatures marines réservées à la «France d’en haut», le moment est venu pour vous de faire une sérieuse «mise à jour», pour parler comme votre ordi ou votre smartphone.
Je ne vous la chanterai certes pas sur l’air de la «redécouverte» d’un Proust bien plus «moderne» qu’on ne l’a dit, au motif qu’il était en somme «connecté» avant la lettre, écoutant dans son lit les opéras transmis du palais Garnier par le moyen du théâtrophone à micros stéréophoniques – un siècle avant Spotify...
L’actualité de Proust ne réside, à vrai dire, ni dans la curiosité bienveillante qu’il manifesta envers les nouveautés de son époque, de la photographie à l’aviation civile (fatale à son chauffeur-amant Agostinelli auquel il avait offert un bel aéroplane) ou militaire (il fut le premier à décrire les batailles aériennes), ni dans son adhésion à quelque avant-garde d’époque que ce fût, alors même que son œuvre relevait du jamais-lu et transformerait plus profondément encore notre façon de «lire» le monde.
Les multiples découvertes de Bernard de Fallois
Or, c’est son originalité totale et l’universalité intemporelle de sa vision qui font que Marcel Proust reste aujourd’hui notre contemporain, alors que d’innombrables auteurs de son époque (à commencer par les gloires françaises que furent un Anatole France, un André Gide ou un Jean Giraudoux) ont vieilli quand ils ne sont pas oubliés.
Mais entre-t-on dans la «cathédrale» proustienne plus facilement aujourd’hui qu’en 1919? Sûrement pas! Parce que c’est difficile? Oui et non. Parce que c’est long et parfois un poil barbant, ou faute de temps et d’urgente envie? Je ne saurais dire le contraire alors que je n’y suis vraiment entré que passé la quarantaine.
Et pour y découvrir quoi? D’abord une voix sans pareille, intime et proche, douce et profonde. Ensuite une fresque humaine peuplée d’innombrables personnages, aussi riche que la Comédie humaine de Balzac, avec une foison d’observations sur l’humanité en général et le bipède en particulier, rappelant plutôt celles d’un Montaigne. Et, moins attendu: un formidable auteur comique. Enfin et surtout: un incomparable poète en prose, d’une sensibilité folle.
Toutes qualités relevées par Bernard de Fallois dans les deux recueils d’articles et de conférences parus un an après sa mort (le 2 janvier 2018) à l’enseigne de la maison qu’il fonda en 1987, dont le ton familier et l’expression claire et vive vont de pair avec une immense connaissance du sujet, marquée par une découverte bonnement historique qu’il raconte dans la deuxième de ses sept conférences.
À savoir que, déjà passionné par la lecture de la Recherche, auquel il pensait consacrer une thèse académique (à une époque où l’Université n’était «pas du tout persuadée de l’importance de Marcel Proust»), il fit la rencontre de la nièce de l’écrivain, Suzy Mante, qui lui révéla l’existence de nombreux dossiers «dormants» dans un certain grenier dont elle lui donna les clefs.
C’est là que le jeune agrégé de lettres, dans un fouillis de «papiers anciens, usés, salis, quelques fois déchirés», allait découvrir les éléments épars d’un premier roman composé entre 1895 et 1900, jamais publié mais constituant l’évidente matrice romanesque du futur chef-d’œuvre, que le jeune Fallois éditerait en 1952 sous le titre de Jean Santeuil. En outre, le fameux grenier contenait un autre ensemble de papiers, consacrés à Sainte-Beuve, l’un des superpontes de la critique littéraire de l’époque dont le jeune Proust contestait sa façon de placer la biographie des écrivains au même rang que l’analyse de leurs œuvres, et que Bernard de Fallois publia en 1954 sous le titre de Contre Sainte-Beuve.
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Avant d’être éditeur – et des plus influents de la place parisienne – dont la dernière découverte fut «notre» Joël Dicker national transformé en marque multinationale en sa qualité de serial teller à l’américaine, Bernard de Fallois fut un professeur de lettres et un critique littéraire de tout premier ordre (qui défendit un Georges Simenon avant tous et mieux que personne), et c’est avec un mélange de bonhomie érudite jamais pédante et de sagacité lucide et généreuse qu’il rend justice au plus grand romancier français du XXe siècle en invitant la lectrice et la lecteur à le suivre dans le merveilleux édifice.
Proust lui-même a parlé de son œuvre comme d’une cathédrale dont toutes les parties se tiennent ensemble, et d’autres y ont vu une forêt enchantée, une odyssée moderne, un nouvel avatar des Mille et une nuits – peu importe à vrai dire la métaphore plus ou moins pompeuse: c’est un bouquin super géant et tu t’y colles ou pas: c ton choix!
L’année 1919, laryngite et Traité de Versaille, emm… financières et Goncourt!
Marcel Proust avait pourtant été clair, comme Amiel l’a été en demandant à ses proches de détruire son Journal intime, et Kafka qui supplia son ami Max Brod de brûler ses manuscrits: «Je tiens absolument à ce qu’il ne soit conservé et a fortiori publié aucune correspondance de moi». Mais les écrivains proposent et leurs infidèles ou trop fidèles survivants disposent, comme le prouvent les 21 volumes contenant les quelque 5000 lettres écrites par le grabataire graphomane dont nous apprenons, dès le 2 janvier 1919, qu’il est peu bien sous l’effet d’une laryngite aiguë assortie de fièvre de cheval, ne sort plus, n’ouvre plus ses lettres et néglige de corriger les épreuves d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, à la fureur de son éditeur (Gaston Gallimard) alors que lui-même est catastrophé par la composition de son roman en si petits caractères que personne, gémit-il sous sa pelisse, ne lira ce nouveau livre alors que le premier, Du côté de chez Swann, publié à compte d’auteur chez Grasset, n’a été reconnu que par quelques-uns, éreinté par d’autres, ignoré du «grand public».
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Parce que Proust parle à tous, avec ou sans Youtube...
Ceci rappelé, Proust est-il accessible aujourd’hui aux jeunes gens des banlieues et aux jeunes filles impatientes de cartonner sur Youtube? Je n’en sais rien et je m’en contrefiche. Ce que je sais, que savent tous les enfants, c’est que la lecture s’apprend et s’aime, ou pas. Ce que je sais est qu’un enfant qui attend un geste de tendresse de sa mère parle un langage accessible à tous, même en chinois. Ce que je sais est que la peinture d’une société, actuelle ou inactuelle, recèle des enseignements sans nombre. Ce que je sais est que l’analyse fine des sentiments, après la mort d’un être cher ou a la naissance d’un amour, est traduisible dans toutes les langues, alors que les stéréotypes mondialisés font de tous des automates spermatiques ou sentimentaux. Ce que je sais est que les livres importants nous parlent, ou pas, étant entendu qu’il y a mille façons de lire le monde ou de se le cacher.
La cathédrale de Proust n’exclut pas les temples hindous ou égyptiens: elle nous fait lire en nous-mêmes et nous pousse à voir ailleurs: «En réalité», lit-on dans Le Temps retrouvé, «chaque lecteur est, quand il lit, le lecteur de soi-même. L’ouvrage de l’écrivain n’est qu’un espèce d’instrument optique qu’il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans ce livre il n’eût peut-être pas vu en lui-même»…
Bernard de Fallois. Introduction à la Recherche du temps perdu. Editions de Fallois, 311p. 2018.
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Sûrement pas! Parce que c’est difficile? Oui et non. Parce que c’est long et parfois un poil barbant, ou faute de temps et d’urgente envie? Je ne saurais dire le contraire alors que je n’y suis vraiment entré que passé la quarantaine. </p><p>Et pour y découvrir quoi? D’abord une voix sans pareille, intime et proche, douce et profonde. Ensuite une fresque humaine peuplée d’innombrables personnages, aussi riche que la <em>Comédie humaine </em>de Balzac, avec une foison d’observations sur l’humanité en général et le bipède en particulier, rappelant plutôt celles d’un Montaigne. Et, moins attendu: un formidable auteur comique. 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Sûrement pas! Parce que c’est difficile? Oui et non. Parce que c’est long et parfois un poil barbant, ou faute de temps et d’urgente envie? Je ne saurais dire le contraire alors que je n’y suis vraiment entré que passé la quarantaine. </p><p>Et pour y découvrir quoi? D’abord une voix sans pareille, intime et proche, douce et profonde. Ensuite une fresque humaine peuplée d’innombrables personnages, aussi riche que la <em>Comédie humaine </em>de Balzac, avec une foison d’observations sur l’humanité en général et le bipède en particulier, rappelant plutôt celles d’un Montaigne. Et, moins attendu: un formidable auteur comique. 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En outre, le fameux grenier contenait un autre ensemble de papiers, consacrés à Sainte-Beuve, l’un des superpontes de la critique littéraire de l’époque dont le jeune Proust contestait sa façon de placer la biographie des écrivains au même rang que l’analyse de leurs œuvres, et que Bernard de Fallois publia en 1954 sous le titre de <em>Contre Sainte-Beuve</em>. </p><p>Détails pour spécialistes? Pas seulement! Car cette double découverte allait éclairer, d’une lumière toute nouvelle, la genèse et le développement du grand roman que la légende faisait naître «magiquement» dans la chambre capitonnée de liège d’un riche quadragénaire oisif soudain visité par la grâce entre un dîner au Ritz et une visite en quelque «mauvais lieu»… </p><p>Avant d’être éditeur – et des plus influents de la place parisienne – dont la dernière découverte fut «notre» Joël Dicker national transformé en marque multinationale en sa qualité de <em>serial teller</em> à l’américaine, Bernard de Fallois fut un professeur de lettres et un critique littéraire de tout premier ordre (qui défendit un Georges Simenon avant tous et mieux que personne), et c’est avec un mélange de bonhomie érudite jamais pédante et de sagacité lucide et généreuse qu’il rend justice au plus grand romancier français du XX<sup>e</sup> siècle en invitant la lectrice et la lecteur à le suivre dans le merveilleux édifice. </p><p>Proust lui-même a parlé de son œuvre comme d’une cathédrale dont toutes les parties se tiennent ensemble, et d’autres y ont vu une forêt enchantée, une odyssée moderne, un nouvel avatar des Mille et une nuits – peu importe à vrai dire la métaphore plus ou moins pompeuse: c’est un bouquin super géant et tu t’y colles ou pas: <em>c ton choix! </em></p><h3><strong>L’année 1919, laryngite et Traité de Versaille, emm… financières et Goncourt! </strong></h3><p>Marcel Proust avait pourtant été clair, comme Amiel l’a été en demandant à ses proches de détruire son<em> Journal intime,</em> et Kafka qui supplia son ami Max Brod de brûler ses manuscrits: «Je tiens absolument à ce qu’il ne soit conservé et <em>a fortiori</em> publié aucune correspondance de moi». Mais les écrivains proposent et leurs infidèles ou trop fidèles survivants disposent, comme le prouvent les 21 volumes contenant les quelque 5000 lettres écrites par le grabataire graphomane dont nous apprenons, dès le 2 janvier 1919, qu’il est <em>peu bien</em> sous l’effet d’une laryngite aiguë assortie de fièvre de cheval, ne sort plus, n’ouvre plus ses lettres et néglige de corriger les épreuves d’<em>À l’ombre des jeunes filles en fleurs</em>, à la fureur de son éditeur (Gaston Gallimard) alors que lui-même est catastrophé par la composition de son roman en si petits caractères que personne, gémit-il sous sa pelisse, ne lira ce nouveau livre alors que le premier, <em>Du côté de chez Swann,</em> publié à compte d’auteur chez Grasset, n’a été reconnu que par quelques-uns, éreinté par d’autres, ignoré du «grand public». </p><p>Il en ira tout autrement en fin d’année quand, à l’instigation des grands auteurs-lecteurs que sont un Léon Daudet et un Rosny aîné, le prix Goncourt sera décerné à son livre, lui valant plus de 800 lettres de félicitations en trois jours et la reconnaissance soudaine, la gloire tardive alors qu’il décline physiquement plus que jamais, la fureur de ceux qui le trouvent trop vieux et trop riche pour cet honneur, la jalousie de ses pairs, l’intérêt et l’estime croissante des lecteurs, etc. </p><p>Bernard de Fallois, tout à fait dans l’esprit de Proust, et contre la tendance actuelle à s’intéresser aux «pipoles» plus qu’aux œuvres, à la «bio» et aux «biopics» cinématographiques des auteurs plus qu’à la lecture patiente et personnelle de leurs livres, rappelle une fois de plus qu’il y a deux «moi» chez l’écrivain ou l’artiste: l’un qui vit ses tribulations comme nous tous, et l’autre qui les transpose, les transforme, les universalise surtout au point qu’en lisant la <em>Recherche </em>on lit en soi-même, selon le vœu explicite de l’auteur du <em>Temps retrouvé</em>. </p><p>Bien entendu, la concierge qui sommeille en nous tous s’intéressera aux multiples aspects de la vie de celui qu’un biographe à gros panards (Roger Duchêne) appelait <em>L’impossible Marcel Proust,</em> et la correspondance de ce bourreau de travail gisant en dira plus qu’assez de ses tractations financières et de ses embrouilles amoureuses, de ses tactiques à courte vue et de sa stratégie de grand écrivain convaincu de son génie et légitimement soucieux d’être reconnu de son vivant sans flatter pour autant les Ardisson ou les Ruquier de l’époque – mais une fois encore: lire est une autre affaire. </p><h3><strong>Parce que Proust parle à tous, avec ou sans Youtube...</strong></h3><p>Ceci rappelé, Proust est-il accessible aujourd’hui aux jeunes gens des banlieues et aux jeunes filles impatientes de <em>cartonner s</em>ur Youtube? Je n’en sais rien et je m’en contrefiche. Ce que je sais, que savent tous les enfants, c’est que la lecture s’apprend et s’aime, ou pas. Ce que je sais est qu’un enfant qui attend un geste de tendresse de sa mère parle un langage accessible à tous, même en chinois. Ce que je sais est que la peinture d’une société, actuelle ou inactuelle, recèle des enseignements sans nombre. Ce que je sais est que l’analyse fine des sentiments, après la mort d’un être cher ou a la naissance d’un amour, est traduisible dans toutes les langues, alors que les stéréotypes mondialisés font de tous des automates spermatiques ou sentimentaux. 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Ainsi, dans la foulée proche d’une Aude Seigne (née en 1985) et de ses <em>Chroniques d’un Occident nomade</em>, Guillaume Gagnière trouve-t-il aussitôt son ton, pimenté d’humour, et son rythme allant, ses formules propres et la juste distance d’une écriture ni jetée comme dans un carnet de notes brutes ni trop fioriturée.</p> <p>Cela commence par un <em>Soliloque du corps </em>marqué par une première crise d’urticaire, entre la Malaisie et la Thaïlande, et qui subira plus tard force cloques et autres claquages de muscles, jusqu’à «une sorte de lupus» au fil de marches de plus de mille kilomètres, sans parler d’un épisode de pénible yoga soumis aux contorsions du caméléon écartelé ou du chameau asthmatique, entre autres coups de blues et de déprimes qui rappellent aussi celles du cher Nicolas à Ceylan… Cependant le corps exultera aussi en sa juvénile ardeur, de parties de surf en étreintes passagères, etc.</p> <h3><strong>Le cycle bouddhiste du pèlerinage, avec un grain de sel…</strong></h3> <p>Sans la candeur plus ou moins naïve, voire parfois jobarde, des routards des années 60-70 découvrant les spiritualités orientales, le pèlerin Guillaume, après s’être efforcé de ne penser à rien dans un centre de méditation thaïlandais proche de Chiang Mai (épisode comique finissant par « ça me gratte, qu’est-ce que c’est… un moustique, merde, concentre-toi, NE PENSEPAS! (…) Oh, une mésange !»), s’impose bel et bien les rigueurs de la longue marche japonaise, qu’il distingue clairement des chemins de Compostelle: «Dans le bouddhisme, le nirvana n’est pas l’équivalent de notre paradis: c’est le grand rien, la fin de tout désir. Le circuit des 88 temples de Shikoku, un cercle, se distingue des pèlerinages chrétiens qui tracent une droite. On ne marche pas du point A au point B en remportant à l’arrivée un prix de tombola spirituelle, on parcourt un cycle, partant de A pour revenir à A, puis l’on remet son ticket en jeu, encore et encore, jusqu’à ce que le concept de but ou de récompense s’épuise de lui-même».</p> <p>Or son livre reproduit pour ainsi dire le même tracé cyclique partant de la rue Indigo sri lankaise évoquée par Nicolas Bouvier, pour y revenir, non sans une pointe de mélancolie («la rue du récit, <em>sa </em>rue a sombré», avec une affectueuse lettre posthume du jeune homme à son modèle tutélaire. 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Les écrits de Gemma Salem sont autant de défis à toutes les détresses, des écrits comme qui dirait «pour la vie», donc des écrits qui chialent comme vous et qui rient pour tous - des écrits comme dictés par la vie et qui survivront parce qu’ils sont plus que de simples «récits de vie»; des écrits qui ne sont pas que de plates copies de la vie mais qui ajoutent à celle-ci la valeur ajoutée de ce qu’on appelle l’Art avec une grande aile, ou la Littérature à crâne majuscule, ou la Poésie mais sans chichis - et surtout musique à l’appui: la poésie de Schubert qui écrivait spécialement pour cette cinglée de Gemma - croyait-elle dur comme fer -, la poésie de Beethoven et son grand mouvement de rumba, la poésie de ce cœur de chien de Boulgakov, la folle poésie décavée de Jean Rhys en ses propres Tropiques passionnels, la poésie martelante et martelée de TB alias Thomas Bernhard à jamais inatteignable et bien avant qu’il l’eut précédée par delà les eaux sombres. Thomas Bernhard mort? Et quoi encore!</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590690767_100073417_10223531313497816_3498760490526441472_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " /></p> <h3><strong>Au commencent était l’Artiste</strong></h3> <p>Gemma, qui n’était pas encore Gemma Salem l’écrivain (jamais je n’arriverai à la dire «écrivaine» ou «autrice»), m’est apparue à la toute fin d’une soirée dans un caveau lausannois enfumé qui symbolisait alors la bohème locale, à l’enseigne des Faux-Nez, et tout aussitôt j’ai pensé: Princesse persane, Reine sarrasine, Shéhérazade à Gauloises bleues - et c’était parti pour un bout de comédie avec l’Actrice, vu qu’à l’époque Gemma Salem se croyait faite pour le théâtre.</p> <p>Or notre première engueulade, avec Gemma championne du genre, remonte à cet instant où elle a senti, sans que je ne lui dise rien, que je ne croyais pas qu’elle fût le moins du monde actrice, convaincu qu’elle était trop elle-même pour incarner jamais un autre personnage sur une scène, et du coup elle m’en voulut à mort de le penser sans le dire vu qu’elle-même le sentait sans oser le reconnaître; et je ne fus guère surpris de la retrouver, plus tard, dans un autre rôle où elle pouvait incarner tous les personnages qui lui chantaient à sa guise, rien qu’avec une plume et du sang vif (du sang bleu s’il vous plaît) pour l’exprimer.</p> <p>Cependant l’essentiel demeurait: Gemma Salem l’écrivain avait remplacé l’actrice au pied levé et l’Artiste demeurait. Pas étonnant d’ailleurs que <em>L’Artiste</em> (La Table ronde, 1991 - prix Schiller) soit le titre d’un de ses livres. Mais plus que surprenant, réellement stupéfiante: l’immédiate puissance de l’écrivain, brassant une vie entière à pleines mains et en tirant un premier roman dense et vibrant d’émotion, formidablement vivant.</p> <h3><strong>Des passions vécues et sublimées par l’écriture</strong></h3> <p>L’histoire du <em>Roman de Monsieur Boulgakov (L’Âge d’Homme, 1982) </em>est celle d’une passion «incendiaire» autant qu’imaginaire. Une jeune comédienne aux origines panachées d’Orient pimenté et de Suisse confite, installée dans le Midi et languissant un peu d’accéder à la gloire tous azimuts, tombe soudain sur le <em>specimen </em>masculin de ses rêves: un écrivain russe fascinant mais rayé du nombre des vivants dans le crépuscule sanglant des années 30. Rencontre, donc, de type occulte…<br />La comédienne s’appelle Gemma Salem. L’auteur est Mikhaïl Afanassiévitch Boulgakov, auteur du <em>Maître et Marguerite</em>, des <em>Oeufs fatidiques, </em>du <em>Roman théâtral </em>et de <em>Cœur de chie</em>n, mais aussi des <em>Récits d’un jeune médecin </em>qui l’apparentent à un certain Anton Pavlovitch Tchekhov, future autre passion de Gemma.</p> <p>Or le coup de foudre de celle-ci pour Boulgakov est tel que, non contente de dévorer tous ses écrits traduits en quelques mois, elle en investit et réfracte l’univers à la façon de <em>Diablerie</em>- nouvelle du même Boulgakov -, poussant l’observation mimétique de la discordance entre réalité et fiction jusqu’à l’absurde hallucinant.<br />Plus précisément, Gemma Salem, dans <em>Le Roman de Monsieur Bulgakov, </em>reconstitue des lieux et fait parler des personnages de chair et de sang, fondant tout cela dans le mouvement d’un temps fuyant, à la fois tangible et impalpable.</p> <p>C’est ainsi que, dès les premières pages du roman, nous nous transportons, aux côtés du jeune Micha, alors toubib débutant, dans le Kiev de son enfance, et dès ce moment se remarque l’habileté avec laquelle Gemma Salem tire parti d’éléments empruntés aux œuvres de l’écrivain, pour donner au roman son climat, ses couleurs et sa vraisemblance, et cela sans qu’on n’ait jamais l’impression de subir une compilation non plus qu’un relevé de filature.<br />Ensuite nous suivrons Boulgakov à travers les années, des lendemains de la Révolution à la fin des années 30, au fil d’une production littéraire très étroitement surveillée dès ses débuts, à cause de sa liberté de ton et de sa propension satirique, complètement interdite de publication et de représentation au tournant de 1928 (quand bien même Staline avait vu et revu dix–sept fois la pièce intitulée <em>Les Journées des Tourbine</em>!) et que l’acharnement de sa dernière compagne – le très beau personnage de Lena – fera sortir des tiroirs d’infamie après la mort de l’écrivain.</p> <p>De ce dernier, <em>Le Roman de Monsieur Boulgakov </em>nous donne une image attachante et nuancée. En évitant les pièges de l’idéalisation ou du sentimentalisme, si fréquents dans le genre, Gemma Salem a recomposé le portrait d’un Monsieur très porté sur la vie et les femmes, capable d’autant d’amitié chaleureuse que d’intransigeance têtue, qui tenait par-dessus tout à préserver ses œuvres de toute compromission. Or, d’une certaine manière, et ce sera vrai de tous ses livres, l’écrivain brosse son propre portrait en travaillant à celui de son modèle.<br />J’ai parlé de mimétisme à propos de la relation de Gemma Salem avec Boulgakov, dont le sort de David poétique en butte à l’écrasant Goliath soviétique ne pouvait qu’émouvoir la jeune femme blessée par la vie et en bisbille déclarée avec les pesanteurs de la famille et de la société, et c’est le même type de rapport - maintes fois décrit par un René Girard dans ses analyses de la passion mimétique -, qu’elle établira avec Thomas Bernhard, jusqu’à une identification redoutable du fait que l’imprécateur autrichien restait, lui, bien vivant…</p> <h3><strong>Que l’acte artistique relève de la conversion</strong></h3> <p>Tous les livres de Gemma Salem, jusqu’aux plus agressifs ou acides, comme <em>Mes amis et autres ennemis </em>(Zulma, 1995) ou <em>La Rumba de Beethoven </em>(Pierre-Guillaume de Roux, 2019) sont des histoires d’amour relevant de l’exorcisme et qui disent à la fois les beautés de la vie (les enfants et les animaux, la musique et les sentiments délicats) et le mal de vivre, l’exécration du mensonge sentimental ou «romantique», le mépris qu’elle partageait avec Thomas Bernhard de tous les simulacres sociaux ou culturels qu’elle pointe notamment dans ses tableaux au vitriol d’une certaine Suisse hypocritement convenable, notamment dans <em>Les exilés de Khorramshahr </em>(La Table ronde, 1986) et dans <em>Bétulia </em>(Flammarion, 1987), où la rage tonique de sa deuxième flamme littéraire se fait déjà sentir, qui se développera plus librement dans sa fameuse <em>Lettre à l’hermite autrichien </em>(La Table ronde, 1989), relancée dans <em>Thomas Bernhard et les siens </em>(La Table ronde 1993) et jusque dans son dernier livre, sur le ton plus apaisé d’un bilan existentiel très émouvant où elle «prend sur elle», comme on dit, en se reprochant son terrifiant amour propre…</p> <p>Il y a, de fait, chez Gemma Salem, comme chez le grand emmerdeur autrichien, un personnage à la fois solaire et son double farouchement ombrageux, pas loin des possédé(e)s de Dostoïevski, qui se rend parfois la vie aussi impossible qu’à son entourage, mais que l’Art, une fois encore, délivre - cela même qu’entend René Girard une fois encore, dans <em>Mensonge romantique et vérité romanesque</em>.</p> <p>La figure de Thomas Bernhard, assis sur un banc les mains aux poche, l’air de nous dire qu’il n’en a rien à fiche, trône sur la couverture d’<em>Où sont ceux que ton cœur aime </em>(Arléa, 2019), mais TB n’est qu’un truchement: le médiateur par excellence que Gemma n’a jamais pu enlacer «pour de vrai», une figure de la pureté dans un monde avachi par le kitsch, un contempteur de toutes les illusions à bon marché mais qui nous fait un clin d’œil amical comme Gemma, fumant son dernier pétard sur sa tombe, nous en vrille un plein d’amour…</p> <hr /> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1590611352_100086091_10223508363404078_2347364566893068288_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="257" /></p> <h4><em>Où sont ceux que ton coeur aime, </em>Gemma Salem. 88 pages. 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De fait, l’historien américain combine tous les apports de l’histoire de l’art et de la connaissance scientifique accumulés à travers les siècles par ses prédécesseurs, autant que ceux des techniques actuelles en matière de recherche, pour aboutir à un récit fluide et chatoyant, riche de détails autant que de synthèses, avec une touche tout à fait personnelle et un allant communicatif.</p> <p>Mais alors quoi de commun avec Rose de Pinsec et l’enquêteur «mentaliste» de la fameuse série? J’y viens!</p> <h3><strong>Quand Rose de Pinsec disait de la télé: «Pas besoin!»</strong></h3> <p>La télévision - fenêtre sur le monde ou fabrique d’abrutis -, comme l’ordinateur - merveilleux instrument de connaissance et de communication ou puits sans fond de l’imbécillité -, ne seront jamais que ce que chacune et chacun en fait, comme il en va de notre «gestion» du confinement.</p> <p>Avant l’apparition de l’ordinateur et du smartphone dans nos vies, en 1977, Rose Monnet, solide paysanne de Pinsec répondait au réalisateur de la télévision romande Jacques Thévoz qui lui demandait, dans un reportage documentaire mémorable, si elle envisageait elle-même d’installer un jour la télévision dans son modeste mayen, d’un vigoureux et spontané «Pas besoin!»<strong>, </strong> réaction qui pourrait être interprétée comme l’expression d’une mentalité bornée, ou au contraire pleine de sagesse: j’ai la santé et mon parchet, j’ai ma vie et c’est tout bon…</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589526010_images4.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="257" height="371" /></p> <p>Or je ne sais pourquoi ce «pas besoin!» me poursuit, moi qui ai toujours été curieux de tout, non comme un frein ni comme une résignation piteuse mais comme un rappel de notre chance d’être au monde et un signe d’humilité et de reconnaissance. Ce «pas besoin!» s’enracine dans notre culture séculaire auto-suffisante et je le retrouve, exprimé de façon plus subtilement lyrique, dans cette page de <em>L’Institut Benjamenta</em> de Robert Walser: «Si j’étais riche, je ne voudrais nullement faire le tour de la terre. Sans doute, ce ne serait déjà pas si mal. Mais je ne vois rien de bien exaltant à connaître l’étranger au vol. Je me refuserais à enrichir mes connaissances, comme on dit. Plutôt que l’espace et la distance, c’est la profondeur, l’âme qui m’attirerait.</p> <p>Examiner ce qui tombe sous le sens, je trouverais cela stimulant. D’ailleurs je ne m’achèterais rien du tout. Je n’acquerrais pas de propriétés. Des vêtements élégants, du linge fin, un haut-de-forme, de modestes boutons de manchettes en or, des souliers vernis pointus, ce serait à peu près tout, et avec cela je me mettrais en route. Pas de maison, pas de jardin, pas de valet. (…) Et je pourrais partir. J’irais me promener dans le brouillard fumant de la rue. 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Or l’élégance de Patrick Jane, toujours en costume trois pièces et refusant de porter aucune arme, et sa gentillesse frottée d’insolence, sa bonté naturelle envers les animaux et les enfants n’ont cessé de me revenir à l’esprit en imaginant Léonard déambulant en beaux atours dans les ruelles de Florence, aimable avec tous et ne répondant point aux piques dures des jaloux ou des ombrageux à la Michel-Ange, conscient de son génie et triste sous l’agression des malveillants moralisants comme il y en a plus que jamais aujourd’hui, joyeux et non moins fragile en sa solitude éprise d’absolu esthétique.</p> <h3><strong>Une vision panoptique qui relie le détail à l’ensemble</strong></h3> <p>La vision de Léonard de Vinci, dans les petites et les grandes largeurs, relève d’une observation panoptique. Chacune et chacun sait que le Panopticon est ce dispositif précis, dans une prison, qui permet au gardien de voir d’un même point central tous les prisonniers soumis à sa surveillance, mais c’est sans cet aspect disciplinaire que je l’entends: comme une observation simultanée et aussi tourbillonnante que le sont les idées et les figures de certaines peintures de Leonardo, à commencer par son incroyable esquisse de <em>L’Adoration des mages</em>, magnifiqueement analysée par Issacson, et comme en témoignent les milliers de pages de ses carnets aux mêmes observations kaléidoscopiques.</p> <p>La singularité de l’enquêteur Patrick Jane, à part sa mémoire phénoménale, tient à sa façon de relier les traits physiques et moraux, les tics et les pensées, les moindres frémissements expressifs et les émotions d’un personnages, exactement de la même façon que Leonardo puise, dans sa connaissance approfondie de l’anatomie humaine, les liens entre tel muscle et tel mouvement, tel trait et telle expression, non point de façon platement mécanique ou linéaire mais avec les nuances de la lumière sur la chair et le jeu des transparences. Là aussi, Walter Isaacson excelle à distinguer la finesse sensible extrême des nuances apportées par Leonard de Vinci aux tableaux peints en collaboration avec ses divers maîtres plus conventionnels de touche, comme on le voit dans le <em>Baptême du Christ</em> travaillé conjointement par Verrocchio et son élève.</p> <h3><strong>Ce que les crises révèlent du Bien et du Mal</strong></h3> <p>Certaines situations sont particulièrement révélatrices en ce qui concerne le Mal, au sens biologique ou moral le plus large, et nous l’aurons vérifié à l’occasion de la pandémie en cours, comme Leonardo à pu l’observer après la peste de son temps qui a décimé la ville de Florence et lui fit jeter les bases d’une ville idéale hygiéniquement sécurisée quand il se transporta de Toscane à Milan, au début de sa stupéfiante carrière parallèle d’ingénieur-urbaniste-musicien-showman-artiste.</p> <p>Or l’intuition hypersensible et l’imagination déductive, mais aussi la révolte contre le Mal apparient aussi Leonard de Vinci et Patrick Jane impatient de punir le Méchant qui a tué sa femme et sa fille. Je sais bien que ça fait un peu vieux jeu de défendre le Bien contre le Mal, mais le choix n’a rien d’abstrait ou d’idéologique: question de survie, autant que de style, même si la comparaison des deux personnages relève,une fois encore, du grand écart apparemment loufoque. Cependant, le virus se fiche des partis et des appartenances de classes ou de races autant que des niveaux de culture: il est égalitaire au contraire de la médecine trop humaine, et s’il est exagéré de prétendre que le héros blondin d’une série américaine est égal par son mérite à l’un des plus grands génies de notre chère espèce, il est prouvé en période de crise que la lutte contre le Mal relève décidément de la ressemblance humaine, amen.</p> <p>Bref nous avons vaincu la peste et, en attendant, par delà d’autres défis viraux, la panacée transhumaniste que nous promettent les nouveaux prophètes de Dieu sait quelle ennuyeuse immortalité, la quarantaine nous a permis de lire de beaux livres et de voir ou revoir des tas de bons films et quelques séries qui valent peut-être les feuilletons que Rose de Pinsec lisait le soir avant de s’endormir sans somnifères - pas besoin!</p> <hr /> <h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589482331_unknown.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="259" height="389" />Walter Isaacson. Léonard de Vinci – La biographie. Traduit de l’anglais (USA) par Anne-Sophie De Clercq et Jérémie Gerlier. Quanto / Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2019.</strong></h4> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1589485311_1923857_18977019860_6515_n.jpg" class="img-responsive img-fluid normal " width="258" height="206" /><strong><em>Le Mentaliste.</em></strong><strong> Série télévisée de Bruno Heller en 151 épisodes et 7 saisons (2008-2013), reprise sur Prime Video.</strong></h4> <p> </p> <p> </p> <p> </p>', 'content_edition' => null, 'slug' => 'quand-leonard-de-vinci-luttait-contre-le-virus-du-mal', 'headline' => false, 'homepage' => 'col-md-12', 'like' => (int) 648, 'editor' => null, 'index_order' => (int) 2348, 'homepage_order' => (int) 2588, 'original_url' => '', 'podcast' => false, 'tagline' => null, 'poster' => null, 'category_id' => (int) 3, 'person_id' => (int) 94, 'post_type_id' => (int) 1, 'post_type' => object(App\Model\Entity\PostType) {}, 'comments' => [[maximum depth reached]], 'tags' => [ [maximum depth reached] ], 'locations' => [[maximum depth reached]], 'attachment_images' => [ [maximum depth reached] ], 'person' => object(App\Model\Entity\Person) {}, 'category' => object(App\Model\Entity\Category) {}, '[new]' => false, '[accessible]' => [ [maximum depth reached] ], '[dirty]' => [[maximum depth reached]], '[original]' => [[maximum depth reached]], '[virtual]' => [[maximum depth reached]], '[hasErrors]' => false, '[errors]' => [[maximum depth reached]], '[invalid]' => [[maximum depth reached]], '[repository]' => 'Posts' }, (int) 3 => object(App\Model\Entity\Post) { 'id' => (int) 2293, 'created' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'modified' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'publish_date' => object(Cake\I18n\FrozenTime) {}, 'notified' => null, 'free' => true, 'status' => 'PUBLISHED', 'priority' => 'NORMAL', 'readed' => null, 'subhead' => 'La chronique de JL K', 'title' => 'Voici le bon, le beau moment venu d’apprendre à parler à une pierre', 'subtitle' => 'Deux petits livres immenses signés Annie Dillard, géniale auteure américaine, nous rappellent cette évidence que la merveille du monde fut infectée de tout temps, que le Dieu parfait tolère la naissance d’enfants malformés et de massacres en son nom, enfin que nous vivons la plupart du temps aveuglés par des paupières de plomb, faute de nous éveiller comme ces gosses se levant tôt pour explorer notre terre qui, parfois, reste si jolie… ', 'subtitle_edition' => null, 'content' => '<p>Le moment que nous vivons est extraordinaire, mais ce n’est rien de le dire: il n’est que de le vivre et de mille façons diverses qui procèdent du même éveil et du même bond les yeux ouverts devant la merveille.</p> <p>«Merveille des merveilles sous le lilas fleuri, merveille: je m’éveille», écrivait le poète Jean-Pierre Schlunegger qui finit, désespéré, par se jeter d’un pont, non loin d’où nous vivons, pour se fracasser sur les rochers de la rivière, tout en bas.</p> <p>Or nous vivons tous ces jours sous la double instance de telle merveille et de son envers mortel, et ce n’est pas d’hier, nous l’oublions trop souvent, mais quelque temps nous voici comme au pied d’un mur et c’est le bon moment - le beau moment d’apprendre à voir le monde les yeux ouverts et d’apprendre à parler à une pierre.</p> <p>La merveille des merveilles est à la portée de chacune et chacun , et ma conviction s’en est trouvée confortée, l’autre jour, en notre quarantaine à tous, lorsque tel cher ami m’apprit au téléphone que tous les matins il conduisait son petit lascar Luca de dix ans et son compère Arthur de trois ans son aîné familier par son père argentin des colibris de la jungle de son pays, à la lisière des bois vaudois où ils s’enfoncent tout appareillés d’instruments d’observation et autres chasses subtiles - toute la journée rien qu’à eux, fous de ferveur curieuse et de joyeuse adulation des multiples espèces de végétaux ou d’animaux divers tels les castors d’un soir passé - en somme prédisposés à apprendre un jour a parler aux pierres à l’imitation de ce jeune Américain dans la trentaine exercant, dans sa cabane perdue en pleine nature, le rituel censé faire parler une «pierre à souhaits»…</p> <h3><strong>En osmose intime avec le cosmos</strong></h3> <p>Certains livres sont des départs et d'autres des arrivées. Certains livres ouvrent des fenêtres et d'autres explorent les multiples recoins qu'il y a dans la maison. Certains livres ne font que passer et d'autres vont rester. 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Et les énumérations d’aligner leurs chiffres avérés, et le rappel d’innombrables faits remarquables ou affolants (140.000 noyés ce jour-là au Bengladesh, etc.) d’alterner avec les statistiques même pas bonnes à soutirer des larmes aux pierres…</p> <p>De son propre aveu, l’auteure d’<em>Une enfance américaine</em>, de <em>Pèlerinage à Tinter Creek</em> - dont la verve naturaliste évoque si fort le «philosophe dans le bois» Henry Thoreau -, ou encore de la stupéfiante chronique de la conquête de la côte pacifique nord-ouest des States par les puritains amis ou ennemis des Indiens, intitulée <em>Les vivants </em>- fut une enfant si étonnamment étonnée et étonnante que sa propre mère se demandait ce qu’on pourrait jamais en faire dans ce monde...</p> <p>Et que faire des livres d’Annie Dillard, honneur littéraire d’une nation dont le Président est la honte; que faire de cette bonne fée dans un monde dont le personnage supposé le plus puissant présente tous les traits d’un mufle inculte, terrifiante incarnation d’un empire du vide et du faux?</p> <p>Simplement cela: les ouvrir et leur permettre de nous éveiller. </p> <p>Merveille des merveilles, les enfants: il vous reste un monde à explorer, il vous incombe d’apprendre à chanter aux pierres…</p> <hr /> <h4><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1588255173_anniedillard.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="219" height="373" /></h4> <h4><strong><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1588255241_christianbourgois.jpeg" class="img-responsive img-fluid normal " width="218" height="362" /></strong></h4> <h4><strong>Annie Dillard <em>Au présent</em>. Traduit de l’anglais par Sabine Porte.</strong></h4> <h4><strong>Christian Bourgois, 219p, 2001; <em>Apprendre à parler à une pierre</em>. 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