Chronique / Imre Nagy: disparition à la hongroise
Marie Céhère est partie en Hongrie et livre ses impressions quotidiennes à «Bon pour la tête» sous forme de journal de bord. Découvrez, jour après jour, les épisodes de cette série hongroise.
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Nous y étions déjà accoutumés. Julien Le Mauff, historien et enseignant-chercheur en science politique, fait remonter aux attentats du 11 septembre 2001 cet «empire de l’urgence», dans lequel nous vivons donc depuis plus de vingt ans. L’état d’urgence consiste à prendre toutes mesures au nom de la raison d’Etat, et la première est de suspendre l’exercice «normal» du pouvoir. Il y a plus urgent que la démocratie, lorsque l’on parle de terrorisme ou d’une maladie mortelle. Or, dénonce l’auteur, le mot d’urgence est aujourd’hui dévoyé: tout problème sur lequel se penchent nos politiques devient aussitôt une «urgence»: hôpital public, trafic de drogue, harcèlement scolaire... Il met en place une dialectique: dans un état d’urgence, l’exception fait la règle. En citant Carl Schmitt, il rappelle qu’en allemand le mot urgence se traduit aussi par nécessité. La nécessité, l’état d’urgence donc, a aussi accompagné la naissance de l’Etat moderne et de sa souveraineté. 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Le 7 décembre dernier, le gouvernement de Viktor Orbán a voté le déménagement de la célèbre statue d’Imre Nagy, l’un des instigateurs de l’insurrection de Budapest, exécuté par les Soviétiques en 1958, de la place du Parlement à un jardin moins fréquenté. Une décision qui parachève la volonté affichée de V. Orbán de «panser les plaies du communisme» dans la capitale hongroise.
Aujourd’hui 12 décembre, sur la place Kossuth, dite aussi «place du Parlement», avait lieu une minuscule manifestation. Les protestataires, deux fois moins nombreux que les forces de l’ordre, agitaient le drapeau hongrois associé à la bannière étoilée de l’Union Européenne, au son de clochettes de vélos, et réclamaient dans le calme et en substance un changement radical de politique. «Stop Orbán!» pouvait-on lire sur l’une des rares pancartes. Le rassemblement s’est dispersé dans la journée. En revanche, le flux de touristes n’a pas flanché. Sous un soleil d’hiver implacable, deux Allemands et une Asiatique m’ont même demandé – alors que je tentais de faire entrer le Parlement dans mon cadre – de les photographier, qui devant un pan de mur ouvragé, qui au pied d’une des innombrables statues. C’est l’une des difficultés de Budapest, dont on dit qu’elle abrite plus de statues et de mémoriaux que d’habitants: savoir qui est immortalisé et qui l’on immortalise.
Place Kossuth, devant le Parlement. © 2018 Bon pour la tête / Marie Céhère
Viktor Orbán s’est saisi personnellement du problème. Depuis 2010, il mène une guerre des symboles – et des statues – dans le but avoué de restaurer le noble visage de la «Grande Hongrie», souillée par quatre décennies de présence soviétique. La piétonisation de l’esplanade du Parlement est sans doute la plus grande réussite de ce programme ambitieux – et idéologique. Son dernier fait d’armes: l’approbation par László Kövér, Président de l’Assemblée nationale, directeur du Comité des monuments nationaux et co-fondateur du parti au pouvoir, le FiDesz, du déménagement de l’effigie d’Imre Nagy, pourtant l’une des plus populaires et des plus photographiées de Budapest.
La raison avancée paraît d’ordre esthétique. Tamás Wachsler, du programme de rénovation, a déclaré, pour justifier cet arrangement, que «la restauration des monuments nationaux complétera le traitement des blessures infligées par la sculpture communiste dans l’ensemble du patrimoine national.»
Imre Nagy (1896-1958), faisait figure de dissident au sein du Parti communiste hongrois. Il est à deux reprises, le chef de la République populaire de Hongrie avant de prendre la tête, en octobre 1956, de l’Insurrection de Budapest, violemment réprimée par les troupes soviétiques. Il est alors arrêté, emprisonné, torturé et exécuté. Une fois la statue déplacée au centre de la place Jászai Mari, seuls resteront, en souvenir de 1956, les impacts de balles sur la façade du ministère de l’Agriculture, et un mémorial miniature ressassant la date du 25 octobre 1956. Le message est clair: un martyr communiste du communisme reste un communiste.
Toujours place Kossuth, devant le ministère de l’Agriculture, hommage aux travailleurs ruraux, pas à la révolution… © 2018 Bon pour la tête / Marie Céhère
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Miklós Horthy, par aveuglement et lâcheté, et Gyula Gömbös, par conviction, sont deux des artisans du ralliement de la Hongrie à l’Allemagne nazie en 1940. Entre 400 et 600'000 personnes y ont laissé leur vie.
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Aujourd’hui 12 décembre, place Kossuth, Imre Nagy était toujours le centre de l’attention des touristes et des photographes. Le soleil brillait, l’air sentait la neige. Les bus et les tramways, impeccables de propreté et de ponctualité, transportaient les visiteurs éblouis, du Parlement au château de Buda, et retour, avec vue sur le Pont aux Chaînes. La loi sur la prolongation du temps de travail légal hebdomadaire a été votée dans l’après-midi. Dans le métro qui filait vers les faubourgs, des hommes toussaient et crachaient, une femme terminait une grille de mots fléchés, personne n’osait vraiment se regarder.
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Les protestataires, deux fois moins nombreux que les forces de l’ordre, agitaient le drapeau hongrois associé à la bannière étoilée de l’Union Européenne, au son de clochettes de vélos, et réclamaient dans le calme et en substance un changement radical de politique. «Stop Orbán!» pouvait-on lire sur l’une des rares pancartes. Le rassemblement s’est dispersé dans la journée. En revanche, le flux de touristes n’a pas flanché. Sous un soleil d’hiver implacable, deux Allemands et une Asiatique m’ont même demandé – alors que je tentais de faire entrer le Parlement dans mon cadre – de les photographier, qui devant un pan de mur ouvragé, qui au pied d’une des innombrables statues. 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