Analyse / Enfermeurs de droite et enfermeurs de gauche
Piet Mondrian, Composition en couleur B, 1917.
Il va faire chaud. Et les extrêmes se douchent. Celles droite et celles de gauche partagent la même salle de bains. Semblable vision étriquée d’un monde réduit aux aguets. Pareil désir de s’enfermer à l’intérieur de son cocon identitaire. Dans nombre de pays européens, les enfermeurs rouges et bruns font tout pour que nous pensions en rond. «Penser» ou plutôt «réagir».
L’extrême-droite habituelle (le clan Le Pen, Zemmour, Blocher, Orban, Salvini etc.) et l’ultradroite radicale (Soral et assimilés) sont traversés par l’obsessionnel sentiment d’un continent que submergent plusieurs tsunamis: les immigrés arabes et africains, les homosexuels et les transgenres, les féministes et la fin du patriarcat blanc.
Trompeuse éternité des images d'Epinal
Ces enfermeurs de droite sont attachés, comme à un doudou, à leur image d’une Europe, d’une France, d’une Suisse etc. qui doivent rester figées dans l’illusoire éternité des images d’Epinal.
Dès lors, à ces tsunamis qui déferlent, il faut élever des digues, de plus en plus larges, de plus en plus hautes. Rester entre nous qui partageons la même échelle des hiérarchies sociales, avec le mâle blanc au premier échelon et la femme métèque, tout en bas. Hiérarchies établies une fois pour toutes et qui ne sauraient se transformer au risque de précipiter tout l’édifice dans le néant.
Mais les images d’Epinal s’effacent au fil du temps. L’Europe, la France, la Suisse, l’Italie, la Hongrie, telles que les enfermeurs de droite les voient, n’ont jamais existé. Un pays, et encore plus un continent, est formé d’une superposition d’images, souvent contradictoires, qui bougent comme dans un kaléidoscope.
Les idéologies carcérales
Ils crient au «Grand Remplacement» des Blancs par les Arabes et les Noirs alors que des «Grands Remplacements», l’histoire humaine n’a connu que cela! Les déplacements migratoires font partie intégrante de l’humanité depuis qu’elle s’est risquée à vagabonder hors de son berceau africain. Aucune frontière n’y a résisté.
Plutôt que de figer de façon autoritaire un pays dans une illusion, c’est la transmission aux nouveaux venus, d’ici et d’ailleurs, des valeurs humaines nées en Europe (la démocratie, l’Etat de droit, le respect absolu de la liberté de conscience) qu’il faudrait assurer.
Or, ces valeurs-là ne sont pas partagées par les enfermeurs de droite. Dès lors, comment pourraient-ils les communiquer? Ce qui leur importe, c’est la perpétuation de leur hiérarchie ethno-sociale et rien d’autre. C’est pourquoi, leur idéologie carcérale ne peut qu’aboutir à une impasse; dans la vie, le mouvement rompt toujours les digues les mieux bétonnées.
Enfermeurs et essentialistes
Les enfermeurs de droite, on les connaît. Avec eux pas de surprise. Mais ceux de gauche, c’est une autre histoire, beaucoup plus récente. Leur idéologie est née sur les campus états-uniens en réaction, d’abord saine et légitime, à l’indéniable racisme de la société états-unienne.
Elle part du point de vue que le racisme, l’esclavagisme, le colonialisme, le sexisme sont consubstantiellement liés à la domination bourgeoise, masculine et blanche. Pour un homme blanc, impossible de s’en défaire. Il restera raciste au fond de lui-même quoi qu’il dise, quoiqu’il fasse. Impossible d’échapper à son destin. Comme ceux de droite, les enfermeurs de gauche sont des essentialistes. Ce n’est pas leur plus petit dénominateur commun.
Autre point de convergence, leur rejet de ces «valeurs humaines nées en Europe» évoquées plus haut. Pour les enfermeurs de gauche, leur naissance européenne constitue, en soi, un péché originel. Elles ne servent qu’à masquer le caractère impérialiste et prédateur de la société occidentale. Les deux enfermeurs tombent d’accord pour vouer les valeurs de l’universalisme aux Gémonies. Les uns parce qu’elles s’opposent à la hiérarchie des privilèges, les autres parce qu’elles sont issues de l’Europe colonisatrice. Mais le résultat est le même: de la main droite ou de la main gauche, on éteint les Lumières.
La «cancel culture» et la censure «racialisée»
En littérature, la cancel culture des campus états-uniens impose cette grille de lecture racialisée: même si c’est pour célébrer la cause des noirs, un écrivain blanc n’est pas légitime à écrire à son propos. Il en va de même pour les hétéros vis-à-vis des gays, des femmes blanches vis-à-vis des femmes noires et ainsi de suite. C’est ce que dénonce nombre d’écrivains de toutes couleurs par des tribunes libres fustigeant les excès de la cancel culture, tel Salman Rushdie sur Times Radio :
Si vous ne pouvez écrire sur un personnage gay que si vous êtes gay ou si vous ne pouvez écrire sur un personnage hétéro que si vous êtes hétéro, très rapidement, la forme de la littérature devient difficile à poursuivre (lire ici).
A ce compte-là, Shakespeare aurait dû transformer Othello en blanc-bec de Stratford-upon-Avon et Sartre s’interdire de préfacer Franz Fanon.
L'exemple de la maire de Chicago
Récemment la maire afro-américaine de Chicago, la démocrate Lori Lightfoot, a été jusqu’à réserver une séance d’interviewes aux seuls journalistes appartenant aux minorités ethniques (lire ici l’article de Libération). Pour quelle raison ? Elle s’en est expliquée par ce tweet:
C’est une honte qu’en 2021 les journalistes accrédités à la mairie soient très majoritairement blancs dans une ville où plus de la moitié des habitants sont noirs, hispaniques, d’origine asiatique ou amérindienne, a-t-elle tweeté. C’est un déséquilibre qui doit changer. Chicago est une ville de classe mondiale. Nos médias locaux doivent refléter les multiples cultures qui les composent (l’original du tweet ici).
De prime abord, son intention semble louable. Chercher à promouvoir une presse qui représente toutes les diversités d’une société, qui pourrait le lui reprocher? Sauf que dans un Etat de droit qui respecte la liberté de presse, ce n’est pas aux gouvernants à choisir leurs interlocuteurs journalistes, comme un confrère latino l’a rappelé à la maire de Chicago en refusant d’assister à cette séance d’interviewes alors qu’il y était invité, en tant que représentant d’une «minorité ethnique» qui l’emportait sur sa qualité professionnelle de journaliste.
Si l’on renverse l’équation, cela nous conduit à un maire blanc qui réserve ses interviewes aux journalistes de même absence de couleur. On imagine la colère qui soulèverait les campus.
Vive la pluralité des injustices!
Pratiquer la discrimination pour éradiquer la discrimination n’aura pour effet que de la renforcer et lui donner un surcroît de légitimité. Si la gauche discrimine, alors la droite peut le faire aussi, sans état d’âme. Discriminons chacun dans notre coin. Vive la pluralité des injustices!
Les enfermeurs de gauche remettent à l’honneur une vieille lune réactionnaire que l’on croyait, à tort hélas, définitivement évaporée après qu’elle fût pulvérisée par les progrès de la connaissance en matière génétique. Si vous êtes blanc, vous ne pouvez faire autrement que de vous coltiner l’héritage du colon esclavagiste. Et si vous êtes noir, vous resterez enfermé pour toujours dans votre statut de victime.
Les enfermeurs de gauche nous incarcèrent dans le même monde sinistre et univoque que celui érigé par les enfermeurs de droite. Chaque communauté se claquemure dans sa geôle. Chaque individu doit se soumettre à la loi communautaire. Celui qui s’y soustrait devient un traître. Il n’a d’autre marge de manœuvre que celle concédée par les siens.
La vision universaliste du monde porte en elle cette précieuse liberté d’être, d’agir, de quitter son clan, d’y revenir, d’y repartir qui est mis à mal par ce front antirépublicain des enfermeurs. Mais aujourd’hui se soucie-t-on vraiment de vivre libre?
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Pour quelle raison ? Elle s’en est expliquée par ce tweet:</p> <p> <i>C’est une honte qu’en 2021 les journalistes accrédités à la mairie soient très majoritairement blancs dans une ville où plus de la moitié des habitants sont noirs, hispaniques, d’origine asiatique ou amérindienne, a-t-elle tweeté. C’est un déséquilibre qui doit changer. Chicago est une ville de classe mondiale. Nos médias locaux doivent refléter les multiples cultures qui les composent </i>(<a href="https://twitter.com/chicagosmayor/status/1395019807846649861?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1395019807846649861%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_c10&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.liberation.fr%2Finternational%2Famerique%2Fa-chicago-la-maire-organise-une-interview-en-non-mixite-pour-defendre-la-mixite-20210520_RE4E5ZNZDFBTHFM55ZKDTMBQKA%2F" target="_blank" rel="noopener">l’original du tweet ici</a>).</p> <p>De prime abord, son intention semble louable. 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Rester entre nous qui partageons la même échelle des hiérarchies sociales, avec le mâle blanc au premier échelon et la femme métèque, tout en bas. Hiérarchies établies une fois pour toutes et qui ne sauraient se transformer au risque de précipiter tout l’édifice dans le néant.</p> <p>Mais les images d’Epinal s’effacent au fil du temps. L’Europe, la France, la Suisse, l’Italie, la Hongrie, telles que les enfermeurs de droite les voient, n’ont jamais existé. Un pays, et encore plus un continent, est formé d’une superposition d’images, souvent contradictoires, qui bougent comme dans un kaléidoscope. </p> <h3>Les idéologies carcérales</h3> <p>Ils crient au «Grand Remplacement» des Blancs par les Arabes et les Noirs alors que des «Grands Remplacements», l’histoire humaine n’a connu que cela! Les déplacements migratoires font partie intégrante de l’humanité depuis qu’elle s’est risquée à vagabonder hors de son berceau africain. 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Chercher à promouvoir une presse qui représente toutes les diversités d’une société, qui pourrait le lui reprocher? Sauf que dans un Etat de droit qui respecte la liberté de presse, ce n’est pas aux gouvernants à choisir leurs interlocuteurs journalistes, comme un confrère latino l’a rappelé à la maire de Chicago en refusant d’assister à cette séance d’interviewes alors qu’il y était invité, en tant que représentant d’une «minorité ethnique» qui l’emportait sur sa qualité professionnelle de journaliste. </p> <p>Si l’on renverse l’équation, cela nous conduit à un maire blanc qui réserve ses interviewes aux journalistes de même absence de couleur. On imagine la colère qui soulèverait les campus.</p> <h3>Vive la pluralité des injustices!</h3> <p>Pratiquer la discrimination pour éradiquer la discrimination n’aura pour effet que de la renforcer et lui donner un surcroît de légitimité. Si la gauche discrimine, alors la droite peut le faire aussi, sans état d’âme. Discriminons chacun dans notre coin. Vive la pluralité des injustices!</p> <p>Les enfermeurs de gauche remettent à l’honneur une vieille lune réactionnaire que l’on croyait, à tort hélas, définitivement évaporée après qu’elle fût pulvérisée par les progrès de la connaissance en matière génétique. Si vous êtes blanc, vous ne pouvez faire autrement que de vous coltiner l’héritage du colon esclavagiste. Et si vous êtes noir, vous resterez enfermé pour toujours dans votre statut de victime. </p> <p> Les enfermeurs de gauche nous incarcèrent dans le même monde sinistre et univoque que celui érigé par les enfermeurs de droite. Chaque communauté se claquemure dans sa geôle. Chaque individu doit se soumettre à la loi communautaire. Celui qui s’y soustrait devient un traître. 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Entre deux morceaux – histoire de tenir son public sous courant continu et de laisser ses musiciens souffler un brin –, elle entame des monologues plus ou moins délirants.</p> <p>Celui qu’elle a lancé ce soir-là fera son petit effet. Se glissant dans la peau du président Macron, <a href="https://youtu.be/WYWOnk4oyqQ">elle vaticine</a>: «<i>Je pense que ce que le peuple veut, ce dont le peuple a envie, c'est qu'on m'accroche à vingt mètres du sol telle une piñata<strong><sup>1</sup></strong> humaine géante, et qu'on soit tous ici présents munis d'énormes battes avec des clous au bout comme dans </i>Clockwork Orange (<i>titre original du film </i>Orange mécanique)<i>. 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Aussitôt hérissées sur les réseaux sociaux, les protestations indignées semblaient voir dans ce récitatif lyncheur la marque de notre époque vouée aux incivilités et à la violence.</p> <h3>Les rois de France malmenés en chanson</h3> <p>Pourtant, rien de nouveau sous le soleil de Satan. La chanson fut toujours le véhicule préféré de la provoc’ politique. Sans remonter au Déluge, citons <a href="https://www.periegete.com/sur-lair-du-une-monarchie-absolue-temperee-par-des-chansons-part-2-le-roi-de-france/">les chants pimentés</a> qui enflammèrent les rues de Paris lors de la Fronde. A preuve, cet extrait d’une chanson qui remonte à l’an 1648. Elle exprime une certaine animosité envers Anne d’Autriche, Reine de France et Régente du Royaume: «<i>Mais je voudrais bien étrangler/ Notre putain de Reine.»</i></p> <p>En comparaison, Izïa Higelin ferait presque petite chanteuse du Couvent des Oiseaux.</p> <p>D’aucuns ont d’ailleurs qualifié la France d’Ancien régime de «monarchie absolue tempérée par les chansons», compte tenu de la fréquence des airs irrespectueux envers le Trône et l’Autel.</p> <p>Louis XV, dit «le Bien-Aimé», fut la cible préférée des chansonniers de la rue parisienne. En voici un édifiant extrait: «<i>Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne./ Sans doute on t</i>’<i>avait mal nommé,/ Louis, du nom de Bien-Aimé;/ par ton sceptre on est opprimé,/ Si l</i>’<i>on est traître, fourbe insigne,/ Louis, du nom de Bien-Aimé,/ Ton peuple te déclare indigne […] Putains, maquereaux ou prélats/ Sont les seuls que ta main caresse.»</i></p> <p>«Tout finit par des chansons» disait Beaumarchais. En France, on serait tenté de paraphraser: tout commence et<i> </i>tout finit par des chansons, même les Rois de droit divin, à l’exemple de cette chanson révolutionnaire qui s’est répandue sur les boulevards à la suite de l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793: «<i>Le vingt et un janvier/ Sept cent quatre vingt treize,/ Capet, tyran dernier,/ Qu</i>’<i>on nommait Louis Seize,/ A reçu ses étrennes/ Pour avoir conspiré./ Ce fuyard de Varennes est donc guillotiné.»</i></p> <p>Et là pas question de le guillotiner façon Izïa «avec toute la grâce et la gentillesse des gens du Sud»!</p> <h3>Brassens et les pandores</h3> <p>Plus récemment, sous la IVème République française, Georges Brassens n’y est pas allé de main morte avec cette incarnation bleu-marine (n’y voyez aucune allusion malsonnante) de l’Etat qu’est la Gendarmerie Nationale. Rafraichissons les mémoires par quelques extraits de <a href="https://youtu.be/KzmnDy7zzDw">cette chanson intitulée <i>Hécatombe</i></a> qui narre la déconvenue de la maréchaussée aux prises avec les harpies du marché de Brive-la-Gaillarde.</p> <p><i>(…)</i></p> <p><i>En voyant ces braves pandores</i></p> <p><i>Etre à deux doigts de succomber,</i></p> <p><i>Moi, j'bichais, car je les adore</i></p> <p><i>Sous la forme de macchabés.</i></p> <p><i>(…)</i></p> <p><i>Jugeant enfin que leurs victimes</i></p> <p><i>Avaient eu leur content de gnons,</i></p> <p><i>Ces furies, comme outrage ultime,</i></p> <p><i>En retournant à leurs oignons,</i></p> <p><i>Ces furies, à peine si j'ose</i></p> <p><i>Le dire, tellement c'est bas,</i></p> <p><i>Leur auraient même coupé les choses:</i></p> <p><i>Par bonheur ils n'en avaient pas!</i></p> <p><i>Leur auraient même coupé les choses:</i></p> <p><i>Par bonheur ils n'en avaient pas!</i></p> <p>Les rappeurs d’aujourd’hui ont-ils été aussi loin dans leurs diatribes antiflics que le père Brassens en 1952, date de la sortie du disque?</p> <h3>L’«Hécatombe» fait scandale 60 ans plus tard!<b></b></h3> <p>A l’époque, cette chanson était, l’on s’en doute, interdite d’antenne. Mais c’est tout. Il est symptomatique de constater qu’elle n’a intéressé la justice qu’à la nôtre, d’époque!</p> <p>Le 27 mai 2011, il s’est trouvé un juge à Toulouse pour <a href="https://www.lepoint.fr/societe/chanter-peut-etre-un-delit-11-06-2011-1341035_23.php">condamner</a> un garçon de 27 ans pour outrage, à 40 heures de travaux d’intérêt général et 100 euros d’amende. Son crime? Avoir chanté <i>Hécatombe</i> au passage de trois policiers. Et ce n’est pas tout. Peu après, 29 choristes de la «Canaille du Midi» ont été interpelés pour avoir chanté la même chanson devant le commissariat central de Toulouse en guise de protestation contre la condamnation du jeune homme.</p> <h3>Le rock et sa «Graine de violence» </h3> <p>Le «récitatif halluciné» d’Izïa Higelin s’inscrit aussi dans la culture rock, imprégnée de violence. Cela dit, ce n’est pas le rock qui est à la source de la violence. Elle sourd de la société étatsunienne où il est né. S’il existait auparavant, c’est à partir du film <i>Graine de violence </i>(titre original<i>: Blackboard Jungle</i>), réalisé par Richard Brooks, que le rock n’roll a commencé à se diffuser grâce au célèbre <i>Rock around the Clock </i>chanté par Bill Haley.</p> <p>Dans les pays de langue française, la violence rock a surgi sur la scène médiatique dès le début des années 1960. L’exemple le plus hirsute nous est offert par le concert de Vince Taylor, dans le contexte d’un festival international du rock, qui s’est tenu – enfin qui a tenté de se tenir! – au Palais des Sports de Paris, le 18 novembre 1961. <a href="https://journals.openedition.org/criminocorpus/4301?lang=de#ftn2%20" target="_blank" rel="noopener">Rappel des faits</a>:</p> <p><i>La salle est dévastée avant que Vince Taylor, en vedette, ne monte sur scène. Dans le public, des jeunes femmes et des jeunes hommes, blousons noirs ou sans blousons apparents, déboulonnent les sièges ou en arrachent quelques morceaux, s</i>’<i>en servent de projectiles, visent la scène et les forces de police. On veut se débarrasser de ces rangées de sièges encombrants, on veut créer de l</i>’<i>espace pour danser, on se bouscule, on se chamaille, on se bagarre, on veut aussi s</i>’<i>approcher des artistes en débordant le service de sécurité, et pourquoi pas braver au passage les forces de police qui commencent à frapper pour éviter que tout dégénère dans un lieu de concert qui devient arène. </i>Bis repetita placent<i>, car la première édition du 24 février avait elle aussi très mal tournée à l</i>’<i>issue de la prestation de Johnny Hallyday. Deux mots sont repris dans les médias: fanatisme et hystérie. 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Ces héros faisaient trop d’ombre au patron du PCF, Maurice Thorez, qui avait passé la Seconde guerre mondiale à l’abri du Kremlin.</p> <p>Après la mort de Staline en 1953, le vent tourne. Par l’action des rescapés de la FTP-MOI, notamment les frères Raymond et Claude Lévy, la mémoire des fusillés au Mont-Valérien commence à être reconnue. Une rue du Groupe-Manouchian est inaugurée le 6 mars 1955 dans le XXème arrondissement de Paris. Claude Lévy invite Louis Aragon à cette occasion mais le poète séjourne alors en URSS. A son retour, il fait amende honorable: «Demandez-moi ce que vous voulez».</p> <p>Réponse de Claude Lévy: «Pourquoi pas un poème?» Ce sera chose écrite sous le titre «<a href="https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/louis-aragon/strophes-pour-se-souvenir/" target="_blank" rel="noopener">Strophes pour se souvenir</a>», l’un des poèmes les plus connus du recueil <em>Le Roman inachevé</em> qui paraîtra en 1956.</p> <h3>«Ils étaient vingt et trois»…</h3> <p>«Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent» écrit Aragon, englobant ainsi avec ses frères d’armes la seule femme du groupe, Olga Bancic, décapitée en Allemagne. Il donne aussi la parole à Missak Manouchian en s’inspirant de la dernière lettre du condamné à sa femme Mélinée ainsi que d’autres ultimes missives de résistants.</p> <p>En 1959, Léo Ferré met le poème en musique et change le titre: «L’Affiche rouge». 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Le journaliste et écrivain Jean-Paul Liégeois, spécialiste de la chanson française, rappelle cette anecdote dans un article paru en juin 1985 dans l’hebdomadaire socialiste <em>L’Unité</em>:</p> <p><i>«En 1953, les frères Claude et Raymond Lévy (…) obtiennent le prix Fénéon pour un manuscrit de dix nouvelles consacré à des histoires vraies de la Résistance. (…) Plusieurs éditeurs se proposent [de le] publier. Communistes, les frères Lévy choisissent les Editeurs français réunis. Patron de la maison, Aragon les reçoit et leur dit: "On ne peut pas laisser croire que la Résistance française a été faite comme ça, par autant d’étrangers. Il faut franciser un peu." Disciplinés, ils ont accepté.»</i></p> <p>Entre 1953 et 1955, l’ombre de Staline avait commencé à se faire un peu moins épaisse…</p> <h3>Quelle est la responsabilité du PCF dans l’arrestation des 23?</h3> <p>Une accusation plus grave a été portée contre la direction du PCF notamment par un témoignage de Mélinée Manouchian. Il figure dans le film de Serge Mosco Boucault, <em>Des terroristes à la retraite</em>, sorti en 1985 par la chaîne télévisée Antenne2. </p> <p>Il s’en est suivi une vive polémique sur l’éventuelle responsabilité du Parti communiste français dans l’arrestation de Missak Manouchian. L’un des passages de la dernière lettre du condamné à sa femme interpelle: </p> <p><i>«Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.»</i></p> <p>Adam Rayski, responsable de la section juive du PCF de 1941 à 1949, donne cet éclairage lors d’<a href="https://www.lhistoire.fr/qui-trahi-manouchian" target="_blank" rel="noopener">une interview</a> qu’il a accordée au mensuel <i>L’Histoire</i> en décembre 1985:</p> <p><i>«En mai 1943, devant le bilan des pertes des organisations juives, j'ai demandé le repli, le transfert de notre direction dans la zone Sud. Le Parti a refusé, qualifiant cette attitude de "capitularde". Le PC voulait continuer à frapper dans la capitale, avec ce qui restait son unique bras séculier: les FTP-MOI. Stratégiquement, la direction, pour affirmer sa suprématie vis-à-vis de Londres et du Conseil national de la Résistance, désirait capitaliser les actions d'éclat de la MOI. La direction nationale juive est partie </i>in extremis <i>pour Lyon, mais les FTP ont continué à lutter sur place avec acharnement. Le Parti a sous-estimé l'impératif de la guérilla urbaine – savoir décrocher – et a tiré un rendement politique maximum des coups d'éclat de la MOI. </i></p> <p><i>A terme, c'était donc bien une grave erreur politique. La part de responsabilité du PC dans les arrestations de résistants – dont les 23 de l'Affiche rouge – est indiscutable. Mais ne parlons pas à propos du Parti de trahison; ne parlons pas non plus d'abandon et encore moins de sacrifice prémédité.»</i></p> <p>Le 21 février 2024, Missak Manouchian ne sera pas seul à entrer eu Panthéon. Mélinée son épouse, résistante comme lui, l’accompagnera<sup><strong>1</strong></sup>. Ainsi que tous ceux qui ont donné «leur cœur avant le temps».</p> <hr /> <h4><sup>1</sup>Elle décède à Paris en 1989 à l’âge de 76 ans. 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