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</strong></p><p style="text-align: center;"><strong>Auteure active dans la coopération internationale</strong></p><p></p><hr><p></p><p>Les cours intérieures tadjikes sont des hybrides de poésie fârsî et de nostalgie russe – un condensé de soupirs. Peu de choses: de la terre sèche, des buissons gris, un mûrier tordu – et bien sûr un kat, grande litière de bois sur laquelle sommeillent des coussins. Une table basse aussi, branlante – et des tasses de thé, ébréchées. Des ombres qui frémissent, des feuilles qui bruissent, des rideaux qui claquent. Quelque part, coule un filet d’eau et un bébé babille. Les feuilles du mûrier dessinent des tâches sur les visages, elles dansent au gré du souffle du vent. Bientôt, le silence et sa curiosité faisant, un oiseau se posera sur une branche. En attendant, on se déchausse, s’allonge sur le kat et renverse la tête, on regarde comme filent les nuages, là-haut au-dessus des pensées.</p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1535446199_img_2955.jpg">Fleur de la cour intérieure du Centre Ismaélien, Dushanbé. © Céline Yvon<br></h4><p>La poésie surprend sans crier gare. Derrière les nœuds surdimensionnés qui ornent les couettes des fillettes, un rouge éclatant fait rêver – du socialisme passé et des utopies des hommes. Les moustaches de leurs pères? Elles chicanent peut-être notre esthétique mais titillent surtout l’imagination – quel temps fait-il derrière ces broussailles, il y un monde derrière le visage des gens. Quant aux fripes <em>made in China</em> qui chaque jour, franchissent la frontière et inondent les marchés locaux, elles ne réussissent pas à faire de l’ombre aux <em>suzani</em>, ces merveilles qui couvrent ici les murs abîmés. 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Ici, il faut des clés pour décrypter la beauté. <br></p><h4 style="text-align: center;"><img class="img-responsive img-center " src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1535359668_suzanniexposeaucentreismaelicopie.jpg">Un <em>suzani</em> (textile décoratif brodé) exposé au Centre israélien de Duchanbé. © Céline Yvon<br></h4><h4 style="text-align: center;"><br></h4><p>Et puis, il y a la musique des mots. La poésie est centrale pour comprendre ce qui déborde des gosiers en fin de soirée et touche ici le cœur des gens. Elle imprègne tout le monde du jardinier au ministre, l’espace persanophone auquel appartient le pays ayant élevé le poète au rang de prince et adoubé la poésie en véritable mode de vie. On vibre ici au rythme de vers millénaires, qu’il s’agisse de Ferdowsi<sup>4</sup> ou de Roudaki<sup>5</sup>, on en connaît les œuvres légendaires et les extraits par cœur. Que le discours étatique de revendication identitaire porte aux nues l’excellence artistique tadjike n’arrange rien – mais quoi qu’il en soit, tout Européen regrette ici d’être un esprit nourri aux Lumières plutôt qu’une âme abreuvée de soupirs. On se surprendrait à vouloir apprendre le farsi pour accéder à ce monde enchanté – avant de bien vite abandonner: car ici, c’est sa version soviétique qui prime, celle qui a passé par trois révolutions et autant d’alphabets – l’arabe, le latin et le cyrillique – avant de décider de survivre, avidement.</p><p>Il fait bon se saouler à la poésie dans une petite cour râpée de Douchanbé.</p><p></p><hr><p></p><h4><sup>3 </sup>Religion de Zoroastre (forme grecque de Zarathuštra). Le Zoroastrime était la religion de l’ancienne Perse et perdure aujourd’hui dans certaines communautés d’Asie centrale, du Kurdistan et de l’Inde du nord. L’un des premiers monothéismes, elle va inspirer la religion hébraïque, le christianisme et, par leur intermédiaire, l’<a href="www.herodote.net">Islam</a>. Le Zoroastrisme se fonde sur un dualisme apparent (combat entre le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres, etc.); ses fidèles vénèrent le feu comme symbole divin.</h4><h4><sup>4</sup> Abul-Qasim Mansur ibn Hasan al-Tusi (940-1020), auteur du Shah Nameh (Livre des Rois), épopée nationale persane.</h4><h4><sup>5 </sup>Abdullah Jafar Ibne Mohammed Rudaki (859-941), fondateur de la littérature persane classique et poète officiel de l’émir samanide Nasr&nbsp;II, qui le couvrit d’honneur. Seuls quelques fragments de son œuvre nous sont parvenus. Il a mis en vers un recueil de fables indien qui par la suite inspira La Fontaine.</h4>',
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<hr />
<p>Ce solipsisme contribue &agrave; la construction d&rsquo;une illusion de masse encourag&eacute;e par la substitution de mod&egrave;les num&eacute;riques virtuels &agrave; la r&eacute;alit&eacute; du monde. Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute d&eacute;marche rationnelle appuy&eacute;e sur des faits pour favoriser des croyances.</p>
<p>Accroch&eacute;es &agrave; un mouvement g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; autour du climat, qui favorise la foi d&rsquo;une construction sociale de la r&eacute;alit&eacute;, &agrave; l&rsquo;instar de la &laquo;justice climatique&raquo;, ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait r&eacute;sister au contr&ocirc;le humain de la m&eacute;t&eacute;o du jour, sans &eacute;gards aux r&eacute;sultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accus&eacute; en substance les autorit&eacute;s suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, &laquo;en violation de leur droit &agrave; la vie&raquo;, arguant de la vuln&eacute;rabilit&eacute; des personnes &acirc;g&eacute;es face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est vis&eacute;, selon le jugement, serait l&rsquo;incapacit&eacute; de la Suisse &agrave; fournir une estimation des &eacute;missions de gaz &agrave; effet de serre futures afin de limiter &laquo;le r&eacute;chauffement climatique&raquo; au fameux 1,5&deg;C de l&rsquo;Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les cons&eacute;quences n&eacute;fastes restent difficiles &agrave; identifier.</p>
<p>Mais qu&rsquo;en est-il vraiment? Que disent les donn&eacute;es des &eacute;tudes d&eacute;mographiques sur la &laquo;violation du droit &agrave; la vie&raquo; que ce soit sous les climats helv&eacute;tiques ou mondiaux? Le &laquo;r&eacute;chauffement climatique&raquo; met-il r&eacute;ellement en p&eacute;ril le &laquo;droit &agrave; la vie&raquo; des femmes &acirc;g&eacute;es de Suisse?</p>
<p>Premier constat, d&rsquo;apr&egrave;s les donn&eacute;es de l&rsquo;Office F&eacute;d&eacute;ral de la Statistique (OFS), l&rsquo;esp&eacute;rance de vie &agrave; la naissance des femmes suisses est pass&eacute;e de 79,3 ans en 1982 &agrave; 85,4 ans en 2022, et ce malgr&eacute; &laquo;l&rsquo;urgence climatique&raquo;, soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la m&ecirc;me p&eacute;riode, l&rsquo;esp&eacute;rance de vie &agrave; 65 ans, &acirc;ge minimal de ces militantes, est pass&eacute;e de 18,4 &agrave; 22,5 ann&eacute;es. Il ne semble pas que &laquo;le climat&raquo; ait eu des cons&eacute;quences f&acirc;cheuses sur leur droit &agrave; la vie.</p>
<p>En recoupant les donn&eacute;es de l&rsquo;OFS et de M&eacute;t&eacute;osuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de d&eacute;c&egrave;s par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 &agrave; 2024 (Figure).</p>
<p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p>
<p>La courbe noire pleine montre que les p&eacute;riodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accro&icirc;tre la mortalit&eacute; de 72% par rapport aux p&eacute;riodes estivales. Bien que les variabilit&eacute;s d&eacute;mographiques soient complexes &agrave; appr&eacute;hender avec pr&eacute;cision (comme les &laquo;effets moisson&raquo; ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que &laquo;le froid tue&raquo;.</p>
<p>Pour s&rsquo;en convaincre, s&rsquo;affichent en gris sur la figure et &agrave; titre d&rsquo;exemple, les temp&eacute;ratures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuch&acirc;tel montrant de larges amplitudes au cours de l&rsquo;ann&eacute;e. A partir du printemps 2020, la courbe des d&eacute;c&egrave;s-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses cons&eacute;quences, rendant hasardeuse toute interpr&eacute;tation de d&eacute;tail. Mais la forte anti-corr&eacute;lation entre d&eacute;c&egrave;s et saisonnalit&eacute; demeure. Nous supportons bien plus ais&eacute;ment les temp&eacute;ratures non-optimales chaudes que froides. Une &eacute;tude r&eacute;cente<strong><sup>1</sup></strong> publi&eacute;e dans <i>The Lancet</i>&nbsp;sur les exc&egrave;s de mortalit&eacute; dans les villes europ&eacute;ennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux temp&eacute;ratures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance g&eacute;n&eacute;rale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre &eacute;tude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les temp&eacute;ratures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalit&eacute; li&eacute;e au froid a baiss&eacute; de 0,5% alors que celui li&eacute; &agrave; la chaleur aurait augment&eacute; de 0,2%, conduisant &agrave; une r&eacute;duction nette du ratio mondial des d&eacute;c&egrave;s li&eacute;s aux temp&eacute;ratures extr&ecirc;mes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le m&ecirc;me nombre de personnes, bien plus nombreuses &agrave; d&eacute;c&eacute;der durant les hivers, ce qui amplifie davantage le b&eacute;n&eacute;fice d&rsquo;un r&eacute;chauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasm&eacute;, o&ugrave; seules les temp&eacute;ratures excessivement chaudes pr&eacute;sident &agrave; la destin&eacute;e des femmes, en invitant la Suisse &agrave; rejeter la r&eacute;alit&eacute; des faits.</p>
<p>Pourtant, dans le monde r&eacute;el, faut-il le rappeler, l&rsquo;esp&eacute;rance de vie des Suissesses n&rsquo;a cess&eacute; d&rsquo;augmenter, et ce malgr&eacute; le &laquo;d&eacute;r&egrave;glement climatique&raquo;, et gr&acirc;ce, pour l&rsquo;essentiel, aux &eacute;nergies fossiles. De plus, les d&eacute;c&egrave;s directement li&eacute;s aux temp&eacute;ratures non-optimales s&rsquo;amenuisent gr&acirc;ce en grande partie &agrave; des hivers plus cl&eacute;ments.</p>
<p>Dans le monde r&eacute;el, un pays riche comme la Suisse permet &agrave; sa population de s&rsquo;adapter ais&eacute;ment aux inconforts m&eacute;t&eacute;orologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilit&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s aux soins, &eacute;nergie toujours disponible, etc.). A cela peut s&rsquo;ajouter une topographie bienveillante durant les &eacute;t&eacute;s avec de nombreux lacs et rivi&egrave;res, et une fraicheur montagnarde accessible.</p>
<p>Dans le monde r&eacute;el, la Suisse a diminu&eacute; de pr&egrave;s de 40% ses &eacute;missions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production &eacute;lectrique est bas-carbone. D&rsquo;apr&egrave;s la Banque Mondiale, les &eacute;missions de CO<sub>2</sub> par dollar de parit&eacute; de pouvoir d&rsquo;achat de PIB (ce qui ram&egrave;ne tous les pays du monde &agrave; une &eacute;chelle comparable) placent la Suisse au 4&egrave;me<sup>.</sup>rang sur 181 pays, d&eacute;montrant son efficience &eacute;nerg&eacute;tique tout en maintenant des conditions de vie exceptionnelles, devant la Su&egrave;de 6&egrave;me, la France 28&egrave;me, l&rsquo;Allemagne 74&egrave;me (illustrant l&rsquo;&eacute;chec de l&rsquo;<i>Energiewende</i>), les USA 126&egrave;me et la Chine 170&egrave;me.</p>
<p>Dans le monde r&eacute;el, si la Suisse devait poursuivre ses &eacute;missions de CO<sub>2</sub> au niveau de 2019, elle ne contribuerait en 2100 qu&rsquo;&agrave; une &eacute;l&eacute;vation de la temp&eacute;rature mondiale de quelques milli&egrave;mes de degr&eacute;s Celsius suivant les formules fournies par le GIEC. Ces valeurs restent non-mesurables et insignifiantes.</p>
<p>Mais les militantes du climat ne vivent pas dans le monde r&eacute;el. Elles s&eacute;journent dans un univers peupl&eacute; d&rsquo;illusions o&ugrave; seules les impressions du sujet construisent son milieu, o&ugrave; les slogans inconsistants balaient les donn&eacute;es factuelles, o&ugrave; la Suisse parviendrait par sa &laquo;politique climatique&raquo; &agrave; influencer la r&eacute;gulation des climats de la Terre. Oui, la CEDH a bien approuv&eacute; la guerre contre la r&eacute;alit&eacute; men&eacute;e par le climatisme, nouvelle religion de certaines classes ais&eacute;es des pays les plus riches.</p>
<hr />
<h4><sup>1</sup>Masselot et al. (2023) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 7, e-271-281</h4>
<h4><sup>2</sup>Zhao et al. (2021) <i>Lancet Planet Health</i>, vol. 5, e415-425</h4>',
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		'content' => '<p>Le commerce est d<span>irig&eacute; par un Cubano-am&eacute;ricain, Frank Cuspinera Medina, dans le cadre d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; enregistr&eacute;e en Floride avec des capitaux de diverses sources, espagnoles notamment. Les vastes hangars se trouvent &agrave; une dizaine de kilom&egrave;tres du centre, sans desserte de transports publics. Tous les jours, c&rsquo;est l&agrave; un d&eacute;fil&eacute; de belles voitures. Pas seulement &agrave; plaques diplomatiques. L&rsquo;&icirc;le en d&eacute;tresse a ses nouveaux riches. </span></p>
<p><span>&laquo;La plupart des Cubains seraient capables de faire un infarctus, tant il y a de nourriture et de produits qu&rsquo;ils n&rsquo;ont jamais vus de leur vie et qu&rsquo;ils ne pourront jamais se payer&raquo;, l&acirc;che une pharmacienne venue en side-car avec son mari &laquo;pour voir &ccedil;a&raquo;. Seuls moyens de paiement, le dollar, l&rsquo;euro, les cartes Visa et Mastercard dans ces monnaies, non accessibles aux Cubains. Les amateurs de viande veillent &agrave; garder le ticket de caisse, car ailleurs il est interdit d&rsquo;acheter du b&oelig;uf hors des restaurants et la police contr&ocirc;le les voitures. Les caissi&egrave;res sont v&ecirc;tues de tee-shirts estampill&eacute;s Saint-Gobain, sans que personne ne sache quel est ici le r&ocirc;le de cette entreprise. Toutes sont jeunes, blanches, souriantes. &laquo;Il n&rsquo;y a qu&rsquo;un jeune Noir, s&ucirc;rement qu&rsquo;ils s&rsquo;en servent pour d&eacute;charger les caisses&raquo;, raille une cliente mul&acirc;tre. </span><span>Le Parti communiste au pouvoir a l&rsquo;&eacute;chine souple. Et s&rsquo;accommode des arrangements les plus douteux.</span></p>
<hr />
<h4><a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/diplomarket-ce-supermarche-americain-qui-fait-fureur-a-cuba-20240414" target="_blank" rel="noopener">Lire l'article original</a></h4>',
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		'subtitle' => 'Le site Infosperber a publié une provocante réflexion de Walter Langenegger, ex-chef de la rubrique suisse au « St.Galler Tagblatt » et chef de la communication de la ville de Berne. Selon lui, lorsque des intérêts particuliers priment sur la volonté populaire et la Constitution au Parlement, les valeurs démocratiques sont mises de côté. Citation.',
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		'content' => '<p style="text-align: justify;"><span>Ces derniers temps, la majorit&eacute; bourgeoise a pris un cap discutable en mati&egrave;re de politique nationale : de plus en plus souvent, elle plie &agrave; sa volont&eacute; les pl&eacute;biscites et les d&eacute;cisions d&eacute;mocratiques qui ne lui conviennent pas - au besoin contre les r&egrave;gles de proc&eacute;dure &eacute;tablies, la Constitution f&eacute;d&eacute;rale et la volont&eacute; du peuple. Oui &agrave; la d&eacute;mocratie - mais seulement au cas par cas ? On assiste ici &agrave; une dangereuse &eacute;rosion de l'esprit d&eacute;mocratique.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La d&eacute;mocratie ne vit pas seulement d'une constitution fond&eacute;e sur le principe de la majorit&eacute;, les droits fondamentaux et les droits de l'homme et des r&egrave;gles de proc&eacute;dure &eacute;quitables ; la d&eacute;mocratie vit aussi du fait que l'esprit de la constitution est d&eacute;terminant et guide les acteurs politiques. Les principes d&eacute;mocratiques doivent primer sur l'id&eacute;ologie et le programme des partis. Si cette attitude fondamentale fait d&eacute;faut, la d&eacute;mocratie risque de devenir lettre morte.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Mauvais perdants</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que cette attitude fondamentale ne soit pas au mieux en Suisse se manifeste de plus en plus souvent, par exemple r&eacute;cemment apr&egrave;s le "oui" &agrave; la 13e rente AVS. Bien que plusieurs semaines se soient &eacute;coul&eacute;es entre-temps, les partis bourgeois n'arrivent pas &agrave; se r&eacute;signer &agrave; leur d&eacute;faite, restent en mode combat, se moquent de la d&eacute;cision populaire et la torpillent avec des propositions de financement abracadabrantes. </span></p>
<p style="text-align: justify;"><span>Cela a culmin&eacute; r&eacute;cemment avec la NZZ, qui a sugg&eacute;r&eacute; avec malice d'introduire une r&eacute;glementation permettant de renoncer volontairement au suppl&eacute;ment de rente. On pourrait consid&eacute;rer cette rh&eacute;torique comme une mani&egrave;re de surmonter la douleur des perdants de la votation. Mais ce serait sous-estimer le ph&eacute;nom&egrave;ne. Car le discr&eacute;dit jet&eacute; par la majorit&eacute; bourgeoise sur les pl&eacute;biscites ind&eacute;sirables fait d&eacute;sormais partie du syst&egrave;me. Elle sert &agrave; pr&eacute;parer le terrain pour pouvoir attaquer plus tard les verdicts d&eacute;mocratiques au Parlement, &agrave; justifier les man&oelig;uvres douteuses du point de vue de la politique nationale ainsi que les atermoiements juridiques n&eacute;cessaires et &agrave; leur donner une apparence de l&eacute;gitimit&eacute;.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Une &eacute;volution inqui&eacute;tante</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Les six d&eacute;cisions prises r&eacute;cemment par le Conseil des &Eacute;tats et le Conseil national illustrent ce que l'on entend par l&agrave;. Il y a un an, le Parlement bourgeois a permis au Conseil f&eacute;d&eacute;ral, dans le cadre d'une proc&eacute;dure sans pr&eacute;c&eacute;dent, de signer le contrat d'achat des avions de combat F-35, alors qu'une initiative populaire &eacute;tait en suspens. Une votation a ainsi &eacute;t&eacute; emp&ecirc;ch&eacute;e de facto, un droit populaire a &eacute;t&eacute; invalid&eacute; et les opposants ont &eacute;t&eacute; refroidis.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En 2021, le peuple a approuv&eacute; l'initiative sur les soins, contre la volont&eacute; des bourgeois. Elle est aujourd'hui encore bloqu&eacute;e. C'est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que les repr&eacute;sentants du PLR avaient menac&eacute; de faire en cas de "oui" : repousser la d&eacute;cision du peuple aux calendes grecques. Le secteur des soins y voit &agrave; juste titre une violation de la Constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Sous la pression de la majorit&eacute; bourgeoise, le Conseil f&eacute;d&eacute;ral a pr&eacute;sent&eacute; en janvier un projet visant &agrave; annuler les salaires minimaux cantonaux existants. Le Conseil f&eacute;d&eacute;ral lui-m&ecirc;me a mis en garde contre cette intention et l'a qualifi&eacute;e d'anticonstitutionnelle, car elle bafoue la souverainet&eacute; cantonale et le principe de l&eacute;galit&eacute;.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars de cette ann&eacute;e, la majorit&eacute; bourgeoise a fait &eacute;chouer la mise en &oelig;uvre de l'initiative populaire contre la publicit&eacute; pour le tabac, approuv&eacute;e en 2022, en voulant imposer des r&egrave;gles sp&eacute;ciales qui &eacute;taient en retrait par rapport &agrave; l'ancienne loi. M&ecirc;me les m&eacute;dias bourgeois ont parl&eacute; d'une violation de la volont&eacute; populaire.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En mars &eacute;galement, les bourgeois ont trou&eacute; la loi sur les r&eacute;sidences secondaires avec des exceptions si larges que le Conseil f&eacute;d&eacute;ral a d&ucirc; constater que la Constitution &eacute;tait ici viol&eacute;e. La loi est issue d'une initiative populaire approuv&eacute;e en 2012 et combattue par les bourgeois.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Enfin, lors de la derni&egrave;re session, le Conseil des &Eacute;tats a transmis une motion visant &agrave; contraindre toutes les communes &agrave; maintenir la vitesse maximale &agrave; 50 km/h dans les localit&eacute;s. Ce faisant, il a fait fi de deux piliers fondamentaux de notre syst&egrave;me politique : l'autonomie communale et le f&eacute;d&eacute;ralisme.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>En somme, cela montre clairement ce qui se passe dans le camp bourgeois : une profonde r&eacute;ticence &agrave; accepter les d&eacute;faites et &agrave; mettre en &oelig;uvre les d&eacute;cisions populaires de mani&egrave;re constructive avec l'adversaire politique, conform&eacute;ment &agrave; notre d&eacute;mocratie de concordance. Au lieu de cela, il place de plus en plus souvent ses propres objectifs et int&eacute;r&ecirc;ts au-dessus des principes d&eacute;mocratiques et adapte les r&egrave;gles du jeu dans le processus de d&eacute;cision parlementaire &agrave; ce qui sert ses propres int&eacute;r&ecirc;ts, gr&acirc;ce &agrave; de larges majorit&eacute;s.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>Un opportunisme dangereux</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>L'attitude de plus en plus opportuniste de la majorit&eacute; bourgeoise vis-&agrave;-vis des principes de la politique &eacute;tatique est dangereuse. Elle conduit &agrave; des d&eacute;cisions &agrave; la l&eacute;gitimit&eacute; douteuse, d&eacute;forme la l&eacute;gislation, d&eacute;valorise nos fondements constitutionnels et endommage la confiance de la population dans le processus politique et dans le fonctionnement des institutions d&eacute;mocratiques.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Cette situation est d'autant plus grave que la Suisse ne conna&icirc;t pas de juridiction constitutionnelle. Le Tribunal f&eacute;d&eacute;ral n'est pas habilit&eacute; &agrave; contr&ocirc;ler les lois f&eacute;d&eacute;rales. Le gardien supr&ecirc;me de la Constitution est le Parlement lui-m&ecirc;me. Il est &agrave; la fois l&eacute;gislateur et juge et peut, de fait, &eacute;dicter des lois f&eacute;d&eacute;rales non conformes &agrave; la Constitution sans avoir &agrave; craindre de sanctions. Les membres du Conseil des &Eacute;tats et du Conseil national portent donc une grande responsabilit&eacute; et devraient d'autant plus &ecirc;tre un exemple en mati&egrave;re de respect de la Constitution et d'esprit d&eacute;mocratique. Mais beaucoup ne le sont pas !</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Le fait que de nombreux repr&eacute;sentants bourgeois du peuple se soient d&eacute;tourn&eacute;s de cette attitude fondamentale est probablement d&ucirc; surtout &agrave; l'&eacute;volution politique des derni&egrave;res d&eacute;cennies. Celle-ci est marqu&eacute;e par deux courants profonds : premi&egrave;rement, une politique &eacute;conomique, fiscale, financi&egrave;re et sociale n&eacute;olib&eacute;rale prononc&eacute;e et, deuxi&egrave;mement, une radicalisation dans l'&eacute;ventail des partis de droite avec un effet d'aspiration sur les partis bourgeois. Ces deux ph&eacute;nom&egrave;nes ont affaibli la conscience de la n&eacute;cessit&eacute; du respect de la Constitution et de l'esprit d&eacute;mocratique.</span></p>
<h3 style="text-align: justify;"><strong><span>N&eacute;olib&eacute;raux et droits de l'Homme</span></strong></h3>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Tout d'abord, le n&eacute;olib&eacute;ralisme : il a conduit &agrave; un d&eacute;cha&icirc;nement du pouvoir &eacute;conomique, avec pour cons&eacute;quence que l'&Eacute;tat d&eacute;mocratique est devenu le serviteur de groupes et de branches et que le lobbying s'est propag&eacute; jusque dans les ramifications les plus fines de la politique et de l'administration. Il s'agit de moins en moins de concevoir la d&eacute;mocratie comme un moyen d'&eacute;tablir le bien commun et la justice, mais plut&ocirc;t de la contourner et de la d&eacute;former pour mieux faire valoir des int&eacute;r&ecirc;ts &eacute;conomiques particuliers.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>Ensuite, concernant la radicalisation dans l'&eacute;ventail politique de droite : elle a rendu les gens vuln&eacute;rables &agrave; une mentalit&eacute; autoritaire de "ma&icirc;tre chez soi". L'importance de valeurs telles que les droits de l'homme et le principe d'&eacute;galit&eacute; ainsi que le respect des principes de la politique d'&Eacute;tat s'estompe. Dans ces milieux, la d&eacute;mocratie et la constitution ne sont invoqu&eacute;es que lorsqu'elles servent leur propre id&eacute;ologie et peuvent &ecirc;tre utilis&eacute;es comme moyen pour atteindre une fin. Car ici aussi, seul compte le fait de s'imposer - avec ou contre la d&eacute;mocratie et la constitution.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><o:p></o:p><span>La d&eacute;mocratie au cas par cas, en fonction de l'id&eacute;ologie, des int&eacute;r&ecirc;ts particuliers et des calculs de pouvoir ? Et ce &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; il serait plus que jamais n&eacute;cessaire de d&eacute;fendre les valeurs et les principes d&eacute;mocratiques ? Sombres perspectives.</span><o:p></o:p></p>
<hr />
<p style="text-align: justify;"><a href="https://www.infosperber.ch/politik/demokratie-ja-aber-nur-wenns-passt/" target="_blank" rel="noopener">L'article original publi&eacute; sur Infosperber</a></p>',
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<p>La nature de cette menace? Elle n&rsquo;est pas directement militaire mais plut&ocirc;t &eacute;conomique. &laquo;Si P&eacute;kin &eacute;tait en mesure de bloquer les voies commerciales dans la mer de Chine m&eacute;ridionale, la circulation des marchandises en Europe serait en p&eacute;ril&raquo;.</p>
<p>Autre question qui n&rsquo;&eacute;tait pas d&rsquo;actualit&eacute; il y a 75 ans: la contribution des Etats-Unis. Le <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2024/04/03/europe-must-step-up-to-keep-the-us-in-nato/" target="_blank" rel="noopener"><em>Daily Telegraph</em></a> regrette que l&rsquo;Europe ne fasse aucun effort pour s&rsquo;assurer que le plus grand contributeur de l&rsquo;OTAN ne s&rsquo;en d&eacute;tache pas. L&rsquo;heure est grave, puisqu&rsquo;on parle de &laquo;passer &agrave; la caisse&raquo;. La menace qui plane sur l&rsquo;avenir de l&rsquo;organisation n&rsquo;est pas seulement la perspective d&rsquo;une r&eacute;&eacute;lection de Donald Trump et de la ligne isolationniste, c&rsquo;est celle du m&eacute;contentement g&eacute;n&eacute;ral des Etats-Unis qui &laquo;contribuent bien plus &agrave; la d&eacute;fense de l&rsquo;Europe que le continent ne le fait lui-m&ecirc;me... On aurait tort de penser que l&rsquo;aide am&eacute;ricaine coule de source.&raquo;</p>
<p>Les dissensions internes sont toujours un p&eacute;ril sous-estim&eacute;, comme le confirme <a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">le mensuel lituanien </a><em><a href="https://iq.lt/komentarai/issukiai-lietuvos-ateiciai-nato-ir-es/325771" target="_blank" rel="noopener">IQ</a>.&nbsp;</em>Au c&oelig;ur de la discorde, le droit de veto. Ce dernier a rendu &laquo;compl&egrave;tement inefficace&raquo; l&rsquo;ONU, constate <em>IQ</em>, car le risque est constant de s&rsquo;en servir pour exercer pressions ou intrigues diplomatiques. &laquo;D&eacute;mocratie, droit international et Etat de droit forment le socle de l'alliance la plus puissante au monde. Mais un certain nombre d'Etats oublieux de ces valeurs tentent depuis longtemps de placer leur int&eacute;r&ecirc;ts mercantilistes au-dessus des d&eacute;cisions cruciales de l&rsquo;OTAN.&raquo;</p>
<p>Cela revient &agrave; poser une question essentielle, dans toute organisation: qu&rsquo;est-ce qui lie entre eux les Etats membres? Au-del&agrave; de la coop&eacute;ration militaire, ce sont des &laquo;valeurs&raquo;, celles m&ecirc;mes que les pays occidentaux s&rsquo;emploient &agrave; d&eacute;fendre en ce moment en Ukraine. La d&eacute;put&eacute;e Renaissance Anne Genetet plaide m&ecirc;me pour la cr&eacute;ation d&rsquo;un centre de l&rsquo;OTAN charg&eacute; de d&eacute;fendre de concert les valeurs occidentales et la &laquo;r&eacute;silience d&eacute;mocratique&raquo;. Dans <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-otan-a-75-ans-l-age-de-la-resilience-democratique-994366.html" target="_blank" rel="noopener">les colonnes de <em>La Tribune</em></a>, l&rsquo;&eacute;lue souligne que l&rsquo;organisation &laquo;doit plus que jamais &ecirc;tre notre bouclier face aux ennemis de la libert&eacute;&raquo;.</p>
<p>Un avenir mitig&eacute; donc, port&eacute; par de beaux discours et une volont&eacute; de coh&eacute;sion, entach&eacute; par des divergences internes, car tous les Etats membres ne voient pas toujours leurs int&eacute;r&ecirc;ts converger. De mani&egrave;re plus pragmatique, le quotidien croate <em>Večernji list</em> remet l&rsquo;&eacute;glise au centre du village: comment faire face &agrave; l&rsquo;avenir lorsque manque la ressource principale, les soldats?&nbsp;</p>
<p>Le nombre de militaires actifs dans les diff&eacute;rentes arm&eacute;es des pays membres est en effet en recul, jusqu&rsquo;&agrave; atteindre un seuil inqui&eacute;tant. Les solutions habituelles sont &eacute;voqu&eacute;es: augmenter les r&eacute;mun&eacute;rations, encourager les femmes &agrave; s&rsquo;engager, am&eacute;liorer les conditions de vie des soldats en proposant un meilleur &eacute;quilibre entre l&rsquo;arm&eacute;e et la vie de famille... et enfin, r&eacute;tablir le service militaire obligatoire. On n&rsquo;a rien sans rien.&nbsp;</p>',
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Céline Yvon

Auteure active dans la coopération internationale

Les cours intérieures tadjikes sont des hybrides de poésie fârsî et de nostalgie russe – un condensé de soupirs. Peu de choses: de la terre sèche, des buissons gris, un mûrier tordu – et bien sûr un kat, grande litière de bois sur laquelle sommeillent des coussins. Une table basse aussi, branlante – et des tasses de thé, ébréchées. Des ombres qui frémissent, des feuilles qui bruissent, des rideaux qui claquent. Quelque part, coule un filet d’eau et un bébé babille. Les feuilles du mûrier dessinent des tâches sur les visages, elles dansent au gré du souffle du vent. Bientôt, le silence et sa curiosité faisant, un oiseau se posera sur une branche. En attendant, on se déchausse, s’allonge sur le kat et renverse la tête, on regarde comme filent les nuages, là-haut au-dessus des pensées.

Fleur de la cour intérieure du Centre Ismaélien, Dushanbé. © Céline Yvon

La poésie surprend sans crier gare. Derrière les nœuds surdimensionnés qui ornent les couettes des fillettes, un rouge éclatant fait rêver – du socialisme passé et des utopies des hommes. Les moustaches de leurs pères? Elles chicanent peut-être notre esthétique mais titillent surtout l’imagination – quel temps fait-il derrière ces broussailles, il y un monde derrière le visage des gens. Quant aux fripes made in China qui chaque jour, franchissent la frontière et inondent les marchés locaux, elles ne réussissent pas à faire de l’ombre aux suzani, ces merveilles qui couvrent ici les murs abîmés. Car un suzani, c’est un fragment d’âme de ce pays. Une famille entière y a travaillé, à chacun de ses membres une lanière a brodé. Au mariage de la jeune fille, on rassemble les ouvrages, on en fait un seul panneau coloré. Le suzani raconte alors le mystère de la vie – et ses grenades, iris et autres broderies appellent au chevet du nouveau foyer tous les djinns de la fécondité. Il y aussi, dans le désordre: ces bandes décolorées de tissu pendouillant aux arbres qui attention, ne sont ni déchets ni souillures – elles incarnent en fait des prières zoroastres³; les ouvertures des toits qui sont bien plus que de simples puits de lumière – elles sont la pièce centrale d’une cosmogonie célébrant les mondes animal, minéral et végétal; des bébés couverts de poussière qui non, ne sont pas victimes de négligence – les pratiques locales boostent leur système immunitaire. Ici, il faut des clés pour décrypter la beauté.

Un suzani (textile décoratif brodé) exposé au Centre israélien de Duchanbé. © Céline Yvon

Et puis, il y a la musique des mots. La poésie est centrale pour comprendre ce qui déborde des gosiers en fin de soirée et touche ici le cœur des gens. Elle imprègne tout le monde du jardinier au ministre, l’espace persanophone auquel appartient le pays ayant élevé le poète au rang de prince et adoubé la poésie en véritable mode de vie. On vibre ici au rythme de vers millénaires, qu’il s’agisse de Ferdowsi⁴ ou de Roudaki⁵, on en connaît les œuvres légendaires et les extraits par cœur. Que le discours étatique de revendication identitaire porte aux nues l’excellence artistique tadjike n’arrange rien – mais quoi qu’il en soit, tout Européen regrette ici d’être un esprit nourri aux Lumières plutôt qu’une âme abreuvée de soupirs. On se surprendrait à vouloir apprendre le farsi pour accéder à ce monde enchanté – avant de bien vite abandonner: car ici, c’est sa version soviétique qui prime, celle qui a passé par trois révolutions et autant d’alphabets – l’arabe, le latin et le cyrillique – avant de décider de survivre, avidement.

Il fait bon se saouler à la poésie dans une petite cour râpée de Douchanbé.

³ Religion de Zoroastre (forme grecque de Zarathuštra). Le Zoroastrime était la religion de l’ancienne Perse et perdure aujourd’hui dans certaines communautés d’Asie centrale, du Kurdistan et de l’Inde du nord. L’un des premiers monothéismes, elle va inspirer la religion hébraïque, le christianisme et, par leur intermédiaire, l’Islam. Le Zoroastrisme se fonde sur un dualisme apparent (combat entre le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres, etc.); ses fidèles vénèrent le feu comme symbole divin.

⁴ Abul-Qasim Mansur ibn Hasan al-Tusi (940-1020), auteur du Shah Nameh (Livre des Rois), épopée nationale persane.

⁵ Abdullah Jafar Ibne Mohammed Rudaki (859-941), fondateur de la littérature persane classique et poète officiel de l’émir samanide Nasr II, qui le couvrit d’honneur. Seuls quelques fragments de son œuvre nous sont parvenus. Il a mis en vers un recueil de fables indien qui par la suite inspira La Fontaine.