Actuel / Peut-on encore gouverner à l’heure des réseaux sociaux?
Samedi 8 décembre, les «Gilets jaunes» ont manifesté dans les rues de Paris. © 2018 Bon pour la tête / Amèle Debey
Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS / Directeur des Etudes politiques au Collège d'Europe –, Sciences Po Bordeaux
Les autorités de l’État et les élus (et pas seulement ceux de la majorité, ne nous leurrons pas) font face à une défiance d’une ampleur inédite, à laquelle il est bien difficile de trouver une réponse, tant les revendications sont à la fois hétérogènes et individualistes (une par sous-catégorie de la population), irréalistes et contradictoires (davantage de services publics, mais moins d’impôts; plus de croissance, mais moins de concurrence; plus de sécurité, mais moins de règles), et déconnectées d’enjeux aussi fondamentaux que le réchauffement climatique ou l’endettement du pays.
Comment expliquer qu’on en soit arrivé là aussi vite? Le premier constat, c’est que la révolte des gilets jaunes n’est qu’un symptôme de plus d’un mal plus profond, celui qui a conduit au Brexit, à l’élection de Viktor Orban, Donald Trump, Matteo Salvini et Jair Bolsonaro, et qui garantit l’inamovibilité de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.
Les causes de ce syndrome sont connues: déclin des idéologies, affaiblissement des corps intermédiaires, pessimisme généralisé, peur du déclin (social, économique, industriel, environnemental, culturel, religieux… ), crainte des grands changements (mondialisation, migrations, concurrence internationale, terrorisme, métropolisation… ) et opportunisme des marchands de peur et de rêve, qui attisent l’angoisse et la haine, fonds de commerce de leurs prospères PME populistes et médiatiques.
A cela s’ajoutent la toute-puissance des réseaux sociaux, qui bousculent les logiques traditionnelles des mobilisations, de la communication, de l’information et du fonctionnement de l’espace public.
Mobilisation et action
D'abord, ils permettent, sans le moindre moyen financier, humain ou logistique, d’organiser à large échelle l’action de citoyens qui ne se connaissent pas. Sans les réseaux sociaux, il aurait été impossible à des quidams de coordonner si rapidement une protestation de cette ampleur. Le mouvement des gilets jaunes, parti de mobilisations très limitées et dépourvu de toute ressource, a pu acquérir en l’espace d’un mois une ampleur considérable, laissant penser à certains qu’il a désormais vocation à se substituer aux partis, aux syndicats, et même à la représentation nationale.
C’est le sens des trois pages de «directives» adressées par les gilets-jaunes aux parlementaires français, de leur appel à la démission du Président et à la dissolution de l’Assemblée, et de leur volonté de présenter désormais une liste «gilets jaunes» aux élections européennes.
Ensuite, les réseaux sociaux favorisent un discours de protestation et de révolte. Chacun a pu s’en apercevoir: il est presque impossible d’y entamer un dialogue serein et argumenté. Facebook ou Twitter, c’est émotion contre émotion, colère contre colère, indignation contre indignation, outrance contre outrance. Il s’ensuit, soit un dialogue de sourds entre des gens peu capables d’écoute, sans cesse aiguillonnés par des trolls; soit la constitution de sphères qui s’autonomisent, peuplées de gens qui partagent les mêmes convictions, ici des citoyens qui pensent que le gouvernement fait une politique pour le seul bénéfice des banquiers, là d’autres qui estiment que les gilets jaunes sont tous des ahuris.
Primat de l’émotion sur les faits
Ce primat de l’émotion a gagné la sphère publique et médiatique. Ce qu’on entend, ce ne sont pas des arguments ou des idées, mais des émotions («je suis en colère», «y en a marre») et des perceptions («je pense que je gagne moins», «on se moque de nous»). Les faits n’ont plus grande importance. C’est le règne de la croyance sur la connaissance: croyance religieuse ou croyance sociale, il en va de même. Que 2 et 2 fassent 4 importe peu si certains pensent que c’est 5 ou 7. Insister sur le fait que l’arithmétique établit clairement que c’est 4 sera perçu comme du mépris ou de la condescendance…
La légitimité d’un mouvement semblant se mesurer au degré d’émotion de ses protagonistes, ils sont incités à l’outrance et à la surenchère dans les arguments, jusqu’à légitimer la violence: «Monsieur le juge, j’ai lancé un pavé sur le CRS, mais, faut comprendre, j’étais très, très en colère.»
Ce qui frappe aussi, outre les CRS et les casseurs, c’est un dévoiement de la logique démocratique. Celle-ci ne doit, en principe, s’appliquer qu’à des choix politiques: le peuple décide de faire ceci ou cela. Mais, de plus en plus, elle s’applique aussi à bien d’autres domaines: à l’art (Maître Gims est le meilleur chanteur, car le plus écouté) ou même à la science (les Américains pensent que le réchauffement climatique n’est pas d’origine humaine ou que la Terre a 5000 ans, et il faut respecter cela).
Qu’une majorité de citoyens viennent à croire que l’on peut s’abstenir de rembourser la dette de la France et que cela n’aura aucune conséquence, et cela devient une vérité. Que l’idée de doubler le SMIC soit largement soutenue, et ça devient option réaliste. La faisabilité des réformes n’est plus un paramètre pertinent.
Au nom d’une démocratie caricaturée
Au nom d’une démocratie mal comprise et des impératifs de l’audimat, sur quelque sujet que ce soit, les médias consultent d’ailleurs l’homme de la rue ou le chroniqueur atrabilaire, plutôt que le savant. Sur le réchauffement climatique, la dangerosité du glyphosate ou la croissance économique, l’avis du citoyen vaut bien celui du Prix Nobel. Prétendre le contraire, c’est mépriser le peuple.
Au nom d’une démocratie caricaturée, on estime ainsi que l’avis de chaque citoyen, en toute chose, a la même valeur. On considère aussi qu’une foule vociférante est le peuple souverain. Que les gilets-jaunes aient voté à plus de 60% pour le Rassemblement national et la France Insoumise (sondage Slate, 4 décembre), et ne représentent donc qu’une partie minoritaire de l’électorat, importe peu.
S’ajoute à cela la diffusion sans cesse plus grande des fake news par les réseaux sociaux: on aura rarement vu autant d’affirmations péremptoires et d’informations farfelues alimenter un mouvement social. Il est quasiment impossible d’endiguer ce flot, en raison du caractère émotionnel de la mobilisation, de l’hermétisme des sphères des réseaux sociaux qui ne diffusent que des informations conformes à la pensée qui y domine, et du temps nécessaire à la dénonciation d’une fake news.
S’il faut 10 secondes pour affirmer (comme on l’a beaucoup entendu) que la France n’a plus de Constitution ou qu’elle va être «vendue» à l’ONU, il faut 10 minutes pour expliquer d’où viennent ces idées grotesques et pourquoi elles sont fausses.
En outre, la croyance prenant le pas sur la vérité, et la fin justifiant les moyens, quand bien même on démontrerait que, non, la police n’a pas tué 15 personnes lors de telle manifestation, le mobilisé n’en démordra pas, au nom du «ça pourrait être vrai, alors on peut le dire» ou du «les experts et les journalistes sont aux ordres du pouvoir et des banques».
Ce rapport élastique à la vérité, qui est une constante du discours des populistes, se diffuse désormais à grande vitesse, y compris parmi des citoyens a priori accessibles à la raison.
Un terrain de jeu idéal pour manipuler l’opinion
Les réseaux sociaux sont aussi un terrain de jeu idéal pour les organisations ou officines qui cherchent à manipuler l’opinion. On sait aujourd’hui le rôle qu’elles ont joué dans la campagne du Brexit ou l’élection de Donald Trump. On connaît le soutien indirect apporté par la Russie à des candidats pendant la campagne présidentielle de 2017 en France.
On en saura sans doute plus d’ici quelques semaines sur le rôle des réseaux antirépublicains d’extrême gauche ou droite, royalistes, anarchistes ou ultra-catholiques, dans la mobilisation des gilets jaunes (ce qui n’implique pas, bien entendu, qu’ils souscrivent à leurs idées).
Il ne serait guère surprenant d’apprendre que des pays qui voient d’un mauvais œil l’existence d’un pays stable et progressiste comme la France – et d’un ensemble pacifique comme l’Union – se sont mobilisés sur le sujet aussi, pour favoriser la diffusion des revendications des gilets jaunes et soutenir leur mobilisation.
Effets de contamination et de surenchère
Les réseaux sociaux, comme certains médias à leur remorque, favorisent aussi les effets de contamination et la surenchère: les gilets jaunes protestent contre la hausse du gazole et obtiennent un moratoire? Qu’à cela ne tienne, lançons-nous (lycéens, étudiants, agriculteurs, ambulanciers…) dans la bataille pour obtenir nous aussi la prise en compte de nos revendications, ou du moins éviter d’être les victimes collatérales des concessions obtenues par les autres – car chacun sait qu’il faut que quelqu’un paie.
Les partis d’opposition et les syndicats sont déconcertés par un mouvement qui leur échappe? A défaut de pouvoir en prendre le contrôle, mobilisons nos troupes pour surfer sur la vague du mécontentement et profiter de la faiblesse d’un gouvernement aux abois.
La logique d’argumentation qui domine les réseaux sociaux et les médias d’information et qui continue à travers ces plateaux où des chroniqueurs viennent mesurer leur capacité respective d’outrance et de démagogie, conduit à un relativisme du savoir et de la compétence qu’on a vu poindre aux États-Unis dès les années 1990. Les experts ne savent rien. Les (bons) journalistes sont des menteurs. Les élus des voleurs. Les ministres des incompétents…
On reconnaît, pour un temps encore, la compétence de l’électricien, du pilote d’avion ou du chirurgien (personne ne souhaitant qu’un citoyen lambda s’occupe de son installation électrique, prenne les commandes de l’Airbus où il est installé ou l’opère du genou), mais le haut fonctionnaire est un sot, le professeur un farfelu, le parlementaire un imposteur.
On méprise tout autant l’engagement associatif, partisan, syndical, et l’on nie la compétence et la légitimité de ceux qui donnent de leur temps, toute l’année durant, pour faire avancer des idées et des causes, et savent comment mener une mobilisation et une négociation. Aujourd’hui, celui qui crie le plus fort aura le dessus, quelles que soient ses revendications. L’idée est que, puisque tous les responsables et élus sont réputés avoir échoué à régler les problèmes (réels ou fantasmés) de la France, Jacline Mouraud ou n’importe quel porteur de gilet-jaune ne peut pas faire pire. Ils sont le peuple.
Face à tout cela, que pèsent la raison et l’argumentation? Rien, ou si peu.
Le gouvernement a commencé à faire des concessions aux gilets jaunes, mais les agriculteurs et les routiers, qui vont subir par ricochet les conséquences de ces décisions, se mobilisent à leur tour. Les lycéens et les étudiants en profitent pour lancer leur révolution quinquennale, avec une certaine fascination pour les méthodes extrêmes de certains gilets jaunes.
Le chacun pour soi, plutôt que l’intérêt général
Comment gérer une société dans laquelle chacun veut plus sans se soucier du fait que toute dépense publique doit être financée et que toute décision a des conséquences négatives? Une société dans laquelle le sens de l’intérêt général a cédé la place au chacun pour soi? Une société où l’on ne se soucie plus de la cohérence des discours et des revendications? Une société où les citoyens s’en remettent au premier vendeur d’huile de serpent venu?
L’optimiste pensera que les apprentis révolutionnaires vont tôt ou tard être confrontés à la réalité, aux difficultés bien concrètes de l’art de gouverner et de faire des arbitrages. Mais c’est oublier que, dans un système où priment émotions, impressions et semi-vérités, il est facile de renvoyer la responsabilité de ses échecs sur d’autres.
Observons les populistes de tout poil partout dans le monde: leur impuissance est toujours imputée aux technocrates qui les empêchent de mettre en œuvre leur programme, aux journalistes qui déforment la réalité, ou à des groupes précis de la population qui nuisent aux intérêts du peuple (Mexicains, Polonais, réfugiés ou banquiers, peu importe).
Il faut garder à l’esprit qu’un nombre croissant de citoyens, en France comme ailleurs, pensent qu’il existe des systèmes politiques préférables à la démocratie (on ne dit jamais lesquels) et sont fascinés par les leaders autoritaires ou populistes. Les responsables qui persistent à attiser le conflit ont tort d’estimer que la démocratie est un acquis définitif et qu’ils seront capables de ramasser la mise électorale au terme de la crise. Les premiers sondages montrent qu’ils n’en tirent aucun profit. Ils ne font que le jeu des groupuscules antirépublicains qui ont compris très tôt le parti qu’ils pouvait tirer de ce mouvement social.
Cet article est paru à l'origine sur le site The Conversation. Lisez l'article original.
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Le premier constat, c’est que la révolte des gilets jaunes n’est qu’un symptôme de plus d’<a href="https://theconversation.com/et-le-vainqueur-est-le-populisme-76568">un mal plus profond</a>, celui qui a conduit au Brexit, à l’élection de Viktor Orban, Donald Trump, Matteo Salvini et Jair Bolsonaro, et qui garantit l’inamovibilité de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. </p> <p><a href="https://theconversation.com/17-novembre-le-jour-des-malcontents-106966">Les causes de ce syndrome sont connues</a>: déclin des idéologies, affaiblissement des corps intermédiaires, pessimisme généralisé, peur du déclin (social, économique, industriel, environnemental, culturel, religieux… ), crainte des grands changements (mondialisation, migrations, concurrence internationale, terrorisme, métropolisation… ) et opportunisme des marchands de peur et de rêve, qui attisent l’angoisse et la haine, fonds de commerce de leurs prospères PME populistes et médiatiques.</p> <p>A cela s’ajoutent la toute-puissance des réseaux sociaux, qui bousculent les logiques traditionnelles des mobilisations, de la communication, de l’information et du fonctionnement de l’espace public.<br><br></p> <h3>Mobilisation et action</h3> <p>D'abord, ils permettent, sans le moindre moyen financier, humain ou logistique, d’organiser à large échelle l’action de citoyens qui ne se connaissent pas. Sans les réseaux sociaux, il aurait été impossible à des quidams de coordonner si rapidement une protestation de cette ampleur. Le mouvement des gilets jaunes, parti de mobilisations très limitées et dépourvu de toute ressource, a pu acquérir en l’espace d’un mois une ampleur considérable, laissant penser à certains qu’il a désormais vocation à se substituer aux partis, aux syndicats, et même à la représentation nationale. </p> <p>C’est le sens des <a href="https://fr.scribd.com/document/394450377/Les-revendications-des-gilets-jaunes#from_embed">trois pages de «directives» adressées par les gilets-jaunes</a> aux parlementaires français, de leur appel à la démission du Président et à la dissolution de l’Assemblée, et de leur volonté de présenter désormais une liste «gilets jaunes» aux élections européennes.</p> <p>Ensuite, les réseaux sociaux favorisent <a href="https://theconversation.com/lensauvagement-du-web-95190">un discours de protestation et de révolte</a>. Chacun a pu s’en apercevoir: il est presque impossible d’y entamer un dialogue serein et argumenté. Facebook ou Twitter, c’est émotion contre émotion, <a href="https://theconversation.com/la-colere-jaune-une-passion-personnelle-108023">colère contre colère</a>, indignation contre indignation, outrance contre outrance. Il s’ensuit, soit un dialogue de sourds entre des gens peu capables d’écoute, sans cesse aiguillonnés par des trolls; soit la constitution de sphères qui s’autonomisent, peuplées de gens qui partagent les mêmes convictions, ici des citoyens qui pensent que le gouvernement fait une politique pour le seul bénéfice des banquiers, là d’autres qui estiment que les gilets jaunes sont tous des ahuris.<br><br></p> <h3>Primat de l’émotion sur les faits</h3> <p>Ce primat de l’émotion a gagné la sphère publique et médiatique. Ce qu’on entend, ce ne sont pas des arguments ou des idées, mais <a href="https://theconversation.com/debat-la-citoyennete-du-nombril-des-gilets-jaunes-107313">des émotions</a> («je suis en colère», «y en a marre») et des perceptions («je pense que je gagne moins», «on se moque de nous»). Les faits n’ont plus grande importance. C’est le règne de la croyance sur la connaissance: croyance religieuse ou croyance sociale, il en va de même. Que 2 et 2 fassent 4 importe peu si certains pensent que c’est 5 ou 7. Insister sur le fait que l’arithmétique établit clairement que c’est 4 sera perçu comme du mépris ou de la condescendance… </p> <p>La légitimité d’un mouvement semblant se mesurer au degré d’émotion de ses protagonistes, ils sont incités à l’outrance et à la surenchère dans les arguments, jusqu’à légitimer la violence: «Monsieur le juge, j’ai lancé un pavé sur le CRS, mais, faut comprendre, j’étais très, très en colère.»</p> <p>Ce qui frappe aussi, outre les CRS et les casseurs, c’est un dévoiement de la logique démocratique. Celle-ci ne doit, en principe, s’appliquer qu’à des choix politiques: le peuple décide de faire ceci ou cela. Mais, de plus en plus, elle s’applique aussi à bien d’autres domaines: à l’art (Maître Gims est le meilleur chanteur, car le plus écouté) ou même à la science (les Américains pensent que le réchauffement climatique n’est pas d’origine humaine ou que la Terre a 5000 ans, et il faut respecter cela). </p> <p>Qu’une majorité de citoyens viennent à croire que l’on peut s’abstenir de rembourser la dette de la France et que cela n’aura aucune conséquence, et cela devient une vérité. Que l’idée de doubler le SMIC soit largement soutenue, et ça devient option réaliste. La faisabilité des réformes n’est plus un paramètre pertinent.<br><br></p> <h3>Au nom d’une démocratie caricaturée</h3> <p>Au nom d’une démocratie mal comprise et des impératifs de l’audimat, sur quelque sujet que ce soit, les médias consultent d’ailleurs l’homme de la rue ou le chroniqueur atrabilaire, plutôt que le savant. Sur le réchauffement climatique, la dangerosité du glyphosate ou la croissance économique, l’avis du citoyen vaut bien celui du Prix Nobel. Prétendre le contraire, c’est mépriser le peuple. </p> <p>Au nom d’une démocratie caricaturée, on estime ainsi que l’avis de chaque citoyen, en toute chose, a la même valeur. On considère aussi qu’une foule vociférante est le peuple souverain. Que les gilets-jaunes aient voté à plus de 60% pour le Rassemblement national et la France Insoumise (<a href="http://www.slate.fr/story/170766/qui-sont-gilets-jaunes-et-soutiens-portrait-robot-categories-socio-professionnelles">sondage Slate, 4 décembre</a>), et ne représentent donc qu’une partie minoritaire de l’électorat, importe peu.</p> <p>S’ajoute à cela la diffusion sans cesse plus grande des fake news par les réseaux sociaux: on aura rarement vu autant d’affirmations péremptoires et d’informations farfelues alimenter un mouvement social. Il est quasiment impossible d’endiguer ce flot, en raison du caractère émotionnel de la mobilisation, de l’hermétisme des sphères des réseaux sociaux qui ne diffusent que des informations conformes à la pensée qui y domine, et du temps nécessaire à la dénonciation d’une fake news. <br><br></p> <figure> <iframe src="https://www.youtube.com/embed/Q0DuAb7sWY8?wmode=transparent&start=0" allowfullscreen="" width="440" height="260" frameborder="0"></iframe><br><br> </figure> <p>S’il faut 10 secondes pour affirmer (comme on l’a beaucoup entendu) que la France n’a plus de Constitution ou qu’elle va être «vendue» à l’ONU, il faut 10 minutes pour expliquer d’où viennent ces idées grotesques et pourquoi elles sont fausses. </p> <p>En outre, la croyance prenant le pas sur la vérité, et la fin justifiant les moyens, quand bien même on démontrerait que, non, la police n’a pas tué 15 personnes lors de telle manifestation, le mobilisé n’en démordra pas, au nom du «ça pourrait être vrai, alors on peut le dire» ou du «les experts et les journalistes sont aux ordres du pouvoir et des banques». </p> <p>Ce rapport élastique à la vérité, qui est une constante du discours des populistes, se diffuse désormais à grande vitesse, y compris parmi des citoyens a priori accessibles à la raison.<br><br></p> <h3>Un terrain de jeu idéal pour manipuler l’opinion</h3> <p>Les réseaux sociaux sont aussi un terrain de jeu idéal pour les organisations ou officines qui cherchent à manipuler l’opinion. On sait aujourd’hui le rôle qu’elles ont joué dans la campagne du Brexit ou l’élection de Donald Trump. On connaît le soutien indirect apporté par la Russie à des candidats pendant la campagne présidentielle de 2017 en France. </p> <p>On en saura sans doute plus d’ici quelques semaines sur le rôle des réseaux antirépublicains d’extrême gauche ou droite, royalistes, anarchistes ou ultra-catholiques, dans la mobilisation des gilets jaunes (ce qui n’implique pas, bien entendu, qu’ils souscrivent à leurs idées).</p> <p>Il ne serait guère surprenant d’apprendre que des pays qui voient d’un mauvais œil l’existence d’un pays stable et progressiste comme la France – et d’un ensemble pacifique comme l’Union – se sont mobilisés sur le sujet aussi, pour favoriser la diffusion des revendications des gilets jaunes et soutenir leur mobilisation.<br><br></p> <h3>Effets de contamination et de surenchère</h3> <p>Les réseaux sociaux, comme certains médias à leur remorque, favorisent aussi les effets de contamination et la surenchère: les gilets jaunes protestent contre la hausse du gazole et obtiennent un moratoire? 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Les experts ne savent rien. <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-et-journalistes-aux-sources-du-rejet-107901">Les (bons) journalistes sont des menteurs</a>. Les élus des voleurs. Les ministres des incompétents… </p> <p>On reconnaît, pour un temps encore, la compétence de l’électricien, du pilote d’avion ou du chirurgien (personne ne souhaitant qu’un citoyen lambda s’occupe de son installation électrique, prenne les commandes de l’Airbus où il est installé ou l’opère du genou), mais le haut fonctionnaire est un sot, le professeur un farfelu, le parlementaire un imposteur. </p> <p>On méprise tout autant l’engagement associatif, partisan, syndical, et l’on nie la compétence et la légitimité de ceux qui donnent de leur temps, toute l’année durant, pour faire avancer des idées et des causes, et savent comment mener une mobilisation et une négociation. Aujourd’hui, celui qui crie le plus fort aura le dessus, quelles que soient ses revendications. 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Le premier constat, c’est que la révolte des gilets jaunes n’est qu’un symptôme de plus d’<a href="https://theconversation.com/et-le-vainqueur-est-le-populisme-76568">un mal plus profond</a>, celui qui a conduit au Brexit, à l’élection de Viktor Orban, Donald Trump, Matteo Salvini et Jair Bolsonaro, et qui garantit l’inamovibilité de Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. </p> <p><a href="https://theconversation.com/17-novembre-le-jour-des-malcontents-106966">Les causes de ce syndrome sont connues</a>: déclin des idéologies, affaiblissement des corps intermédiaires, pessimisme généralisé, peur du déclin (social, économique, industriel, environnemental, culturel, religieux… ), crainte des grands changements (mondialisation, migrations, concurrence internationale, terrorisme, métropolisation… ) et opportunisme des marchands de peur et de rêve, qui attisent l’angoisse et la haine, fonds de commerce de leurs prospères PME populistes et médiatiques.</p> <p>A cela s’ajoutent la toute-puissance des réseaux sociaux, qui bousculent les logiques traditionnelles des mobilisations, de la communication, de l’information et du fonctionnement de l’espace public.<br><br></p> <h3>Mobilisation et action</h3> <p>D'abord, ils permettent, sans le moindre moyen financier, humain ou logistique, d’organiser à large échelle l’action de citoyens qui ne se connaissent pas. Sans les réseaux sociaux, il aurait été impossible à des quidams de coordonner si rapidement une protestation de cette ampleur. Le mouvement des gilets jaunes, parti de mobilisations très limitées et dépourvu de toute ressource, a pu acquérir en l’espace d’un mois une ampleur considérable, laissant penser à certains qu’il a désormais vocation à se substituer aux partis, aux syndicats, et même à la représentation nationale. </p> <p>C’est le sens des <a href="https://fr.scribd.com/document/394450377/Les-revendications-des-gilets-jaunes#from_embed">trois pages de «directives» adressées par les gilets-jaunes</a> aux parlementaires français, de leur appel à la démission du Président et à la dissolution de l’Assemblée, et de leur volonté de présenter désormais une liste «gilets jaunes» aux élections européennes.</p> <p>Ensuite, les réseaux sociaux favorisent <a href="https://theconversation.com/lensauvagement-du-web-95190">un discours de protestation et de révolte</a>. Chacun a pu s’en apercevoir: il est presque impossible d’y entamer un dialogue serein et argumenté. Facebook ou Twitter, c’est émotion contre émotion, <a href="https://theconversation.com/la-colere-jaune-une-passion-personnelle-108023">colère contre colère</a>, indignation contre indignation, outrance contre outrance. Il s’ensuit, soit un dialogue de sourds entre des gens peu capables d’écoute, sans cesse aiguillonnés par des trolls; soit la constitution de sphères qui s’autonomisent, peuplées de gens qui partagent les mêmes convictions, ici des citoyens qui pensent que le gouvernement fait une politique pour le seul bénéfice des banquiers, là d’autres qui estiment que les gilets jaunes sont tous des ahuris.<br><br></p> <h3>Primat de l’émotion sur les faits</h3> <p>Ce primat de l’émotion a gagné la sphère publique et médiatique. Ce qu’on entend, ce ne sont pas des arguments ou des idées, mais <a href="https://theconversation.com/debat-la-citoyennete-du-nombril-des-gilets-jaunes-107313">des émotions</a> («je suis en colère», «y en a marre») et des perceptions («je pense que je gagne moins», «on se moque de nous»). Les faits n’ont plus grande importance. C’est le règne de la croyance sur la connaissance: croyance religieuse ou croyance sociale, il en va de même. Que 2 et 2 fassent 4 importe peu si certains pensent que c’est 5 ou 7. Insister sur le fait que l’arithmétique établit clairement que c’est 4 sera perçu comme du mépris ou de la condescendance… </p> <p>La légitimité d’un mouvement semblant se mesurer au degré d’émotion de ses protagonistes, ils sont incités à l’outrance et à la surenchère dans les arguments, jusqu’à légitimer la violence: «Monsieur le juge, j’ai lancé un pavé sur le CRS, mais, faut comprendre, j’étais très, très en colère.»</p> <p>Ce qui frappe aussi, outre les CRS et les casseurs, c’est un dévoiement de la logique démocratique. Celle-ci ne doit, en principe, s’appliquer qu’à des choix politiques: le peuple décide de faire ceci ou cela. Mais, de plus en plus, elle s’applique aussi à bien d’autres domaines: à l’art (Maître Gims est le meilleur chanteur, car le plus écouté) ou même à la science (les Américains pensent que le réchauffement climatique n’est pas d’origine humaine ou que la Terre a 5000 ans, et il faut respecter cela). </p> <p>Qu’une majorité de citoyens viennent à croire que l’on peut s’abstenir de rembourser la dette de la France et que cela n’aura aucune conséquence, et cela devient une vérité. Que l’idée de doubler le SMIC soit largement soutenue, et ça devient option réaliste. La faisabilité des réformes n’est plus un paramètre pertinent.<br><br></p> <h3>Au nom d’une démocratie caricaturée</h3> <p>Au nom d’une démocratie mal comprise et des impératifs de l’audimat, sur quelque sujet que ce soit, les médias consultent d’ailleurs l’homme de la rue ou le chroniqueur atrabilaire, plutôt que le savant. Sur le réchauffement climatique, la dangerosité du glyphosate ou la croissance économique, l’avis du citoyen vaut bien celui du Prix Nobel. Prétendre le contraire, c’est mépriser le peuple. </p> <p>Au nom d’une démocratie caricaturée, on estime ainsi que l’avis de chaque citoyen, en toute chose, a la même valeur. On considère aussi qu’une foule vociférante est le peuple souverain. Que les gilets-jaunes aient voté à plus de 60% pour le Rassemblement national et la France Insoumise (<a href="http://www.slate.fr/story/170766/qui-sont-gilets-jaunes-et-soutiens-portrait-robot-categories-socio-professionnelles">sondage Slate, 4 décembre</a>), et ne représentent donc qu’une partie minoritaire de l’électorat, importe peu.</p> <p>S’ajoute à cela la diffusion sans cesse plus grande des fake news par les réseaux sociaux: on aura rarement vu autant d’affirmations péremptoires et d’informations farfelues alimenter un mouvement social. Il est quasiment impossible d’endiguer ce flot, en raison du caractère émotionnel de la mobilisation, de l’hermétisme des sphères des réseaux sociaux qui ne diffusent que des informations conformes à la pensée qui y domine, et du temps nécessaire à la dénonciation d’une fake news. <br><br></p> <figure> <iframe src="https://www.youtube.com/embed/Q0DuAb7sWY8?wmode=transparent&start=0" allowfullscreen="" width="440" height="260" frameborder="0"></iframe><br><br> </figure> <p>S’il faut 10 secondes pour affirmer (comme on l’a beaucoup entendu) que la France n’a plus de Constitution ou qu’elle va être «vendue» à l’ONU, il faut 10 minutes pour expliquer d’où viennent ces idées grotesques et pourquoi elles sont fausses. </p> <p>En outre, la croyance prenant le pas sur la vérité, et la fin justifiant les moyens, quand bien même on démontrerait que, non, la police n’a pas tué 15 personnes lors de telle manifestation, le mobilisé n’en démordra pas, au nom du «ça pourrait être vrai, alors on peut le dire» ou du «les experts et les journalistes sont aux ordres du pouvoir et des banques». </p> <p>Ce rapport élastique à la vérité, qui est une constante du discours des populistes, se diffuse désormais à grande vitesse, y compris parmi des citoyens a priori accessibles à la raison.<br><br></p> <h3>Un terrain de jeu idéal pour manipuler l’opinion</h3> <p>Les réseaux sociaux sont aussi un terrain de jeu idéal pour les organisations ou officines qui cherchent à manipuler l’opinion. On sait aujourd’hui le rôle qu’elles ont joué dans la campagne du Brexit ou l’élection de Donald Trump. On connaît le soutien indirect apporté par la Russie à des candidats pendant la campagne présidentielle de 2017 en France. </p> <p>On en saura sans doute plus d’ici quelques semaines sur le rôle des réseaux antirépublicains d’extrême gauche ou droite, royalistes, anarchistes ou ultra-catholiques, dans la mobilisation des gilets jaunes (ce qui n’implique pas, bien entendu, qu’ils souscrivent à leurs idées).</p> <p>Il ne serait guère surprenant d’apprendre que des pays qui voient d’un mauvais œil l’existence d’un pays stable et progressiste comme la France – et d’un ensemble pacifique comme l’Union – se sont mobilisés sur le sujet aussi, pour favoriser la diffusion des revendications des gilets jaunes et soutenir leur mobilisation.<br><br></p> <h3>Effets de contamination et de surenchère</h3> <p>Les réseaux sociaux, comme certains médias à leur remorque, favorisent aussi les effets de contamination et la surenchère: les gilets jaunes protestent contre la hausse du gazole et obtiennent un moratoire? Qu’à cela ne tienne, lançons-nous (lycéens, étudiants, agriculteurs, ambulanciers…) dans la bataille pour obtenir nous aussi la prise en compte de nos revendications, ou du moins éviter d’être les victimes collatérales des concessions obtenues par les autres – car chacun sait qu’il faut que quelqu’un paie. </p> <p>Les partis d’opposition et les syndicats sont déconcertés par un mouvement qui leur échappe? A défaut de pouvoir en prendre le contrôle, mobilisons nos troupes pour surfer sur la vague du mécontentement et profiter de la faiblesse d’un gouvernement aux abois.</p> <p>La logique d’argumentation qui domine les réseaux sociaux et les médias d’information et qui continue à travers ces plateaux où des chroniqueurs viennent mesurer leur capacité respective d’outrance et de démagogie, conduit à un relativisme du savoir et de la compétence qu’on a vu poindre aux États-Unis dès les années 1990. Les experts ne savent rien. <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-et-journalistes-aux-sources-du-rejet-107901">Les (bons) journalistes sont des menteurs</a>. Les élus des voleurs. Les ministres des incompétents… </p> <p>On reconnaît, pour un temps encore, la compétence de l’électricien, du pilote d’avion ou du chirurgien (personne ne souhaitant qu’un citoyen lambda s’occupe de son installation électrique, prenne les commandes de l’Airbus où il est installé ou l’opère du genou), mais le haut fonctionnaire est un sot, le professeur un farfelu, le parlementaire un imposteur. </p> <p>On méprise tout autant l’engagement associatif, partisan, syndical, et l’on nie la compétence et la légitimité de ceux qui donnent de leur temps, toute l’année durant, pour faire avancer des idées et des causes, et savent comment mener une mobilisation et une négociation. Aujourd’hui, celui qui crie le plus fort aura le dessus, quelles que soient ses revendications. L’idée est que, puisque tous les responsables et élus sont réputés avoir échoué à régler les problèmes (réels ou fantasmés) de la France, Jacline Mouraud ou n’importe quel porteur de gilet-jaune ne peut pas faire pire. Ils sont le peuple. <br><br></p> <figure> <iframe src="https://www.youtube.com/embed/VCQ2Ru-k0lo?wmode=transparent&start=0" allowfullscreen="" width="440" height="260" frameborder="0"></iframe> </figure> <p><br>Face à tout cela, que pèsent la raison et l’argumentation? Rien, ou si peu.</p> <p>Le gouvernement a commencé à faire des concessions aux gilets jaunes, mais les agriculteurs et les routiers, qui vont subir par ricochet les conséquences de ces décisions, se mobilisent à leur tour. Les lycéens et les étudiants en profitent pour lancer leur révolution quinquennale, avec une certaine fascination pour les méthodes extrêmes de certains gilets jaunes. <br><br></p> <h3>Le chacun pour soi, plutôt que l’intérêt général</h3> <p>Comment gérer une société dans laquelle chacun veut plus sans se soucier du fait que toute dépense publique doit être financée et que toute décision a des conséquences négatives? Une société dans laquelle le sens de l’intérêt général a cédé la place au chacun pour soi? Une société où l’on ne se soucie plus de la cohérence des discours et des revendications? Une société où les citoyens s’en remettent au premier vendeur d’huile de serpent venu? </p> <p>L’optimiste pensera que les apprentis révolutionnaires vont tôt ou tard être confrontés à la réalité, aux difficultés bien concrètes de l’art de gouverner et de faire des arbitrages. Mais c’est oublier que, dans un système où priment émotions, impressions et semi-vérités, il est facile de renvoyer la responsabilité de ses échecs sur d’autres. </p> <p>Observons les populistes de tout poil partout dans le monde: leur impuissance est toujours imputée aux technocrates qui les empêchent de mettre en œuvre leur programme, aux journalistes qui déforment la réalité, ou à des groupes précis de la population qui nuisent aux intérêts du peuple (Mexicains, Polonais, réfugiés ou banquiers, peu importe).</p> <p>Il faut garder à l’esprit qu’un nombre croissant de citoyens, en France comme ailleurs, pensent qu’il existe des systèmes politiques préférables à la démocratie (on ne dit jamais lesquels) et sont fascinés par les leaders autoritaires ou populistes. Les responsables qui persistent à attiser le conflit ont tort d’estimer que la démocratie est un acquis définitif et qu’ils seront capables de ramasser la mise électorale au terme de la crise. <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/0600293295276-sondage-exclusif-les-oppositions-ne-profitent-pas-de-la-crise-des-gilets-jaunes-2227880.php?xtor=CS1-1&fbclid=IwAR1wElz8OBT9ahjJ4uGOiOVstNMVT5zqkw7QpIx1_GeTzWMMJHIBN-I6ox0">Les premiers sondages montrent qu’ils n’en tirent aucun profit.</a> Ils ne font que le jeu des groupuscules antirépublicains qui ont compris très tôt le parti qu’ils pouvait tirer de ce mouvement social.<!-- Below is The Conversation's page counter tag. 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Par ce jugement, la CEDH semble vouloir enterrer toute démarche rationnelle appuyée sur des faits pour favoriser des croyances.</p> <p>Accrochées à un mouvement généralisé autour du climat, qui favorise la foi d’une construction sociale de la réalité, à l’instar de la «justice climatique», ces plaignantes semblent avoir banni de leur plaidoyer tout ce qui pourrait résister au contrôle humain de la météo du jour, sans égards aux résultats scientifiques et leurs immenses incertitudes concernant les climats futurs. Les plaignantes ont accusé en substance les autorités suisses de mener une politique climatique aux objectifs et aux mesures insuffisantes, «en violation de leur droit à la vie», arguant de la vulnérabilité des personnes âgées face aux effets des changements en cours, et en particulier aux vagues de chaleur. Ce qui est visé, selon le jugement, serait l’incapacité de la Suisse à fournir une estimation des émissions de gaz à effet de serre futures afin de limiter «le réchauffement climatique» au fameux 1,5°C de l’Accord de Paris, valeur pourtant parfaitement arbitraire et dont les conséquences néfastes restent difficiles à identifier.</p> <p>Mais qu’en est-il vraiment? Que disent les données des études démographiques sur la «violation du droit à la vie» que ce soit sous les climats helvétiques ou mondiaux? Le «réchauffement climatique» met-il réellement en péril le «droit à la vie» des femmes âgées de Suisse?</p> <p>Premier constat, d’après les données de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), l’espérance de vie à la naissance des femmes suisses est passée de 79,3 ans en 1982 à 85,4 ans en 2022, et ce malgré «l’urgence climatique», soit un gain de 56 jours par an depuis 1982. Sur la même période, l’espérance de vie à 65 ans, âge minimal de ces militantes, est passée de 18,4 à 22,5 années. Il ne semble pas que «le climat» ait eu des conséquences fâcheuses sur leur droit à la vie.</p> <p>En recoupant les données de l’OFS et de Météosuisse, on peut observer la nature cyclique du nombre de décès par semaine des personnes de plus de 65 ans en Suisse, de 2010 à 2024 (Figure).</p> <p><img src="https://media.bonpourlatete.com/default/w1200/1713434705_capturedcran2024041812.04.17.png" class="img-responsive img-fluid center " width="784" height="554" /></p> <p>La courbe noire pleine montre que les périodes hivernales restent les plus fatales, toutes causes confondues, pouvant parfois accroître la mortalité de 72% par rapport aux périodes estivales. Bien que les variabilités démographiques soient complexes à appréhender avec précision (comme les «effets moisson» ou les crises sanitaires telles la Covid-19), cette nature cyclique confirme simplement que «le froid tue».</p> <p>Pour s’en convaincre, s’affichent en gris sur la figure et à titre d’exemple, les températures <i>maximales </i>quotidiennes de la station de Neuchâtel montrant de larges amplitudes au cours de l’année. A partir du printemps 2020, la courbe des décès-toutes-causes subit les perturbations du Coronavirus et ses conséquences, rendant hasardeuse toute interprétation de détail. Mais la forte anti-corrélation entre décès et saisonnalité demeure. Nous supportons bien plus aisément les températures non-optimales chaudes que froides. Une étude récente<strong><sup>1</sup></strong> publiée dans <i>The Lancet</i> sur les excès de mortalité dans les villes européennes entre 2000 et 2019, dus cette fois uniquement aux températures non-optimales chaudes ou froides, confirme la tendance générale: entre 65 et 74 ans, le froid tue en Suisse 3 fois plus que le chaud, entre 75 et 84 ans, 6 fois plus, et au-dessus de 85 ans, 7,6 fois davantage. Dans une autre étude du <i>Lancet</i><strong><sup>2</sup></strong> sur les températures non-optimales entre 2000 et 2019 au niveau mondial, le constat est identique: le taux mondial de surmortalité liée au froid a baissé de 0,5% alors que celui lié à la chaleur aurait augmenté de 0,2%, conduisant à une réduction nette du ratio mondial des décès liés aux températures extrêmes. Mais ces pourcentages ne touchent pas le même nombre de personnes, bien plus nombreuses à décéder durant les hivers, ce qui amplifie davantage le bénéfice d’un réchauffement climatique. Ces militantes du climat semblent donc avoir convaincu la CEDH de porter la justice dans un monde fantasmé, où seules les températures excessivement chaudes président à la destinée des femmes, en invitant la Suisse à rejeter la réalité des faits.</p> <p>Pourtant, dans le monde réel, faut-il le rappeler, l’espérance de vie des Suissesses n’a cessé d’augmenter, et ce malgré le «dérèglement climatique», et grâce, pour l’essentiel, aux énergies fossiles. De plus, les décès directement liés aux températures non-optimales s’amenuisent grâce en grande partie à des hivers plus cléments.</p> <p>Dans le monde réel, un pays riche comme la Suisse permet à sa population de s’adapter aisément aux inconforts météorologiques (chauffage ou climatisation, isolations, facilité d’accès aux soins, énergie toujours disponible, etc.). A cela peut s’ajouter une topographie bienveillante durant les étés avec de nombreux lacs et rivières, et une fraicheur montagnarde accessible.</p> <p>Dans le monde réel, la Suisse a diminué de près de 40% ses émissions de CO<sub>2</sub> par habitant depuis 1980 et 91% de sa production électrique est bas-carbone. 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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
3 Commentaires
@Lagom 14.12.2018 | 22h30
«On ne peut que s'incliner devant une analyse aussi bien fouillée, véridique et sans concession. Cependant, au fond la V république n'est pas tout à fait démocratique. Un Président qui s'isole dans son palais pendant quelques jours avant d' annoncer des dépenses de 10 milliards supplémentaires, qu'il doit emprunter chaque année en plus, sans consulter son gouvernement ni le parlement, est d'une extrême gravité. Puisqu'il est aussi facile de dépenser 10 de plus ils vont lui demander de dépenser 20 ou 30 de plus.
Vous auriez dû rajouter un paragraphe sur l'origine du mal; ....1981, l’accueil de la misère du monde, etc. »
@Elizabeth 16.12.2018 | 08h15
«Superbe analyse, aussi pertinente que consternante. Hélas, elle ne propose pas de solution. Les réseaux sociaux ont suffisamment prouvé leur capacité de nuisance - leurs avantages, par contre, me restent obscurs - pour qu'on ne puisse que souhaiter leur éradication. Mais comment faire ??»
@Pieroc 19.12.2018 | 16h40
«Belle analyse. Mais où est l'espoir? Comment faire? Suffit-il de chercher des responsables, comme le laisse entendre @yvoire? Ou souhaiter l'éradication des réseaux sociaux, comme l'exprime @Elizabeth?
Les instruments développés par l'homme ne sont, en eux-mêmes, ni bons, ni mauvais. C'est l'usage qu'on en fait qui décide de quel côté va pencher la balance, en fonction des objectifs, conscients ou non relatifs à cet usage. Souvenons-nous des travaux d'Einstein, des applications qui en ont résulté, par exemple.
Le problème des réseaux sociaux, dans l'usage le plus fréquent qui en est fait, c'est la démultiplication à l'échelle mondiale de ce qu'on appelait jadis les propos, les discussions de "café du commerce". Chacun se lâche, en fonction de ses humeurs, de ses frustrations, de ses haines, de ses a priori, partis pris et autre jugements à l'emporte pièce, dénués de réflexion, de vision un peu élargie, d'un minimum de prise en compte de la complexité dans laquelle des milliards d'individus se trouvent sur une planète aux moyens limités.
Nous pouvons chercher des réponses en tentant d'expliquer, d'éduquer encore et encore. Essayer de réorienter l'énergie mise dans la colère, dans la protestation, en direction d'activités constructives, collectives, à l'échelle de notre voisinage. On pourrait imaginer un apprentissage des réseaux sociaux visant à augmenter la compréhension mutuelle, les expériences et les connaissances partagées, l'entraide, la recherche de solutions plus économiques, plus équitables, l'innovation politique participative, respectueuse des différences, mais cherchant à développer le bien commun....»