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Actuel / L’horreur des guerres. De celles aussi que l’on oublie

Jacques Pilet

25 février 2018

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L’émotion est légitime. Qui resterait indifférent au bombardement de la périphérie de Damas? Mais à ne suivre que les gros titres de l’événement, on perd de vue les vraies circonstances de cet épisode affreux. Et à sélectionner les batailles dont on parle et celles que l’on ignore, on cède à la manipulation. Or la liste des massacres de civils, hier et aujourd’hui, est longue. Commis par de nombreux Etats qu’on les juge sympathiques ou pas, par de nombreuses mouvances terroristes aussi.




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Le quartier de la Ghouta, à Damas, depuis plusieurs années, est aux mains de diverses mouvances islamistes, appuyées par les pays du Golfe, qui larguent des obus sur les autres parties de la ville. Ce ne sont pas des rebelles en quête de démocratie comme certains tentent de nous le faire croire. Ce sont des djihadistes, d’obédience wahhabite pour la plupart. On peut se contenter des innombrables indignations anti-Assad ou se renseigner. Lire par exemple ce que publie le site catholique suisse cath.ch. Il lance le cri d’alarme de Caritas Syrie. Une information d’actualité: «Certains quartiers de Damas [dans le secteur gouvernemental] sont attaqués aux obus de mortier depuis le 22 janvier, spécialement les quartiers de Bab Touma, Abbassyin, Kassaa, Koussour et Jaramana, faisant plusieurs dizaines de morts, indique Caritas Syrie. La majeure partie des chrétiens de Damas vit dans sa banlieue est, et l’on y trouve également la majorité des couvents, monastères et des œuvres d’entraide catholiques de la ville. Des centaines d’obus de mortier, en provenance des zones sous contrôle de milices djihadistes takfiristes, dont Jaïsh al-Islam, une milice wahhabite financée par l’Arabie saoudite, le Front al-Nosra, branche d’Al-Qaïda en Syrie, rebaptisé Front Fatah al-Cham, et Ahrar al-Cham, s’abattent régulièrement sur ces quartiers.»

On peut ajouter à cela que l’armée a donné la possibilité aux civils non armés de quitter la zone bombardée. Les organisations islamistes ont refusé la proposition – par communiqués publics – et gardé la population en otage, concentrant leurs postes de commandement dans les hôpitaux et les écoles qui furent aussitôt attaqués. Les images tournées par les «casques blancs» liés aux rebelles inondent les médias. Le Qatar qui les soutient leur a même recommandé de résister jusqu’au bout.

Il n’est pas question de relativiser l’horreur. Simplement tenter de comprendre le mécanisme qui y a conduit.

Tout pouvoir d’Etat, lorsqu’il se sent menacé dans ses bases, réagit brutalement. Celui du Yémen, soutenu par l’Arabie saoudite, réagit à la rébellion chiite avec une violence inouïe. Ce pays est totalement isolé par un blocus, la population est affamée, le choléra se répand. Le président du CICR a dénoncé ce désastre humanitaire avec force. Mais qui l’a entendu? C’est une guerre dont on ne parle pas. Là, pas de débat au Conseil de sécurité de l’ONU pour exiger l’accès des secours. Les Etats-Unis et les Européens, grands amis du royaume saoudite, s’y opposeraient. 

Les Russes appuient le gouvernement de Damas. Leur grand souci, ce serait l’émergence d’un espace islamiste dans la région. Ils ont tout fait pour l’éviter et sauver ce qui reste de l’Etat syrien. On peut en penser ce que l’on veut mais c’est logique.

Rappelons aussi que la reconquête de Mossoul en Irak, avec l’aide des Occidentaux, a aussi fait des milliers de morts. Tout comme celle de Rakka par les forces kurdes et avec l’appui américain. Là, comme par hasard, nous avons eu moins d’images et moins de titres fracassants. Pour ne pas parler des centaines de milliers de victimes dans les deux guerres américaines contre l’Irak (655'000 selon la revue The Lancet). S’émouvoir des victimes d’ici et ignorer celles de là, c’est entrer dans le jeu des propagandes.

Quelques souvenirs historiques devraient nous empêcher de décréter trop vite qui sont les bons et qui sont les méchants. Les Etats-Unis ont mené leur plus longue guerre au Vietnam (1965-1975), écrasant ce pays de tapis de bombes pendant des années, en y envoyant un demi-million de soldats. Alors même que l’Amérique n’était menacée d’aucune manière. Sans succès d’ailleurs. Et l’Afghanistan. Qui se souvient que les Etats-Unis, déjà aidés par leurs amis du Golfe, ont soutenu les talibans contre un Etat laïque aidé par l’URSS? Les dits rebelles qui ont ensuite attaqué les tours de New York en 2001! L’intervention américaine avait contribué à l’éclatement d’un conflit qui dure jusqu’à aujourd’hui malgré l’engagement durable de troupes US.

Osons un rappel qui choquera peut-être. Comparaison n’est pas raison, mais songeons-y.

Pendant la Seconde guerre mondiale, les démocraties avaient un but: abattre le nazisme. Pour ce faire, les Alliés ont bombardé non seulement l’Allemagne mais aussi la France. Episode quasiment tu dans l’historiographie officielle. Les civils ont payé un prix très lourd. D’après La Nouvelle Revue d’Histoire (août 2015), on estime qu’il y eut 75'000 morts sous les bombes britanniques et américaines qui pour la plupart n’atteignaient pas leurs cibles. Au Havre, à Vannes, à Strasbourg, à Rennes, à Caen, à Saint-Nazaire, à Brest, à Lorient et ailleurs. Et ce fut pire encore sur le front de l’est.

La cause était juste. Mais mourir sous le feu des libérateurs, quelle horreur.

L’Etat syrien est une dictature – ce n’est pas la seule dans la région – mais il est laïque, tolère plusieurs confessions. Son obsession est d’échapper au djihadisme. Dès lors, il sacrifie une partie de sa population, retenue par les islamistes ou acquise à eux. N’allons pas croire qu’il a le monopole du cynisme. On peut maudire «le boucher de Damas», comme disent des commentateurs enflammés, préférer les «rebelles», ce beau mot, mais quelle étiquette leur coller lorsque ceux-ci massacrent tous ceux qui ne partagent pas leur religion dévoyée? L’inflation du vocabulaire n’aide pas.

Le cauchemar de ce pays ne prendra fin qu’au terme d’une entente entre les puissances rivales qui soutiennent telle ou telle partie dans la guerre. Cela peut arriver. Mais les ruines des villes, les deuils et les plaies humaines ne s’effaceront pas avant très, très longtemps. Comprendre l’époque, c’est voir toutes les faces de la réalité, aussi atroces soient-elles.

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VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

7 Commentaires

@JeanPaul80 25.02.2018 | 13h51

«Aujourd'hui j'ai âge de ceux qui ont été mobilisés pour le Viet Nam. À l'époque, je crois que j'aurais refusé d'aller emmerder, même en prenant le risque de sanctions injustes, des populations qui ne demandaient rien et qui ont été exposées à une souffrance sans nom à cause de personnages grandiloquents, convaincus qu'ils devaient mener une guerre pour défendre une cause qu'ils estimaient juste, surtout que cela enrichissait les loobies des armes dans des proportions scandaleuses, qui distribuaient de confortables commissions aux décideurs en tout genre. Aujourd'hui, des populations entières souffrent et meurent à cause du même genre d'imbéciles, qui se prévalent de toutes sortes de bonnes raison pour commettre les pires des massacres et ne respectent rien, ni personne, en dehors du fric, mélangé à une pseudo-religion, que l'on invoque lorsque cela convient aux poussahs arabes, autour desquels gravitent les Américains, comme des chiens autour d'un caca puant. Et nous, que faisons-nous, à part nous indigner ? Il n'y a pas de mot pour évoquer une situation qui fait vomir dans les chaumières. »


@Wapiti 25.02.2018 | 22h14

«Je vous salue, tres courageux, tres juste, tres sur le point. Ouvrons nos yeux.»


@marenostrum 27.02.2018 | 20h13

«merci pour vos articles.»


@Bamahave 01.03.2018 | 12h03

«Très bonne analyse. Sans parti pris , lucide et clairvoyant, Mr Pilet décortique les mécanismes de ces horribles guerres. Merci!»


@mu_et_jo 01.03.2018 | 12h46

«Le cas du conflit afghan soutenu de part et d'autre par russes et américains est extrêmement évocateur.
Lorsque le mur est tombé en 1989, on a vu le gentil occidental triompher du vilain soviétique.
Au risque de passer pour un communiste ;-) , quand on voit le résultat aujourd'hui, en Afghanistan et dans certaines zones de l'ex bloc communiste, on se demande si le gentil était bien celui auquel on croyait et si le mur est tombé du bon côté ?
Merci pour votre très intéressant article.»


@Bogner Shiva 212 04.03.2018 | 13h43

«Oui et que faire ? Que pouvons nous faire d'autre que de s'indigner ? J'ai passé dans le rouge directement quand j'ai lu que notre chantre du rire sous Tranxillium 1000 se félicitait des bons résultats de notre économie grâce aux ventes d'armes et autres matériels entrants dans la construction de ! Mais il est clair que le complexe militaro-industriel mondial appartenant à ces ultra-riches pourris jusqu'au trognon, fait TOUT pour que cela dure ! Y compris et c'est le B A BA de verser du napalm sur la moindre braise du Monde. Par contre très intéressant si l'on réfléchit un poil et que l'on creuse...il y a longtemps que la péninsule du Sinaï tout entière aurait dû s'embraser grave de chez grave, mais non....étrange non ? Enfin moi je dis ça ...je dis rien hein ?»


@stef 11.03.2018 | 18h14

«Lorsque le mur est tombé en 89, tous se sont réjouit, moi le premier.
Force est de constater aujourd’hui que les puissances US et celles du fric se sont emparées des briques pour construire un monde encore plus moche qu’avant...»


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